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Full text of "Arte et décoration"

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ARTcT 
ècorÀTion 


PEVUE  MENSUELLE  D'ART  MODERNE 


'art  décoratif,  si  longtemps  délaisse,  reprend  '^faveur.  Aux 
manifestations  isolées  par  lesquelles  il  s'est  affirmé  au 
début,  succèdent  des  manifestations  plus  compactes;  à 
l'initiative  privée  des  artistes,  correspondent,  chez  les 
fabricants,  des  efforts  moins  brillants  et  moins  originaux, 
mais    plus    étudiés,    plus    coordonnés,   plus    pratiques. 

L'imagination  est  le  guide  unique  des  artistes.  Elle  les  a  souvent 
inspirés  d'une  façon   très  heureuse  ;  mais  ces   bonheurs   d'e.xpres- 
sion,   tout    partiels,   seraient    restés   sans  intluence    sur  la  marche 
de   l'art   décoratif  s'ils   n'avaient  piqué   d'émulation   le  fabricant. 
Nous  avons  vu  ce   dernier,  à  son  tour,  s'inquiéter,    chercher,    lui   aussi, 
du   nouveau,   et,   pour    interpréter    l'idée    neuve,    courir    le   risque   dispen- 
dieux  ci'un    renouvellement  d'outillage.    L'essai  lui    a    réussi.  Dans   le    papier 
dans   l'étoffe,   dans  la  reliure,    dans  l'orfèvrerie,    dans,  le   vitrail,   d'intéressants 
ont  surgi,  suivis  d'encourageants  résultats. 


LES     PELERINS    D  EMMAl  S. 


L.-O.    MERSON 


Art   et  Décoration 


•^ 


LE    VITRAIL 


•  ••••  ••••  ••••  ••••  • 


•  ••••  ••••  ••••  ••••  • 


i:    vitrail,     comme 
tous  les  arts  de  la 
déciH'ation,   a  été 
créé  pour  une  des- 
tination    précise. 
11  s'ai^issait,  dans 
nos   pays  d'Occi- 
dent,  lorsque  les 
murs  des   édifices 
se  réduisirent  aux 
points  d'appui  re- 
cevant par  l'entre- 
mise des   arcs   la 
charge  des  voûtes 
et  des  combles,  de  transporter  sur  les  claires- 
voies  la  déi-oration  qui  n'avait  plus  de  place  sur 
les    murs.   C'est   en    France    que  l'architecture 
renouvelait  ses  méthodes  au  xh'' siècle,  imaj^i- 
nant  pour  la  construction  des  grands  édifices 
religieux,  des  quillages  de  pierre  équilibrés  de 
travée  en  travée  par  des  contreforts  extérieurs 
et  substituant  aux  coupoles,  aux  votâtes  en  ber- 
ceaux et  aux  voûtes  d'arêtes;  legs  de  l'art  ro- 
main  et   de   l'art   byzantin,    un   organisme  de 
nervures  saillantes  et  de  remplissages  de  pierres 
appareillées.  Comment  s'étonner  si  le  vitrail, 
né  avec  l'architecture  française,  est  demeuré  au 
xu''   et   au   xui''   siècle    un    art     exclusivement 
français  ? 

Le  vitrail,  appliqué  tout  d'abord  aux  édi- 
fices religieux,  n'est  en  réalité  qu'une  mosaïque 
translucide.  Comme  les  mosaïques  de  revête- 
ment, il  est  formé  de  fragments  de  verre  juxta- 
posés suivant  une  forme  décorative.  Mais 
tandis  que  la  couleur  d'une  mosaïque  opaque 
n'impressionne  l'œil  que  par  réflexion,  la 
coloration  d'un  vitrail  est  transmise  direc- 
tement par  la  lumière  qui  traverse  la  surface 
vitrée,  et  l'impression  est  absolument  différente. 
Les  mosaïques  byzantines,  qui  revêtent  les 
voûtes  et  les  murs  d'édifices  où  les  rayons  lu- 
mineux ne  pénètrent  que  par  de  rares  ouver- 
tures, admettent  pour  les  fonds  des  colorations 


très  lumineuses,  le  bleu  ou  l'or,  qui  s'éclairent 
par  reflet,  dessinant  les  contours  des  ligures 
et  des  ornements.  Pour  le  vitrail,  l'artiste 
n'avait  point  à  redouter  les  colorations  vives, 
puisque  la  lumière  les  pénétrait.  Ce  qu'il 
fallait  craindre,  c'était  le  ra\onnement  au  con- 
tact des  tons  francs,  le  bleu  et  le  rouge  par 
exemple  pouvant  se  combiner  en  rayons  vio- 
lets qui  eussent  laissé  indécise  la  lorme  à 
limiter.  Or,  voici  qu'une  nécessité  de  consti'uc- 
tion  obviait  à  ce  danger. 

Les  petits  cubes  de  verre  d'une  mosaïque  de 
revêtement  se  lient  les  uns  aux  autres  et  adhè- 
rent aux  surfaces  des  murs  ou  des  voûtes  à 
l'aide  d'un  mortier  de  chaux  ou  de  ciment. 
C'est  le  plomb  coulé  en  vergettes  à  double  rai- 


Sjint  Benoit,  église  Saint-Là. 


GRASSET 


nurc   qui   fournit    le    moyen    d'assembler   les 
fragments    de   verre    coloré    d'une    mosaïque 

1 


Art  et  Décoration 


translucide.  Non  sculenicnt  les  ailes  saillanies 
de  ces  vergeites  enchâssaient  dans  un  réseau 
très  résistant  les  verres  de  différents  tons, 
mais  elles  obligeaient  l'artiste  à  tenir  compte 
dans  sa  composition  de  ces  lignes  obscures, 
dont  l'épaisseur  variait  de  o™,oo5  à  o™,oi,  et 
qui  se  multipliaient  avec  les  tons.  Loin  de 
gêner  l'artiste,  celte  obligation  lui  fournissait 
le  moyen  de  détinir  chaque  forme  par  un  con- 
tour opaque  qui  disparaissait  dans  le  rayonne- 
ment de  la  lumière,  mais  qui  suffisait  cepen- 
dant pour  établir  entre  deux  couleurs  juxta- 
posées une  sorte  de  zone  neutre,  et  pour  éviter 
ainsi  la  combinaison  de  deux  couleurs. 

La  technique  du  vitrail  n'a  point  sensible- 
ment changé  pendant  cinq  siècles.  Elle  est 
définie  par  Théophile  dans  son  célèbre 
«  Essai  sur  divers  arts  »  (Diversarum  artiim 
Schediila).  On  dessinait  d'abord,  en  rouge  ou 
en  noir,  la  composition  sur  une  table  plane, 
blanchie  à  la  craie,  en  réservant  l'épaisseur 
des  vergettes  de  plomb;  on  levait  ensuite 
les  panneaux  ou  patrons  correspondant  aux 
divisions  nécessitées  par  les  changements 
de  couleur  ;  on  coupait  alors  suivant  le 
panneau,  chaque  morceau  de  verre  coloré. 
A  une  époque  où  l'on  n'utilisait  pas  les  pro- 
priétés du  diamant,  et  où  la  coupe  du  verre 
était  préparée  par  une  fêlure  résultant  de  l'ap- 
plication d'un  fer  rouge,  l'opération  était  déli- 
cate et  la  coupe  devait  être  régularisée  à  l'aide 
d'une  pince,  détachant  de  proche  en  proche  de 
petits  éclats  de  verre  pour  atteindre  le  contour. 

Cela  fait,  on  calquait  en  transparence,  à 
l'aide  de  grisaille,  mélange  d'oxyde  de  fer  par- 
faitement broyé  et  d'eau  légèrement  acidulée,  le 
trait  des  ornements  ou  des  figures.  Dans  un 
vitrail  où  la  lumière  doit  passer  partout,  où 
toute  partie  obscure  équivaudrait  à  une  tache, 
il  était  indispensable  d'adopter  pour  le  modelé 
et  pour  l'ombre,  un  procédé  conventionnel 
facilitant  le  passage  des  rayons  lumineux.  Aussi 
est-ce  par  une  série  de  traits  juxtaposés,  larges 
dans  l'ombre  et  amincis  vers  la  lumière,  que 
le  peintre  verrier  procédait  à  l'exécution  sur 
verre  des  modelés  de  sa  composition. 

Déjà  la  mosaïque  de  revêtement,  par  l'as- 
semblage même  des  petits  cubes  de  verre,  avait 
nécessité  pour  le  dessin  des  figures  une  inter- 
prétation décorative  et  des  conventions  analo- 
gues. Là  aussi,  il  avait  fallu  simplifier  le  tracé 
des  ombres  en  enveloppant  les  formes  par  les 
cubes  de  verre,  et,  comme  on  peut  le  voir  sur 
les  magnifiques  mosaïques  du   transept   sud  à 


Saint-Marc  de  Venise,  le  fond  d'or  reflété  passe 
en  filets  minces  entre  les  lignes  d'ombre  pour 
les  éclairer  en  quelque  sorte.  Les  filets  de 
lumière  passant  entre  les  lignes  noires  de  la 
grisaille  agissaient  de  même  en  se  chargeant  du 
ton  du  verre  et  donnant  par  ravonnement  l'illu- 
sion d'ombres  colorées. 

D'ailleurs,  si  des  procédés  techniques  on 
passe  à  l'étude  des  thèmes  décoratifs,  on  recon- 
naît de  singulières  analogies  au  \\v  siècle  entre 
la  mosaïque  et  le  vitrail.  La  verrière  de  la 
Passion  qui  décore  l'abside  de  la  cathédrale  de 
Poitiers,  et  qui  est  peut-être  la  plus  belle  œuvre 
décorative  de  cette  époque,  a  de  singuliers  rap- 
ports pour  la  composition  et  pour  le  style  avec 
la  mosaïque  de  Saint-Marc  qui  représente  le 
même  sujet.  Le  Christ  de  Saint-Marc  est, 
comme  celui  de  Poitiers,  beaucoup  plus  grand 
que  tous  les  personnages  qui  l'entourent;  l'atti- 
tude est  la  même  et  l'anatomie  du  corps,  accen- 
tuée à  Poitiers  par  la  mise  en  plomb,  est 
presque  identique;  les  figures  de  la  'Vierge  et  de 
saint  Jean,  celles  des  soldats  intercalées  dans 
les  compartiments  inférieurs  de  la  croix,  ont  le 
même  sentiment,  la  même  allure. 

Il  n'y  a  pas  lieu  d'en  être  surpris  si  l'onsonge 
que  l'art  oriental,  celui  des  mosaïstes  et  des  pein- 
tres byzantins,  inspira  jusqu'au  xir=  siècle  toute 
composition  décorative  en  Occident,  et  que 
l'art  grec  avait  déjà  fixé  les  thèmes  empruntés 
soit  à  la  vie  du  Christ,  soit  à  la  vie  de  la  "Vierge, 
soit  aux  légendes  des  saints.  La  composition 
est  d'ailleurs  très  simple  :  les  figures,  isolées  le 
plus  souvent  les  unes  des  autres,  se  détachent 
dans  les  verrières  primitives  sur  des  fonds  unis, 
rouges  ou  bleus,  plus  rarement  blancs,  ainsi 
qu'on  le  remarque  à  Poitiers,  à  Angers  ou  à 
Chàlons. 

Les  colorations  claires  du  xiii^  siècle  se  modi- 
fient pendant  le  siècle  suivant:  les  bleus  et  les 
jaunes  sont  plus  soutenus,  et  les  médaillons  des 
vitraux  légendaires  ont,  notamment  dans  les 
bas-côtés  de  la  cathédrale  de  Chartres,  des 
colorations  si  intenses  qu'on  distingue  à  peine 
les  sujets.  D'ailleurs,  c'est  de  la  moitié  du  xii«  siè- 
cle à  la  moitié  duxiii'',  à  l'époque  où  s'élevèrent 
nos  grandes  cathédrales,  qu'ont  été  créées  les 
grandes  œuvres  de  décoration  translucide,  les 
verrières  du  portail  occidental,  celles  de  la 
grande  nef  et  du  transept  à  Chartres,  celles  des 
collatéraux  de  la  cathédrale  de  Sens, 'celles  de 
l'ancienne  cathédrale  de  Chàlons,  les  vitraux 
de  la  nef  d'Angers  et  de  l'abside  de  Poitiers, 
ceux   des   fenêtres    hautes   à   la   caihcdrale    de 


Le   Vitrail 


J 


Bourges,  et  tant  d'autres  qui  attestent  à  cette  à  mes  élèves  de  l'École  des  Beaux-Arts  les 
époque  la  grandeur  et  l'orininalité  del'art  fran-  rapprochements  à  faire  entre  cette  cathédrale 
cais.  Il  est  à  remarquer  qu'une  seule  cathédrale      et  celle  de  Bourges.  Non  seulement  l'église  de 


l'aisum  de  Poitiers. 


construite  hors  de  France,  la  cathédrale  de  Tolède  reproduit  le  chœur  de  Bourges  avec  ses 
Tolède,  possède  encore  au  transept  des  vitraux  chapelles  et  ses  bas-côtés  étages,  mais  les  dé- 
du  xiii' siècle.  Mais  j'ai  signalé,  il  y  a  quatre  ans,       t ails  d'ornements  et  les  profils  des  moulures  ont 


Art  et  Décoration 


de  tels  rapports  dans  les  deux  Jditiccs.  qu'on  ne  invariable,  la  composition  se  complique,  le 
peutdouterder..rit;ine  française  du  monument.  geste  et  le  mouvement  s  exagèrent,  le  dessin 
'  '  est  souvent  défectueux.  La 

réaction  contre  ces  défauts, 
qui    se    manifeste    dès    le 
début  du  XV  siècle,  a  pour 
point  de  dépari  le  progrès 
du  dessin   résultant  d'une 
étude  plus  attentive  du  mo 
dèle  vivant.  Cependant  la 
ligure  n'a.  dans  les  compo- 
sitions   de    cette    époque, 
qu'une  importance  secon- 
daire: elle  est  subordonnée 
aux    décorations  architec- 
Uiniques    qui    envahissent 
alors    les    fenêtres,    enca- 
drant les  ligures  dans  des 
niches  surmontées  de  ga- 
bles et  accotée  des  pinacles. 
C'est    une   idée  singulière 
que  celle  de  cette  transition 
d'architecture     peinte     en 
grisaille    entre     l'architec- 
ture    réelle    et    les    sujets 
Colorés.  L'invention  d'une 
couleur    d'application,    le 
chlorure  d'argent,  teintant 
en  jaune  par  cémentation 
le     verre    incolore,     avait 
contribué    au    développe- 
ment    de      ces     grisailles 
émaillées    de    jaune,    criti- 
quables   sans    doute  pour 
ime  décoration  monumen- 
tale,  mais  se  prêtant  aux 
délicatesses  que  comporte 
le  vitrage  d'une  habitation. 
Avec  le  xv  siècle,  com- 
mencent pour  le  verre  de 
nouveaux  procédés  de  la- 
brication.    .lusque-là,    les 
verres,  dont  les  colorations 
sont     obtenues     par     des 
owdes  métalliques,  étaient 
colorés    en    masse  ;     l'im- 
pureté des   matières  colo- 
rantes et  les  défauts  mêmes 
de  la   fabrication  fournis- 
saient    aux     artistes     des 
verres  d'épaisseur  et  de  to- 
nalité   inégales    dont    ils    tiraient    merveilleu- 
sement parti  p.)Ui'  le   modelé  des  figures.  L  un 
des  procédés  de  fabrication  les  plus  curieux  est 


JKANNP:    I)  ARC. 

Jusqu'à  la  tin  du  xn»  siècle,  la  mosaïque 
translucide  ne  se  moditie  que  par  des  nuan- 
ces    de     style.     Si      la     technique     demeure 


GRASSKT 


Le   Vitrail 


S 


assiircment  celui  du  verre  rouge  qui,  jusqu";ui  progrès  du  dessin  corrigent  les  défauts  d'ana- 
xiv^' siècle,  parait  colciié  en  épaisseur.  L'étude  au  toniie.  apparents  dans  les  luuvres  primitives,  et 
microscope  d'une  section 
laite  dans  un  tragiiient  de 
verre  rouge  provenant  de  la 
grande  verrière  de  Poitiers, 
m'a  permis  de  reconnaitre 
que  le  rouge,  dii  au  sous- 
oxvde  de  cuivre,  s'est  déve- 
loppé dans  une  masse  vi- 
treuse, teintée  en  bleuâtre 
par  le  protoxvde  de  cuivre, 
au  contact  de  globules  ou 
de  tilets  d'un  verre  réduc- 
teur jaunâtre  à  base  de  fer. 
Ainsi  l'inclinaison  des  filets 
et  globules  rouges  répartis 
dans  la  masse,  recevant  les 
rayons  de  lumière  sous  des 
angles  très  diti'érents,  se 
prêtait  à  des  phénomènes 
de  réfraction  qui  augmen- 
taient singulièrement  l'é- 
clat du  verre  rouge.  .\  cet 
égard,  la  fabrication  mo- 
derne demeure  encore  in- 
férieure à  la  fabrication  du 
xu''  siècle. 

Dès  les  premières  années 
ciu  xv  siècle,  un  nouveau 
procédé,  celui  du  placage, 
avait  régularisé  la  fabrica- 
tion du  verre  rouge  en  don- 
nant comme  support  à  la 
couche  mince  du  verre 
teinté,  qui  serait  opaque  en 
épaisseur,  un  verre  non 
coloré.  Il  suffisait  de  faire, 
au  bout  de  la  canne  servant 
au  soufflage  du  verre,  plu- 
sieurs «  cueillies  >•  dans 
les  creusets  contenant  des 
verres  colorés  diflerem- 
ment.  pour  obtenir  ainsi 
par  superposition  toutes 
les  nuances  ;  c'est  le  pro- 
cédé qui  fut  appliqué  d'une 
manière  générale  du  xvau 
xvi"-'  siècle. 

A  cette  époque,  le  vitrail, 
qui    tendait    à    se    décolo- 
rer  par    l'abus    des    grisailles,    reprend    pour      l'harmonie    des    colorations    n'a   point    à    en 
unepériode  très  courteses  qualités  de  mosa'ïque      souffrir.  Cette  seconde  période  glorieuse  pour 
translucide   aux  tons'  francs  et    vibrants.    Les      notre   art  est  bien  caractérisée  par  les  vitraux 


SAINT    MICHt;L. 


GRASSET 


Art  et  Décoration 


du    cha'ur   Je    Tci^lise  di-    M  onimorcncv,   par 
le  .lusse  de  l'Jglisc  Suint-Godard  à  Rouen,  par 


TETE    DK    JEANNE    D  ARC. 


la  grande  verrière  de  la  cathédrale  de  Poitiers 
est    encore  \ive    de   couleur   comme    au   pre- 
mier   jour. 

La  vulgarisation,  par  les  gravures 
sur  bois  et  sur  cuivre,  des  œuvres 
principales  des  maîtres  allemands 
et  italiens  eut  sur  la  composition 
décorative  en  France,  une  déplo- 
rable influence.  Désormais  on  ne 
crée  plus  un  vitrail  en  vue  de  sa 
destination:  on  se  contente  de  dé- 
marquer effrontément  les  gravures 
qui  courent  les  ateliers.  Les  figures 
de  la  fable  de  Psyché,  gravées  par 
le  Maître  au  dé,  deviennent  avec 
quelques  variantes  celles  d'un 
vitrail  de  Gisors  représentant  la  vie 
de  la  Vierge,  ou  d'un  vitrai 
d'Ecouen  sur  lequel  est  figurée  la 
Visitation.  Les  vitraux  de  Conches 
dans  l'Eure  sont  les  copies,  ainsi 
que  je  l'ai  prouvé,  ici  d'une  gra- 
vure d'Albert  Durer,  là  d'une  gra- 
vure du  Maître  à  l'étoile,  là  encore  d'une 
cravure    d'Hans    Sebald    Beham.   Dans   cette 


GRASSET 


les  vitraux  de    Beauvais,  œuvre  d'Engrand  le 

Prince,  par  les  verrières  des  églises  de  Troyes. 

Les   œuvres  sont  très   nombreuses  :  c'est  par  eftVoyable  décadence,  l'art  du  vitrail  disparaît 

milliers  qu'on  les  compte  dans  nos  cathédrales  au  xviie  siècle,  et  sa  renaissance  en  France  date 

et  nos  églises.  à  peine  de  cinquante  ans. 

Cette  belle  période  de  production  est  anté-  Elle   est   due   certainement   au    mouvement 


Vers  cette   époque, 


a   gravure   contribuent 


rieure  a  i  djo 
des  émaux  et 
décadence  rapide  de  l'art  du  vitrail. 
L'émail,  permettant  la  juxtaposition 
de  plusieurs  tons  sur  tme  feuille 
de  verre,  sans  interposition  de 
plombs,  paraissait  être  un  progrès. 
Mais  qu'est  la  transparence  de 
l'émail  comparée  à  celle  du  verre, 
et  comment  empêcher  les  émaux, 
au  moment  de  la  fusion,  de  couler 
l'un  dans  l'auti'c,  en  détruisant  les 
contours  qui  sont  la  condition  es- 
sentielle de  toute  composition  dé- 
corative? Non  seulement  la  mise 
en  plomb  est  indispensable  pour 
éviter  le  rayonnement  des  tons,  mais 
elle  forme  un  réseau  si  élastique, 
en  assemblant  des  morceaux  de 
petite  dimension,  qu'elle  assure  en 
quelque  sorte  la  perpétuelle  durée 
de  l'œ-uvre  malgré  son  apparente 
fragilité.  Nous  n'avons  plus  une 
seule  peinture  intacte  du  xn"  siècle, 
à  rexcellente   fabiication    des    verres 


invention       d'opinion   provoqué   par    des    artistes   et  des 
une       écrivains  éminents,    les  Lassus,  les  Viollet   le 


et   grâce 
anciens, 


lETE    DE    SAINT    MICIU:!..  GRASSET 

Duc,  les  Duban,  les    Mérimée,    les    Vitet,    en 
faveur  des  chefs-d'ceuvre   longtemps  délaisses 


Le   Vitrail 


7 


de  notre  art  au  Moyen  Age.  Les  réparations 
de  l'église  abbatiale  de  Saint-Denis  et  de  la 
Sainte-Chapelle  fournirent  l'occasion  favo- 
rable ;  un  concours  fut  ouvert  pour  la  restau- 
ration des  verrières,  et  les  lauréats,  Stcin- 
heil  et  les  frères  Gc- 
rente,  en  furent  char- 
gés. Tout  était  à  re- 
constituer :  on  ne 
savait  même  plus  fa- 
briquerle  verre  rouge  ; 
quant  aux  autres 
verres  colorés,  l'in- 
dustrie les  fournissait 
en  feuilles  aussi  régu- 
lières de  fabrication 
que  criardes  de  ton. 
et  malgré  les  efforts 
des  architectes  qui, 
comme  Viollet-le-Duc, 
dessinaient  eux-mêmes 
les  cartons,  l'exécution 
était  bien  imparfaite. 

C'est  cependant 
dans  les  travaux  des 
monuments  histo- 
riques que  se  sont  re- 
constituées depuis  cin- 
quante ans  nos  indus- 
tries d'art,  chaque 
chantier  devenant  une 
école  où  se  formaient 
des  ouvriers,  des  ar- 
tistes habiles,  étu- 
diant passionnément 
les  œuvres  anciennes 
jadis  dédaignées,  cher- 
chant à  reconnaître 
les  procédés  anciens 
d'exécution  et  à  s'en 
inspirer  dans  leurs 
travaux. 

Tout  d'abord,  on 
borna  son  ambition  à 
la  conservation  des 
vitraux  anciens.  C'é- 
tait déjà  un  travail 
considérable;  il  fallait, 

en  utilisant  les  indications  données  par  les 
parties  anciennes  d'un  vitrail,  éliminer  les 
morceaux  étrangers  qui  y  avaient  été  inter- 
calés par  la  suite  des  temps,  fabriquer,  pour 
boucher  les  trous,  des  verres  de  même  colora- 
tion, remettre  en  place  les  morceaux  déplacés 


Saillie  MaJcIciiic. 


en  tirant  parti  pour  ce  travail  d'interpolation, 
des  indications  fournies  par  le  réseau  des 
plombs  anciens  et  par  les  contours  plus  ou 
moins  grugés  des  verres  pouvant  s'adapter  à 
ce  réseau.  Il  fallait  encore  compléter,  sur  les 

morceaux  neufs  inter- 
calés, les  traits  de  gri- 
saille, parfois  refaire 
une  tête  ou  une  figure 
complète,  afin  de  ren- 
dre compréhensible 
une  scène  ou  une  com- 
position. On  conçoit 
que  des  travaux  de  ce 
genre  aient  exigé  des 
études  archéologiques 
très  appriifondies  en 
même  temps  que  des 
connaissances  techni- 
ques très  étendues. 
Bien  que  ces  travaux 
aient  toujours  été  exé- 
cutés avec  prudence, 
il  me  semble  qu'il 
conviendrait  à  l'ave- 
nir de  distinguer  par 
un  signe  apparent  les 
morceaux  neul's  des 
morceaux  anciens,  et, 
dans  le  cas  où  une 
figure  serait  à  refaire, 
de  se  contenter  de  ré- 
tablir la  mosaïque  de 
verre  dans  son  réseau 
de  plombs  sans  cher- 
cher à  créer  par  le 
dessin  une  fi  g  u  r  e 
neuve  qui  ne  peut 
être  qu'un  pastiche. 

Dans  les  verrières 
du  xu'-  et  du  xin''  siè- 
cle, dont  le  grand  effet 
tient  aux  colorations 
mêmes  et  à  leur  distri- 
bution, le  dessin  ana- 
tomique  est  secon- 
.^1, .,  ,,  I  daire.  Il    n'en  est   pas 

de  même  dans  les  ver- 
rières du  xvi»  siècle,  où  le  dessin,  quoique 
simplifié  en  vue  d'une  décoration  translucide, 
est  essentiel.  Les  peintres  verriers,  très  aptes 
à  restaurer  les  vitraux  de  nos  anciennes  cathé- 
drales, étaient  moins  bien  préparés  à  des 
études  de   formes,  qui   nécessitaient   un  autre 


8 


An  et  Dccoration 


appreniissaj^c.  Aussi,  les  icsuuiraiions  laites 
de  verrières  du  xvi'^  siècle  sont-elles  en  général 
moins  à  l'abri  des  critiques  que  celles  des 
vitraux  antérieurs. 

Limité  à  de  savantes  reconstitutions,  l'art  du 
vitrail  n'était  pas  encore,  il  y  a  quinze  ans 
en    voie  de    progrès   dans   un   sens 
vraiment  nij-lerne,  et  si  parfois 
quelques-uns  de  ces  restau 
rateurs     habiles     aboi 
daieni    une   compo- 
sition,    on     pouvait 
mesurer   la  distance 
qui    sépare    l'inven- 
tion artistique  de  la 
plus    consciencieuse 
imitation. 

Cependant,    pour- 
quoi  l'art  du   vitrail 
aurait-il  aujourd'hui 
moins  que  jadis  l'oc- 
casion   d'être    appli- 
qué?   La    technique 
est  invariable;  il  n'y 
a     pas     plusieurs 
movens  d'assembler 
et  de  mettre  en  plomb 
lesmorceauxde  verre 
coloré.  Nos  verriers, 
à  la  demande  des  ar- 
tistes, ont  étudié  les 
verres     anciens,     et 
saut'    peut-être   pour 
le    verre    rouge,    les 
procédés  de  fabrica- 
tion  se  sont  perfec- 
tionnés   à    ce    point 
que    nous  disposons 
aujourd'hui,  comme 
au     xvr'     siècle,    de 
toutes  les  nuances  de 
verre.     Nous    avons 
même,  grâce  au  pla- 
cage,   ces     nuances 
dans  un  même  mor- 
ceau, et  l'artiste  sait 
disposer  ses   coupes 
pour  utiliser  la   par- 
tic  claire  dans  la  lu- 
mière   et   la   partie    foncée  dans    l'ond^re.    en 
évitant      d'obscurcir      le    vitrail      par    la    gri- 
saille. 

La  gravure,  d'un  emploi  si  difficile  lorsqu'il 
fallait    enlever   à    la    pointe    ou    au    touret    la 


couche  supérieure  d'iui  verre  plaqué,  est  faci- 
litée aujourd'hui  par  l'emploi  de  l'acide  fluor- 
hydrique;  quant  à  la  coupe,  le  diamant  rem- 
place avantageusement  le  fer  rouge  et  la  pince 

à  gruger. 

Si  la  composition 
le  carton  s'exécute 
au  fusain  ou  au 
cra von  sur  une  feuille 
de  papier  au  lieu 
d'être  exécutée  au 
pinceau  sur  une  table 
revêtue  d'un  enduit 
blanc,  le  principe  de 
la  composition  déco- 
rative ne  peiu  varier. 
11  s'agit  toujours, 
quel  que  soit  le  style 
des  figures  ou  des  or- 
nements ,  d'appro  - 
prier  la  composition 
à  la  place  qui  lui  est 
réservée  dans  l'eti- 
semble,  d'y  subor- 
donner la  grandeur 
des  figures  en  évitant 
les  complications  de 
plans  perspectifs,  qui 
risqueraient  de  dé- 
composer la  surface 
à  décorer  et  auraient 

l'inconvénient  de 
[n'admettre  qu'un 
seul  point  de  vue. 
D'ailleurs,  il  est  im- 
possible de  dessiner 
un  carton  sans  tenir 
compte  de  l'épais- 
seur du  plomb  :  le 
plomb,  c'est  le  dessin 
d'un  vitrail. 

Mettez  en  parallèle 
le  tracé  des  plombs 
d'un  vitrail  du  xir". 
Celui  de  la  Passion 
de  Poitiers,  que  j'ai 
dessinés  lorsque  j'ai 
Le  Piintemi:s.  grasset  reproduit  ce  vitrail  à 

l'aquarelle,  avec  un 
carton  de  M.  Grasset,  celui  du  Printemps 
ou  de  l'Automne  par  exemple,  vous  verrez 
que  l'artiste  du  xix<'  siècle  compose  encore  son 
canon  comme  le  composait  son  confrère  du 
xu"    siècle.    Depuis    quinze    années,   en    effet. 


Le   Vitrail 


9 


les  progrès  accomplis  sont  cijiisidérahlcs,  et  le 
vitrail  tend  à  redevenir  en  France  im  art  avant 
sa  technii-iiie,  laquelle,  loin  de  nuire  à  l'ini- 
tiative de  l'artiste,  aide  ^in:;ulièreinent  à  l'eltel 
du  décor  translu- 
cide. 

La  difficulté  consis- 
tait, pour  le  vitrail 
comme  pour  la  tapis- 
serie, dans  la  C(jm- 
position  des  cartons. 
L'enseignement  don- 
né aux  peintres  à 
rÉcole  des  Beaux- 
Arts  les  préparait 
beaucoup  mieux  à 
rexécution  d'une 
figure  nue  ou  dra- 
pée qu'à  l'inven- 
tion d'une  ieu\  le 
décorative,  exigeant 
des  études  spéciales 
sur  l'ornement,  sur 
le  costume,  sur  le 
mobilier ,  sur  ces 
mille  détails  dont 
l'interprétation  Juste 
donne  tant  de  prix 
aux  fresques  d'un 
Mantegna  ou  d'un 
Benozzo  Gozzoli .  C)  a 
se  rappelle  le  mot 
d'Ingres  :  «  L'Indus- 
trie, nous  n'en  vou- 
lons pas.  »  Or,  pour 
les  peintres,  le  vitrail 
était  encore,  il  v  a 
quinze  ans,  une  in- 
dustrie. 

Après  l'exposition 
de  vitraux  que  j'orga- 
nisai en  1884  et  où 
figuraient,  à  coté 
d'œuvres  originales, 
des  dessins  anciens 
du  plus  beau  carac- 
tère; après  la  publi- 
cation des  verrières  L'Automne. 
de  Montmorency  et 

d'Ecouen,  et  la  formation  au  Palais  de  l'In- 
dustrie d'une  collection  de  verrières  anciennes 
acquises  par  l'Etat  sur  ma  proposition  pour 
former  le  premier  fond  d'un  musée  d'en- 
seignement,   d'éminents    artistes   ont   compris 


l'inieiei  qui  s'attache  à  la  renaissance  d'im  an 

qui    fin,    à     proprement    parler,     du     xii'-    au 

xvr'    siècle,    la    peinture  frani;aise,  et  qui  peut 

"aLUant    mieux    s'approprier    aux    idées    mo- 

ernes,  que   l'usage  du   fer    tend  à  l'établisse- 

menl     de    grandes    baies,    dont    le    vitrail 

de\rail   tonner  naiLirellemenl  la  déco- 

raliiin. 

l'.irmi  les  verrières  impor- 
tantes exécutées  en  France 
dans  ces  quinze  der- 
nièi'es  années,  il  v  a 
lieu  de  distinguer 
celles  qui,  par  leur 
destination,  par  le 
choix  des  sujets,  sont 
des  (euvres  de  déco- 
ra t  ion  mon  u  mentale, 
et  celles  d'un  carac- 
tère plus  intime,  des- 
tinées à  orner  les 
fenêtres  d'un  appar- 
tement, tout  en  y 
ménageant  l'intru- 
duction  de  la  lu- 
mière. Pourcelles-ci, 
on  comprend  qu'il 
importe  d'éviter  des 
colorations  trop  in- 
tenses qui  obscur- 
ciraient les  pièces 
d'habitation  et  don- 
neraient des  tons  faux 
aux  étoffes  ou  aux 
peintures.  Dans  cer- 
tains cas,  c'est  la  gri- 
saille et  le  jaune  d'ar- 
gent qui  ont  été  pré 
térés. 

i'oui'lespremières, 
au       contraii'e,     qui 
constitLient    la   déco- 
ra t  i  o  n   p  r  i  n  c  i  p  a  I  e 
d'une  grande  salle,  \' 
tenant  lieu   de   pein 
lures   murales,    l'ar- 
tiste n'a  pas  à  crain- 
dre   les    oppositions 
franches    :    il    suffit 
qu'il  observe  l'harmonie  des  couleurs,  sachant 
emplover  à  propos  chacune  d'elles  et  surtoiu 
utiliser    le  bleu  qui,  dans  toutes  les  verrières 
anciennes,  donne  la  note  lumineuse,  souvent 
même  aux  dépens  du  bhmc. 


lO 


Art   et  Décoration 


Parmi  ces  vorricrcs,  je  citerai  celles  exécu- 
tées sur  les  cartons  de  M.  Jean-Paul  Laurens 
pour  la  chapelle  du  château  de  Chaumoiu, 
celles  qu'a  composées  M.  Frans-ois  Hhrmann 
pour  la  cathédrale  dWuiun  cl  pour  l'église  de 
Montmorency,  le  vitrail  de  M.  Luc-Olivier 
Merson,  représentant  les  pèlerins  d'Emmaiis 
et  la  jolie  scène  de  danse  commandée  par 
M.  Vanderbilt.  et  dont  le  dessin  est  au  Luxem- 
bourg. Je  citerai  encore  les  vitraux  de  Jeanne 
d'Arc  composés 
par  M .  Grasset,  lors 
du  concours  ouvert 
pour  la  décoration 
de  la  cathédrale 
d'Orléans  ,  deux 
verrières  du  même 
artiste  représentant 
l'une  Jeanne  d'Arc, 
l'autre  saint  Michel 
exécutées  pour  M. 
Mignon,  un  saint 
François  d'Assise 
destiné  à  l'église  de 
Merville,  et  dans  le 
même  monument 
cinq  verrières  absi- 
dales,  notamment 
celle  du  centre  oii 
est  tigurée  la  Tri- 
nité entre  les  attri- 
buts des  Evangé- 
listes. 

Comme  il  arrive 
au  début  d'une  renaissance  artistique,  surtout 
à  une  époque  d'individualisme,  les  caractères 
de  ces  œuvres  sont  très  différents.  M.  Olivier 
Merson  a  su  trouver  une  expression  nouvelle 
et  profondément  religieuse  d'un  sujet  bien  sou- 
vent traité.  Il  v  ajoute  le  charme  exquis  d'un 
dessin  très  pur,  enveloppant  bien  les  formes,  et 
si  nettement  écrit  pour  la  mise  en  plomb 
qu'il  donne  l'illusion  du  vitrail  exécuté. 

Le  sujet  emprunté  au  vitrail  d'Autun,  l'édu- 
cation de  la  Vierge,  est  l'un  de  ceux  que 
M.  Ehrmann  a  le  mieux  traités,  rajeunis- 
sant aussi  ce  thème  ancien  par  le  style  des 
personnages,    sans    rien  lui  enlever    de   cette 


EDUCATION    DE    LA    VIERGE. 


naïveté  charmante  qui  lient  autant  à  l'expres- 
sion des  figures  qu'à  l'étude  du  milieu  où 
se  passe  la  scène. 

M.  Grasset  a  plus  que  tout  autre  le  tempé- 
rament d'un  décorateur.  Il  en  a\  ait  donné  la 
mesure  dans  ses  brillantes  illustrations  des 
Quatre  Fils  Aymon.  Son  concours  d'Orléans 
nous  a  révélé  un  peintre  verrier  capable  de 
concevoir,  dans  un  sentiment  d'extraordinaire 
unité,  une  :> œuvre  considérable,  et   d'apporter 

dans  la  disposition 
et  le  dessin  de  cha- 
que scène  l'interpré- 
tation décorative 
qui  lui  convient.  A 
cet  égard, je  consi- 
dère comme  des 
chefs-d'œuvre  le  sa- 
cre de  Charles  Vil 
à  Reims  et  la  scène 
du  supplice. 

Je     retrouve    les 
m  ê  m  e  s     qualités 
dans      la     Jeanne- 
d'Arc    foulant    aux 
pieds     le     léopard 
d'Angleterre  ,        et 
dans  lesaint  Michel 
terrassant  ledragon. 
Si  les  formes  ar- 
chaïques, qu'on  re 
proche     parfois     à 
M.     Grasset,    sont 
justifiées,  c'est  bien 
lorsqu'il  s'agit    de    représenter  Jeanne  d'Arc, 
tout  armée,  tenant  en  main  son  étendard. 

Ce  reproche  d'archaïsme  ne  tient  pas  d'ailleurs 
devant  l'examen  de  compositions  aussi  ingé- 
nieuses que  la  verrière  absidale  de  la  Trinité  à 
l'église  de  Merville  ou  que  les  gracieuses  figures 
du  Printemps  et  de  l'Automne. 

Nous  avons  donc  en  France  des  peintres  ca- 
pables de  composer  une  verrière  suivant  les 
lois  immuables  de  toute  composition  déco- 
rative. Comment  cette  verrière  doit-elle  être 
exécutée,  par  quels  moyens,  a\ec  quels  maté- 
riaux? C'est  ce  qu'il  convient  d'examiner. 
(  A  suivre)  Ltcn:N  Magne. 


EHRMANN 


UArt    Décoratif  en    Belgique 

UN  NOVATEUR  :    VICTOR    HORTA 


L  s';igit  d'un  novateur, 
en  etfet. 

Dans  le  mouve- 
ment qui  emporte 
aujourd'hui  tout  ar- 
tiste à  la  poursuite 
de  formes  nouvelles 
dictées  par  un  nou- 
vel idéal,  l'architecte 
s'est  mis  en  branle 
le  dernier.  Instruit 
à  l'école  du  passé,  nourri  dans  le  respect 
de  la  tradition  et  gavé,  dès  sa  prime  jeu- 
nesse, de  formules  servant  à  tous  usages, 
il  avait  rompu  sous  la  Monarchie  de 
Juillet,  sous  l'Empire,  avec  l'habitude  de 
la  recherche  et,  par  suite,  avec  l'accent 
personnel. 

Quelque  doué  qu'il  fut,  il  se  préoccupait  peu 
d'inventer.  Comme  nous  composions  en  rhé- 
torique nos  devoirs  latins  — 
avec    des    recueils   d'expres- 
sions    —    l'architecte    mar- 
quetait ses  projets  de   pièces 
d'emprunt    quétées    dans  les 
morceaux     choisis    de     l'art 
classique.  Son  eti'ort  se   bor- 
nait à  les  raccorder;  un   joli 
travail  d'arrangement  lui  te- 
nait  lieu   d'originalité.   C'est 
merveille  qu'il  soit  né  sous  ce 
régime  un  Garnier,  qu'un  "Vaudremer  s'v  soit 
fait  sa  place  au  soleil. 

A  .ce   métier  de  pasticheur,    on  perd  néces- 


sairement le  goût  de  son  art,  le  sens  de  sa 
fonction.  Aussi,  l'architecte  avait-il  vu,  peu  à 
peu,  son  autorité  et  son  rôle  s'amoindrir.  Du 
jour  où  il  ne  fut  plus,  pour  ses  collaborateurs, 
l'excitateur  du  cerveau  et  le  guide  de  la  main 
qu'il  doit  être,  ses  collaborateurs,  un  à  un,  le 
délaissèrent.  Ils  se  dérobèrent  à  cette  direc- 
tion vague  et  molle,  ils  reprirent  leur  liberté 
d'action,  ils  travaillèrent  chacun  à  leur  guise. 
Le  décorateur,  l'ornemaniste,  le  sculpteur  sur 
pierre  ou  sur  bois  se  livrèrent  à  leur  inspira- 
tion sans  contrôle;  l'ébéniste  et  le  tapissier,  le 
céramiste,  le  menuisier,  le  ferronnier,  le  cise- 
leur et  le  peintre-verrier  rirent  de  même. 
Jamais,  entre  les  divers  éléments  qui  concou- 
rent à  la  décoration,  le  malentendu  ne  fut  plus 
grand  et  la  cacophonie  plus  complète. 

.A.  quelque  chose  pourtant  ce  malheur  fut 
bon.  Les  artistes  avaient  appris  à  chercher  : 
ils  s'essayaient  à  la  chasse  aux  idées,  ils  s'in- 


Balcon  en  Fer. 

géniaient  à  trouver  eux-mêmes  des  modèles. 

Ils    recoururent   à  l'éternelle  conseillère,  la 

nature;  ils  rafraîchirent  leurs  inspirations  à  ce 


Art  i't  Dt'coratiou 


contact,  ils  v  rcnouvclcrciii  Il-up  bai^agc.  et  de 
cet  étfort  sérieux,  continu,  est  sortie  peu  à 
peu  la  renaissance  à  lai]uelle  nous  assistons 
en  ce  moment. 

A  vrai   dire,  la  marche  est  leiiie.    l.'incohé- 


Pljiis  de  Li  iihTisdii  7\tssc'1. 


renée,  le  désordre  et  le  manque  de  discipline 
la  retardent.  Pour  conduire  le  «  nouveau 
bateau  »  droit  au  but.  il  lui  fallait  au  gouver- 
nail un  pilote.  Pour  coordonner  et  faire  aboutir 
toutes  ces  recherches,  il  eut  lai  lu  le  coup  de 
barre  d'un  de  ces  vigoureux  maîtres  d'ttuvre 
dont  la  fantaisie,  tempérée  par  un  rigoureux 
esprit  de  méthode,  enfanta  les  merveilles  du 
gothique.  L'an  nouveau  a  manqué  de  maîtres 
d'œuvre. 

Il  en  surgit  à  présent  de  tous  cotés,  qui  ne 
manquent  ni  d'originalité  ni  de  mérite,  mais 
nulle  part  il  ne  s'est  rencontré  d'inventions 
plus  hardies  et  plus  neuves,  d'art  à  la  lois  plus 
logique  et  plus  profondément  personnel  que 
dans  les  travaux  d'un  jeune  architecte,  Victor 
Horta.  —  dont  la  Belgique  a  le  droit  d'être 
tière. 

Un  récent  voyage  en  lirabani  m'a  mis  en 
en  rapport  avec  lui.  Ancien  élève  de  Fjalat  qui 


fm,  dans  la  note  classique.  l'architLCte  le  plus 
estimé  de  son  pays,  et  qui  dressa  les  plans  du 
Musée  d'Art  ancien  de  Bruxelles,  Horta  n'a 
commencé  à  construire,  à  donner  sa  note  per- 
sonnelle, que  depuis  quatre  à  cinq  ans.  Son 
(Linie  est  donc  encore,  malgré  l'activité  qu'il 
déploie,  très  restreinte  :  elle  n'en  est  pas  moins 
forte. 

Contrairement  à  l'usage  français  qui  nous 
parque,  vu  la  cherté  des  terrains,  dans  des 
maisons  de  rapport  occupées  par  de  nom- 
breux locataires,  et  presque  toutes  conçues 
dans  le  même  esprit,  uniformément  bâties 
dans  le  même  stvle,  le  type  de  la  maison 
bourgeoise,  en  Belgique,  est  le  petit  hôtel; 
Horta  en  a  construit  en  cinq  ans  une  demi- 
douzaine.  \'oici  son  premier  essai,  destiné  à 
un  célibataire.  C'est  la  maison  Tassel,  rue  de 
Turin. 

Quoiqu'elle  s'élève  à  deux  pas  de  l'avenue 
Louise,  dans  le  quartier  le  plus  élégant  de 
Brtixelles,  sa  façade,  en  pierre  nue,  est  d'une 
extrême  simplicité.  Elle 
accuse  avant  tout,  très 
nettement,  les  disposi- 
tions intérieures.  Au-des-  ' 
sus  du  rez-de-chaussée, 
un  entresol  très  bas,  sur- 
monté d'un  premier  étage 
de  belle  taille;  un  second 
étage,  de  médiocre  im- 
portance, s'ajoute  à  ce 
piano  nobilc;  le  tom 
est  couronné  d'une  cor- 
niche,    en      saillie     très 


PLtns  de  Ij  iimixdu  Tassel. 

légère,  sur  laquelle  s'a\ance  le  chéneau. 
i)e  l'entresol  au  second,  la  partie  centrale  du 
logis  se  projette,  en  une  double  loggia,  au 
dehors  par  un  encorbellement  circulaire  dont 
le  limeau  de  la   porte   suit  le  nKJUvemcnl.   Des 


L'Art   Dccoratif  en   Belgique 


M 


c^fty^î   II  LU. 


1 


deux  colés  de  la  porte,  une  console  en  soutienl 
la  charité.  Répartis  sur  la  baie  de  l'entresol,  de 
robustes  piliers  ronds  servent  d'appui  à  la  cor- 
niche sur  laquelle 
s'assied  le  bel 
étai^e.  Or  le  bel 
étage  pèse  lourd  : 
l'architecte  a  donc 
tait  en  pierre  les 
piliers  sur  les- 
quels il  repose, 
etil  n'a  laissé  entre 
eux  que  peu  d'es- 
pace. Le  premier 
étage,  au  contrai- 
re, n'avant  à  sup- 
porter qu'un  sim- 
ple balcon  de  ter. 
le  Constructeur  y 
remplace  les  pi- 
liers trapus  par 
de  sveltes  et  min- 
ces colonnettes , 
qu'il  exécute,  non 
plus  en  pierre, 
mais  en  fer.  Il 
les  réduit  en  mê- 
me temps  de  cinq 
à  quatre. 

Au  second,  l'en- 
corbellement dis- 
parait et  tait  place 
à  une  baie  carrée 
de  même  largeur. 
Deux  colonnettes 
en  ter  s'y  insèrent 
et  portent  sans 
faiblir  la  corni- 
che. 

De  ce  parti-pris 
d'ensemble  déri- 
vent, dans  la  fa- 
çade, les  seules 
lignes  qui  en  rom- 
pent, par  quel- 
ques saillies,  la 
mâle  simplicité. 

L'architecte  n'a 
donné  libre  cours 
à  son  imagination 
que  dans  le  détail. 
Voyez  par  quels 
de  l'art  gothique , 
gritfes,    les    piliers 


a     leur     soubassement,     a     leur    entablement. 

Au   premier,  vovcz  le  joli  mouvement   de  la 

grille,  l'imprévu  des  colonnelles  de  1er  el  leur 

i;race;  vo\ez  aussi 


rfiHi 


Maison  Tdsscl,  façade 


motifs  ingénieux,  dérivés 
dont  ils  rappellent  les 
de    l'entresol    sont     reliés 


ci}mme  ces  colon- 
nettes de  1er.  par 
leur  soupçon  de 
chapiteau  ,  font 
corps  avec  les  pou- 
trelles de  même 
métal  qui  portent 
l'entablement,  et 
dites-moi  ce  que 
\()Us  pensez  de 
ces  trouvailles . 

Mais,  dans  la 
maison  elle-même 
des  surprises  bien 
autres  vous  at- 
tendent. 

Vous  voilà  sous 
le  porche,  pavé  de 
mosaïque, tout  en- 
tier lambrissé  de 
bois  verni,  éclairé, 
par  un  vitrail  in- 
térieur, d'un  jour 
apaise,  mysté- 
rieux. 

Est-ce  en  étran- 
ger que  vous  ve- 
nez: N'avez-v(.)us 
à   faire  au  maiire 
de  céans  que  des 
communications 
sans   grande    im- 
portance?  l^assez 
a    droite.  Vous  v 
t  r  o  u  \'  e  r  e  z     u  n  e 
pièce  un  peu  plus 
vaste,    un    parloir 
de  couvent,  meu- 
blé du    stiict   né- 
cessaire,   table   et 
chaises,  et  v(.ilon- 
t  a  i  r  e  m  e  n  i    gris 
d'aspect,  sorte  de 
terrain  neutre,  où 
l'on  viendra  vous 
r  e  c  e  ^•  o  i  r      p  ()  u  r 
vous  expédier  au 
plus  vite,  sans  que  vous  ayez  vu  de  l'intérieur 
quoi   que  ce  soit. 

Ètes-vous  un  tamilierde  la  maison?  La  porte 


14 


Art  et  Dccoration 


de  gaucho  s'ouvrira:  vous  pcn cirerez  en   ami  et  sur  le   même  plan  que  le  palier,  un  jardin 

dans  le  vestiaire,  aussi   souriant,  clair   et   gai  d'hiver,  où  les  palmiers   étalent  complaisani- 

quele  parloir  est  morne;  vous  y  déposerez  sans  ment  l'éventail  dentelé  de  leur  t'euillage. 
façon  le  pardessus,  la  canne  et  le  chapeati  qui  Poursuivez   l'examen    :    vous   vous    rendrez 

vous  gênent;  dans  un  cabinet  adjacent,  vous  compte  que  la  maison  est  composée  de  deux 

ferez,  s'il  v  a  lieu,  une  toilette  aussi  complète  parties    bien  distinctes;    au  fond,  le   corps  de 

que  possible;  il  ne  vous  res-  logis  principal    séparé    par    une    cour    vitrée 

.  où  le  soleil,  à  toute 
our,  vousjvisite,  l'archi- 
tecte a  fait  le  centre 
et  le  fûver  lumi- 
neux de  la  demeure. 
Il  a  supprimé  au- 
Si  tour  d'elle,  autant 
n_  qu'il  1  '  a  pu,  les 
iTurs  pleins.  Les 
.liliers  de  maçon- 
nerie qui  la  trans- 
formeraient en  un 
puits,  ont  été  rem- 
placés par  une  Char- 
ente métallique 
apparente,  renfor- 
cée çà  et  là  de  colon- 
nettes,  dont  les  co- 
lorations d'un  vert 
clair  et  la  forme, 
soigneusement 
cherchée,  délicieu- 
sement trouvée, 
concourent  à  l'envi 
à  la  décoration 
générale.  Tiges 
légères,  feuillues 
par  le  haut,  s'élan- 
çant  comme  d'un 
stipe  à  leur  base, 
elles  continuent 
d'une  manière  char- 
mante pour  l'œil  la 
sensation  de  ver- 
dure et  de  fraicheur 
dont  le  jardin  d'hi- 
ver vous  imprègne. 
Et  c'est  merveillede 
voir  courir  sur  les  murs,  en  capricieuses 
arabesques  de  couleur,  tout  un  semis  de 
feuillages  stylisés  qui  prolongent  encore  l'illu- 
sion et  se  marient  en  combinaisons  harmo- 
ches  vous  fait  face.  Au  delà  du  palier  qui  le  nieus^s  aux  rinceaux  du  fer  assoupli, 
termine,  une  grande  baie  s'ouvre  sur  un  salon  ;  Gravissez    maintenant    les    sept   marches  et 

vous   distinguez  à   votre  droite    l'escalier    qui       passez   au    salon.    Visitez,    après    le    salon,    la 
monte  aux  étages  supérieurs,  à  votre  gauche,       salle  à  manger  qui  prend  jour,  par  un  penta- 


Le  Sahii,  le  Vestibule  et  le  Jardin  d'Hiver,  vus  de  la  Halle  à  Ma>ii;t 

dans  cet  intérieur   si   bien  chjs,  abrité   si  soi- 
gneusement des  curieux,  qu'à  pousser  une  porte. 
Un  tîot  de  lumière,  dans  le  vestibule  octo- 
gone, vous  accueille,  lin  escalier  de  sept  mar- 


L'Art  Dccoratij   en  Belgique 


I 


gonc  vitré,  sur  un  jardinet  enclos  de  murs,  — 
partout    vous    .trouve 
rez  mêmes  recherch 
même    emploi    dti 


La  cit;arette  fumée,  le  porto  de  l'amitié  ab- 
soi'bé, levez-vous.  Avant  de  retourner  au  pa- 
lier, arrêtez-vous  dans  cette  façon  de  vesti- 
bule qui  sert  de  dégagement  au  fumoir  et, 
par  la  grande  baie  qui  le  relie  à  la  cour 
centrale  vitrée,  penchez-vous.  Vos  regards 
iront  sans  peine,  au-delà  du  salon  qui 
egne  au  rez-de-chaussée,  jusqu'au  fond 
de  la  salle  à  manger.  Les  soirs  de  ré- 
ception, s'il  vous  plait  de  fumer  un  ci- 
gare, vous  n'en  resterez  pas  moins,  par 
cette  baie,  en  communication  perpétuelle 
avec  les  mélomanes  qui  tiennent  leurs 
assises    au    salon.   Sans  que 

vos     ha-  ^^"'-^i  P"ii\.^é> 

s-ms 


la    fumée    de 
vines  les  "êne 


Le  Pjlici-  lin  /'-■f  et: 


fer  apparent,  mêmes  colorations  et  mêmes 
formes  heureuses  imprévues,  décoratives  à 
souhait,    du   métal. 

Mais  le  temps  presse  :  revenons  sur  nos  pas 
et  du  palier  montons  à  l'entresol  ménagé  dans 
le  corps  de  logis  sur  la  rue.  Donnons  un  coup 
d'œil,  en  passant,  au  joli  dessin  de  la  rampe, 
examinons  curieusement  la  muraille  où  repa- 
rait, sous  un  aspect  plus  nouveau,  en  courbes 
de  plus  en  plus  tourmentées,  le  motif  sinueux 
du  palier. 

Vous  voici  à  l'entresol  :  vous  n'êtes  pas 
encore  au  bout  de  vos  surprises.  De  la  partie 
centrale,  éclairée  par  un  vitrail  sur  la  rue,  l'ar- 
chitecte a  fait  un  fumoir,  flanqué  d'une  salle 
de  bains  d'un  coté,  d'un  laboratoire  de  l'autre. 
Aux  murailles,  garnies  sur  leur  pourtour  d'un 
divan,  des  spirales  de  flammes,  stylisées,  tor- 
dent avec  fureur  leurs  volutes  sur  un  fond 
bizarre  d'améthyste  qui  va  se  dégradant  vers 
le  haut,  et  dont  la  note  étrange,  en  harmonie 
avec  les  couleurs  du  vitrail,  flamboyant  lui 
aussi,  est  d'un  charme  sinsulièrement  attirant. 


Le  Palier  du  Saliiii. 
conversations  les  émeuve,  vous  percevrez  les 


i6 


Art  et 


pièces    réser- 
vées à  la  do- 


mesticité. 
Nous  aurons 
dit     de     cette 


sons  de  leurs  instruments  ou  l'accord 
étotie  de  leurs  voix,  et  vous  saurez  i;ré  de 
cette  disposition  point  banale  à  Horta. 

Passons    sur    le   cabinet    de  travail,  qui 
occupe  toute  la  largeur  de  Ihute 
au  premier,  au-dessus  du  fumoir  ; 
passons  également  sur  lu  chambre 
à  coucher,  précédée  d'un  salon  tout 
intime,  au  premier  étage  du  corps 
de  logis  prin- 
cipal ;c()nteil- 
tons-nous  en- 
tin    d'ajouter 
que  le  second 
est   divisé  en 

c  h  a  m  b  r  e  s 
d'amis  et    en 


Lustre  Electrique 

pour  Boudoir 


ChJitc.iu 

de  1.1  Hulfi 


curieuse     maison     l'essentiel. 

Et  ce  n'est  pas  la  seule,  parmi  les  construc- 
tions de  Horta,  où 
l'on  trouve,  dans 
les  aménagements 
intérieurs,  un  en- 
semble si  complet 
de  précautions,  une 
adaptation  si  par- 
faite du  logis  au 
caractère  et  à  la 
manière  de  vivre 
du  maitre,  une  ori- 
ginalité si  pro- 
fonde dans  le  détail 
de  la  décoration. 
L'artiste,  en  efiei. 
se  garde  bien  d'i- 
miter en  se  copiant 
sans  cesse  le  déplo- 
rable exemple  que 
tant  de  scsconfrères 
nous  donnent. 

La  maiscm  type 
n'existe  pas  pour 
lui. 

De  celles  qu'il  a 
élevées,  aucune  ne 
ressemble  aux  au- 
tres que  par  le  soin 
scrupuleux  avec  le- 
quel il  l'a  étudiée,  par  l'heureuse  utilisation  de 
tous  les  coins  et  des  accidents  les  plus  bizarres 


de    meubles,    de 
rcils     d'éclairai;e 


Lustre  poui- 
Sdllc  à  Maiii^er' 


^ration 

du  terrain,  par  la   simplicité  élégante  des 
façades,  par  l'unité  du  principe  décoratif, 
nu    l'emploi    des    courbes    harmonieuses 
ouc  le  grand  rôle,  par  la  préoccupation 
d'éclairer    directement    toutes    les 
les    distribuant    autour 
d'un  point   central,  foyer  de  vie  où 
le  jour  verse  à   grands  flots  sa  lu- 
mière, et,  avec  la  lumière,  introduit 
partout  la  gaieté, 
.le  voudrais 
surtout    insister 
sur  l'ingéniosité 
raftinée  avec  la- 
quelle l'artiste  a 
conçu,  pour  cha- 
CLine  de  ses  créa- 
tions,   des    mo- 
dèles,   pour    la 
plupart    exquis, 
de     ferronnerie, 
vitraux,    de    tapis,    d'appa- 
non       seulement      étudiés 
au     cravon ,     mais 
modelés,       pour 
mieux  guider  l'exé- 
cutant,     par      lui- 
même. 

L'espace  me  fait 
défaut,  mais  les 
r  e  p  r  o  d  u  c  t  i  o  n  s 
jiiintes  à  cet  article 
n'ont  nul  besoin  de 
com  mental  re,  et 
nos  lecteurs  sau- 
ront d'eux-mêmes 
apprécier  tout  ce 
qu'il  \'  a  dans  ces 
motifs,  de  richesse, 
de  variété  impré- 
\iie,  de  fraîcheur 
ei  d'irréprochable 
logique. 

(Quelques  ré- 
Hcxions  pourtant 
soniutiles.  Le  point 
de  départ  de  ces  re- 
cherches est  l'ob- 
servation de  la  na- 
ture; mais,  tout  en 
observant  la  na- 
tiu'e,  en  se  réglant, 
pciuriel  ou  tel  motif,  sur  les  indications  qu'elle 
fournil,  en   arrachant   à  la  plante  le  secret  des 


Château 
de  la  Uulfc 


L'Art  Dccoratif  cii   Bcloiqiit 


Chcmincc  M^iisim  de  M.  frisiin). 

ondulations  délicates  ou  des  courbes  gracieuses 
de  ses  tiges,  l'artiste  a  eu  l'ambition  de  ne  rien 
faire  qui  rappelât  di- 
rectement la  nature.  S'il 
suit,  pour  inventer  le 
caprice  d'un  décor,  la 
loi  cachée  à  laquelle 
les  végétaux  obéissent 
en  se  développant  sui- 
vant des  formes  im- 
muables et  toujours  har- 
monieuses, il  s'astreint 
avec  la  même  rigueur 
à  ne  pas  tracer  un 
motif,  à  ne  pas  décrire 
une  seule  courbe  où 
puisse  se  reconnaître 
un  motif  naturel  pas- 
tiché. 

De  même,  pour  les 
meubles  qu'il  dessine  : 
ni  dans  le  dévelop- 
pement d'un  pied  de 
table,   ni  dans  le  dessin 

d  une  simple  étagère,  ni  dans  le    contour  gé- 
néral ou  le  principe  ornemental  d'un   bahut. 


vous  ne  percevrez  un  mouxement  du  bois, 
une  moulure,  un  accent  de  la  forme,  un 
relief,  où  s'accuse  un  emprunt  direct  à  quoi 
que  ce  soit  d'existant.  Chaque  meuble  est 
une  création  véritable  dont  la  nature  a  bien 
fourni  le  thème;  mais  ce  thème  a  été  revu, 
modifié,  amplifié  ou  réduit  suivant  l'esthé- 
tique spéciale  de  l'objet. 

On  pourrait  dire,  en  un  mot,  que  l'apport 
de  la  nature  se  réduit  à  une  suggestion. 

Ceci  posé,  entrons  dans  le  détail. 

La  photographie  a  complètement  déformé 
le  grand  lustre  exécuté  pour  la  salle  à  manger 
d'apparat  du  château  de  la  Hulpe.  Rectifions 
les  données  incomplètes  qu'elle  nous  donne. 
11  s'agissait  de  projeter  la  lumière,  entons  sens, 
sur  une  table  de  dix-huit  à  vingt  personnes. 
L'appareil  a  donc  été  combiné  pour  s'étendre 
en  longueur.  A  droite  et  à  gauche  de  la  vaste 
corolle  dont  les  émaux  de  couleur  vive,  en- 
châssés dans  une  mise  en  plomb  de  bronze 
d(iré,  multiplient  de  leurs  éclatantes  facettes 
les  feux  du  groupe  central  de  lumières,  des 
tiges  latérales,  des  tiges  longitudinales  se 
détachent,  abritant  sous  des  corolles  plus 
petites,  et  de  dimensions  inégales,  des 
lampes  simples  formant  comme  le  pistil  de  la 

fleur. 
La    photographie    a   été   plus   exacte    pour 

le     reste  ;     mais,     tout       en      respectant     les 


Petite  salle  à  mander  (Chjteju  de  Ij  Hnlpel 


formes,    elle     n'a    pu    donner    la    couleur    ni 
dire  la  matière.  Complétons   donc   les  indica- 


i8 


Art  et  Décoration 


lions  insuffisantes  qu'elle  'fournit.  Le  petit 
lustre  électrique  pour  boudoir,  duVhàteaude  la 
Hulpc,  est  en  cuivre  rouge. 
L'électricité  se  transmet  aux 
lampes  Edison  par  des  fils 
apparents  rouge  ponceau. 

Le  mobilierde  la  petite  salle 
à  manger  est  en  acajou  plein, 
la  table  à  écrire  du  grand  hall 
en  hctre,de  ton  naturel,  avec 
plateau  en  bois  marqueté. 

On  sera  certainement 
frappé,  en  considérant  la 
cheminée  exécutée  pour 
M.  Frison,  d'un  manque 
d'harmonie  entre  les  deux 
tiges  inférieures  du  double 
appareil  d'éclairage,  termi- 
nées par  des  tulipes  élec- 
triques, et  la  tige  supérieure, 
surmontée,  pour  l'éclairage 
au  gaz,  d'une  cheminée  de 
verre  et  d'un  globe.  Inutile 
de  dire  que  ce  manque 
d'harmonie  n'est  pas  impu- 
table à  l'artiste,  dont  le 
modèle,  uniquement  conçu 
pour  l'électricité, comportait 
pour  chaque  bras  de 
lumière  trois  tulipes. 
La  transformation  indi- 
quée par  notre  repro- 
duction n'est  qu'une 
modification  transitoire  imposée,  dans  une 
maison  neuve,  par  la  nécessité  de  recourir 
au  gaz,  en  attendant  l'installation  électrique. 
Dans  ses  essais  de  décoration  intérieure. 
l'architecte  ne  s'est  pas  seulement  appliqué  à 
donner  aux  appareils  d'éclairage  des  formes 
neuves.  Il  a  cherché  à  les  disposer  d'une  façon 
plus  logique,  en  les  reliant  par  exemple  aux 
cheminées  pour  en  éclairer  la  glace,  en  les 
faisant  jaillir,  dans  une  cage  d'escalier,  du  dé- 
part de  la  rampe.  C'est  l'occasion,  pour  lui,  de 
donner  au  bois  un  mouvement  d'une  grâce 
inattendue,  et  d'obtenir  en  même  temps,  parla 
juxtaposition  des  notes  vertes  du  bronze  et  des 
notes  fauvesdu  bois,  d'heureuxeffets  de  couleur. 
Ajoutons  que  les  inventions  de  Horta  font 
école  déjà  en  Belgique.  Elles  ont  inspiré,  dans 
l'industrie  du  meuble,  plus  d'un  de  ses  com- 
patriotes et  l'on  retrouve,  dans  une  maison  que 
vient  de  construire  à  Paris  M.  Guimard,  et  dont 
nous  parlerons,  un  écho  lointain  de  ses  prin- 


cipes. Nous  nous  devions  donc  à  nous-mêmes, 
en  entreprenant  cette  publication  destinée  à 
l'art  décoratif,  d'apprendre  au  public  français  à 
connaître  undeceux.  parmi  les  architectes  étran- 


Croquis  de  lampe. 


Départ  de  rampe. 

gers,  qui  se  sont  attaqués  le  plus  résolument 
au  problème,  sans  cesse  agité,  de  l'art  nouveau. 
L'aperçu  que  nous  donnons  de  son  œuvre, 
tout  incomplet,  tout  fragmentaire  qu'il  puisse 
être,  instruira,  en  les  faisant  penser,  nos  ar- 
tistes. Ce  ne  sera  pas  une  satisfaction  banale 
pour-  nous,  Thiébault-Sisson. 


L'ART  DÉCORATIF  EN  ANGLETERRE 


stsf se 
ARTS    AND    CRAFTS 


I  l'on  en  croit  les  publica- 
tions londonnienncs  qui 
ont  rendu  compte,  pendant 
les  deux  derniers  mois  de 
()6,  de  la  cinquième  exposi- 
tion de  la  Société  anglaise 
"  Arts  and  Crat'ts  ",  ja- 
mais l'art  décoratif  n'a  fait  preuve  d'une  telle 
vitalité  outre  Manche,  jamais  on  n'a  vu,  dans 
l'ensemble  des  travaux  exposés,  des  inspirations 
plus  variées  et  plus  neuves,  plus  pratiques  et 
plus  rassurantes  pour  l'avenir. 

Je  ne  sais  ce  qu'ont  été  les  expositions  anté- 
rieures, mais  je  crains  bien  qu'en  ce  qui  concerne 
celle-ci,  le  grand  nom  de  Morris  et  la  haute  in- 
fluence dont  il  a  joui  légitimement  de  son 
vivant  n'aient  abusé  ses  compatriotes  sur  le 
compte  de  la  société  d'art  décoratif  qu'il  fonda. 
J'ai  fait  le  voyage  de  Londres  pour  voir  cette 
exposition  en  détail,  j'en  ai  étudié  tous  les 
numéros  un  à  un,  et  l'impression  que  j'en  ai 
rapportée  diffère  singulièrement  de  l'opti- 
misme manifesté  par  les  journaux  londonniens. 
J'étais  arrivé,  pourtant,  dans  les  dispositions 
les  plus  favorables  et  convaincu  que  je  ver- 
rais de  fort  belles  choses.  Je  m'étais  fait,  d'après 
les  clichés  du  Studio,  du  Magasine  of  Art, 
de  Y  Art  Journal  et  de  VArtist,  une  idée  d'au- 
tant meilleure  des  objets  que  la  réduction  en 
masquait  les  défauts.  J'avais  pris  surtout  in- 
térêt à  une  porte  en  cuivre  repoussé  dont  la 
composition  m'avait  paru  franchement  neuve 
et  l'exécution  d'une  superbe  largeur.  J'entre  à 
la  New-Gallery,  je  me  précipite  sur  le  morceau 
de  mes  rêves,  et  que  vois-je  ?  —  Un  travail,  en 
eftet,  très  large  et  dénotant  un  ouvrier  de  pre- 
mier ordre,  mais  une  effrayante  salade  de 
motifs,  empruntés  aux  styles  les  plus  connus  et 
démarqués  avec  une  navrante  maladresse. 

Des  trois  partiesdont  se  composel'ensemble, 
la  seule  originale  est  la  base,  parce  qu'elle  ne 
comporte  aucun  ornement. 

Dans  le  panneau  central,  de  chaque  coté  de 
trois  pavots,  hiératiques  et  raides  comme  des 
lotus  égyptiens,  une  frise  d'urasus,  dont  l'ar- 
tiste, pour  donner  le  change  aux  curieux,  a 
remplacé  la  tête  par  un  assemblage  triangu- 
laire de  lignes  droites.  Au-dessus  des  pavots 


stvlisés,  trois  têtes  de  pavots  copiées  d'après 
nature  s'enferment  dans  un  cercle  :  démarquage 
du  blason  japonais.  Une  bordure  de  coquilles 
orne  la  partie  supérieure;  mais  la  forme  de  ces 
coquilles  est  bizarre.  Elle  ne  rappelle  en  rien  le 
motif  dont  les  pèlerins  de  Saint-Jacques  déco- 
raient d'une  façon  si  pittoresque  leur  chapeau  et 
chamarraient  avec  ostentation  leur  pèlerine  au 
xii«  et  au  xni«  siècles.  Prenez  un  peu  de  recul  : 
vous  vous  apercevrez  que  ces  coquilles,  en 
dépit  de  leurs  stries  verticales,  en  dépit  de  leurs 
charnières  en  saillie,  ont  été  inspirées  unique- 
ment par  les  scarabées  égyptiens.  Et  voilà 
comme  on  fait  du  neuf!  En  Angleterre,  au  moins, 
les  savants  n'ont  pas  travaillé  pour  des  prunes. 
La  désillusion  est  pénible;  elle  n'a  rien,  à  la 
la  réflexion,  de  surprenant.  J'ai  déjà  constaté 
plus  d'une  fois,  dans  mes  voyages  à  Londres, 
l'étroite  parenté  qui  existe  entre  telle  ou  telle 
pièce  de  musée,  peu  connue,  et  tel  ou  tel 
meuble  curieux  dont  les  ébénistes  anglais  se 


Dessin  de  papier  peint  par   Voysey 

(essex  et  c°) 

font  honneur.  Dans  une  seule  maison,  décorée 
dans  le  goût  esthétique  le  plus  pur  et  meublée, 
avec  une  originalité  très  réelle,  de  sièges  dont 
le  modèle  passait  pour  n'avoir  été  vu  nulle 


20 


Art  et   Dccoration 


CluifiU\iu  lift'  II!  cheminée 
ci-dcsstnts. 


pan.  1  ai 
rci  ri) Il  vij, 
adroitement 
reproduits, 
—  littérale- 
ment copiés 
devrais  -  je 
dire, —  trois 
objets  que 
j'avais  re- 
marqués la 
\  c  i  1 1  e      a  u 

British, 
dans  la  sec- 
tion égyp- 
tienne :  un 
berceau  de 
nouveau-né 
à  bascule, en 
bois  plein, 
une  sellette 
de  bois  dont 
le  plateau  était  ingé- 
nieusement creusé 
pour  épouser  les 
formes  assises,  et 
une  de  ces  chaises 
carrées 


1730,  un  Louis  XV  anglais  t\)rt  gracieux,  bien 
connu  sous  le  nom  de  Chippendale.  On  copie 
couramment  le  Chippendale  comme  on  copie 
l'anglo-Hamand  de  la  reine  Anne.  Voyez  ces 
chaises  de  salon  à  montures  légères,  ces  fins 
canapés  d'acajou,  d'érable  ou  de  bois  vert, 
garnis  d'étoffe  Liberty,  devant  lesquels  nos 
snobs  s'écarqui  lient  parce  qu'ils  viennent 
d'Angleterre  !  Les  prendrez-vous,  comme  eux, 
pour  du  neuf?. l'en  doute  fort.  Pour  peu  que 
vous  ayez  passé  le  détroit,  vous  en  aurez 
trouvé,  chez  les  collectionneurs,  des  modèles 
autrement  parfaits,  avec  leurs  supports  un  peu 
grêles,  d'un  joli  mouvement  Louis  XV,  avec 
leurs  dossiers  ajourés  formés  de  pièces  rigides 
ou  délicatement  incurvées,  mais  toujours 
carrées  de  forme.  La  seule  différence  qui  existe 
entre  le  Chippendale  d'autrefois  et  celui  d'à 
présent,  c'est  que  le  premier,  malgré  sa  légè- 
reté, est  solide,  et  que  le  second  jouit  d'une 
réputation  de  fragilité  méritée,  due  à  sa 
malfaçon. 

Voilà  dans  quelles  conditions,  depuis  trente 
ans,  l'art  anglais  section  du  mobilier)  a  fait 
preuve  d'invention.  Je  mets  à  part,  évidem- 
ment, certains  arrangements  de  cheminée,  cer- 


montants  de  bois  tourné,  réunis 
par  de  fortes  lanières  de  cuir,  font 
un  siège  d'une  simplicité  élégante 
et  d'un  confortable  parfait. 

Quand  ce  n'est  pas  de  l'antique 
qu'on  s'inspire,  c'est  du  stvle  an- 
glais de  la  reine  Anne,  et  qu'est-ce 
que  le  style  anglais  de  la  reine 
Anne,  sinon  la  Renaissance  fla- 
mande mise  par  Guillaume  d'O- 
range à  la  mode,  à  la  fin  du 
XVII'*  siècle,  et  appropriée  dans  les 
premières  années  du  xviii>^^,  sous 
le  règne  de  sa  belle-situr,  aux 
exigences  et  au  tempérament  de 
leurs  sujets!  Ces  modèles  de  fau- 
teuils à  dossier  arrondi,  pourvus 
de  balustres  fuselés,  sont  les 
frères  de  ceux  qui  ornèrent  jadis, 
à  la  Haye,  le  Mauritshuis,  et  ces 
bancs  de  bois,  à  dossiers  ingé- 
nieusement découpés,  ne  dilTèrent 
guère  du  mobilier  succinct  qui 
garnit,  avec  les  Frans  Hais, 
l'Hùtel    de    Ville    de     Haarlcm. 


Cheminée  dessinée  par  C.  Harrisson  TairnsenJ, 
exécutée pjr  G.  Fi\impt(i)i. 


Au  Style  delà  reine  Anne,  s'est  substitué  vers      tains  trumeaux  garnis  d'étagères,  nés  sousl'ins- 


L'Art   Dccoratif  en    Angleterre  21 

piration    de    Morris,   et    d'une    fantaisie   aussi       jadis,  en  fait  de  meubles,  de  l'autre  enté  de   la 

charmante  que  pratique.  Manche,   quand   on  a  vu.  dans  les   boutiques 

Quant  aux  imitations  dont  je  \iens  de  parler,      de    brocanteurs,     les     massives   constructions 


Illustration  four  .(  Facric  Quccnc  «  yar  W.  ('}jnc  iG.  Allen  Kdit.). 

il  n'y  a  pas  lieu  d'en  médire,  à  tout  prendre  :  jadis  qualifiées  là-bas  du  nom  de  chaises,  de 
elles  ont  été,  dans  leur  temps,  un  progrès.  tables  ou  de  buffets,  on  sait  gré  aux  pseudo- 
Quand  on  sait  quelles  horreurs  se  fabriquaient      inventeurs,  que  les  premières  prédications  de 


22 


Art   et   Dccoration 


Morris  ont  t'aii  naitrc,  d'avoir  ramcnc  clans  le 
mobilier  ant^lais  un  peu  d'art  et  un  soup>;on  de 
style. 

Les  Anglais,  par  malheur,  ne  s'en  sont  pas 
tenus  là  :  ils  ont  voulu  l'aire  du  nouveau  et  du 
vrai;  ils  se  sont  acharnés,  avec  un  louable 
entêtement,  à  créer.  Mais  au  lieu  de  se  borner, 
comme  l'avait  fait  Morris  dans  ses  essais  de 
mobilier,  à  des  pastiches  ingénieux  et  légère- 
ment modernisés  d'art  ancien,  ils  ont  mis  en 
pratique  strictement  les  principes  que  ce  même 
Morris,  devenu  socialiste,  a  posés;  il  ont  cru  à 
un  art  rudimentaire  et  simpliste,  comme  si  le 
terme  d'art  n'impliquait  pas  étroitement  une 
recherche,  comme  si  l'on  pouvait,  en  un  mot, 
faire  de  l'art  sans  se  livrer  à  des  combinaisons 
harmonieuses  de  lignes,  à  des  arrangements 
délicats  où  rien,  autant  que  possible,  ne  blesse 
l'œil,  où  tout  au  contraire  le  charme. 

De  ce  principe  déjà  critiquable,  et  que  Morris, 
avec  un  tact  instinctif,  s'était  bien  gardé  d'ap- 
pliquer, ils  ont  déduit  des  conséquences  rigou- 
reuses et  à  ces  conséquences  ils  se  sont  rigou- 
reusement conformés.  De  là  les  essais  de  mobi- 
lier innomables,  informes,  présentés  à  cette 
exposition  d'Arts  and  Crafts,  avec  une  ingénuité 
convaincue,  par  des  gens  qui  font  figure  d'ar- 
tistes. Il  y  a  là  tout  un  stock  de  meubles  dont 
les  pieds  sont  de  lourds  madriers,  carrés  de 
forme;  des  casiers  à  musique  tout  pareils  à 
des  buffets  de  cuisine,  avec  cette  différence 
seulement  que  les  charnières,  au  lieu  de  s'appli- 
quer sur  le  bois,  sont  posées  en  saillie  sur 
l'arête;  une  caisse  de  piano  en  bois  vert  où 
le  clavier  s'enferme  dans  un  bahut  moyen 
âge;  un  bahut  à  deux  portes  orné  d'appliques 
de  cuivre  calquées  sur  nos  anciens  modèles  de 
ferrures.  Voilà  le  meuble  anglais  de  l'avenir,  si 
tant  est  qu'il  se  trouve  des  badauds  pour  y 
croire  et  des  sots  pour  l'encourager. 

Tout  n'est  pas,  heureusement,  de  ce  calibre, 
mais  j'ai  regret  à  dire  que  le  seul  meuble  un 
peu  intéressant  que  j'aie  vu  là  venait  de  Bel- 
gique, —  une  bibliothèque,  envoyée  par  Serru- 
rier, de  Liège.  Des  stalles  de  bois  pour  une 
église  de  campagne  étaient  une  œuvre  bien  an- 
glaise, d'une  exécution  libre  et  large,  mais  d'une 
insupportable  lourdeur.  Une  remarque,  au 
reste,  s'imposait  pour  les  travaux  du  métal  et  du 
bois  :  si  les  modèles  en  sont  généralement  fort 
médiocres,  —  ou  d'une  nouveauté  disgracieuse, 
ou  d'une  allure  ancienne  par  trop  imperson- 
nelle, —  la  main-d'œuvre,  au  contraire,  en  est 
irréprochable,  ferme  et  franche,  et  bien  dans  le 


sentiment  de  la  matière.  Il  est  permis  néan- 
moins de  regretter  l'emploi  qui  se  fait  cou- 
ramment, dans  l'ornementation,  du  cuivre 
découpé.  Les  motifs  qui  s'en  tirent  ne  sont  pas 
seulement  secs  et  maigres  :  ils  font  redouter 
pour  la  main  le  contact  de  ces  surfaces  hérissées 
et  coupantes. 

Le  morceau  le  plus  parfait,  de  beaucoup,  que 
j'aie  trouvé  dans  le  péle-méle  delà  New-Gallery 
est  une  cheminée  de  bois  sculpté  dessinée 
par  l'architecte  Townsend  et  exécutée  par 
M.  George  Frampton.  Ce  n'est  pas  seulement 
une  pièce  originale,  c'est  une  a-uvre,  au  sens 
complet  du  mot  :  ingéniosité  d'arrangement, 
originalité  dans  le  choix  des  motifs,  délicatesse 
du  travail,  tout  y  est.  Il  faut  féliciter  hautement 
de  tels  artistes. 

A  féliciter  aussi,  M.  Voysey  qui  s'affirme  de 
plus  en  plus,  dans  l'étotîe  et  dans  le  papier 
peint,  comme  un  digne  émule  de  Crâne.  Tou- 
jours égal  à  lui-même  dans  chacun  de  ces  deux 
genres,  Walter  Crâne  reste  aussi,  dans  ses  com- 
positions de  blanc  et  de  noir  pour  lelivre,  l'ad- 
mirable maitre  connu  depuis  longtemps  des 
Français. 

La  section  du  livre  est  d'ailleurs,  dans  cette 
exposition,  celle  qui  donne  la  plus  haute  idée 
de  l'art  anglais.  De  la  réforme  d'ensemble 
essayée  par  William  Morris,  les  seuls  genres 
où  il  ait  pleinement  réussi,  où  il  ait,  non  seule- 
ment indiqué  la  voie,  mais  fondé  une  école, 
sont  le  papier  de  tenture,  l'étoffe  imprimée  et 
le  livre.  La  semence  qu'il  y  a  jetée  a  bien  levé  ; 
ses  exemples  ont  porté  fruit,  et  de  beaux  fruits. 
Toute  une  régénération  s'en  est  suivie  pour  le 
livre,  dont  la  décoration,  revenue  grâce  à  lui  à 
des  formes  logiques,  fournirait  à  nos  éditeurs 
des  sujets  de  méditation  instructifs.  Nous 
reviendrons  quelque  jour  sur  cette  école  anglaise 
du  livre.  Qu'il  nous  suffise  aujourd'hui  d'en 
proclamer  hautement  l'existence. 

Mentionnons,  avant  de  terminer,  d'intéres- 
sants travaux  de  grande  décoration,  envoyés, 
sous  forme  de  cartons,  par  MM.  Burne-Jones, 
Walter  Crâne,  Heywood  Sumner,  Christopher 
Whall,  Louis  Davis;  rendons  hommage,  pour 
une  broche  en  argent  ciselé,  délicieuse,  à 
M""  Simpson,  et  inclinons-nous  devant  les  tra- 
vaux féminins,  dentelles  et  broderies,  tous 
achevés  dans  l'exécution,  presque  tous  d'un 
goût  exquis  dans  le  motif.  En  Angleterre 
comme  en  France,  la  femme,  dans  son  domaine 
spécial,  est  un  maitre. 

Thiéhavlt-Sisson. 


L'ÉCOLE  GUERIN.  —  LES  CERAMIQUES  DE  LACHENAL  ET  DE  DALPAYRAT 
UN   PANNEAU  DÉCORATIF  DE  M.   BIGAUX 


¥ 


C'est  un  petit  évcnement,  chaque  année,  que 
l'exposition    des    travaux    d'élèves    à    l'Ecole 


Dessin  de  papier  peint.      m  ' 


Au  lieu  de  le  l'aire  reposer,  comme  avant, 
sur  l'étude  des  styles,  l'artiste  leur  fait  da- 
hord  étudier  toutes  les  combinaisons  que 
peut  fournir,  pour  un  fond,  l'emploi  des 
éléments  linéaires.  Il  leur  apprend  ensuite 
à  interroger  directement  la  nature  et  à 
s'en     inspirer    pour    le    choix    et    l'agence- 

»i^  ment  des  motifs  qu'ils  mettront  en  valeur 
sur    ce    fond.    Les    concours    auxquels  on 

'»"'^  exerce  périodiquement  les  élèves  les  fami- 
liarisent peu  à  peu  avec  les  principes  géné- 
raux que  le  décorateur  se  doit  d'observer, 
avec  les  règles  auxquelles  l'assujettit  la  ma- 
tière employée,  avec  les  exigences  spéciales 
auxquelles  le  mode  de  fabrication  l'astrein- 
dra. 

De  là,  l'intérêt  de  ces  expositions  an- 
nuelles. Rien  n'est  curieux  comme  d'v 
suivre  la  marche  progressive  des  jeunes 
gens,  l'éveil  de  leur  personnalité,  quand  ils 
passent  des  exercices  monotones  du  début, 
où  la  ligne  droite,  la  ligne  sinueuse,  la  ligne 
courbe,  le  granulé  et  le  pointillé  jouent  le 
grand  rôle,  à  l'étude  de  l'animal  et  de  la 
fleur,  et  quand  de  l'animal  et  de  la  fleur, 
le  travail  analvtique  terminé,  ils  s'essayent 
aux  études  d'ensemble  où  tous  ces  élé- 
ments se  juxtaposent,  s'équilibrent  et  se 
pénètrent  en  une  synthèse  flnale. 


d'enseignement 


normale 

du  dessin  que  dirige  après 
l'avoir  fondée,  M.  Guérin. 
Non  seulement  la  jeu- 
nesse artistique  y  accourt, 
mais  les  fabricants  ont 
pris  l'habitude  de  s'y  ren- 
dre, et  il  est  bien  rare 
qu'ils  en  sortent  sans 
avoir  fait  emplette  d'un 
modèle  qu'ils  exploite- 
ront dans  les  industries 
artistiques. 

L'intérêt  qui  s'attache 
à  cette  exposition  ne 
s'explique  pas  seulement 
par  l'autorité  et  la  qualité 
des  maîtres  associés  par 
M.  Guérin  à  son  œuvre. 
Il  s'explique  surtout  par 
le  mode  nouveau  d'en- 
seignement de  l'art  décoratif  inauguré  dans  Les  travaux  exposés  récemment  sont^  beau- 
cet    établissement    par    M.    Eugène     Grasset.       coup  trop  nombreux  pour  que  nous  puissions 


Dessin  Jl'  euupc. 


M.   rii)rR<.i^("iT 


24 


Art    et    Dccoration 


les  passer  mus  en  revue.  Quelle  nécessité, 
d'ailleurs,  v  aurait-il  à  les  examiner  en  détail  ? 
Contentons-nous  de  citer,  comme  particuliè- 
rement digne  d'attention,  un  bas  de  portière 
dont  l'iris  sauvage  a  fourni  à  M.  Paycn  le  mo- 
tif et,  du  même,  un  encadrement  de  porte  en 
bois  sculpté,  bien  compris  en  vue  de  la  matière, 
que  nous  reproduirons  dans  notre  prochaine 


Dessin  de  ridcati. 

livraison.  Joignons-y  un  dessin  pour  tenture, 
formé  d'une  heureuse  alternance  de  poissons 
et  d'algues  marines,  par  M"'' Gaudin;  un  projet 
d'ombrelle  qui  n'est  pas  sans  mérite,  par  M"''...; 
une  coupe  de  porcelaine  supportée  par  des 
oiseaux,  dont  M.  Bourgeot  est  l'auteur;  ci  un 
rideau  de  M"«  Herwegh,  où  la  libellule,  em- 
ployée comme  élément  décoratif,  est  traitée 
avec  autant  d'ingéniosité  que  de  chainie. 

D'autres  expositions,  dans  les  deux  derniers 
mois  de  l'année,  ont  attiré  l'attention  publique. 


Nous  aurions  voulu  parler  en  détail  des  deux 
plus  importantes,  celles  des  céramistes  Lache- 
nal  et  Dalpayrat.  —  Mais  l'espace  nous  est 
rigoureusement  mesuré.  —  Tout  au  plus  pou- 
vons-nous constater,  pour  M.  Lachenal,  qu'on 
a  goûté  la  grâce  robuste  de  ses  grès,  avec  leur 
décor  en  relief,  emprunté  à  la  feuille,  à  la  fleur, 
et  si  heureusement  marié  aux  formes  simples 
qu'exige  impérieusement 
la  matière.  On  n'a  pas 
moins  goûté,  dans  ses 
multiples  faïences,  la 
variété  et  la  grâce  de 
l'ornementation,  la  belle 
qualité  des  émaux.  M.  Dal- 
pa\rat  toujours  épris, 
dans  SCS  grès,  des  colo- 
rations somptueuses,  et 
sûr  de  lui  dans  les  effets 
qu'il  en  tire,  s'est  aven- 
turé cette  fois  dans  la 
fabrication  de  la  faïence. 
11  s'v  est  signalé  par  des 
débuts  qui  sont  surtout 
des  pastiches,  mais  qui 
aboutiront  à  des  essais 
personnels  avant  peu. 

Le  panneau  décoratif  de 
M.  Bigaux,quenous  repro- 
duisons, a  perdu  dans  la 
transcription  photographi- 
que, toute  la  grâce  dont  le 
revêtait  la  couleur.  Il  n'en 
subsiste  pas  moins  un  mo- 
tif d'une  exquise  fraîcheur 
et  d'un  sens  décoratif  des 
plus  justes,  stylisé  juste 
assez  pour  donner  de  la 
tenue  au  morceau  sans 
rien  enlever  à  la  nature 
de  son  charme.  Nous  re- 
'■  A.  MEKWKGH  vlcudrons,   moins   briève- 

ment, sur  ce  décorateur 
ingénieux  dont  l'ieuxre  est  considérable  déjà 
et   qui   ne  suit  les  traces  de  personne. 


Les  Estampes  Décoratives 

DE  GRASSET 

Noi  lu;  nous  TRxrr.  v.ti  couliouks  est  la  repro- 
duction réduite  d'une  des  Estampes  décoratives 
que  vient  d'achever  M.  Grasset. 


Expositions 


■^ 


Cette  suite  de  dix  importantes  composititjns  nos  intérieurs  modernes,  de  même  qu'elles 
constitue  un  ensemble  aussi  captivant  par  ont  leur  place  toute  marquée  dans  le  carton 
l'unité   générale  des  thèmes,  —  caractères   de      du  collectionneur  d'objets  d'art  graphiques. 


,o.*>    o'^r^-j^ 


l'aniu'jii  Jcciiratif. 


L.    BIGAVX 


femmes  et  fleurs  emblématiques,  —  que  par  la  L'Éditeur,  M.  G.  de  Malherbe,  a  bien  voulu 

variété  des  termes  et  des  colorations.  Ces  très  nous  accorder  l'autorisation  de  reproduire  la 

belles  pièces  en  couleurs  apporteront  une  note  troisième  de  ces  compositions,  dont  deux  sont 

artistique  toute  spéciale  dans  la  décoration  de  déjà  parues. 


26 


Art   et   Dc\i 


vation 


iXOTRE  CONCOURS  DE  COUVERTURE 


UN  concours  pour  la  couverture  de  notre 
revue  «  Art  et  Décoration  »  fut  annoncé, 
il  va  deux  mois,  dans  la  presse.  Cent 
quatre-vingts  concurrents  répondirent  à  notre 
appel 

Parmi  cescent  quatre-vingts  compositions.  la 
plus  grande  partie  méritait  certes  d'attirer  l'at- 
tention, et  certaines  d'entre  elles  étaient  de  tout 
premier  ordre.  Malheureusement,  des  concur- 
rents, et  non  des  moins  intéressants,  n'ont  pas 
cru  devoir  se  conformer  aux  conditions  d'exécu- 
tion énoncées  dans  notre  programme.  Aussi, 
malgré  la  haute  valeur  de  plusieurs  de  ces  pro- 
jets, le  jury  a-t-il  dû  renoncer  à  les  choisir. 

Quelles  sont,  en  effet,  les  qualités  que  l'on 
doit  demander  à  une  couverture  ? 

D'abord,  le  titre  très  lisible  et  très  apparent, 
sautant  aux  yeux;  ensuite,  l'ornementation 
sobre,  le  «parti  franc  n,  la  clarté  dans  la  composi- 
tion; enfin  la  reproduction  et  l'impression  faciles. 

Les  récompenses  à  décerner  étaient  :  un  prix 
de  cinq  cents  francs  et  trois  mentions,  compor- 
tant des  livres  d'art,  dont  la  valeur  respective 
était  decentcinquante,  cent  et  cinquante  francs. 

Nous  donnons  ici  les  résultats  du  jugement  : 

Le  projet  de  M.  A.  Cossard,  élève  de  l'Ecole 
nationale  des  Arts  Décoratifs,  a  obtenu  le  plus 
i^rand  nombre  de  voix. 

Ont  été  choisis  pour  mentions  avec  primes  : 
1°  Un  projet  sans  signature. 
2"  M.    H.  Bicuville,    de    la   Manufacture   de 

Sèvres. . 
3°  M.  Louis  Fuchs,  élève  à  f  Ecole  nationale 
des  Arts  Décoratifs. 

Etant  donnée  la  haute  valeur  du  concours,  le 
jury  a  en  outre  décerné  les  mentions  hono- 
rables suivantes,  ex  œquo  : 

M.  R.  Barabandy;  M.  G.  Chauvet,  de 
r Ecole  des  Arts  Industriels  de  Reims  ;  M"'  J. 
Milési  ;  M.  J.  Robichon  et  M.  C.  Schliim- 
berger. 

Signé  :C.\ziN,  Fremiet,  E.  Grasset,  L.  Magni:, 
L.-O.  Merson,  Puvis  de  Chavannes,  Vaudremer. 

Examinons  maintenant  les  différents  projets. 

Les  qualités  de  dessin  qui  avaient  attiré 
l'attention  du  jury  sur  la  composition  de 
M.  Cossard  n'ont  pas  subsisté  à  la  reproduc- 
tion. Le  dessin  est  devenu  hmrd  et  le  parti 
moins  franc. 

En  conséquence,  le  Comité,  à  l'unaniniiié, 
tout  en  conservant  son  prix  à   M.  Cossard,  a 


décidé  l'adoption  du  numéro  2  pour  la  eou- 
xemn'e. 

M.  Rieuville,  dans  une  composition  de  belle 
allure,  ne  s'était  pas  conformé  au  programme. 
Nous  l'avons  vivement  regretté. 

La  composition  de  M.  Fuchs,  d'un  dessin 
très  sûr  et  d'un  charmant  arrangement,  nous 
aurait  donné  une  excellente  couverture;  mais, 
exécutée  sur  papier  gris  bleu  foncé  avec  rehaut 
de  blanc,  la  figure  légèrement  modelée,  elle  ne 
pouvait  être  reproduite  par  le  procédé  indiqué 
et  sortait  par  là  même  du  programme. 

Dans  la  composition  de  M.  Barabandy,  nous 
préférons  à  la  femme,  quoique  bien  dessinée, 
les  fleurs  qui  l'entourent;  et  peut-être  l'ensemble 
eùt-il  gagné   si  l'effet  avait   été  plus    accentué. 

Par  contre,  la  composition  de  M.  Georges 
Chauvet  est  un  peu  dure  et  présente  un 
aspect  de  fer  forgé  trop  accusé.  Très  bonne 
couverture,  cependant. 

M"''  .Juliette  Milési  avait,  elle,  un  thème 
excellent;  et  son  titre,  comme  cela  doit  être, 
occupait  la  place  prédominante.  Mais  peut-être 
son  ornementation,  quoique  très  bien  équili- 
brée, eijt-elle  pu  enrichir  un  peu  plus  la  page? 

M.  Robichon,  dont  nous  n'avons  pu  repro- 
duire l'envoi,  sortait  lui  aussi  du  programme. 

Enfin,  de  ALC.  Schlumberger,  un  charmant 
dessin;  malheureusement,  dans  cette  compo- 
sition un  peu  confuse,  le  titre  demeure  trop 
peu  lisible,  alors  qu'il  importe,  au  conti'aire. 
qu'il  frappe  nettement  les  yeux. 

Parmi  les  compositions  non  primées,  nous 
avons  choisi  quelques  exemples  :  nous  repro- 
duirons dans  notre  prochain  numéro  celles 
qui  ne  peuvent  l'être  dans  celui-ci. 

Sous  la  légende  <■  Spes»,  M.  Herbinier  nous 
envovait  une  composition  d'une  belle  allure, 
mais  un  peu  chargée.  Simplifiée,  cette  compo- 
sition eût  été  des  meilleures. 

Un  effet  franc,  un  titre  bien  lisible,  telles 
sont  les  qualités  qui  distinguent  la  composi- 
tion de  M.  P.  Scheidecker.  Dans  un  tout  autre 
esprit,  on  retrouvait  celles-ci  dans  le  projet  de 
M.  H.  Sauvage. 

Bien  gracieuse  était  la  couverture  portant 
«  .Agir  «comme  légende;  et  M.  Marmion, 
avec  des  ffeurs  de  stramoine,  nous  présentait 
un  dessin  riche,  mais  où  la  question  si  impor- 
tante des  noirs  et  des  blancs  était  encore  un 
peu  à  étudier. 

Somme  toute,  de  très  bonnes  choses  qui 
nous  font  présager  de  fructueux  concours  pour 
J'avenir.  M.   P.  V. 


Prcinicr    Pi-i.v.   —  a. 


}ÎKrct3)€!CQR»TI0O 


^M  -î^^ 


Troisième  Mciitian.  —  i..   kl'chs 


_^£dà 


Deuxième  Mention.  —  horace  bielvilli;. 


Mention.  —  g.  chauvet. 


^iHiiJHiiiilailïM 


/-^Rcvue  mcn^udU  d'Art  nuxkme  ^ 


Aleulidii.  —  ,11  LiEiii;  MiLi':si. 


Mentmn.  —  u.  liAUABANDv. 


Nos   Concours  nionsiiols 
NOS  CONCOURS   MENSUELS 


H 


CONFORMÉMENT  au  programme  qu'elle 
s'est  tracé.  la  revue  »  Art  et  Décora- 
tion «ouvrira chaque  mois  un  concours 
portant  sur  des  sujets  pratiques  et  d'utilisation 
courante.  Nous  serions  certes  largement  récom- 
pensés de  nos  eft'orts  si  les  industriels,  entrant 
avec  nous  dans  cette  voie  nouvelle,  sonj^eaient 
eux  aussi  à  renouveler  leurs  modèles  si  vieux 
et  si  peu  en  rapport  avec  nos  goûts  modernes. 

Des  etforts  en  ce  sens  ont  été  tentés  ;  mais  au 
lieu  d'entrer  dans  la  fabrication  courante,  les 
modèles  choisis  sont  restés  des  pièces  rares  et 
chères,  et  par  là  même,  le  but  cherché  ne  se 
trouve  pas  réalisé. 

Dans  chaque  numéro,  nous  donnerons  donc 
le  programme  d'un  concours  et  nous  nous 
efforcerons,  tout  en  variant  les  sujets,  de  les 
faire  servir  au  renouvellement  et  au  rajeunisse- 
ment de  notre  décoration  intérieure.  Notre 
objectif  restera  donc  essentiellement  pratique. 

Le  jurv  comme  pour  notre  concours  de  cou- 
verture sera  composé  de  MM.  les  Membres  du 
Comité  de  Direction,  ce  qui  donne  toute 
garantie  de  compétence  et  d'impartialité. 

CONCOURS    DE    JANVIER 

Un  i'ûsirr  à  iiiiisiquc 

L'iTiLiTi-;  de  ce  tneuble  est  incontestable,  et 
bien  laids  et  incommodes  sont  les  modè- 
les que  l'on  trouve  dans  le  commerce. 

Ce  que  nous  demandons,  avant  tout,  c'est,  en 
même  temps  que  la  beauté,  l'appropriation 
parfaite  de  l'objet  à  l'usage  que  l'on  doit 
faire,  et  celle  de  la  matière  qui  doit  le  com- 
poser. 

Nous  insistons  particulièrement  sur  le  coté 
construction  du  meuble;  destiné  à  supporter 
un  poids  assez  considérable,  il  doit,  tout  en 
restant  élégant,  donner  toutes  garanties  de 
solidité. 

Les  concurrents  auront  à  se  préoccuper 
des  différents  formats  de  musique,'  lesquels 
peuvent  se  réduire  à  trois  principaux  mesurant 
36,  ?i  et  29  centimètres  de  hauteur. 

Toutes  les  matières  pouvant  pratiquement 
entrer  dans  la  composition  de  ce  meuble  peu- 
vent être  employées,  tantpour  sa  confection  que 
pour  son  ornementation. 

Les  concurrents  devront  envoyer  à  «  la 
Librairie    centrale    des    Beaux-Arts,    i3,    rue 


La  Favette.  Paris  «.avant  le  25  février,  dernier 
délai:  un  plan,  une  élévation  et  un  croquis 
perspectif  du  meuble.  Ils  peuvent  à  leur  gré 
joindre  à  cet  envoi  des  détails  d'ornementation 
et  de  construction. 

Les  dessins  présentés  devront  être  du  quart 
de  l'exécution;  les  détails,  s'il  y  en  a.  pourront 
être  à  plus  grande  échelle. 

Les  dessins  devront  porter  indication  des 
matières  employées  ainsi  qu'une  devise  ou  tout 
autre  signe  répétés  sur  une  enveloppe  cachetée. 
Celle-ci  contiendra  en  outre  extérieurement  la 
désignation  du  concours,  et  intérieurement  le 
nom  et  l'adresse  du  concurrent. 

Trois  prix  sont  atfectés  à  ce  concours: 
i»  Un  premier  prix  de  cent  francs  : 
2"  Un  second  prix  de  cinquante  francs  : 
3"  Un  troisième  prix  de  vingt-cinq  francs. 
Les  résultats    du   concours    seront   donnés 
et  les  projets  primés  seront  reproduits  dans  le 
numéro  de  la  /?cr»e  paraissant  en  mars. 


CONCOURS    DE    FÉVRIER 

Un  voile  pour   dossier  de   coiiapc 


D 


ESTiNÉ  à  recouvrir  et  à  protéger  le  dos- 
sier d'un  canapé,  ce  voile  peut  être 
exécuté  en  telle  matière  qu'il  plaira  aux 
concurrents,  le  sens  pratique  présidant  toujours 
à  leur  choix.  Crochet,  broderie,  applications 
d'étotîes,  etc.,  peuvent  être  employés,  s'ils 
répondent  au  but  à  remplir  :  protéger  et  orner. 

La  plus  grande  dimension  de  l'objet  exécuté 
sera  i°',5o. 

Les  dessins  envovés  seront  au  quart  d'exécu- 
tion et  les  concurrents  devront  joindre  un 
détail  grandeur  nature  du  motif  intéressant  de 
leur  compiosition  ;  de  plus,  ils  devront  indi- 
quer les  matières  emplovées. 

Les  envois  devront  parvenir  à  «  la  Librairie 
centrale  des  Beaux-Arts,  i3,  rue  La  Fayette, 
Paris  »,  avant  le  25  mars,  dernier  délai;  ils  por- 
teront une  devise  ou  un  signe  répété  sur  une 
enveloppe  cachetée,  mentionnant  en  outre  la 
nature  du  concours.  Le  nom  et  l'adresse  des 
concurrents  seront  placés  intérieurement. 

Trois  prix  seront  décernés: 

1°  Un  prix  de  soixante-quinze  francs; 

2"  Un  prix  de  trente  francs; 

3°  Un  prix  de  vingt  francs. 

Les  résultats  de  ce  concours  paraîtront  dans 
la  Revue  du  mois  d'avril. 


CHRONIQUE 


Nous  avons  eu,  le  mois  dernier, à  la  i;alerie 
des  Artistes  Modernes,  19,  rue  Cauniar- 
tin,  une  intércssanie  exposition  d'art 
décoratif. 

Cinq  artistes  s'étaient  groupés  pour  présen- 
ter leurs  œuvres  au  public.  C'étaient  MM.  Au- 
bert,  Charpentier,  Dampt,  Nocq  et  Plumet. 

De  M.  Aubert,  des  étoffes  imprimées  ou 
tissées,  très  intéressantes,  mais  un  peu  raides 
et  sèches,  souvent. 

M.  Charpentier  ne  nous  présentait  pas  grand' 
chose  de  bien  nouveau.  Ses  serrures,  quoiqLie 
d'un  sentiment  décoratif  un  peu  discutable,  et 
ses  plaquettes  sont  pourtant  toujours  de  fort 
agréables  choses  à  regarder. 

De  M.  Dampt,  une  bibliothèque  dans  la- 
quelle certaines  lignes  obliques  font  craindre 
pour  la  stabilité  du  meuble. 

M.  Nocq  nous  montrait  divers  bijoux  dont 
certains  intéressants  et  un  miroir  à  main,  en 
argent,  qui  empruntait  fort  heureusement  son 
motif  à  la  fable  de  Narcisse. 

L'envoi  le  plus  intéressant  était  certes  celui 
de  M.  Plumet.  Cet  artiste  nous  montrait  des 
meubles  d'une  forme  heureuse  et  nouvelle, 
d'une  tonalité  claire  et  harmonieuse.  Des  pho- 
tographies de  décorations  intérieures  complé- 
taient cet  envoi,  sur  lequel  nous  aurons  du 
reste  à  revenir  d'une  façon  plus  détaillée  et 
plus  complète. 

Dernièrement,  s'est  réunie  à  l'Hôtel  de  Ville 
la  commission  de  décoration  de  ce  monument. 

Il  a  été  fait  choix  de  six  artistes  devant 
prendre  part  au  concours  restreint,  ouvert 
pour  la  décoration  du  plafond  de  la  biblio- 
thèque. 

Ont  été  choisis  :  MM.  Baschet,  Carrière, 
R.  Collin,  Elliot,  Lerolle  et  Prouvé. 

L'Union  Centrale  des  Arts  Décoratifs  vient 
d'organiser  une  série  de  conférences  qui  seront 
faites,  ?,  place  des  Vosges,  pendant  les  mois  de 
février,  mars,  avril. 

\'oici  les  dates  des  conférences  et  les  noms 
des  conférenciers,  avec  les  sujets  traités  par 
eux  : 

Le  14  février  :  de  l'emploi  de  la  céramique 


dans  l'architecture  et  de  la  céramique  artis- 
tique, par  M.  G.  Larroumet.  Le  19  :  de  la  dé- 
coration du  tissu  et  du  papier,  par  M.  Edme 
Conty.  Le  28  :  de  la  décoration  dans  l'ameu- 
blement, par  M.  Molinier.  Le  7  mars:  du 
vitrail,  par  M.  Edouard  Didron.  Le  21  :  de  la 
broderie  d'or,  par  \L  Noirot-Biais.  Le  28:  de 
la  décoration  du  Livre,  par  M .  Gonse.  Le 
7  avril  :  de  la  décoration  dans  les  monuments 
grecs,  par  M.  Lucien  Magne.  Le  i  1  avril  :  de 
l'art  nouveau,  par  M.  Eugène  Grasset. 

Voilà  certes  des  noms  et  des  sujets  bien  faits 
pour  exciter  l'intérêt  du  public.  Il  serait  à  dé- 
sirer que  cet  exemple  fut  suivi,  et  que  des  con- 
férences, ainsi  faites  par  des  hommes  de  talent, 
vinssent  nous  initier  aux  questions  si  intéres- 
santes de  l'art  décoratif. 

De  son  côté,  le  journal  Y  Eclair  ouvre  un 
concours  pour  une  atïiche.  Le  programme  en 
est  trop  long  pour  que  nous  puissions  le  re- 
produire ici.  Nous  allons  en  indiquer  seule- 
ment les  grandes  lignes.  Ce  concours  se  fera  à 
deux  degrés  ;  les  maquettes  devront  être  en- 
voyées à  la  direction  du  journal  avant  le  28  fé- 
vrier et  exécutées  au  quart  de  la  dimen- 
sion définitive,  soit  40  x  ôo  centimètres. 
On  aura  à  se  préoccuper  d'un  texte  compre- 
nant ces  mots  :  5  centimes.  l'Eclair,  journal 
politique  indépendant.  Le  mot  Eclair  en  go- 
thique. —  Le  jurv  désignera  dix  concurrents 
devant  prendre  part  au  concours  définitif.  Pour 
celui-ci,  le  dessin  devra  mesurer  S4X  122  cen- 
timètres et  n'exiger  que  cinq  impressions. 

De  plus,  un  calque  à  la  plume  leur  sera  de- 
mandé. 

Les  dessins  devront  être  livrés  avant  le 
10  avril.  Il  sera  distribué  comme  prix:  i"  prix: 
i.ooo  francs  ;  2'"  prix:  5oo  francs;  plus,  des  in- 
demnités de  100  francs  pour  les  artistes  n'avant 
pas  obtenu  de  prix. 

Le  jurv  sera  composé  de  douze  membres, 
nommés  par  moitié  par  le  journal  et  les  ar- 
tistes. 

A  la  fin  de  février,  s'ouvrira,  à  la  maison 
d'Art  de  Bruxelles,  l'exposition  de  la  Libre 
Esthétique.  L.   V. 


Imp.  de  Vaugirartl.  G.  de  .Malherbe  &  Ce,  i52,  rue  de  Vaugirard.  Paris. 


EMILE  LÉVV,  liditeur-gércmt. 


Panneau 


Cuir  ciselé  et  repousse. 


Art  et  Décoration 


$$ 


QUELQUES   ŒUVRES  DE    VICTOR    PROUVÉ 


i:s  vieillards  qui  vécurent 
les  yeux  fixés  sur  leur 
rêve  des  jours  fiévreux 
.et  magnifiques  dans 
'exaltation  de  la  pensée 
ou  renivrement  de  Tac- 
lion,  s'aperçoivent  un 
jour  que  les  chambres 
sont  nues  et  les  murs 
tristes  où  leur  vie  s'est 
écoulée.  Cette  heure 
de  clairvovance  et  de  repentir  a-t-elle  sonné 
pour  notre  siècle  ?  A  considérer  la  voie  nou- 
velle où  s'engage  depuis  quelques  années 
noire  art  décoratif,  l'espoir  nous  en  est  permis. 
L'élite  croit  chaque  jour  des  novateurs  hardis 
qui  se  font,  comme  au  moyen  âge,  ouvriers  et 
artisans.  L'imbécile  division  des  arts  aristo- 
cratiques et  des  arts  de  roture  tend  à  dispa- 
raître et  l'artiste  peut  désormais  sans  déchoir, 
ciseler  un  vase,  gaufrer  un 
cuir  ou  sertir  des  pierres 
fines,  manier  le  burin,  la 
gouge  ou  le  brunissoir  : 
Victor  Prouvé  fut  l'un  de 
ces  avant-coureurs  et  de 
ces  héraults. 


En  iSg'-!,  à  la  vitrine 
d'un  papetier  nancéen,  le 
peintre  exposa  en  collabo- 
ration avec  Camille  Mar- 
tin, des  reliures  d'une 
technique  nouvelle,  dont 
le  principe  était  la  mu- 
sai*que  de  cuirs  teintés, 
gaufrés  et  pyrogravés. 
L'apprenti  s'afhrmait  du 
coup  technicien  subtil, 
rompu  aux  finesses  de  la 
matière  —  et  poète.  La 
reliure  qui  décorait  les 
Symbolistes  d'Albert  Au- 
rier  était  une  symphonie 
en  deux  tons,  blanc  et  noir. 


funèbres,  une  fumée  de  ténèbres,  de  longs 
fûts  de  cyprès  mortuaires,  dressant  leur  deuil,  et 
dans  l'écartement  des  nues,  parmi  les  troncs  de 
cendre,  un  lac  mélancolique  que  cerne  une 
montagne  obscure.  Mais  voici  les  clartés 
triomphantes.  Des  taches  vives  trou-ent  l'ombre 
épaisse  :  cvgne  qui  vogue,  les  ailes  éployées 
comme  des  étendards,  mirant  dans  l'eau  son 
col  de  neige  ;  buisson  touti'u  de  Ivs  fleuris, 
dressés  comme  un  bouquet  de  cierges  imma- 
culés; vol  de  colombes,  les  plumes  effarou- 
chées, blanche  avalanche  qui  traverse  le  ciel  ; 
pic  vierge,  aiguille  de  neige  dom  les  micas 
scintillent  sous  leur  fourrure  de  nuages. 
Le  dessin  très  serré,  très  vigoureux,  simplifie 
les  tV)rmes,  abrège  les  détails  du  mouvement, 
le  rvthme  seul  est  indiqué.  Mais  cette  sim- 
plicité est  éloquente.  Les  lignes  vibrent, 
palpitantes  d'idée,  fléchissantes  d'émotion, 
et    l'un    sent,    sous    chaque    trait,    le    frémis- 


L'ombre  et  la  lumière  y  luttent  leur  vieux      sem 

touchons    ici     à    l'essentielle     originalité     d 


combat.  Dans  un  cadre  fantastique  de  nuages 


Les  Symbolistes.  (Rchurc-i 

ent  d'un  cerveau.  Prenons-y  garde.  Nous 
ici     à 


Art   et   Dccoratioii 


Prouvé.  Ce  souci  inquiet  de  l'idée,  cette  vn- 
lonté  formelle  d'animer  la  matière  et  de  lui 
souffler  une  beauté  intelleciuelle  lui  sont  pro- 
pres. L'élégance  pratique  n'est  pas  l'unique 
idéal  qu'il  poursuit  et  parce  qu'il  est  plus 
qu'un  décorateur,  parce  que,  prodigue  d'idées 
et  d'images  nouvelles,  il  n'est  point,  comme 
tant  d'autres,  stérilisé  par  des  procédés  d'école 
et  des 'routines  liturgiques,  il  stimule  les  lignes, 
réveille  les  formes  assoupies,  ressuscite  un  art 
en  léthargie.  Ainsi  faisaient  les  artisans  go- 
thiques, aussi  robustes  croyants  qu'habiles 
praticiens.  Penser  une  ligne  demeure  toujours 
le  plus  sur  moven  de  la  faire  éloquente  et 
belle.  Dans  toute  l'œuvre  de  Prouvé  nous  re- 
trouverons ce  caractère.  La  décoration  d'un 
livre  n'est  pas  pour  lui  l'illustration  banale,  le 
dessin  littéraire  précisant  le  texte  :  les  mots 
n'ont  besoin  d'aucune  explication  plastique. 
Ce    qu'il    faut    au    seuil    du     livre,     c'est    le 


phant.  Des  lignes  cl  des  nuances,  une  émotion 
nouvelle  alors  jaillira,  d'un  charme  parallèle 
qui  ne  sera  <>  ni  toiu  à  lait  la  même,  ni 
tout  à  fait  une  atitre  ».  l'rouvé  n'illustre 
pas.  il  évoqtie. 

Tout  le  Japon  tient  sur  l'étroite  couverture 
de  y  Art  Japonais  de  Gonse.  Debout,  sous  un 
pécher,  vcjici  la  lemiuc  aux  gestes  menus, 
la  poupée  câline  et  chantante,  que  gardent 
comme  un  bibelot  fragile  les  Samouraïs  dans 
leurs  maisons  de  laque  et  d'osier.  Sous  le 
kirimon  de  soie  [mauve,  broché  de  feuilles,  le 
corps  frêle  et  fin  transparait.  Le  bras  nu,  ac- 
coudé, berce  l'éventail  bleu.  Sur  le  nimbe  des 
pétales  roses,  la  chevelure  d'ébène  s'incise, 
sombre  et  profonde.  Là-bas,  parmi  les  bran- 
ches, miroite  la  rivière  en  fête  :  des  jonques 
fuient  au  fil  de  l'eau,  fleuries  de  femmes  parées 
et  qui  chantent.  Des  lanternes  tapageuses 
dansent  au  bout  des  perches:  une  fusée  s'épar- 


SaLiimiibô.  ( Reliure.  I 


visage    de    l'd'uvre,    sa    couleur,    flambo\'anie 
ou    voilée,    son    parfum    mièvre    ou    triom- 


pille   en   poussière  d'étoiles  et  le  Fusi-Hama 
dresse  sur  l'horizon  sa  face  de  vieillard  indul- 


Victor    Prouve 


} 


gent  aux    t'uIiL's   humaines.  Kmrc  les  nerts   du 
livre,  des  masques  rieanent. 

D'autres  reliures  suivirent,  et  dans  toutes 
une  idée  ravonnait,  domina- 
triee  de  la  forme  :  VArt  iic- 
coratif  d'Arsène  Alexandre, 
curieuse  svnthèse  des  courbes 
éternelles,  femme,  oiseau, 
arbre  ou  vasque,  de  grâce 
inépuisable,  que  la  nature 
otfre  au  décorateur  :  —  VEs- 
tampc  originale  :  une  presse 
en  taille  douce,  ses  leviers  en 
croix,  comme  de  gigantesques 
ailes  de  moulin,  couvre  le 
revêtement,  simplement  dé- 
coré de  feuilles  de  platanes  et 
de  courges  ;  —  les  Sym- 
phonies de  Beethoven  :  dans 
un  étang  se  mire  une  femme 
pensive,  et  ses  tresses  se 
nouent  dans  l'eau  aux  tresses 
de  la  face  infléchie.  Aux  eaux 
profondes  des  svmphonies. 
que  de  tristesses  déjà  se  sont 
mirées  et  reconnues  ! 

Une  reliure  étrange  illus- 
trait les  .4i't'«^/t'i"!  de  Mœterlinck,  imprécise  et 
troublante  comme  le  drame  :  profils  d'arbres 
fantomatiques,  silhouettes  inquiétantes  de 
sapins  chevelus,  broussailles  et  ténèbres,  où 
des  étoiles  clignotent,  lointaines,  et  qui  va- 
cillent comme  des  yeux  sous  des  paupières. 
Des  reliures  d'albums  évoquaient  au  contraire 
des  visions  de  soleil,  de  vergers  empourprés, 
de  cerises  sanglantes  et  de  femmes  rieuses. 

Enfin  dans  Salammbô  le  Zaïmph  éblouissant, 
constellé  d'arabesques,  d'étoiles  et  de  pierreries, 
enrobe  le  livre  de  ses  plis  étalés,  s'agrafant 
aux  nerfs  du  dos.  Sous  la  transparence  de 
l'étoffe,  le  corps  s'ébauche  de  Tanit,  la  déesse 
mystérieuse.  Voici  Moloch,  le  dieu  dévorateur, 
et  voici  Salammbô.  Devant  les  cassolettes  fu- 
mantes, la  vierge  est  debout,  torse  cambré, 
tète  renversée,  chevelure  au  vent,  «  sa  cheve- 
lure poudrée  de  sable  violet».  Le  serpent  fati- 
dique s'enroule  autour  du  corps,  et  la  bouche 
de  la  femme  et  la  gueule  de  la  béte  s'unissent 
en  un  baiser  frigide  et  monstrueux. 


II 


Les  épopées  héroïques  de  vie  intense  et  ma- 
gnifique tentaient  Prouvé.  Leconte  de  Lisle  et 


ses  Pocnics  harharcs  le  fascinaient.  Ma's 
à  ce  cerveau  bouillonnant,  lu  reliure  de- 
venait un   champ  trop    bref  :   l'espace    nian- 


L'cstainirc  ungiiulc.    Reliure. i 

quait  pour  dire  la  marée  d'images  que  soule- 
vait en  lui  le  poème  écrit  ;  à  sa  verve  débor- 
dante il  fallait  l'ampleur  du  bronze.  Le  livre 
se  doubla  d'un  pupitre  triomphal  et  l'hom- 
mage se  haussa  jusqu'à  l'apothéose.  Un  sapin 
courbé  par  la  tempête,  battant  l'air  de  ses  bras 
fous,  dessine  l'ossature  du  meuble.  D'un  hallier 
une  femme  surgit,  chasseresse  alerte  et  musclée, 
les  yeux  fauves,  tendus  vers  une  proie,  d'une 
main  rejetant  sa  chevelure  emmêlée  et  crispant 
son  poing  droit  aux  crins  rudes  d'un  loup  qui 
l'entraîne.  Dans  les  hautes  herbes  d'une  jungle, 
parmi  des  lianes,  des  joncs,  des  débris  d'idoles 
hindoues,  un  tigre  rode,  et,  dominant  la  femme, 
l'arbre  et  les  fauves,  par  dessus  la  tempête  et 
les  nuases  zébrés  d'éclairs,  ses  larges  ailes 
étendues,  le  condor   plane. 

Dans  ce  fracas,  le  livre  repose  sous  son  ar- 
mure de  métal  rigide.  Les  plats,  vêtus  de  plaques 
de  cuivre  repoussé,  évoquent  des  formes  d'oi- 
seaux, d'hommes  et  de  bêtes,  qu'on  dirait  em- 
pruntées à  des  cuirasses  gauloises  ou  Scandi- 
naves. Les  chasses  du  livre  et  le  fermail  sont 
armés  de  bronze  ouvragé.  Sur  le  cuir,  d'un 
bleu  mat,  vision  évocatrice  d'incendies  et  de 
massacres,  une  fiamme  écarlate  crépite  et  flam- 
boie.   Mais    ce    que    les    mots   misérables  ne 


Art  et  Dccoratioii 


peuvent  dire,   c'est  l'impression   de    force,   de       la  toison  nocturne,  semée  d'étoiles.  Un  crois- 


grâce  brutale  et    de   grandeur   qui    se    déijaije 


Hotcl  de  ville  de  X^iiicy.  mars 

de  l'ieuvre.  Devant  le  brusque  clan  des  corps 
lancés,  la  fougue  de  l'instinct  qui  se  rue,  on 
demeure  surpris,  terrassé.  L'àpre  grandeur  des 
palingénésies,  le  charme  obscur  des  époques 
animales,  l'amour  du  sang  et  la  volupté  du 
carnage,  tous  les  appétits  furieux  de  la  béte 
humaine  débridée  sont  fixés  ici  dans  leur  beauté 
farouche  :  c'est  «  le  rugissement  de  la  vie  éter- 
nelle ».  L'œuvre  fut  exposée  au  salon  du 
Champ  de  Mars  en  i8q(3.  Elle  surprit.  La  cri- 
tique moderne  n'a  point  d'étalon  pour  ces 
œuvres  géantes,  et  l'effort  courageux  de  l'ar- 
tiste ne  fut  compris,  mais  passionnément,  que 
de  quelques-uns. 

Une  coupe  figurait  au  salon  de  i8q3,  la  Nuit, 
œuvre  imprévue,  originale  et  de  somptueuse 
beauté.  —  Un  visage  de  femme  figurant  le 
Silence,  le  front  hautain,  les  paupières  closes, 
la  bouche  sereine,  d'un  vol  placide,  majestueux 
et  lent,  sur  les  ténèbies  glisse.  Les  traits  sont 
calmes,  d'une  gravité  surnaturelle,  et  le  masque 
paisible  évoque  le  mystère  inoubliable  de  cer- 
taines nuits  pacifiques  et  voilées.  La  chevelure 
flotte,  soulevée  et  gonflée  par  le  vent  et 
s'incurve  en  carène.  Des  oiseaux  funèbres, 
chauves-souris,  chats-huants,  sont  nichés  dans 


sant  de  lune  et  des  pavots  s'y  mêlent  harmo- 
nieusement. Sous  les  cheveux, et  comme  écrasés 
par  leur  ombre,  se  dressent  des  groupes  allé- 
goriques: corps  enlacés  d'une  furieuse  étreinte, 
agonisants  tordus  dans  un  râle,  amants  cris- 
pés, vierge  endormie,  malades  et  vicieux,  misé- 
reux et  désespérés,  tout  un  monde  grimaçant, 
turbulent  et  dramatique  qui  dit  Féternité  de  la 
douleur  humaine.  Des  faces  ricanent,  convul- 
sées de  désirs,  des  yeux  flambent,  des  mains 
s'agitent,  tremblantes  et  mauvaises,  un  bras 
armé  jaillit  de  l'ombre  et  frappe.  Tout  ce  que 
cache  l'horreur  des  ténèbres, la  Misère,  la  Faim 
e  Viol,  l'Assassinat  et  le  Désespoir,  tous  les 
désirs  brutaux  qui  naissent  au  crépuscule, 
toutes  les  passions  de  nuit,  les  tourments  et  les 
lièvres  qui  mènent  l'humanité,  s'incarnent  en 
ce  tumulte  de  corps  enchevêtrés.  L'Effroi  les 
guette.  Et  c'est  comme  un  sanglot  tragique  et 
de  souffrance  aiguë  qui  monte  vers  la  voiite 
taciturne,  fleurie  d'astres,  et  qui  s'v  brise. 

Mais,  sans  pitié  pour  l'humanité  chétive  qui 
pleure  sous  ses  lourds  cheveux,  sourde  aux  la- 
mentations comme  aux  colères,  sur  les  mains 


Jfùtcl   de  ville  de  X.iiicy. 


JANVIER 


qui  supplient  et  sur  les  poings  tendus,  sur  les 
fronts  en  sueur,  sur^  les  plaies  et  sur  les  larmes, 


Victor    ProiivJ 


coule,  impassible  et  radieuse,  la  face  de  si- 
lence. Aux  plis  profonds  du  manteau  vespéral, 
les  clameurs  s'cteii;nent,  les  plaintes  meurent, 
les  fureurs  s'assoupissent.  Elle  est  la  mer  ma- 
gnifique et  profonde  et  l'océan  d'oubli  où 
tous  les  fleuves  de  la  tristesse  humaine  \ien- 
nent  s'évanouir. 

Au  Salon  de  i8()4,  au  Champ  de  Mars, 
Prouvé  exposait  un  coftVet  curieux  dédié  à  la 
Parure.  Droite  et  nue,  une  femme  la  svm- 
bolise,  le  corps  souple  dressé  ner\eusement 
sur  les  pieds  tendus,  nonchalante  et  superbe, 
elle  joue  avec  sa  chevelure  dénouée.  Les  mains 
lentes  glissent  dans  la  soie  fraîche,  les  bras 
s'étirent  dans  une  orgueilleuse  détente  et  sous 
le  case]ue  lourd  de  la  coirte,  le  profil  s'enlève, 
tin,  dédaigneux,  triomphateur.  Le  geste  et  le 
regard  sont  d'une  impératrice  qui  sait  sa  puis- 
sance terrible  et  qu'au  moindre  appel  de  ses 
lèvres  souveraines,  des  hdmmes  s'en  iront,  au 
péril  de  leur  vie,  cueillir  au  fond  des  océans, 
dans  les  forets  de  madrépores,  la  perle  qu'Elle 
convoite.   Aux  pieds    de   la   femme,    une    chi- 


Chaque    face    du    coffret    est    velue    d'émaux 
cloisonnés     qui    sont    r(eu\re    de    C.    Martin 


La  Suit. 


La  Suit.  iCoufC.) 


mère  de  bronze,  les  ailes  étalées,  étreint  dans      et    l'armature    est    faite    de    tiges    recourbées 
sa    gueule   une   améthyste    que    cisela   Galle.      où    grimpent   et    s'enroulent    des    passiflores. 


C///7  c7  'Dccoratioii 


Le  corps,  radieux  de  force  clcgame  et  de  ^ràce. 
est  d'une  ampleur  et  d'une  mai^niticence  dans 
la  coquetterie,  qui  ne  sont  ni  d'un  nmderne  ni 
d'un  classique.  Cette  vierge,  d'impudeur  hau- 
taine, ce  n'est  ni  la  femme  d'aujourd'hui  ni 
l'Aphrodite  grecque,  c'est  plutôt  l'Ariémis 
farouche  des  religions  primitives. 

De  cette  œuvre  de-corative,  commencée  il  v 
a  quatre  ans  à  peine  et  déjà  abondante,  il  faut 
citer  encore  les  bijoux  dont  aucun  ne  fut 
exposé  et  quelques  statuettes  dont  je  veux 
détacher,  pour  l'exalter,  la  fine  et  délicate 
Floramyc,  la  petite  Fille-Fleur  qui,  jaillie  du 
calice  étrange  d'un  orchis,  les  doigts  fins  unis 
sur  les  lèvres,  tend  vers  quelque  Parsifal  la 
grâce  troublante  de  sa  taille  flexible,  de  ses 
hanches  musicales,  de  ses  seins  légers. 

III 

C'est   une  Hévre  contagieuse    que    celle    du 


résolument  moderne  que  celle  de  Prouvé, 
sans  nulle  tare  d'archéologie  ni  de  pastiche, 
détonne  étrangement.  L'éclatante  jeiniesse  de 
l'objet  semble  exilée.  Il  faudrait,  pour  l'en- 
cadrer, des  murs,  des  parquets  et  des  plafonds 
vêtus  de  mêmes  nuances,  des  meubles  et  des 
étofl'es  appareillées.  Par  une  pente  insensible 
et  fatale,  l'artiste  est  donc  conduit  à  l'étude 
dti  bois,  des  tissus,  du  papier,  de  tout  ce  qui 
pare  de  beauté  nos  chambres  t'amiliéres,  et 
pour  loger  un  vase,  il  construit  une  maison. 
Ainsi,  Prouvé,  renouant  la  tradition  brisée 
des  maîtres  espagnols,  exposait  au  dernier 
Salon  un  panneau  de  cuir  ciselé  et  repoussé 
où  il  tirait  de  la  matière,  sans  lui  donnerpour- 
tant  le  relief  du  bois  ni  la  patine  de  la  cire,  des 
etîets  ornementaux  d'une  finesse  et  d'une  in- 
tensité inconnues  à  Cordoue.  Dans  la  ramure 
épanouie  d'un  pommier,  une  tille,  les  pau- 
pières  plissées   et   rieuses,  la  bouche  humide. 


Lj    l'Aiiirc.  'Cojrret.l 

décor.  Dans  nos  maisons,  encombrées  comme      dans  la   chair  d'un   fruit  nnu",  mord  à  pleines 
des  musées  d'art  rétrospectif,  ime  coupe  aussi      dents,   voluptueuse.    La    lace    gourmande   est 


Victor     Prouve 


encadrée  de  mèches  frisées  où  des  verdures 
s'entrelacent.  Par  dessus  l'épaule  nue,  coule 
un  rci^ard  de  malice  espiègle 
et  de  joie  sensuelle.  La 
flamme  des  yeux,  l'éclair  des 
lèvres,  les  joues  pleines, 
creusées  de  fossettes,  laissent 
une  impression  d'estivale 
splendeur  et  de  chair  fraîche. 
Ainsi  que  dans  tout  l'œu- 
vre de  Prouvé,  la  femme  se 
révèle  un  être  de  vii;ueur  et 
d'équilibre  autant  que  de 
çràce.  La  vie  coule  en  seve'- 
chaudes  sous  la  peau  fleurie, 
la  force  éclate  en  gestes  dé- 
liés, la  joie  ruisselle.  N'y 
cherchez  pas  pourtant  les 
festins  de  chair  croulante  oii 
s'égavaient  les  peintres  de 
kermesses.  La  sensualité  du 
Lorrain  est  d'une  qualité 
plus  flne  que  la  flamande  et 
se  prête  mal  au  Ivrisme  exu- 
bérant des  formes.  Il  v  a  dans  sa  jovialité 
moins  d'instinct  et  plus  de  raffinement,  plus  de 
malice  et  d'ironie  aussi,  et  le  sourire  narquois 
s'v  mouille  parfois  de  tendresse  et  de  maternité 
couveuse.  Ce  n'est  pas  le  moindre  charme  de 
l'art  de  Prouvé  que  d'y  trouver,  réfléchies,  ces 
nuances  de  l'àme  lorraine. 

De  sa  peinture  décorative,  de  ses  plafonds 
ensoleillés,  des  médaillons  vigoureux  et  rusti- 
ques de  l'Hôtel  de  Ville  de  Nancv  ou  des  fres- 
ques d'amour  et  de  sérénité  destinées  à  décorer 
l'Hôtel  de  Ville  d'Issy,  je  ne  pourrais  parler 
sans  aborder  l'ensemble  de  son  ctuvre  pictu- 
rale. Une  même  pensée  s'v  affirme,  dift'érenciée 
seulement  par  les  exigences  de  la  décoration,  et 
c'est  dans  les  tableaux  de  che\alet  comme  dans 
les  peintures  murales  la  même  qualité  d'art  : 
ampleur  de  l'Idée,  vigueur  expressive  du  dessin, 
intensité  de  l'émotion  toujours  fougueuse, 
discrète  et  refoulée,  mais  indiquée  avec  force 
et  d'un  geste  sobre,  comme  il  sied  au  Lorrain. 
Et  pour  que  cette  nomenclature  fût  cum- 
plète,  il  faudrait  dire  la  beauté  sculpturale  du 
monument  de  Nancy  dédié  au  président  Carnot 
par  la  Lorraine.  Au  pied  de  l'olivier  dont  la 
ramure  encadre  le  masque  du  mort,  deux 
femmes,  la  Paix  et  la  Force,  s'avancent  l'une 
vers  l'autre.  Les  mains  s'unissent  et  les  visages 
échangent  de  silencieuses  promesses.  Allégorie 
sans  doute,  mais  rafraîchie  et  vivifiée  par  un 


flot  d'émotion  si    puissant  qu'elle    en   devient 
émouvante.  Elles  proclament,  ces  images  élo- 


La  Parure.  {Cofrct.) 

quentes,  la  joie  du  travail,  la  grandeur  des 
besognes  pacifiques  et  fécondes  et  l'orgueil  de 
la  Force  mise  au  service  de  la  Justice  et  de 
l'Humanité.  Il  convenait,  sur  l'une  des  places 
publiques  de  la  capitale  lorraine,  devant  la 
porte  de  Metz  et  les  plaines  soumises,  oii  se 
dressent  mal,  en  trophées  attestant  la  victoire 
brutale,  ces  lions  de  granit  rouge  aux  griffes  san- 
glantes, il  convenait  que  ce  monument  s'élevât, 
cri  superbe  d'une  conscience  nationale  qui, 
devant  l'injustice  accomplie,  se  cabre  encore 
i  nconsolée;  la  vigueur  de  l'idéeet  la  simplicité  des 
lignes  qui  l'expriment  la  font  accessible  à  tous. 
Devant  la  noblesse  des  corps  et  la  loyauté 
des  gestes,  des  veux  s'attendriront  et  s'ouvri- 
ront à  la  bonté;  un  éclair  de  beauté  luira  dans 
les  cervelles  fumeuses  ;  des  colères,  des  haines 
s'apaiseront;  un  songe  de  vie  simple,  juste  et 
joveuse  enivrera  les  âmes  frustes  et  stimulera 
en  elles  le  goût  de  la  vie. 

L'exemple  est  donc  ici  éclatant  d'un  art  vrai- 
ment populaire,  fondé  sur  une  exacte  psycho- 
logie des  foules  et  capable,  par  sa  simplicité, 
d'émouvoir  les  plus  pauvres  d'esprit. 

Dans  cette  trop  brève  revue  de  quelques 
œuvres  de  Victor  Prouvé,  j'ai  dit  l'artiste  et  le 
poète;  j'ai  négligé,  de  parti  pris,  la  technique 
savante  de  l'ouvrier.  Qu'il  sache  la  matièreet 
ses  lois,  soti  degré  de  résistance  ou  de  sou- 
plesse, la  finesse  du  grain  et  la  mesure  de  ses 


8 


Art  et  Décoration 


complaisances,   la  chose  éclate  aux    veux    les  J'ai  préféré  louer  le  principe  de  Tituvre,  j"ai 

moins  exercés.    Dans   chaque    objet,   l'intelli-  voulu  «.lire  l'espoir  joyeux  qu'on  pouvait  conce- 

gence   et   l'habileté   des   doigts    de    ter    et    de  voir  devant  les  tendances  de  cet  art  nouveau 

velours    se    révèlent,   la    maîtrise   s'atiirme    et  venu  de  .Moselle,  qui  d'un  élan  vigoureux,  nous 

s'amplifie.  Ce  qu'il  faut  dire  pourtant,  c'est  le  ramène  à  la  nature,  à  lu  liberté  et  à  la  vie,  dont 


Mitnumcnt  Cariuit  li  .Wiiicy     fijgiiifnl,. 
D'après  le  mudèlc  en  plâtre. 

labeur   intrépide  de   l'artisan,    qui,   justement  les    géomètres    nous    a\aient    désaccoutumés, 

méfiant  de  la  division  du  travail,  la  mort  de  Sur  cet  art  en  germination,  l'heure  n'est  pas 

l'art,  comme  les  maîtres  d'autrefois  mène  d'une  venue  de  tenter  une  synthèse.  Si  certaine  et 

main  volontaire  et  joyeuse  tout  son  ouvrage,  lourde  d'épis  que   soit   la  moisson  future,   le 

du  découpage  initial  jusqu'à  raffinement  des  critique,   aujourd'hui,   ne   peut   qu'exalter    les 

gaufrures,   mouille    la    peau,    la    bat,    masse,  semailles,  qu'indiquer  au  public  le  geste    des 

trappe,  polii,  lamine,  repousse,  estampe  et  cisèle  semeurs, 

lui-même.  Gi;orgi:s  Dlcrocq. 


LE    VITRAIL    isui,.) 


L'exécution  d'un  vitrail  coniporic  tnui 
d'abord  le  choix  des  \crrcs  dont  les  colora- 
tions auront  été 
déterminées  d'a- 
vance par  la  ma- 
quette du  peintre. 
C'est  donc  de  cette 
maquette  que  dé- 
pend avant  tout 
l'harmonie  des 
tons. 

11  est  absolu- 
ment superflu, 
piun-  un  vitrail  ou 
pour  une  tapis- 
serie, d'exécuter 
à  grands  frais 
une  peinture  qui 
i;enerait  l'artiste 
chartîé  de  l'exé- 
cution, en  lui  im- 
posant une  l'ac- 
ture  inapplicable 
au  travail  de  la 
laine  ou  à  celui 
du   verre. 

Ce  qu'il  faut 
lui  donner,  c'est 
un  dessin  d'exé- 
cution très  précis 
pourles  contours, 
mais  laissant  une 
large  part  à  son 
initiative  ci  ans 
DH  LEBAVLE.  p j ntcrprétat i OU . 
Pour  le  vitrail,  il  est  indispensable  que  le 
peintre  ait  tenu  compte,  en  dessinant,  de  la 
largeur  des  plombs  qui  doivent  sertir  et 
séparer  les  uns  des  autres  les  verres  colorés. 
Le  vitrail,  comme  toute  œuvre  décorative, 
exige  dans  l'agencement  d'une  scène  compor- 
tant des  figures  et  des  fonds  de  paysage  ou 
d'architecture,  des  simplifications  de  forme  et 
de  modelé  qui  sont  l'une  des  conditions 
essentielles  de  son  etfet.  Il  ne  saurait  admet- 
tre, en  aucun  cas,  ni  la  composition,  ni  l'exé- 
cution qui  conviennent  à  un  tableau,  dont  le 
but  n'est  pas  de  décorer  une  surface  opaque 
ou  translucide,  mais  de  donner  l'illusion  d'un 


J'Sxcciitioii 


morceau  de  natine,  pris  d  im  point  de  vue 
bien  choisi  et  isolé  dans  un  cadre.  C'est  faute 
d'avoir  distingué  le  vitrail  du  tableau,  que  les 
peintres  verriers  du  xvr-  siècle  ont  déterminé 
la  décadence  et  la  ruine  d'un  art  cjui  avait 
brillé  en  France  plus  qu'en  aucun  autre  pays. 
11  faut  donc  non  seulement  que  le  carton  soit 
bien  composé,  mais  encore  que  l'exécutioti 
soit  faite  suivant  un  sentiment  vraiment  déco- 
raiit  et  pour  une  destination  spéciale. 

Du  xu''  au  XIV''  siècle,  les  peintres  verriers 
ne  s'écartaient  pas,  dans  l'exécution,  des  pro- 
cédés sommaires  pour  le  modelé  qui  sont 
indiqués  dans  le  traité  de  Théophile.  Le  mo- 
delé se  réduisait  à  des  demi-teintes,  sur  les- 
quelles le  trait  est  généralement  posé  à  cheval 
avec  une  incrovable  dextérité.  Mais  c'est  là  un 
procédé  archaïque  qui  convient  à  une  inter- 
prétation décorative,  mais  naïve,  des  figures;  et 
pareille  naïveté  np  serait  pas  de  mise  aujourd'hui. 


Carton  d'ehrmann. 


Exécution  de  lebaylh. 


Les  maîtres  de  la  Renaissance,  en  exaltant 
la   beauté  de  la   forme,  en  fixant   les  lois   de 


lO 


Art   et   Décoration 


l'anatomie  et  de  la  perspective,  ont  imposé  à 
l'art  des  obligations  nouvelles  auxquelles  il  ne 


> 

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..lù.  '.•.--■' 

V'itiJli  de   Saint-Lll  GRASSET 

peut  se  soustraire.  Sans  doute,  il  sera  toujours 
indispensable  de  faire  de  la  figure,  de  la  Hore 
ou  de  la  faune  une  interprétation  décorative 
appropriée  à  la  technique  du  vitrail  ;  mais  nous 
ne  saurions  reproduire,  sous  prétexte  de  don- 
ner du  caractère  aux:  figures,  des  défauts  d'ana- 
tomie  que  justitiait  l'ignorance  plus  encore 
que  la  convention.  La  naïveté  ne  se  recom- 
mence pas. 

Il  faut  donc  nous  résoudre  à  modeler  très 
largement  et  très  simplement  nos  figures; 
mais,  pour  cela,  la  connaissance  du  dessin  est 
indispensable,  et  c'est  le  dessin  qui  manque 
le  plus  aux  artistes  exécutants. 

Cependant  l'exécution  sur  verre  ne  com- 
porte point  de  connaissances  spéciales.  Je  ne 
connais  pas  de  morceau  d'exécution  compa- 
rable à  ceux  que  M.  Lebayle  a  faits  avant  son 
départ  pour  la  villa  Médicis,  d'après  les  car- 
tons composés  par  M .  François  Ehrmann 
pour  l'église  de  Montmorencv  et  la  cathédrale 
d'Autun.  On  peut  en  juger  par  les  anges  des 
tympans  que  j'ai  fait  reproduire.  L'exécution 
est  souple  et  spirituelle  comme  celle  des  ver- 
rières anciennes  de  Montmorencv  que  M.  Le- 
bayle avait  alors  pour  modèles  dans  l'atelier 
d'un  peintre  verrier  habile  et  consciencieux, 
M.  Leprévost. 


Or,  M.  l.ebavle  n'avait  pas  fait  un  long  ap- 
prentissage de  la  peinture  sur  verre;  il  avait 
seulement  appris  à  bien  dessiner.  Le  dessin 
d'un  vitrail  exécuté  au  pinceau  avec  la  grisaille, 
c'est-à-dire  l'oxyde  de  fer  parfaitement  brové, 
ne  diffère  pas,  en  somme,  du  dessin  qu'on 
exécute  au  fusain  sur  une  feuille  de  papier  :  on, 
procède  de  même  par  plans,  on  enlève  des  lu- 
mières à  la  hampe  du  pinceau  ou  à  l'aiguille 
dans  la  grisaille,  comme  on  les  enlèverait  à  la 
mie  de  pain  dans  le  fusain,  et  on  se  sert  du 
blaireau  comme  d'un  tortillon  pour  unifier  une 
teinte.  Il  n'y  a  donc  là  ni  procédé  particulier, 
ni  secret  du  métier,  et  cependant  les  bons  exé- 
cutants sont  si  rares  que  c'est  presque  toujours 
par  l'exécution  que  sont  en  défaut  les  verrières 
modernes.  Malheureusement,  il  n'existe  point 
d'école  où  puissent  se  former  d'habiles  prati- 
ciens par  l'exécution  de  morceaux  sous  la  di- 
rection d'un  maitre.  D'ailleurs,  le  peintre  devrait 
lui-même  s'habituer  à  exécuter  les  morceaux  les. 
plus  importants  de  sa  composition,  comme- 
faisaient  jadis  un 
Engrandle  Prince 
ou  un  Robert  Pi- 
naigrier.  A  une 
époque  comme  la 
notre,  où  la  per- 
sonnalité du  pein- 
tre s'affirme  dans 
ses  œuvres,  on 
ne  s'explique  pas 
qu'unartistechar- 
gé  de  composer 
un  vitrail  n'ait  pas 
le  souci  de  le 
parfaire  en  lui 
donnant  sa  forme 
définitive. 

Il  semble  que 
pour  pare  r  à 
l'insuffisance  de 
l'exécution ,  on 
ait  compté  sur  le 
perfectionnement 
de  la  fabrication 
industrielle  du 
verre,  et  le  peintre 
verrier  Oudinot, 
qui  fit,  en  collabo- 
ration avec  M.Luc 
Olivier  Merson, 
pour  M.Vanderbilt,  la  délicieuse  verrière  dont  le 
carton  est  conservé  au  musée  du  Luxembourg, . 


Kxixiitiun 

DE      LEBAYLE 


Le   Vitrail 


II 


nous  rapporta  d'Amérique,  comme  le  produit      au  xir- siècle  pour  les  catlie'drales  de  Chàlons, 
le  plus  merveilleux,   le  verre  américain.  de  Chartres,  du    Mans,  d'Antrers   ou    de  Poi- 

C'est  un  verre  coulé,  à  la 
surface  rugueuse,  nuancé 
dans  la  pâte,  d'aspect  cha- 
toyant, mais  changeant  sou- 
vent de  couleur  au  feu  :  or 
il  est  indispensable,  pour 
l'adhérence  de  la  grisaille 
au  verre,  cjue  les  pièces 
soient  passées  au  four  à  une 
température  assez  élevée. 
Mais  le  verre  coulé  a  un 
défaut  beaucoup  plus  grave  : 
la  rugosité  même  de  sa  sur- 
face, résultant  du  mode  de 
fabrication,  y  facilitera  avec 
le  temps  le  dépôt  des  pous- 
sières et  des  végétations 
parasites  qui  détermineront 
la  dévitrification,  et  par  con- 
séquent l'opacité  du  verre. 
Je  suis  convaincu  qu'en 
moins  d'un  siècle,  les  verres 
américains  exposés  aux  in- 
tempéries seront  absolu  m  eut 
opaques. 

L'engouement  pour  ces 
verres  nuancés  de  prove- 
nance étrangère  est  d'autant 
moins  explicable,  que  ces 
nuances  peuvent  être  obte- 
nues sans  difficulté  par  nos 
Terriers  dans  des  verres  fa- 
briqués par  les  procédés 
ordinaires.  Nous  trouvons 
continuellement,  dans  nos 
verrières  anciennes ,  des 
morceaux  nuancés  dans  la 
masse,  sans  doute  à  l'aide 
de  fils  ou  de  gouttelettes 
de  verre  coloré  superpo- 
sés à  la  ('  parai  son  i,  au 
moment  du  soufflage,  et 
incorporés  ainsi  à  la  masse 
vitreuse.  Les  verriers  de  Clichy,  MM.  Appert,  tiers,  si  la  fabrication  du  verre  n'avait  été  à 
ne  seraient  pas,  j'en  suis  sûr,  embarrassés  cette  époque  l'objet  de  soins  particuliers?  .l'ai 
de  nous  fournir  des  verres  nuancés  aussi  tenu  en  mains,  lors  d'une  remise  en  plomb,  des 
brillants  et  plus  durables  que  les  verres  amé-  morceaux  de  verre  bleu  et  rouge  du  gi'and 
ricains.  vitrail  de  la  Passion  de  Poitiers:  leur  surface 

Il  faut  songer  que  la  durée  d'une  leuvre  n'avait  subi,  depuis  sept  cents  ans,  aucunealté- 
dépend  pour  une  large  part  des  matériaux  et  ration.  N'est-il  pas  merveilleux  de  songer  que, 
de  leur  mode  d'emploi.  Aurions-nous  encore  grâce  à  l'excellente  technique  des  verriers 
les    magnifiques    verrières    qui    furent     faites      français,  des  œuvres  d'art,  fragiles  en   appa- 


Vitrail  des  AlciioJis,  à  MiiiilDiinciicy. 


V.    EHKMANN 


12 


Art   et   Décoration 


rence,  nous  aient  cté  conservées  intactes  et  de  Chartres,  ont  leur  surface  criblée  de  petits 
aussi  éclatantes  de  couleur  qu'au  moment  de  trous,  qui  nuisent  à  la  transparence  au 'point 
leur  mise  en  place  ?  de  rendre  les  sujets  presque  incompréhensi- 
Les  travaux  très  intéressants  de  MM.  Appert  blés.  Il  faut  évitercela  à  tout  prix  pour  une  déco- 
sur  la   déviiritication    font  suffisamment  con-  ration  translucide,  et  c'est  pour  ce  motif  que. 


Henri  de  Muiitiitoieiiev.  Louise  de  Budos. 


F.     EHRMANN. 


naître  les  conséquences 'qui   peuvent  résulter,      tout  en  admirant  les  nuances  des   verres  ame 
pour  la  durée  d'une  œuvre,  des  procédés  mêmes      ricains.  leur  chatoiement  de  pierres  précieuses, 


de  fabrication.  11  est  certain  que  des  vitraux, 
relativement  récents,  ont  beaucoup  plus  souf- 
fert des  intempéries,  des  vét;étations  parasites 
entretenues'par  l'humidité,  que  les  vitraux  du 
xn° siècle.  Certains  vitraux  anciens,  à  l'église  de 
Vendôme  et  dans  les  bas-cùtés  de  la  cathédrale 


:rois  qu'il  serait  imprudent  de  les  employer- 
pour  de  grandes  verrières  expoéess  aux  intem- 
péries. 

L'exécution  d'une  verriè-re  doit  toujours  être 
précédée  d'un  montage  provisoire  des  frag- 
ments de  verres  colorés,  afin  que  l'artiste  puisse 


Le    Vitrail 


13 


o 


14 


Art  et  Décoration 


se  rendre  compte  de  l'effet  et  au  besoin  remé- 
dier par  des  Vhani;ements  partiels  au  défaut 
d'harmonie  qui  pourrait  résulter  de  la  juxtapo- 
sition des  tons.  Ce  montage  est  le  plus  sou- 
vent fait  en  plombs  étroits,  atin  que  les  traits 
et  [modelés  de^grisaille  puissent  atteindre  les 
contours  du  verre.  On  sait  que  l'adhérence  de 
la  grisaille  au  verre  est  obtenue  par  le  passage 
au  four[des  morceaux  une  fois  peints.  Le  mon- 
tage définitif  des  panneaux  est  fait  en  plombs 
assez  épais  pour  [former  après  soudure  un 
réseau  très  résistant 


i 


Xi 


et  assez  larges  pour 
que  les  bords  soient 
bien  recouverts.  Les 
panneaux,  pour  con- 
server leur  résistance 
et  leur  élasticité,  ne 
doivent  guère  dé- 
passer la  dimension 
de  r  mètre  en  largeur 
et  de  on'Go  à  o"'8o 
en  hauteur:  encore 
taut-il  que  de  petites 
tringlettes  de  fer  re- 
liées au  panneau  par 
des  ligatures  de 
plomb  soudées  l'em- 
pêchent de  se  défor- 
mer sous  l'action  du 
vent. 

Dans  les  verrières 
du  xn'siècle.  les  pan- 
neaux suivent  les  di- 
visions d'une  arma- 
ture en  fer  étudiée, 
comme  on  le  voit 
sur  le  vitrail  de  la 
Passion  de  Poitiers,  pour  correspondre  aux 
divisions  principales  du  sujet.  Plus  tard, 
lorsque  l'architecture  française  admit  l'évide- 
ment  des  murs  entre  les  piliers  portant  les 
voûtes,  il  fallut  diviser  les  grandes  claires- 
voies  par  des  meneaux  de  pierre  qui  limitèrent 
la  composition  aux  divisions  des  meneaux.  Dès 
lors,  les  panneaux  retenus  latéralement  dans  les 
feuillures  des  meneaux  sont  assujettis  à  la  base 
et  au  sommet  contre  des  barres  de  fer  horizon- 
tales, à  l'aide  de  clavettes  traversant  lesépaule- 
menis  de  ces  barres.  Presque  toujours,  l'une 
d'elles,  formant  "  chainièrc  »,  traverse  les 
meneaux  à  hauteur  du  joint  de  naissance  des 
arcs,  afin  de  raidir  et  de  consolider  les  remplis- 
sages de  la  claire-voie. 


I.a   Tdiir  ficiids  i,'-"'^''- 


-h- 


Ces  méthodes  d'exécution  applicables  aux 
verrières  des  édifices  publics  n'ont  point  varié 
depuis  l'origine  de  l'art.  Elles  ont  été  em- 
plovées  très  habilement  pour  les  vitraux  neufs 
de  l'église  de  Montmorency,  dont  M.  Ehrmann 
a  dessiné  les  cartons  et  dont  l'exécution  a  été 
confiée,  pour  les  verrières  du  sud  à  M,  Lepré- 
vost,  pour  les  verrières  du  nord  à  MM.  Delon 
et  Loubens.  Ces  verrières  modernes  continuant 
la  série  historique  des  vitraux  du  xvT  siècle  ont 
des    qualités  décoratives   identiques,   qu'elles 

doivent     à    l'emploi 
'  ^       des  verres  colorés  en 

masse,      à     l'exclu- 
sion   des    émaux. 

La  composition  de 
\-  e  r  r  i  è  r  e  s  neuves 
pour  un  édifice  an- 
'j»-  cien  n'exige,  à  mon 

avis,  d'autre  obliga- 
tion  que   le   respect 
de  l'ordonnance  gé- 
_.     _-  nérale  primitivement 

'^•^       '  <       adoptée    et    de    l'é- 

>  ^       chelle    des    figures. 

i       C'est  d'ailleurs  une 

'       condition  essentielle 

'  i 
\       pour    toute     œuvre 

d'art    faisant    partie 
d'un  ensemble  déco- 
ratif. Elle  a  été  par- 
faitement remplie   à 
Montmorencv      par 
M.  Ehrmann.  qui  a 
j       su   faire  œuvre  mo- 
■       derns    et    originale, 
L.-o.  MERsos  alors      même     qu'il 

complétait  par  deux 
figures  nouvelles,  sainte  Marie-Salomé  et 
sainte  Marie  -  Madeleine,  le  vitrail  ancien 
des     «     Alérions     ». 

.le  retrouve  les  mêmes  qualités  dans  les  ver- 
rières exécutées  par  AL  Caroi  sur  les  cartons  de 
M.  Besnard  pour  la  salle  des  actes  de  l'Ecole 
de  Pharmacie.  Les  colorations  sont  puissantes, 
l'exécution  large  et  l'effet  excellent. 

Même  pour  les  vitraux  d'appartement  qui 
sont  généralement  de  petite  dimension  et  desti- 
nés à  être  vus  de  près,  c'est  encore  la  mise  en 
plomb,  affirmant  le  dessin  des  figures  qui  donne 
la  meilleure  disposition  décorative.  On  en  a  la 
preuve  dans  les  délicieuses  fantaisies  de  M.  Oli- 
vier Merson,  «  Sur  le  Pont  d'Avignon  »  et  «  La 
Tour  prends  garde  >•.  La  comparaison  entre  les 


Le  Vitrail 


M 


gravures  exccutccs,  l'une  d'après  le  vitrail  liii- 
mème,  l'autre  d'après  le  dessin  du  peintre, 
prouve  sut'tisainment  que  la  mise  en  phiinh, 
loin  de  nuire  au  dessin,  ne  tait  qu'aiouter  à  la 
clarté  et   à  la   finesse   de   la   composition. 

On  a  sou- 
V  e  n  t  p  r  é  f  é  r  é 
pourles  vitraux 
d'appartement 
la  grisaille  re- 
haussée de 
jaune  aux  dé- 
corations polv- 
chromes.  C'est 
ainsi  qu'avait 
été  exécutée  la 
belle  suite  de 
Psyché  trans- 
portée d'Ecouen 
au  château  de 
Chantilly.  J'ai 
souvenir  d'a- 
voir vu  et  beau- 
coup admiré 
jadis,  chez  M. 
Bardon,  pein- 
tre verrier,  des 
médaillons 
exquis,  exécu- 
tés ainsi  en  gri- 
saille et  jaune, 
sur  les  dessins 
de  M.  Merson, 
etreprésentant, 
je  crois,  des 
scènes  tirées  de 
Rabelais. 

Parfoisaussi 
on  a  employé 
pour  les  haies 
d'appartement, 
surtout  en 
Suisse,  au  mi- 
lieu du  xvi'- siè- 
cle, au  temps 
des  Tobias  Stimmer  ou  des  Lindmever,  des 
vitraux  émaillés,  le  plus  souvent  décorés  d'ar- 
moiries ou  de  scènes  de  genre,  et  qui  ont 
conservé  le  nom  de  vitraux  suisses.  C'est  pour 
ces  œuvres  de  getire  que  doit  être,  selon  moi, 
réservél'emploi  de  l'émail,  etj'endirais  volon- 
tiers autant  du  verre  américain.  11  est  évident 
qu'une  fenêtre  à  dimensions  réduites  et  dont 
l'entretien  est  facile,  peut  être  décorée  à  l'aide 


Sur  le  finit  d'Ayii^iiiiii. 


de  matières  plus  oti  moins  fragiles,  plus  ou 
moins  opaques,  qui  ne  sauraient  convenir  à 
des  baies  d'édifices  publics,  exposées  à  toutes 
les  injures  du  temps.  D'ailleurs,  une  déco- 
ration   monumentale   e\ige    une    composition 

claire  à  |  con- 
tours '[^.définis, 
qu\  puisse  être 
visible  à  dis- 
tance et  ne  sau- 
rait admettre 
les  formes  indé- 
cises d'émaux 
colorés, mélan- 
gés sur  leurs 
bords  par  la 
fusion  et  in- 
suffisamment 
translucides. 

Une  autre 
application  dé- 
corative du  vi- 
trail fut  ima- 
ginée, dès  le 
XII''  siècle,  lors- 
que la  règle  de 
Citeaux  inter- 
dit, c  o  m  m  e 
contraire  à 
l'austérité  delà 
vie  religieuse, 
les  scènes  colo- 
rées des  verriè- 
res. L'artiste 
sut  alors,  à  l'ai- 
de des  plombs, 
former  par  l'ai - 
t  e  r  n  a  n  c  e  d  e 
lignes  droites 
ou  courbes,  un 
réseau  d'entre- 
lacs enchâs- 
sant des  frag- 
ments de  terre 
iticoloreet  réa- 
simple    et   très 


L.-(».   .VÏhKSOS. 


lisa   ainsi   une   décoration  très 
satisfaisante. 

Ce  système  est  parfaitement  applicable  au 
garnissage  de  fenêtres  éclairant  des  pièces 
d'habitation  où  il  est  nécessaire  de  laisser  péné- 
trer la  lumière  blanche,  pour  ne  point  fausser 
les  colorations  de  fresques,  de  mosaïques  ou 
de  tapisseries.  .l'ai  eu  l'occasion  d'en  faire 
l'essai  dans    deux   hôtels    construits    à    Paris, 


10 


An  et  Di'coration 


avenue    de   Villiers  et    avenue    Henri-Martin.  dant  de  l'hospice  de  Saint-IUide, dans  le  Cantal. 

Ces  entrelacs  de  plomb  et  de  verre  incolore  Le  vitrail  a  encore  d'autres  ressources.  Au 

durent,  sans  doute,  sug^jérer  l'idée  de  décora-  xii^'  et  au  .\iv«  siècle,  on  a  su  très  habilement 

lions  linéaires  plus  compliquées,  dont  lesdivi-  associer  les   sujets    colorés  aux  grisailles,  en 

ipons  étaient   accusées   par  des  filets  ou  des  établissant  ces  sujets  par   bandes  de  couleur 

soints  de  verre  coloré,  et  dont  les  vides  étaient  brochant  sur  fonds  incolores;  et  ces  fonds  d'as- 


remplis   par  d'élégants   dessins    de   feuillages 
exécutés  en  grisaille.  Vos  cathédrales  de  Chà- 


pect  nacré,  chargés  de  dessins  en  grisaille 
que  séparent  des  filets  de  couleur,  s'harmo- 
nisent avec  les  sujets.  Les 
plus  beaux  exemples  de  ce 
mode  de  décoration  sont  à  la 
cathédrale  de  Chàlons  et  à 
l'église  Saint- Urbain  de 
Troves.  Je  ne  voispas  pour- 
quoi on  n'essaierait  pas  de 
nos  jours  d'en  faire  l'applica- 
tion ;  il  Q&\  telle  circonstance 
où  celle  ilhernance  des  sujets 
colorés  et  des  grisailles 
pourrait  donner  les  résultats 
les  meilleurs.  Il  n'est  pas  in- 
dispensable d'avoir  recours 
à  la  figure  pour  faire  œuvre 
décorative,  et  je  préférerai 
toujours  une  grisaille  d'un 
joli  dessin  approprié  au  mo- 
nument, voire  même  une 
mise  en  plombs  de  verres  in- 
colores, aux  prétendus  vi- 
traux que  l'industrie  livre  à 
bon  compte  aux  curés  de 
campagne  et  qui  déshono- 
rent toutes  nos  églises. 

En  résumé,  si  nous  n'a- 
vons pas  en  France  ce  qu'on 
pourrait  appeler  une  école 
de  peintres  verriers,  nous 
avons  au  moins  quelques 
peintres  capables  de  compo- 
ser d'excellents  cartons  de 
verrières.  Si  les  exécutants 
Ions,  de  Chartres,  du  Mans,  de  Po'itiers,  d'An-  expérimentés  sont  encore  trop  rares,  l'apprcn- 
gers,  possèdent  encore  des  témoins  de  ces  tissageestassez  simple  pourqu'unpeintrehabile 
décorations,  dont  la  valeur  artistique  cstincon-  devienne  rapidement  un  bon  exécutant.  Quant 
testable.  L'exécution  d'une  verrière  colorée  aux  verres,  colorés  en  masse  ou  plaqués,  point 
comportant  des  figures  entraine  nécessaire-  n'est  besoin  de  les  demander  à  l'étranger, 
ment  une  dépense  importante  et  ne  saurait  être      puisque  l'industrie  française  peut  nous  fournir 


Carton  dk 


Kxùcutiiin  DE  t 


réalisée  convenablement  avec  des  ressources 
insuffisantes.  La  grisaille  fournit  à  l'artiste  le 
moyen  de  satisfaire  à  peu  de  frais  aux  né- 
cessités d'un  décor  monumental.  C'est  ainsi 
que  j'ai  pu  garnir  de  verrières  décoratives, 
sans  représentations  figurées,  les  baies  de 
l'église  neuve  d'Hrmont  et  delà  chapelle  dépen- 


toutes  les  nuances,  et  réaliser  tous  les  progrès. 
Ce  qu'il  faut  comprendre,  c'est  qu'un  vitrail 
est  une  œuvre  d'art  et  non  d'industrie;  qu'elle 
exige  du  peintre  qui  fait  le  carton,  aussi  bien 
que  de  celui  qui  l'exécute,  un  talent  profession- 
nel, qu'il  faut  rémunérer  ce  talent,  et  qu'on  ne 
fait  pas  d'art  au  rabais.  Lucien  Magne. 


L'ART  DÉCORATIF   EN   BELGIQUE 

¥¥¥ 

LA   KKXAISSAXCE  .\ÉO-FLAMA.\DE.  -  LE  NOUVEAU  BRUXELLES,  LE  BOURGMESTRE  BULS 
LA    RÉNOVATION   DE    L  ENSEIGNEMENT  ARTISTIQUE 
ET    LE   STATUAIRE    VAN    DER    STAPPEN 
LES    BRODERIES     APPLIQUÉES     D' ISIDORE     DE    RU  DDE  R 


les 


N  voyage  en  Belgique, 
à  l'heure  actuelle,  est 
un  charme.  La  pros- 
périté croissante  du 
pays,  Textension  de 
son  commerce,  le 
développement  de 
sa  grande  industrie 
ont  réveillé  son  art 
et  donné  à  son  ar- 
chitecture   un    essor 

résultats,     partout,    sont 


enchantaient  parce  que,  repeintes  à  neuf  tous 
les  ans,  elles  reprenaient  tous  les  ans  leur  jeu- 


nouveau    dont 
frappants. 

Les  travaux  d'édilité  entrepris  dans  la  capi- 
tale et  dans  les  grands  centres  comme  Anvers 
ont  été  complétés  par  des  ensembles  de  cons- 
tructions gais  et  clairs  où  revivent,  moderni- 
sés, les  principes  si  longtemps  délaissés  de  la 
vieille  architecture  flamande.  A  Bruxelles,  sur- 
tout, les  quartiers  neufs  se  sont  peuplés  d'une 
multitude  d'hôtels  exécutés  avec  les  matériaux 
du  pays,  naguère  encore  dédaignés.  La  pierre 
bleue  et  la  brique  s'y  marient,  en  harmonieux 
et  doux  assemblages,  dans  des  façades  qui  ont 
du  mouvement  et  du  style,  —  et  le  stvie  qui 
convient  à  la  race. 

Pour  des  esprits  altérés  de  nouveautés,  cette 
renaissance  néo-flamande  n'est  pas  le  rêve.  Ce 
n'est  pas  une  renaissance,  à  vrai  dire,  car  elle 
tire  son  principal  intérêt  du  pastiche  ;  mais  s'il 
se  dessine  aujourd'hui,  en  Belgique,  un  mou- 
vement franchement  original,  sans  racines 
aucunes  dans  le  passé,  c'est  à  ce  retour  au 
passé  qu'il  est  dû. 

Quand  on  revoit,  dans  les  vieux  quartiers,  ces 
façades  banales  où  le  travail  du  maçon  dispa- 
raît sous  un  enduit  de  plâtre  peint  en  blanc,  où 
les  fenêtres,  sur  la  muraille  plate  et  nue, 
découpent  géométriquement  leurs  rectangles 
qu'aucun  ornement  ne  relève,  qu'aucune  mou- 
lure n'encadre,  on  se  rend  compte  du  chemin 
parcouru. 

Pour  faire  entrer  dans  leurs  vues,  peu  à  peu, 
une  clientèle  éprise  d'un  étroit  idéal  de  pro- 
Dreté  bourgeoise  et  que  ces  indigentes  façades 


Maison  de  M.    Windcrs,  à  Anvers. 

nesse,  que  d'obstacles  il  a  fallu  surmonter  aux 
apôtres  du  style  néo-flamand!  Quels  assauts  ils 

3 


i8 


Art  et  Di'coration 


ont  dû  subir  !  Aussi,  l'art  nouveau  leurîdoit-il 
une  reconnaissance  sans  bornes.  Non-seule- 
ment ils  ont    recréé,    en    se    rés^Iant    sur    les 


Applique.  (Bronze.) 


DE    RUDDER 


inodèles  anciens,  une  architecture  de  stvle, 
comme  Fa  fait  dans  sa  maison  d'Anvers,  dont 
nous  reproduisons  la  façade,  le  précurseur  du 
mouvement  néo-flamand,  M.  Winders,  mais  en 
travaillant  à  remettre  en  honneur  Tart  ancien, 
c'est  pour  l'art  nouveau  qu'ils  ont  travaillé  plus 
encore.  En  ramenant  les  jeunes  à  l'étude  des 
modèles  les  plus  parfaits  d'autrefois,  ils  ont 
ramené  dans  l'architecture  privée  le  sens  dis- 
paru des  belles  lignes,  ils  y  ont  ravivé  le  souci 
du  pittoresque  et  le  sens  oblitéré  de  la  couleur. 
Grâce  à  eux,  la  Belgique  s'inquiète  tout 
entière  d'égaver  même  les  constructions  utili- 


taires d'une  note  d'an,  ci  d'une  note  d'art  qui 
ne  doit  rien  à  l'antique. 

Des  hommes  éminents,  d'ailleurs,  v  ont  aidé. 
Nul  n'a  plus  fait,  à  Bruxelles,  que  le 
bourgmestre  Buis  pour  développer  chez 
ses  concitoyens  le  goût  du  beau.  Il  a  réor- 
ganisé l'enseignement  artistique,  exalté  par 
des  concours  de  façades  l'amour-propre 
et  le  talent  des  bâtisseurs  et  rendu  à  la 
vieille  cité  brabançonne  tout  son  lustre  par 
sa  restauration  méthodiquement  entre- 
prise, continuée  avec  une  persévérance 
inlassable,  des  constructions  anciennes  qui 
bordent  la  Grand'place. 

Pour  mener  à  bien  cette  tâche  lourde, 
nul  n'était  mieux  qualifié.  Il  s'y  était  pré- 
paré de  longue  main  par  l'étude  des  mul- 
tiples questions  que  doit  résoudre  celui 
qui  se  préoccupe  de  la  transformation  et 
de  l'embellissement  des  grands  centres. 
L'opuscule  où  il  a  résumé  ses  idées  sur 
ÏEstlu'tiqiie  des  villes  est  à  lire,  et  nos 
conseillers  municipaux  v  trouveraient, 
s'ils  daignaient  le  consulter,  d'utiles  in- 
dications et  des  observations  point  banales. 
11  n'a  pu  terminer,  jusqu'ici,  qu'une 
partie  encore  de  sa  tache.  Aux  larges  per- 
cées qu'il  a  faites  vont  s'en  ajouter  nombre 
d'autres  et  les  grands  travaux  qu'il  prévoit 
ne  seront  pas  de  sitôt  terminés,  mais  la 
Grand'place  aura  repris,  d'ici  peu,  sa  phy- 
sionomie curieuse  d'autrefois  et  la  restau- 
ration de  l'Hôtel  de  Ville  est  chose  faite. 
Tout  ce  que  le  temps  avait  épargné  de 
tapisseries,  de  boiseries  ouvragées,  de 
peintures,  a  repris  sa  place  aux  murailles 
et,  sous  sa  direction,  la  main  des  artistes 
modernes  a  heureusement  et  majestueuse- 
ment complété  l'œuvre  des  anciens  Bruxel- 
lois. 

Dans  l'œuvre  entreprise,  des  concours  de 
tout  ordre  l'ont  secondé.  Pour  la  réorganisa- 
tion de  l'enseignement  artistique,  il  a  trouvé 
dans  l'éminent  statuaire  'Van  der  Stappen,  sur 
l'œuvre  duquel  nous  reviendrons,  un  auxiliaire 
clairvovant,  actif,  plein  d'idées,  dont  l'influence 
s'est  traduite,  à  l'Académie  des  Beaux-Arts  où 
se  forme  la  jeunesse  artistique,  par  un  rema- 
niement complet  des  programmes. 

Pour  'Van  der  Stappen,  l'art  est  un,  et  toutes 
les  formes  d'art,  solidaires  les  unes  des  autres, 
se  pénètrent  et  se  rendent  des  services  réci- 
proques. Il  est  donc  indispensable  que  l'ini- 
tiation   artistique   ne   se    borne  pas,    pour    le 


i 


L'Art   Dec  or  at  if  en   Bcli^ujuc 


19 


sculpteur,  pour  le  peintre,  au  'mo- 
delage seulement  de  la  tii;ure.  Il 
importe  que  le  premier  sache  tra- 
cer un  pur  dessin  d'ornement  et 
que  le  second  ne  soit  pas  incapable 
de  déterminer  le  profil  d'une  mou- 
lure ou  de  modeler  un  simple  rin- 
ceau. L'ornemaniste  devra,  de  son 
coté,  apprendre  à  exécuter  une 
figure,  car  la  figure  n'est  pas  exclue 
de  l'ornement  :  elle  le  relève,  au 
contraire,  d'une  grâce  propre,  elle 
lui  donne  du  corps,  elle  permet 
enfin  à  l'artiste  d'en  varier  à  l'intini 
la  formule. 

L'éducation  artistique  devra  donc 
débuter,  pour  le  peintre,  l'ornema- 
niste, le  sculpteur,  par  un  pro- 
gramme d'études  identique;,  et  les 
éléments  d'architecture  doivent 
jouer  dans  ce  programme  commun 
le  grand  rôle.  C'est  l'architecture, 
en  effet,  qui  est  l'art  maître,  et  l'ar- 
chitecte n'a  pas  seulement  pour  mis- 
sion de  construire  les  édifices,  mais 
de  déterminer  les  conditions  aux- 
quelles doivent  s'astreindre  tous  les 
artistes  qui  concourent  avec  lui 
à  la  décoration  d'un  ensemble. 
Il  leur  apprend  la  loi  des  pro- 
portions, cette  loi  essentielle  trop 
violée.  En  leur  communiquant  les 
principes  de  son  art,  il  les  instruit 
à  tirer  des  modèles  que  leur  four- 
nit, sans  jamais  se  lasser,  la  nature, 
le  parti  le  seul  logique,  le  plus 
fécond  et  le  plus  heureux  par  là 
même. 

En  même  temps  qu'il  a  fait 
triompher  ces  idées  dans  le  nouveau 
programme  d'enseignement  élaboré 
par  le  Conseil  de  l'Ecole,  Van 
der  Stappen  a  prêché  d'exemple 
dans  son  œuvre.  Sans  abdiquer 
quoi  que  ce  soit  de  son  originalité, 
il  s'est  soumis  le  premier  à  ces  lois 
dont  il  exige  avec  tant  de  justesse 
des  artistes  l'étude  préalable,  et  ses 
compositions  décoratives  v  ont  ga- 
gné une  largeur  d'accent,  une  no- 
blesse qui  le  classent  au  premier 
rang  de  nos  contemporains.  Il  faut 
voir,  à  l'Hôtel  de  Ville,  son  Saint 
Michel  de  bronze  et  le  surtout  de 


20 


Art  et  Décoration 


table,  en  bronze  argenté,  dans  lequel  il  a 
ingénieusement  pris  pour  thème  les  vieilles 
légendes  bruxelloises. 

Le  professeur,  en  lui,  n'est  pas  moins  per- 
sonnel que  l'artiste.  Nous  avons  eu  la  bonne 
fortune  de  le  voir,  à  l'Académie  des   Beaux- 
Arts,  en  face  de  ses  élèves,  et  nous  avons  pu 
apprécier,  avec  la  sagesse    des  conseils   tech- 
niques qu'il  prodigue,  la  façon  dont  il  sait  se 
plier,  dans  les  indications  personnelles  qu'il  y 
ajoute,  à  la  diversité  des    tempéraments,   des 
natures.    S'aperçoit-il    qu'un   élève,    dans    ses 
interprétations  du  modèle  vivant,  l'a  reproduit 
à  plusieurs  reprises  dans  des  proportions  supé- 
rieures ou  inférieures  aux  dimensions  vraies, 
il  n'insiste  pas  pour  le  ramener  à  une  obser- 
vation plus   exacte    de  la    réalité.    Dans   cette 
erreur  de  vision  il  a  vu.  non  pas  une  erreur  à 
vrai  dire,  mais  une  manifestation  de  l'instinct 
naturel.  «  Le  modèle,  dit-il  en  parlant  de  ses 
disciples,  est  un   morceau   de   musique   qu'ils 
transposent.  Peu  m'importe  le  ton  dans  lequel 
ils  transposent,  pourvu  que  le  résultat  en  soit 
juste.  » 

Revenons  à  la  décoration  de  l'Hôtel  de  Ville. 
Un  de  ceux,  parmi  les  artistes  vivants,  qui 
ont  témoigné,  en  collaborant  à  ce  travail,  du 
sens  décoratifle  plus  fin  est  le  statuaire  Isidore 
de  Ruddcr.  La  salle  gothique  où  se  célèbrent 
les  mariages  a  reçu  de  lui  une  ornementation 
à  la  fois  très  moderne,  et  cependant  en  parfaite 
harmonie  avec  les  fenêtres  en  ogive  qui  l'éclai- 
rent.  avec  les  solives  en  bois  sculpté  de  ses 
plafonds. 

Aux  murailles,  des  appliques  de  bronze 
dirigent  sur  l'intérieur  de  la  salle  des  faisceaux 
de  lumière  électrique.  La  conception,  très 
simple,  est  charmante  :  sur  un  croissant  ren- 
versé, dont  les  cornes  s'allongent  en  fer  à 
cheval,  les  lampes  Edison  sont  fixées;  des  évi- 
dements  quadrilobés  les  séparent.  Un  Saint 
Michel  aux  ailes  éployées.  terrassant  le  dragon, 
meuble  au  milieu  du  croissant  l'espace  vide. 
Casque  en  tête,  au  poing  l'épée  flamboyante. 
à  la  main  gauche  un  écu.  le  messager  céleste 
vient  de  s'abattre  sur  un  démon  ailé  dont  les 
griffes  acérées  se  crispent  en  vain  sur  lessolerets 
de  fer  de  l'archange  qui  s'apprête  à  le  frapper. 
Un  édicule  gothique  à  pinacles,  dans  lequel  le 
croissant  est  fixé,  relie  à  la  muraille  l'appareil. 
L'ensemble  est  de  l'effet  le  plus  heureux.  Entre 
la  figure  et  le  motif  décoratif  qui  l'encadre 
aucune  disparate.  Le  croissant  forme  une 
auréole    à    l'archange,    et    le    joli    sentiment 


L^Ârt  Di-coratif   en  Bc\'oi\jnr 


21 


Art  i't   DJcoratioii 


archaïque  dom  la  stauieiie  du  saint  est 
empreinte,  établit  un  lien  logique,  rigoureux, 
entre  elle  et  le  pinacle  gothique. 

Dans  la  même  salle,  sur  l'estrade  où  pren- 
nent place  les  époux,  un  dais  de  satin  cramoisi 
abrite  leurs  fauteuils.  Le  dais,  à  sa  partie  anté- 
rieure, est  orné  d'un  bandeau  soutenu  par 
une  tringle  de  cuivre  doré  dont  les  extrémités 
se  terminent  en  bras  de  lumière.  De  chaque 
coté  de  l'ouverture,  deux  larges  lambrequins 
descendent 
du  bandeau 
sur  l'estrade. 
Lambrequins 
e  t  b  a  n  d  e  a  u 
sont  ornés  de 
figures  allé- 
goriques, en 
broderies  de 
couleur  ap- 
pliquées, exé- 
cutées sur  des 
cartons  de 
son  mari  par 
M'"'-  de  Rud- 
der. 

C'est  la  pre- 
mière fois 
qu'on  fait 
usage  de  nos 
jours,  dans  la 
grande  déco- 
ration ,  des 
broderies  ap- 
pliquées. Ce 
ne  sera  cer- 
taine m  e  n  t 
pas  la  der- 
nière. Le  pro- 
cédé a  sur 
richesse  des  tons  centuplée  par  le  brillant 
de  la  matière.  La  lumière  s'v  joue  en  chaudes 
harmonies  qui  n'excluent  ni  la  délicatesse 
ni  la  grâce.  Nous  n'avons  pu  nous  procurer 
à  temps,  pour  les  reproduire  dans  ce  nu- 
méro, les  photographies  des  deux  figures  de 
femmes  dans  lesquelles  l'artiste  a  symbo- 
lisé, sur  les  lambrequins  du  dais,  VAffcctinu 
et  la  Fidélité  conjugales.  Nous  les  reprodui- 
rons dans  le  suivant.  Mais,  ces  productions, 
fort  goûtées,  ont  été  suivies  de  beaucoup 
d'autres,  et  nous  n'avons  eu,  pour  les  rempla- 
cer, que  l'embarras  du  choix. 

Le  collège  échevinal  de  Gand  a  commandé. 


Paravent  des  Parqua. 

a     tapisserie    l'avantage    de     la 


pour  son  Hôtel  de  ville,  à  de  Rudder  une  série 
de  six  figures,  la  Force,  la  Prévoyance,  la  Jus- 
tice. ['Floqiieiice.  la  l'érité.  la  Sagesse.  Nous 
donnons  la  reproduction  de  cette  dernière. 

Nous  y  joignons  l'ensemble  et  le  détail  d'un 
paravent  récemment  exposé  à  Bruxelles,  où  il 
a  été  accueilli  par  un  succès  des  plus  vifs. 
L'artiste  y  a  repris,  en  lui  donnant  Un  accent 
tout  moderne  et  pourtant  imprégné,  comme 
son  Saint  .Michel,  d'un  partuni  très  doux  d'ar- 
chaïsme ,  le 
type  tant  de 
fois  retracé 
par  les  Grecs, 
des  trois  Par- 
ques. Je  me 
garderai  de 
gâter  au  lec- 
teur, par  un 
inutile  ettrop 
long  c  G  m  - 
m  e  n  t  a  i  r  e , 
l'impression 
qu'il  ne  peut 
manquer  d'é- 
prouver en 
présence  de 
ces  figures  si 
chastes  d'une 
grâce  si  pé- 
nétrante et  si 
tière,  d'une 
élégance  si 
mélancolique 
et  si  douce.  Il 
reconnaîtra 
des  éléments 
très  divers, 
'"■'"■^"'"  empruntés   a 

toutes  les  époques  de  l'art  :  dans  les  plis 
nombreux,  rapprochés,  ingénieusement  ondu- 
lés de  la  robe  de  dessous  de  Lachésis,  un  sou- 
venir évident  de  l'art  grec  le  frappera;  dans  la 
disposition  et  le  choix  des  étoffes,  il  percevra 
comme  un  écho  du  Japon;  dans  le  geste 
sinueux,  un  peu  mièvre,  il  retrouvera,  non 
déguisée,  l'influence  des  grâces  botticelles- 
ques.  Çà  et  là,  l'étude  du  moven-àge  s'affirme, 
mais  le  caractère  des  tètes  est  moderne,  le 
stvle,  dans  son  ensemble,  est  bien  de  l'heure 
présente,  et  tous  ces  souvenirs  d'arts  défunts  se 
sont  fondus  en  un  tout  franchement  homogène 
et  délicieusement  personnel. 

On   nous  en   voudrait  de  nous  borner  à  ces 


L'Art  Dt'cordtif 


Bel 


Qiqili' 


23 


explications  sans  entrer  dans  le  détail  du  pro- 
cédé. Voici  les  éclaircissements  nécessaires: 

Quand  l'artiste,  après  avoir  mùi-i  son  sujet, 
se  sent  maître  de  sa  composition,  il  en  t'ait  un 
premier  carton,  au  quart  ou  au  cinquième,  sur 
lequel  rexécutante  se  règle 
pour  l'emploi  descouleurset 
la  recherche  des  tons  de  soie. 
Dès  que  celle-ci  s'est  pro- 
curé par  avance  les  étoffes 
qu'elle  sait  lui  convenir. 
de  Rudder  fait  un  second 
dessin,  grandeur  d'exé- 
cution, d'après  lequel  sa 
femme  découpe,  aux  dimen- 
sions voulues,  dans  les 
soies,  les  satins,  les  bro- 
carts, tous  les  fragments 
nécessaires.  Au  furet  à  me- 
sure qu'elle  les  coupe,  elle 
les  encolle  au  dos  pour  les 
empêcher  de  s'efhler.  Elle 
les  place  ensuite  sur  une 
toile  oij  ils  sont  cousus; 
puis  elle  commence  à  bro- 
der après  avoir  refait  à  nou- 
veau son  dessin  avec  une 
netteté  scrupuleuse,  sur 
l'ensemble  de  la  composi- 
tion. Tout  l'art  consiste 
alors  à  bien  respecter  la 
forme  en  brodant,  et  à 
reproduire  attentivement,  dans  le  travail  déli- 
cat de  l'aiguille,  l'harmonie  des  tons  du  modèle. 

Le  mystère,  on  le  voit,  est  très  simple  :  il  ne 
s'agit  au  fond  que  d'être  artiste,  mais  il  faut 
l'être  beaucoup,  et  M""' de  Rudder  l'est  de  nais- 
sance. Rien  n'égale,  dans  les  travaux  que  nous 
mettons  sous  les  veux  de  nos  lecteurs,  la  finesse 
de  son  tact  et  la  légèreté  suprême  de  sa  main. 


Il  nous  reste,  après  avoir  appelé  1  attention 
sur  l'ceuvre  accomplie  en  commun  par  ce 
ménage  d'artistes,  à  parler  du  mari  plus  longue- 
ment. Statuaire  et  céramiste  plein  de  talent, 
médaillé   à  nos  expositions    parisiennes   pour 


TaHc  du  C,i\7iii  ILill.  [Chatcju  de  l.i  Hulfc, 


desieuvres  dont  les  curieux  d'art  n'ont  certai- 
nement pas  perdu  tout  souvenir,  il  s'est  égale- 
ment occupé,  dès  sa  première  jeunesse,  d'art 
ornemental  et  d'art  appliqué.  Les  travaux  qu'il 
a  faits,  en  vingt  ans,  pour  le  bronze  et  pour 
l'orfèvrerie  se  comptent  par  milliers.  Nous  en 
donnerons  un  aperçu  quelque  jour. 

TiniilîAlLT-SlSSON. 


Vityjil  d'AffJiytcmcnt. 


V.   H-TRTA 


NOTRE    CONCOURS    DE    COUVERTURE 


KT    /1\0DERNC  \ 


^^^€1.^"^^^^^^^^      S3îsis«  s 


H.     SAUVAGE 


AGin 


1^VUE„ENs^„LLE 


^HTFODEKNE 


p.    SCHKIDICCKKR 


A    propos    d'une    Dc3coration    d'intérieur 


POURQUOI  i: ART  NOUVEAU.   CHEZ  NOUS,  ESI    EN  RETARD. 

UN   MOBILIER   DE   SALLE   A    MANGER, 

NOUVEAU  STYLE.    PAR    LES  ARCHITECTES   PLUMET   ET   SELMERSHEIM. 


Dans  une  monarchie,  c'est  d'en  haut  qtie 
vient  l'exemple  sur  lequel  la  société  du  temps 
prend  modèle  :  dans  une  démucratie,  le  mnu- 
venient  part 
d'en  bas. 
Nos  styles 
anciens  se 
sont  créés, 
dans  1  '  a  r- 
chitecture , 
danslemeu 
b  1  e ,  dans 
Tornement, 
sous  l'in- 
fluence per- 
sonnelle de 
nos  rois. 
Supposez  à 
Louis  XIV 
une  à  m  e 
triste,  enne- 
mie de  l'ap- 
parat et  du 
faste, — Ver- 
sailles n'eut 
pas  existé, 
Levau  et 
Hardouin- 
M  a  n  s  a  r  t 
n'eussent 
pas  donné 
corps  à  leur 
rêve  d'une 
architecture 
en  complet 
désaccord 
a  \-  e  c  nos 
traditiunset 
nos  idées 
nationales , 

et  1  ecoledécorative  des  i^ebrun  ne  tùt  pas  née. 
.\  Louis  XIV  vieilli  succède  en  171 5  la 
Régence,  et  le  meuble,  comme  la  famille  royale, 
secoue  le  joug  imposé  par  la  mélancolie  du 
podagre.  De  lourd  et  de  majestueux  qu'il  était, 
il   s'anime,  il  s'égave,  il  prend  part,  lui  aussi. 


SjUc  à  inaiii;cr  de  M.  Léon.  {La  Cheminée.)  l'LUMtr  ti  skLMHusiiKiM 


au  mouvement,  et  quand  Louis  XV,  avec  sa 
fureur  de  plaisirs,  son  horreur  des  salons  de 
gala,  son  amour  pour  les  petits  cabinets  soli- 
taires où 
l'on  troisse 
les  i  u  p  e  s , 
entre  inti- 
mes, après 
boire,  don- 
ne le  signal 
de  la  fête, 
le  meuble, 
à  son  exem- 
ple, s'afi'<jle 
dans  le  tara- 
biscoiage  et 
le  dévergon- 
dage de  li- 
gnes du  ro- 
coco. 

Le  retour 
à  l'antique 
du  Louis 
XVI  est  le 
r  é  s  ti  1 1  a  t , 
sans  doute, 
d'une  réac- 
tion inau- 
gurée, dans 
l'ordre  des 
idées,  par 
lesencyclo- 
p  é  d  i  s  t  e  s  ; 
mais  cette 
réaction  est 
en  parfaite 
h  a  r  m  o  n  i  e 
avec  le  sen- 
timent gé- 
néral, et  la 
Royauté,  comme  la  nation  tout  entière,  s'v 
associe.  Sous  l'Empire,  si  les  formes,  de  nou- 
veau, s'alourdissent,  si  le  meuble,  architecture 
pesamment,  devient  maussade,  écrasé  sous  la 
troide  richesse  des  bronzes,  c'est  que  le  maître 
est  amoureux  de   ce   qui  brille,  c'est   qu'il  aie 

4 


26 


Art  et  Dccoration 


goût  innc  du  parvenu  pour   ropulcnco  pom- 
peuse et  criarde. 

Il  est  donc  indéniable  que,  dans  une  mo- 
narchie, Tarchitecture  et  les  arts  qui  en  déri- 
vent s'inspirent,  dans  leurs  créations,  du  mo- 
narque. Ebénistes,  ornemanistes,  sculpteurs, 
s'empressent  à  l'envi  de  lui  complaire,  et  de 
cette  rivalité  surgit  à  tout  changement  de  règne 
un  changement  caractéristique  dans  l'art. 

Ces  changements  caractéristiques,  la  France 
en  a  eu  le  monopole  pendant  les  deux  derniers 
siècles.  Comment  se  fait-il  qu'aujourd'hui, 
sous  une  démocratie,  nous  demeurions  stériles 
et  que  nos  artistes  aient  tant  de  peine  à  trouver 
une  formule  satisfaisante  d'art  nouveau?  Se- 
rait-il vrai,  comme  on  l'a  prétendu,  que  la  dé- 
mocratie, ennemie  jurée  de  l'art,  paralvse  ses 
efforts  et  les  frappe  irrémédiablement  d'im- 
puissance? 

Rien  de  plus  faux.  La  démocratie  athénienne 
et  la  démocratie  riorentine  ont  enfanté,  en  art, 
des  merveilles.  La  vérité,  c'est  que  la  France 
est  de  tous  les  pays  d'Europe  le  moins  propre 
à  favoriser  l'éclosion  d'un  art  démocratique.  Nos 
habitudes  et  nos  façons  de  vivre  s'y  opposent. 
Nous  ne  manquons  pas  d'artistes,  et  la  classe 
bourgeoise,  qui  représente  chez  nous  cette  in- 
dispensable moyenne  de  culture  générale,  seule 
capable  d'aider  au  développement  de  l'art  nou- 
veau, ne  manque  ni  de  gotjt  ni  d'argent.  Mais 
au  lieu  que  les  Anglais  et  les  Belges,  même  de 
fortune  très  modeste,  ont  une  maison  à  eux, 
où  ils  s'installent  généralement  pour  la  vie,  oîi 
par  conséquent  ils  s'entourent, — puisqu'ils  doi- 
vent toujours  l'habiter,  —  non  seulement  des 
arrangements  les  plus  confortables,  mais  les 
plus  personnels  et  conçus  dans  la  note  d'art 
qui  leur  plaît,  nous  vivons  en  appartement, 
dans  des  maisons  qui  ne  nous  appartiennent 
pas,  dans  des  pièces  qui  ont  été  habitées  par 
d'autres  avant  nous,  et  que  d'autres,  après 
nous,  habiteront. 

Pour  la  décoration  de  ces  pièces,  l'architecte 
a  dû  nécessairement  se  plier  aux  exigences  du 
propriétaire.  Il  a  visé  à  l'économie  tout  d'abord. 
Il  s'est  préoccupé  ensuite  d'assurer  la  location 
de  l'immeuble  en  choisissant  pour  les  aména- 
gements intérieurs  les  dispositions  les  plus 
acceptables  pour  tous,  par  suite  les  plus  ba- 
nales. L'appartement  du  riche  ne  diffère  de 
celui  du  pauvre  qu'en  un  point  :  les  pièces  en 
sont  plus  spacieuses,  plus  hautes  de  plafond  et 
plus  claires,  avec  des  peintures  plus  soignées 
et  une  décoration,  marbre  ou  bois,  étoffe  ou 


papier  peint,  dont  les  matériaux  seront  de  qua- 
lité supérieure,  —  mais  le  principe  décoratif 
reste  le  même.  Le  propriétaire,  à  moins  de 
très  rares  exceptions,  se  gardera  comme  du  feu 
de  l'an  nouveau,  car  l'art  nouveau  peut  ne  pas 
plaire,  tandis  que  le  locataire  accepte  sans  re- 
chigner, même  quand  il  jure  avec  son  mobi- 
lier, le  pastiche  d'art  ancien  le  plus  plat  et  le 
plus  dénué  d'intérêt. 

Rien  n'empêche,  il  est  vrai,  le  locataire 
homme  de  goût  de  s'offrir  à  ses  frais  une  déco- 
ration moins  banale  ;  mais  l'homme  de  goût  v 
regarde  à  deux  fois.  On  déménage  aisément,  à 
Paris.  Pour  un  oui,  pour  un  non.  le  locataire, 
même  riche,  se  déplace  ;  du  centre,  où  le  re- 
tiennent sesaffaires,  il  passe -aux  quartiersaérés 
de  l'Étoile,  d'.-\uteuil  ou  de  Passv.  Aussi,  se 
borne-t-il  d'habitude  à  des  arrangements  provi- 
soires. L'indispensable  une  fois  fait, on  s'arrête, 
on  remet  le  reste  à  un  renouvellement  problé- 
matique du  bail,  à  une  circonstance  qui  per- 
mette de  se  fixer.  Même  si  l'on  se  résout  à 
remédier,  par  c]uelque  grosse  dépense,  aux  dé- 
fauts dont  on  est  choqué  dans  la  décoration 
intérieure,  on  respecte  les  lambris,  on  laisse 
intacte  la  muraille,  on  dissimule,  en  un  mot, 
ce  qui  existe  plutôt  qu'on  ne  transforme.  On 
sait  le  prix,  en  effet,  des  réparations  locatives, 
et  d'avance  la  carte  à  payer  vous  effraye.  Si  l'on 
était  chez  soi,  on  appellerait  à  son  secours  l'ar- 
chitecte, le  menuisier,  l'ébéniste;  chez  un  autre, 
on  se  sent  comme  l'oiseau  sur  la  branche,  et 
l'on  recourt  au  tapissier  uniquement.  On  re- 
couvre d'étoffe  les  murailles,  on  drape  les  che- 
minées par  trop  laides,  on  sème  dans  tous  les 
coins  le  pittoresque,  mais  le  pittoresque  le 
plus  démontable  et  le  plus  transportable  pos- 
sible, un  pittoresque  tout  en  tapisseries,  en 
tentures,  en  bibelots  et  en  paravents.  Rien 
d'étudié,  en  somme,  et  rien  de  définitif,  par 
conséquent  rien  de  bien. 

Voilà  pourquoi,  tandis  que  la  Belgique, 
l'Angleterre  ont  fait  tant  de  progrès,  nous  res- 
tons, malgré  nos  efforts,  stationnaires.  Le 
stvle  nouveau,  unanimement  désiré,  reste  à 
naître.  Nous  ne  reprendrons  nos  avantages 
que  le  jour  où  il  se  sera  trouvé,  parmi  nous,  des 
amateurs  assez  fervents  d'art  nouveau  pour 
s'entêter  à  tout  prix  à  le  créer,  fussent-ils  dans 
une  maison  de  rapport,  —  et  ces  amateurs 
phénomènes  sont  rares.  .le  n'en  connais  qu'un 
seul  encore  à  cette  heure,  celui  qui  s'est  fait 
faire,  par  les  architectes  Plumet  et  Sel- 
mersheim.     le    mobilier   complet    de    salle    à 


A  propos  J'iiiit'  Dccoration  d'iiito'rio 


ur 


manL;cr  à    propos   duquel    j'écris    cet    article.       inoderne  assez  grande,  maisjuute  en  lonLjueur, 
Un  plein  succès  l'a  récompensé  de  son  au-      et    qui   put   se   transformer,   la   table  une  fois 


Le  Biijj'ct-di  cssijir. 


PLL'MET    ET    SHLMERSHEIM 


dace.  Le  problème  qu'il  avait  invité  ces  artistes  desservie,  en  salle  de  billard.  Cette  complica- 

a  résoudre  était  pourtant  délicat.  Il  consistait  tion  rendait  la  solution  du  problème  d'autant 

a  décorer  et  à  meubler,  dans  un  stjle  absolu-  plus  difficile  que  la   table  à  usage  de   billard 

ment  neut,  une  salle  à  manger  d'appartement  devait  tenir  dans  cette  pièce,  relativement  très 


28 


Art  et  Décoration 


étroite,  une  place  considérable.  Il  était  indis- 
pensable que  les  meubles  n'eussent  qu'une 
faible  saillie,  et  il  fallait  loger  dans  ces  meu- 
bles tous  les  accessoires,  non  seulement  du 
service  de  table,  mais  du  jeu  de  billard. 

Il  fallait  enfin  dissimuler  entièrement  la  che- 
minée sous  un  motif  d'architecture  en  rap- 
port avec  le  stvle  du  dressoir  et  capable, 
comme  le  dressoir,  de  servir  à  mettre  en  évi- 
dence quelques  belles  pièces  de  céramique  ou 
de  verrerie. 

L'emplacement  de  la  pièce  importante,  le 
dressoir,  était  indiqué  par  avance  au  milieu 
d'un  des  i;rands  panneaux.  La  cheminée  occu- 
pant le  milieu  de  la  paroi  de  muraille  opposée. 
on  ne  disposait  plus,  si  l'on  voulait  corser  le 
mobilier  d'un  bahut  accessoire,  que  d'un 
unique  panneau.  A  droite  et  à  gauche  des 
grands  meubles,  on  adosserait  à  la  muraille 
les  chaises.  Des  deux  côtés  de  la  cheminée, 
deux  banquettes  et  le  restant  des  sièges  pren- 
draient place.  Impossible  de  s'écarter  de  ce 
programme. 

'Voyons  quel  parti  nos  artistes  ont  tiré  des 
indicationsqu'ilfournit,  et  considéronsd'abord 
le  buffet. 

Un  buffet  doit  contenir  la  vaisselle,  et  la 
vaisselle  est  chose  lourde:  on  l'enfermera  dans 
le  corps  inférieur.  Comme  elle  est  également 
encombrante,  il  faut  que  ce  corps  inférieur 
soit  spacieux  et  s'ouvre  à  deux  battants.  Pour 
les  couverts  d'argent,  les  couteaux,  deux 
tiroirs  ont  été  superposés  à  ce  buffet,  mais  ces 
tiroirs  sont  insuffisants  :  il  en  faut  à  droite  et 
à  gauche;  on  en  mettra. Toutefois,  pour  éviter 
l'aspect  disgracieux  de  cette  combinaison  trop 
simpliste,  on  n'accompagnera  le  corps  central, 
le  buffet,  que  d'un  nombre  restreint  de  tiroirs, 
trois  seulement,  insérés  dans  la  partie  haute. 
La  partie  basse,  ouverte  et  divisée  en  deux  par 
une  tablette,  servira  d'étagère  et  sera  égavée  de 
céramiques. 

Pour  la  lingerie  et  tout  ce  qui  reste  du  ser- 
vice, il  faut  également  de  la  place.  On  en  trou- 
vera dans  deux  petites  armoires  à  porte  pleine, 
juxtaposées  aux  tiroirs:  mais  là  encore  il  faut 
éviter  toute  lourdeur,  et  ces  armoires  repose- 
ront, comme  les  tiroirs  latéraux,  sur  le  vide. 
L'évidement  obtenu  permettra  d'arrondir  la 
base  sur  laquelle  s'assied  le  coquet  édifice. 

Nous  voilà  donc  en  présenced'un  buffet  dont 
le  plateau,  calé  par  une  armoire  légère  à  sa 
droite,  par  une  autre  armoire  à  sa  gauche,  est 
dans    les  conditions    voulues   pour    servir   de 


dressoir.  11  ne  s'agit  plus  que  de  superposer  au 
meuble  une  vitrine  qui  contiendra  les  pièces 
d'argenterie  dignes  d'être  mises  en  vue.  Or  ces 
pièces  sont  de  dimensions  imposantes,  et  la 
profondeur  du  meuble  est  si  faible  !  On  y  remé- 
diera en  mettant  la  vitrine  en  saillie,  et  ces 
saillies  seront  portées,  comme  les  tiroirs  du 
corps  inférieur,  comme  les  petites  armoires 
latérales,  par  un  ingénieux  assemblage  de  sup- 
ports, pareils  à  des  branchages  légers,  sortis  de 
la  charpente  où  s'emboite  le  meuble. 

De  cette  alternance  des  pleins  et  des  vides, 
de  ce  parti-pris  d'encorbellements  soutenus  par 
des  tiges  légères  harmonieusement  raccordées 
aux  parties  solides  du  meuble,  découle  un 
pittoresque  charmant  qu'une  décoration  ingé- 
nieuse autant  que  simple  accentue.  Le  motif 
est  celui  de  la  feuille  d'eau,  dont  le  gaufrage 
ténu  et  les  fines  nervures,  stylisées  avec  tact, 
ont  gardé  sous  le  ciseau  du  sculpteur  la  ron- 
deur molle  de  leur  contour  et  la  grâce  impré- 
cise de  leur  forme. 

Ajoutez  à  cela  l'heureux  dessin  des  portes 
pleines  arrondies  par  le  haut,  leurs  belles  et 
franches  moulures,  et  ce  bombement  du  pan- 
neau central  vers  le  haut  qui  détermine  sur  la 
riche  matière  du  noyer  des  jeux  de  lumière 
imprévus,  délicieusement  variés.  Joignez-y, 
dans  la  partie  supérieure  desarmoires,  la  finesse 
des  ornements  de  bronze  doré,  couverts  d'une 
jolie  patine  d'or  vert,  qui  égavent  du  relief  déli- 
cat de  leur  feuillage  le  nu  des  écoinçons  ou  qui 
servent  de  poignée  aux  tiroirs. 

Le  petit  buffet,  plus  calme  de  lignes  que  le 
grand,  n'est  ni  moins  étudié,  ni  moins  pra- 
tique, ni  moins  satisfaisant  pour  les  veux. 
L'encadrement  de  la  cheminée  se  caractérise 
également,  dans  l'ensemble,  par  une  svmétrie 
plus  parfaite,  mais  qui  n'exclut  en  rien  le  pit- 
toresque, et  vous  apprécierez  certainement  l'ha- 
bileté qui  a  présidé  à  l'arrangement  du  fron- 
ton, la  courbe  harmonieuse  de  son  cintre, 
et  l'adroite  disposition  par  laquelle  on  l'a  rac- 
cordé aux  petites  étagères  latérales. 

Les  sièges  se  divisent  en  deux  catégories, 
chaises  de  salle  à  manger,  banquettes  de  bil- 
lard. Ces  dernières,  tant  soit  peu  rigides  dans 
la  forme,  sont  surmontées  d'un  élégant  plateau 
d'étagère,  supporté,  comme  dans  les  buffets, 
par  des  tiges  raccordées  avec  soin  à  l'ossature 
du  meuble.  Les  chaises  sont  d'un  mouvement 
plus  heureux;  et  ce  mouvement  n'existe  pas 
seulement  dans  les  pieds,  il  se  retrouve,  malgré 
la  rigidité  des  nn)ntants.  dans  le  dossier  légère- 


A  propos  iriiih'  Di'coration  J'iiitoricur 


^9 


iiKMU  iiiricchi  pour  cpiuiscr  la  loriiK'  Jii  C( 
Quant  à  la  table,  destince  à  servir  tniii'  a 
ou  de  table  à  nianijer  nu  de  billaid.  elle 
appelée  latalemeiit  à  tenir  plutnt  du  bil 
Les  architeetes  n'nnt  pas  hésité  a  kii  la 
exclus!  ve- 
ment  ee  ca- 
ractère. Ils 
se  sont  con- 
tentés d'ou- 
vrager,  en 
les  revêtant 
aussi  de 
feuilles 
d 'eau,  les 
lourds  sup- 
ports sur 
lesquels  elle 
repose.  No- 
tons enfin, 
avant  de  ter- 
miner, les 
1  a  m  bris 
d'un  heu- 
reux mou- 
vement, et 
la  frise,  en 
soies  appli- 
q  u  é  e  s  et 
rebrodées, 
dontilssont 
surmontés. 

Cette  frise 
est,  comme 
l'étorte       de 
tenture,  due 
à  M.Aubert. 
On       trou- 
A'era  le  mo- 
tit    de    ten- 
ture un  peu 
sec    :     c'est 
que  la  pho- 
tographie n'a    pu    reproduire  que  les  formes; 
elle  est  incapable,  hélas,  de  traduire  la  chaude 
harmonie  des  couleurs.  Les  notes  claires  de  la 
fleur  donnent  des  noirs,  et  les  ors  qui  animent 
le  fond  paraissent  blancs. 

Tel  est  l'ensemble  de  cette  décoration  d'in- 
térieur, la  première  qui  ait  été  vraiment  réus- 
sie    dans     un    st\'le      entièrement     nouveau. 


Le  B.ihut. 


iips.  MM.  Selniersheini  et  IMumet  ont  mis  d'accord, 
inLir  a\ec  un  goui  laie,  dans  leurs  meubles,  la 
était  liii,'ii|ue  et  la  giace,  le  pittoresque,  la  solidité 
lard.  et  le  conturt.  Seuls,  les  sièges,  vu  la  rigidité 
isseï-       de  lein'  silhduette.  prêteraient  à    la  critique   si 

l'on  ne  sa- 
\ait  d'avan 
ce  que  ban- 
quettes et 
chaises,  ali- 
gnées con- 
tre la  mu- 
raille ,  ne 
pou  \'  a  i  e  n  t 
dans  cette 
salle  étroite 
dépasser  en 
saillie  les 
gros  meu- 
bles. 

Aux  ama- 
teurs main- 
te n  a  n  t ,  de 
suivre  cet 
e  X  e  m  p  1  e 
et  de  s'enga- 
ger dans  la 
voie  tracée 
par  un  des 
leurs. 

Ils  n'ont 
plus  de  rai- 
son, désor- 
mais, pour 
nier  que 
l'art  nou- 
veau puisse 
produire 
des  œuvres 
originales. 

Comman- 
dez :  vous 
verrez  tout 
un  clan  d'architectes,  épris  de  formes  n(ju- 
velles,  vous  en  créer  à  l'envi  dans  le  meu- 
ble et  substituer  à  ces  monotones  copies 
d'anciens  stvles,  dont  vous  avez  fait  trop 
longtemps  vos  délices,  un  style  qui  aura  le 
mérite  enfin  de  la  fraîcheur  et  de  la  nou- 
veauté. 

TmitliAULT-SlSSON. 


ntUMET   ET  SELMERSHEIM 


CHRONIQIT 

L'Exposition   Micha.  —   Vsf.   Fomaine  i:n  guks  klammi:  m:   Dai.pavrat. 
Les  Palais  ni  s  Champs-Elysées.  —  Le  Concoeus  Roigevin. 


Depuis  huit  jours,  à  la  Rodinière,  l'expo- 
sition Muchu  est  ouverte.  —  Qui  ça,  Mucha? 
Connais  pas!  — Bon  peuple  de  Paris,  tu  man- 
ques de  mémoire. 
Allons,  rappelle 
un  peu  tes  sou- 
venirs. N'as -tu 
pas  vu,  naguère, 
au  coin  des  rues, 
dans  le  tapis  mul- 
ticolore des  af- 
fiches, des  si- 
lhouettes longues 
et  souples  te  re- 
tracer, sous  le 
travesti  deLorcji- 
:iaccio,  dans  la 
toilette  tapageuse 
de  la  Dame  aux 
Camélias,  sous  la 
robe  byzantine 
aux  plis  lourds 
de  Gismonda,  les 
traits  de  Sarah 
Bernhardt ? 

Et  Lattitude 
n'était  pas  seu- 
lement élégante, 
le  geste  caressant, 
l'expression  d'une 
mélancolie  alan- 
guie,  mais  le  pit- 
toresque de  ces 
compositions  t'a 
frappé.  Tu  en  as 
trouvé  l'arrange- 
ment inédit  ;  une 
pointe  légère  d'e- 
xotisme le  relevait 
d'une  piquante  sa- 
veur et  tu  t'es  dit, 
charmé  :  «  Tiens 
c'est    neuf  !    » 

Tu  as  remarqué  en  même  temps,  que  l'afliclie, 
au  milieu  de  ses  bruyantes  voisines,  chamar- 
rées de  couleurs  crues,  détonnait  par  la  pâleur 


i-'ontaine  en  prcs  JKtduhc. 


de  ses  tons,  par  le  charme  inaccoutumé  de  ses 
notes  claires  fondues  en  harmonies  fraîches 
et    tendres.    —    Et  ton  (eil,    bon     peuple,  fut 

charmé. 

Il  fut  si  char- 
mé, avoue-le,  que 
tu  perdis  tout  es- 
prit critique.  Mis 
en  joie  par  ces 
friandises,  tu  t'en 
allas  gui  lleret, 
bouche  en  cœur, 
fredonnant  un  re- 
frain d'opérette, 
sans  songer  à  te 
dire  qu'après  tout 
ces  jolies  choses 
manquaient  des 
qualités  essentiel- 
les de  l'affiche, 
qu'à  distance, 
faute  de  vigueur 
dansles  tons,  tout 
se  brouillait  dans 
un  pele-méle  de 
lignes  et  dans  un 
chaos  de  couleurs 
où  les  formes  s'é- 
V  a  n  o  u  i  s  s  a  i  e  n  t, 
qu'enfin  c'était  de 
l'estampe  en  cou- 
leurs, une  es- 
tampe déplacée 
au  grand  jour, 
mais  qui  ferait 
merveilles,  pen- 
due comme  un 
Kakémono  japo- 
nais dans  t  o  n 
vestibule  ou  sur 
le  clair  palier  de 
ton  étage. 

Et  maintenant, 
ne  viens  plus  me  dire,  bon  peuple,  que 
tu  ne  connais  pas  Mucha.  \'a-t-en  revoir, 
chez    notre    ami    Bodinier,    ses    affiches  ;  tu 


DALPAYRAT 


Chr. 


wiujue 


) 


I 


les    retrouveras    accompa^ntJes     de   beaucoup  ré\élc-  ce   Mucha  que    tu  connaissais  pourtant 

d'autres,  que  tu  goûteras  peut-être  davantage.  tout  comme  moi.  S'il  en  faut  plus  encore  à  ta 

S'il  ne  te  souvient  plus  de  la  couverture  qu'il  a  curiosité,   apprends  que  Mucha   est   un  slave, 

mise,  à  la  Noël,  au  frontispice  du  numéro  spé-  qu'il    est    né,  voilà  quelque  trente  ou   trente- 

cial  publié  par  V Illustration,  rafraîchis  là-bas  cinq  printemps,  en  Bohème,  qu'on  s'arrache  à 

tes  souvenirs,  examine  longuement  le  groupe  Paris,    depuis    qu'il    s'v    est    fixé,    toutes    ses 

étrange,   saisissant  dans    sa  grâce   hiératique,  œuvres,    et    que    Sarah    Bernhardt  en   raffole, 

formé  par  la  vieille  année  qui  se  meurt  sous  Souhaite-lui    de    rester    toujours    en    posses- 

l'œil  attendri  et  sur  les  genoux  rapprochés  de  la  sion  de  la  mcme  vogue,  et   passons    de   chez 


■■r  .,■;     v?  •. 


Projet  d'ombrelle. 


M.    MAXGIX 


rcuvcUe.  Délecte-toi,  comme  il  convient,  de 
ce  régal.  Apprécie  également  cette  autre  cou- 
verture, si  ingénieuse  et  si  neuve  en  sa  simpli- 
cité, qu'il  a  faite  pour  la  Revue  des  Jeunes  Filles. 
et  qui  représente  une  jeune  personne  de  nos 
jours  portant  la  main,  d'un  geste  réfléchi  et 
d'une  itistinctive  élégance,  sur  les  sévères 
ravons  de  sa  bibliothèque. 

Tu  verras  encore  autre  chose  :  des  illustra- 
tions en  grand  nombre,  toutes  pareilles  par 
l'habileté  inouïe  de  la  main,  par  la  richesse 
inventive  qu'elles  dénotent,  —  et  tu  me  remer- 
cieras, bon  badaud,  mon  cher  frère,  de   t'avoir 


Bodinierdans  l'atelier  du  céramiste  Dalpavrat. 
Comment  trouves-tu  cette  fontaine  qu'il  a 
modelée?  n'est-elle  pas  bien  française,  bien 
dix-huitième  siècle  surtout  dans  sa  composition 
et  dans  le  groupement  heureux  de  ses  figures? 
Mais  tout  cela,  bon  ami,  n'est  rien  en  regard 
des  colorations  éclatantes  que  le  caprice  du  feu 
a  semées  en  taches  de  pourpre  ou  de  rubis, 
en  larmes  de  turquoise,  en  coulées  de  saphir 
sur  ses  flancs.  Félicite  l'artiste,  et  passons. 


T'a-t-ondit  que  le  vieux  palais  de  l'Industrie 


p 


Art    c't    Di'coratiou 


se  i.1cmolit,  qu'on  lui  cnlcvi.'  depuis  ijuciqucs 
jours,  une  à  une,  avec  une  dextérité  qui  lient 
de  l'art,  les  fermes  métalliques  de  son  toit. 
Vas-y  voir  :  le  spectacle  en  vaut  la  peine,  bon 
peuple. 

N'omets  pas  surtout,  en  revenant,  de  t'arrè- 
ter  à  la  vitrine  des  journaux.  Tu  y  verras 
reproduite,  de  face  et  de  protil,  la  fa^•ade 
principale  du  futur  Palais  des  Beaux-Arts 
qui  va,  d'ici  trois  ans,  remplacer  le  défunt 
Palais  de  l'Industrie.  Tache  d'en  admirer,  s'il 
se  peut,  l'ordonnance;  demande-toi  ce  que 
donnera,  une  fois  exécutée,  cette  vaste  colon- 
nade coupée  par  le  milieu  d'un  triple  portail 
en  saillie  qui  s'y  raccorde  mal:  demande-toi 
l'effet  que  produiront,  sous  cette  colonnade, 
avec  les  bâtis  de  fer  ou  de  bois  qui  porteront 
leurs  vitres,  les  seize  fenêtres  dont  on  a  percé 
la  muraille;  demande-toi  enfin  si  l'ensemble 
n'a  pas  l'air  d'avoir  été  formé  de  trois  tranches 
sectionnées  dans  des  gâteaux  différents,  et  dis- 
moi,  quand  tu  auras  réfléchi,  ce  que  tu  penses. 
Peut-être  auras-tu  l'idée  que  cette  façade 
longue,  longue,  longue,  basse,  basse,  basse, 
n'a  d'autre  raison  d'être  que  de  mettre  en 
valeur,  par  contraste,  le  petit  palais  son  voisin. 
Tu  ne  te  tromperas  pas  :  elle  fera  ressortir, 
par  la  monotonie  de  ses  lignes  et  par  son  dé- 
faut d'unité,  l'équilibre  du  petit  édifice  et  le 
mouvement  harmonieux  de  sa  façade.  Elle 
jouera  le  rôle  ingrat  de  repoussoir.  M.  Girault 
en  sera-t-il  désolé  ?  Hum!  hum  ! 


Que  se  passe-t-il  à  l'École  des  Beaux-Arts  ? 
Dans  ce  refuge  sacro-saint  des  traditions  aca- 
démiques les  plus  pures,  un  concours  de  tapis 
vient  de  s'ouvrir  entre  les  élèves  architectes. 
Tu  as  bien  entendu?  bon  badaud,  —  un  con- 
cours de  tapis!  A  ces  futurs  prix  de  Rome,  on 
a  demandé  le  dessin  d'une  moquette.  Proli 
pudor! 

Et  sais-tu  ce  qu'il  s'est  présenté  de  concur- 
rents? plus  de  deux  cents! —  Décidément,  mon 
bon  ami,  tout  s'en  va.  Et  l'inquiétant,  c'est  qu'il 
y  avait  des  projets  très  remarquables!  Ce  n'est 
pas  ceux-là,  d'ailleurs,  que  le  jury  a  classés  les 
premiers.  J'en  ai  vu  de  très  bien,  un  entre 
autres  d'un  nommé  Butler,  qui  n't)nt  même  pas 
été  mentionnés.  Cela  me  rassure. 

Je  n'en  reviens  pas,  tout  de  même  :  —  un 
tapis! 

Le  Bad.^ud. 


CONCOURS     D'.WRIL 
rsE  LAS  ri:  RM-:  dasticiiamuri-: 

(^ue  nos  lecteurs  ne  s'étonnent  pas,  après 
avoir  vu.  dans  notre  premier  numéro,  deux  su- 
jets de  concours  intitulés  :  l'un,  concours  de 
janvier,  l'autre  concours  de  février,  de  voir  ici 
le  concours  d'avril.  Il  nous  a  paru  préférable, 
pour  éviter  toute  confusion,  de  les  désigner 
dorénavant  par  le  nom  du  mois  dans  lequel  ils 
seront  remis  et  jugés. 

Nous  avons  pris,  comme  sujet  de  notre  troi- 
sième concours,  une  lanterne  d'antichambre  ou 
de  vestibule,  pouvant  indifféremment  s'adapter 
au  gaz  ou  à  l'électricité. 

Nous  ne  fixons  pas  de  dimensions  aux  con- 
currents. Ils  devront  se  rappeler  que  cette  lan- 
terne, destinée  à  un  vestibule  de  médiocre 
grandeur  ou  à  une  antichambre  dont  la  hauteur 
moyenne  de  plafond  est  de  trois  mètres  à  trois 
métrés  vingt,  ne  saurait  excéder  cinquante  cen- 
timètres en  hauteur.  Il  convient  en  effet  de  se 
rappeler  que  la  lanterne  est  toujours  suspendue 
au  bout  d'un  support  rigide  de  trente  à  qua- 
rante centimètres  de  hauteur. 

La  matière  employée  sera  le  cuivre  ou  le  fer 
forgé,  ou  la  tôle  découpée.  Il  sera  loisible 
aux  concurrents,  pour  donner  à  l'objet  son 
aspect  définitif,  de  recourir  à  des  matières 
transparentes  de  leur  choix,  verres  ou  émaux. 

Les  dessins  présentés  devront  être  au  tiers  de 
l'exécution,  les  détails  à  grandeur  naturelle. 
Ils  seront  accompagnés  d'un  devis  explicatif, 
indiLiuant  la  méthode  à  suivre  pour  arriver  à 
une  fabrication  aussi  rationnelle  et  aussi  peu 
coûteuse  que  possible.  On  sera  tenu  de  fixer 
le  prix  prévu. 

Adresser  les  envois,  avant  le  25  avril,  à  la 
Librairie  Centrale  des  Beaux-Arts,  i?,  rue  La- 
favetle.  Les  concurrents  mentionneront  leur 
nom  et  leur  adresse  dans  une  lettre  cachetée, 
qui  portera  la  devise  inscrite  sur  l'envoi. 

Les  primes  décernées  seront  de  cent  francs 
pour  le  n°  i,  de  cinquante  francs  pour  le  n°  i. 

NOS  PLANCHES  HORS  TEXTE 

Deux  planches  hors  texte  sont  jointes  à  ce 
numéro.  L'une  est  le  panneau  de  cuir  ciselé  dé- 
crit dans  l'article  consacré  à  Victor  Prouvé. 
On  a  reproduit  dans  l'autre  une  délicate  aqua- 
relle, les  Sircncx.  du  maître  ingénieux  et  char- 
mant qui  s'appelle  Boutet  de  Monvel. 


Imp.      de    Vau^irarJ.      G.  de  Malherbe  <V  ('■' 


52.  rue  lie  \'anirirard.  l'ari? 


ÉMM.K   I.IÏVY.  KclUear-gcrtint 


Concours  Rougevin. 


Projet  de  M.  Gutton. 


Art  et  Décoration 


9* 


L.-O.    ROTY 


n  ne  connaît  les 
médailles  deRoty? 
Il  n'y  a  pas  lons^- 
lemps,  il  est  vrai, 
que  le  public,  le 
i^rand  public  ano- 
nyme, auquel,  quoi 
qu'on  puisse  dire, 
doit  toujours  s'a- 
dresser l'âme  des 
grands  artistes,  que  le  public  de  la  foule  et  des  di- 
manches a  eu  les  moyens  de  se  familiariser  avec 
l'art  dejla  médaille.  Qui  pensait  jadis  à  déterrer 
ces  petits  cadres  dans  les  coins  reculés  des  Sa- 
lons, aumilieude  touslesplàtrasépileptiques  de 
jeunes  ou  de  vieilles  demoisellessùresde  l'indul- 
gence éternelle  des  jurys  ?  Pendant  bien  des  an- 
nées, cette  magnifique  renaissance  de  la  médaille 
contemporaine  n'a  eu  pour  témoin  qu'un  milieu 
—  sans  doute  très  enthousiaste  —  mais  aussi 
très  fermé.  On  ne  connaissait  guère  générale- 
ment, en  fait  de  médailles,  que  les  odieuses 
rondelles  de  cuivre  lisse  qu'on  distribuait  aux 
solennités  artistiques, industrielles  ou  agricoles, 
ou,  hélas!  que  les  tristes  et  banales  pièces  de 
monnaie  courante,  avec  leurs  effigies  mornes 
et  découpées,  invariablement  entourées  de  leur 
éternel  grénetis  réglementaire  et  de  leurs  ins- 
criptions typographiques  sèches  et  plates.  Ce 
n'est  que  depuis  six  ou  sept  ans,  grâce  à  la  pro- 
pagande incessante  de  leurs  admirateurs,  et 
surtout  grâce  à  l'exposition  du  Musée  du 
Luxembourg,  que  le  public  a  pu  se  pénétrer  du 
charme  de  cet  art  étroit,  semblait-il  jusqu'alors, 
et  suranné,  que  l'on  croyait  avoir  contraint  de 
tout  dire  et  qui  a  été  si  entièrement  renouvelé 
qu'on  n'en  trouverait  point  de  plus  moderne, 
de  plus  propre  â  exprimer  clairement  et  vive- 
ment la  complexité  extrême  de  nos  aspirations 
et  de  nos  idées. 

Qui  donc  aujourd'hui  ne  connait  les  exquises 
merveilles  de  Roty,  ces  précieuses  petites  ta 
blettes  de  métal  si  vivantes  et  si  émouvantes, 


qui  parlent  avec  tant  d'éloquence  à  nos  senti- 
ments les  plus  hauts  et  les  plus  désintéressés 
les  plus  profonds  et  les  plus  intimes?  Qui  ne 
connait  cette  médaille  commémorative  du 
25»  anniversaire  de  la  fondation  de  la  Répu- 
blique «  Patria  non  immemor  »,  cette  Patrie, 
grave,  sérieuse,  triste,  au  grand  œil  creux  et 
réfléchi,  toujours  en  deuil,  mais  dont  le  revers 
réveille  le  frisson  des  grands  espoirs  avec  son 
coq  qui  chante  dans  l'aurore,  sur  la  terre 
inondée  de  rayons,  éventrée  par  la  charrue? 
Qui  ne  connaît  cette  grande  et  immortelle 
ligure  de  Jeanne,  liée  au  poteau  infâme,  levant 
au  ciel,  dans  les  flammes  du  bûcher,  ses  yeux 
pleins  de  foi,  qui  semblent  répéter  les  paroles 
de  l'exergue  :  «  Ma  mission  était  de  Dieu?  » 
Qui  ne  connait  toutes  ces  nobles  et  touchantes 
allégories  qui  font  vibrer  si  discrètement  et  si 


Etude  pour   la  Peinture. 

profondément  les  fibres  les  plus  sensibles  de 
nos  cœurs  :  la.  Alaternité  pressam  sur  son  sein, 
dans  un  geste  de  tendresse  si  chaude  et  si  ca- 
ressante, le  cher  petit  être  qu'elle  baise  au  front, 

5 


H 


Art  et  Décoration 


la   Jeunesse  offrant    ses  hommages   au    vieux      d'observation     rigoureuse,    d'analvse    métho- 
Chijvveul,  la.  fiancée  de  la  Méiiaille  de  Mariage      dique,     subtile    et     délicate  qui'  ont    contri- 


qui  tend  sa  main  pour  recevoir  l'anneau  du 


.'.■V,-. 


m0 


La  Peinture. 


fiancé,  avec  une  dignité  si  modeste,  si  chaste, 
un  don  si  pur  et  si  entier  de  son  être?  Et  toutes 
ces  figures,  d'une  grâce   infinie,  ces  types  en-      les  caractères  distinctifsqui  justifient  sa  raison 


bué  à  former  celte  magnifique  éclosion 
poétique,  si  séduisante  ei  si  émouvante, 
cette  splendeur  d'art  et  celle  profondeur  de 
pensée. 

Roty,  pourtant,  a  conservé  en  lui  un  fort  ins- 
tinct pédagogique,  l-'ilsd'instituteur, —  il  aime 
à  le  dire  —  il  rêve  complaisammeni  pour  les 
jours  de  l'epos,  très  éloignés  encore  heureuse- 
ment, un  enseignement  avec  lequel  il  for- 
mera des  élèves  suivant  ses  principes,  il  faut 
l'avoir  entendu  s'expliquer  sur  quelque  parti- 
cularité de  son  art  pour  comprendre  à  quel 
point  ce  jugement  est  exact.  Toutes  les  modifi- 
cations profondes  qu'il  a  apportées  à  la  mé- 
daille sont,  en  effet,  nées  d'un  examen  attentif, 
d'un  raisonnement  réHéchi,  d'une  volonté 
déterminée.  Si  l'on  considère  les  différences 
qui  séparent  la  moindre  de  ses  médailles  de 
celles  de  l'un  de  ses  devanciers,  on  peut  voir 
quelles  ti'anslbrmaiions  radicales  il  a  opérées. 
11  semble  que,  tenant  en  main  une  de  ces 
médailles,  et  frappé  de  l'oubli  dans  lequel  on 
était  tombé  des  conditions  du  svmbole  et  des 
lois  les  plus  élémentaires  du  décor,  il  se  soit 
proposé  de  renouveler  son  art  sous  tous  ses 
aspects  en  décomposant  tous  les  éléments  qui 
le  constituent  pour  leur  appliquer  les  règles 
d'une  logique  plus  rigoureuse  qui  devait  y 
faire  pénétrer  l'art  et  la  vie. 

Il  parait  s'être  d'abord  demandé  :  «  Qu'est- 
ce  qu'une  médaille  ?  Quel  est  son  rôle,  sa 
signification  spéciale  dans  l'ensemble  des  arts, 


d'être,  à  coté  d'arts  plus  importants  par  leurs 
dimensions  et  qui  accaparent  plus  facilement 
l'attention  des  sens  par  des  moyens  plus  actifs 
et  plus  immédiats?  »  Sa  matière  qui  nous  donne 
l'illusion  d'images  ineffaçables  et  de  souvenirs 


chanteurs  de  jeunes  femmes  d'une  beauté  parti- 
culière qui  les  fait  toutes  parentes,  d'une  gravité 
simple,  d'une  élégance  sérieuse  et  réservée, 
ayant  toutes,  dans  leur  attitude  calme  et  leurs 
gestes  rythmés,  je  ne  sais  quoi  de  noble,  de 
chaste,  de  fier  et  de  virginal.  Il  s'en  exhale 
un  parfum  très  frais  de  nature,   uni  a   un 

souvenir  lointain  et  suave  des  plus  beaux  ,  ' 

ù  - 
exemples  de  l'antiquité.  f^i 

Ce  charme  opère  si  instantanément,  avec  (îl^'^ 
une  telle  puissance,  qu'on  a  l'impression,  '-'^ 
devant  cet  ensemble  si  riche  et  si  varié,  si 
imprévu  et  si  nouveau,  d'être  en  contem- 
plation devant  l'œuvre  d'un  génie  ardent  '''^r' 
et  spontané,  à  l'imagination  active  et  tou- 
jours mouvante,  produisant  sous  l'em- 
pire de  l'inspiration  et  de  l'entrainemeni.  qui  se  perpétueraient  à  jamais,  sa  petitesse  et 
On  ne  perçoit  pas  au  premier  abord  toute  la  sa  faculté  de  se  multiplier  à  l'infini  qui  sem- 
science,     la     réflexion,      la    logique,    l'esprit      blent   la   mettre  à  l'abri  des  temps,  cette   exi- 


y^'i 


'0 


La   Matcrnilé. 


L    O.    Koty 


}S 


guité  même  qui,  plaçant  sous  le  regard  ie 
sujet  tout  entier  dans  ses  détails  comme  dans 
son  ensemble,  exige  des  formes  impeccables, 


^f<|i-%/? 


?'% 


'i 


I..2    l'ic'r^t'  protectrice   de    l'EiifLince. 

un  travail  précieux  et  tini,  et  la  rend  com- 
préhensible à  travers  les  variations  des  sociétés, 
toutes  ces  raisons  dictaient  son  r(Me  h  la  mé- 
daille. 

Aussi,  la  première  pensée  qui  soit  venue  à 
son  esprit  de  songeur  et  de  poète,  c'est 
que  la  médaille  a  cet  avantage  sur  les  autres 
arts,  qu'elle  ne  peut  guère  exister  par  elle- 
même ,  qu'elle  ne  peut  guère  se  passer 
d'un  but,  d'une  signification.  C'est,  en  effet, 
un  art  pratique  et  symbolique,  un  art  d'en- 
seignement et  de  sentiment.  Elle  a  pour 
mission  la  conservation  des  souvenirs  les 
plus  sacrés,  la  consécration  des  plus  gran- 
des gloires,  des  plus  hautes  ou  des  plus  tou- 
chantes récompenses.  Il  faut  donc  que,  dans 
un  étroit  espace,  avec  des  moyens  très  limi- 
tés, elle  résume 
et  synthétise 
clairement  et 
fortement  les 
idées  qu'elle  est 
chargée  d'expri- 
mer. Il  faut  donc 
ne  rien  laisser 
d'i  nd  i  tfére  nt 
dans  toutes  les 
parties  qui  la 
composent. 

Stimulé  par 
l'exemple  de  ses 
prédécesseurs 

plus  immédiats,  des  premiers  maîtres  qui  ont 
eu  conscience  de  la  rénovation  nécessaire  de 
cet  art,  Chapu  et  Degeorge,  MM.  Ponscarme 


et  Chaplain.  Roty  a  donc  analvsé  tous  les 
éléments  constitutifs  de  la  médaille  :  la  forme 
et  la  matière,  les  emblèmes  et  la  lettre,  les  figu- 
res et  le  fond,  accusant  la  signifi- 
cation précise  de  chaque  partie,  le 
rôle  de  la  face  et  celui  du  revers, 
s'attachant  jusqu'à  la  rédaction 
de  ses  légendes. 

Tout  d'abord,  il  a  senti  combien 
le  champ  de  la  médaille  était  jus- 
qu'alors limité.  Restreint  conven- 
tionnellement,  par  habitude  et 
par  indifférence,  à  la  commémo- 
ration des  événements  importants 
de  la  vie  publique  ou  à  la  consé- 
cration des  récompenses  offi- 
cielles, cet  art  ne  pouvait-il  se 
prêter  parfois  à  des  manifestations 
moins  augustes;  ne  pouvait-il  se 
détourner,  par  instant,  de  la  vie  générale  et 
impersonnelle  des  peuples  pour  raconter  les 
événements  mémorables  de  l'histoire  des 
hommes  et  suivre  les  individus  à  travers  les 
actes  principaux  de  leur  vie  privée? 

La  réponse  à  cette  question  fut  bientôt  trou- 
vée. Nous  voyons  l'art  de  la  médaille  gagner 
peu  à  peu  l'existence  semi-officielle  des  corpora- 
tions et  des  groupes,  des  sociétés  académiques, 
littéraires  et  scientifiques,  des  associations 
industrielles,  commerciales  ou  sportives.  Les 
unes  le  chargent  de  conserver  la  date  de  l'inau- 
guration d'un  chemin  de  fer,  d'un  canal,  d'une 
usine,  les  autres  de  rappeler  leur  passé  en 
célébrant  le  centenaire  ou  le  cinquantenaire 
d'une  fondation;  d'autres  lui  réclament  des 
formes  de  récompense  ou  des  témoignages  de 


'^ÊMctSMi 


V:.±,..\N    LAKQR E    P V I  É S    ''■'^ 


L'Etude. 

gratitude  pour  des  services  rendus;  d'autres 
enfin  tiennent  à  imprimer  leur  caractère  sur 
des  jetons  personnels.  Et  nous  avons  alors  ces 


y 


Art  et  Décoration 


admirables  médailles  ou  plaquettes  de  la  Créa- 
tion des  Chemins  de  fer  de  l'Est  algérien,  de  la 
Compagnie  du  canal  de  Sue\,  des  Chambres 
de  Commerce  de  Paris  et  de  Lyon,  de  l'An- 
cienne Mutuelle  de  Rouen;  la  plaquette  de 
récompense  de  l'Académie  de  Lyon;  la  pla- 
quette commémorative  du  cinquantenaire  de  la 
maison  Christofle  ;  les  jetons  du  Jockey-Club 


qui  renforcent  les  liens  qui  unissent  les  géné- 
rations. Il  couronnera  une  carrière  de  savant 
ou  d'artiste,  honorera  une  vie  de  travaux  ou 
de  probité  et  se  mêlera  désormais  si  étroite- 
ment à  tous  les  actes  les  plus  familiers  de  la 
vie,  que  parfois  même  on  le  verra  se  prêter 
complaisamment  au  caprice  d'un  industriel 
intelligent,  qui  l'applique  à  répandre  la  renom- 


Étude  de  mains  pour  la  Médaille  de  Mariage. 


de  Buenos-Ayres  et  de  la  Chambre  de  Com- 
merce de  Saint-Na\aire,  etc.,  etc.,  qui  gardent, 
toutes,  dans  la  solennité  de  leurs  hommages 
ou  dans  la  gravité  de  leurs  souvenirs,  un  certain 
accent  plus  libre  et  plus  familier. 

De  l'existence  collective  des  sociétés  et  des 
groupes,  l'art  de  Roty  pénètre  bientôt  plus 
avant  dans  les  manifestations  intimes  de  la  vie 
des  individus,  il  s'installe  librement  jusque 
dans  le  cercle  étroit  du  foyer.  Il  veut  conser- 
ver à  la  piété  des  enfants,  des  amis,  des  admi- 
rateurs ou  des  disciples  les  traits  des  parents, 
des  amis  ou  des  maîtres.  Il  veut  que,  grâce  à 
lui,  soit  à  jamais  fixée  la  date  des  événements 
notables  de  la  famille  :  naissances  et  baptêmes, 
mariages,  noces  d'argent,  noces  d'or,  consti- 
tuant comme  des  sortes  d'archives  familiales 


mée  de  ses  produits,  ou  à  la  fantaisie  de  Mécènes 
éclairés  qui  désirent  conserver  dans  la  mémoire 
de  leurs  convives  le  souvenir  éphémère  d'une 
heure  passée  autour  d'une  table  richement 
servie. 

C'est  à  ce  culte  pieux  de  la  famille  et  de 
l'amitié  que  nous  devons  plusieurs  des  chefs- 
d'iEuvre  les  plus  illustres  du  maître;  c'est  par 
sa  propre  famille  qu'il  a  donné  l'exemple,  fixant 
en  traits  inoubliables  les  images  de  ses  parents, 
de  sa  femme,  de  ses  beaux-parents,  de  son 
fils,  de  plusieurs  de  ses  amis.  A  cette  série 
appartiennent  les  plaquettes  anniversaires 
des  ménages  Bigo-Danel,  Aynard,  Ch.  Eug. 
Simon,  la  Jeunesse  portant  ses  hommages  au 
centenaire  Chevrcul,  la  Médaille  offerte  à 
Pasteur  pour  ses  soixante-dix  ans;  médailles 


L.   O.   T{pty 


M 


offertes  à  M.  Gosselin,  à  M.  Ad.  Hirn,  etc.;  cette 
ii\<\\.\\iQ  Médaille  de  Mariage  et  cette  touchante 
iV/rt.'er«?7t^  frappée,  à  l'orii^ine,  pour  le  baptême 
de  son  second  tils;  et  le  beau  menu  d'une  si 
grande  tournure,  la  Prcfcctiire  de  police,  pour 
un  diner  oft'ert  par  M.  Lozé;  et  la  plaquette  de 
Mariani  avec  sa  nvni- 
phe  ranimant  le  jeune 
Eros,  d'une  goutte  de 
vin  de  coca. 

Ne  pouvait-on  crain- 
dre, cependant,  que 
la  médaille  ne  perdît 
un  peu  de  son  pres- 
tige à  descendre  de  son 
rôle  exclusif  d'organi- 
satrice des  apothéoses 
dans  lequel  elle  s'était 
primitivement  canton- 
née, pour  accepter  de 
se  mettre  au  service 
d'intérêts  si  étroits  et 
si  particuliers  ?  N'y 
avait-il  pas  lieu  de  se 
demander  en  même 
temps  si  cette  forme 
traditionnelle  des 
grandes  consécrations 
n'était  point  faite  pour 
donnera  la  commémo- 
ration d'événements 
souvent  très  intimes 
un  caractère  de  solen- 
nité exagérée?  Frap- 
pé de  ces  considéra- 
tions, Roty  avait  es- 
sayé déjà  par  une  cer- 
taine liberté  de  com- 
position, une  certaine 
fantaisie  du  décor, 
d'atténuer  la  sévérité 
de  la  médaille.  Il  rom- 
pait les  symétries  tra- 
ditionnelles des  grou- 
pes ou  des  figures,  ou 
bien  disposait  sa  lettre 
et  ses  emblèmes  avec 

un  aspect  plus  imprévu  et  plus  familier;  mais 
cette  forme  même  de  la  circonférence  qui  est  la 
régularité  parfaite,  la  symétrie  idéale,  a  par 
soi-même  un  caractère  de  majesté  et  de  solen- 
nité qui  s'impose  au  sujet.  C'est  cette  réflexion 
qui  porta  Roty  à  chercher  des  formes  plus 
familières  et  à  retrouver,  on  dirait  presque  à 


Etude  pour  la    \'iergc  protectrice  de  l'Enfance 


créer,  la  plaquette.  C'est  alors  qu'apparaissent 
ces  petits  rectangles  allongés,  en  largeur  ou  en 
hauteur,  parfois  même  de  forme  presque  carrée, 
et  cintrés,  dans  ce  cas,  à  la  partie  supérieure, 
qu'ont  rendus  célèbres  les  portraits  de  ses 
parents  et  de  ses  beaux-parents,  de  Duplessis,  de 
Hirn, de  Cîosselin  et  de 
Pasteur,  du  cinquan- 
tenaire de  la  Maison 
Christofle,  de  l'Etude, 
etc.,  etc.;  ou  bien  cette 
médaille  de  la  Vierge, 
de  forme  ellipsoïde  ou 
bien  ces  jetons  de  for- 
me polygonale,  qu'il 
frappe  pour  le  Joc- 
key-Club de  Buenos- 
Ayres  et  pour  la  Cham- 
bre de  Commerce  de 
Saint-Nazaire. 

La  médaille  prenait 
ainsi  une  variété  d'ex- 
pression qui  corres- 
pondait à  la  variété 
de  ses  nécessités  nou- 
velles. 

Il  fallait,  en  même 
temps,  accroître  en- 
core ces  moyens  d'ex- 
pression, accusés  déjà 
par  la  forme,  en  don- 
nant un  rôle  déter- 
miné aux  deux  faces 
de  la  médaille. 

Avait-on  oublié, 
dans  la  décadence  si 
complète  de  cet  art, 
le  rôle  distinctif  de 
l'avers  et  du  revers 
et  l'importance  qu'a- 
vaient su  donner  à 
cette  face  postérieure 
les  grands  artistes  flo- 
rentins de  la  Renais- 
sance ou  nos  beaux 
médailleurs  français 
du  xvi"  et  du  xvii^  siè- 
cles et  même  de  la  fin  du  xviiie  siècle?  Depuis 
le  commencement  du  nôtre,  le  sujet  s'expli- 
quait comme  il  pouvait,  sur  la  face,  tandis  que 
sur  le  revers,  entièrement  sacrifié,  s'étalait 
plus  ou  moins  gauchement  et  symétriquement 
tout  un  vieux  bazar  d'emblèmes  surannés.  Le 
«  revers  de  la  médaille   »  justifiait   tristement 


)« 


Art  et  Décoration 


le  sens   défavorable  de  la  locution  populaire.      ou  de  parents,  caractérisés  avec  précision  par 

Poussant  toujours  plus  loin  la  logiquedc  son      leurs  revers  significatifs,  qui  portent,  avec  les 

analyse   rigoureuse,  Roty  ne  veut  pas  laisser      dates  instructives  de  leur  biographie,  l'indica- 


cette  partie  essentielle 
muette  ou  effacée.  Si 
le  revers  doit  rester 
discrètement  au  se- 
cond plan,  laissant  à 
l'avers  le  soin  d'ex- 
poser  le  sujet  dans  sa 
force,  dans  son  unité 
et  dans  sa  simplicité,  il 
a.  quant  à  lui,  pour 
devoir  d'intervenir 
pour  développer  ce 
thème  en  insistant  sur 
le  sujet,  soit  en  le  com- 
mentant, soit  en  le 
précisant  sur  un  point 
spécial. 

Aussi  Roty  a-t-il  pu 
trouver  des  rivaux 
dans  le  portrait;  il  n'a 
point  rencontré  d'é- 
gaux dans  la  compo- 
sition des  revers.  C'est 
là  qu'il  a  donné  libre 
essor    à     toute     cette 


Portrait  de  Mademoiselle   Taine. 


tion  concrète  etprécise 
de  leur  profession  ou 
de  leurs  goûts,  de  leurs 
talents  ou  de  leurs 
vertus.  Tantôt  c'est  la 
Chirurgie  qui  réflé- 
chit dans  le  silence  de 
l'étude  au  pied  d'un 
cadavre  couché, sur  le 
revers  du  professeur 
Gosselin;  tantôt  c'est 
la  Gravure,  feuilletant 
des  estampes,  pour  ac- 
compagner la  figure  de 
M.  Duplessis.  La  Gé- 
nérosité vide  sa  corne 
d'abondance  en  mé- 
moire de  Mme  Bouci- 
caut;  la  Jeunesse  fran- 
çaise vient  porter,  dans 
sa  fraîcheur  et  son  in- 
génuité, son  hommage 
respectueux  et  tou- 
chant au  doyen  des 
étudiants,  à  Chevreul, 


imagination  si  originale,  à  la  fois  si  poétique  dont  le  visage  tout  ridé  de  centenaire  s'épa- 
et  si  précise,  si  suggestive  et  pourtant  si  con-  nouit  avec  bonhomie  et  malice  sur  la  face, 
crête.  Examinez  tous  ces  revers,  vous  verrez  Ici,  la  vaccine  des  moutons  et  des  poules 
avec  quelle  éloquence  nouvelle,  avec  quel  tact  précise  les  travaux  du  professeur  Bouley,  pré- 
parfait, avec  quel  esprit  ou  quel  sentiment,  sident  de  l'Académie  des  Sciences;  là,  la  Pi-c- 
quelle  simplicité  et  quelle  clarté,  il  reprend  le  fecture  de  police  «  regarde,  écoute,  veille  » 
sujet  de  la  face  en  de  merveilleux  petits  tableaux  derrière    l'aimable    figure  de    M.   Lozé,   rem- 


caracteristi- 
ques,  intéres- 
sants, touchants 
et  parfois  même 
pathétiques,  ou 
simplement  au 
moyen  d'emblè- 
mes rajeunis  qui 
parlent  un  lan- 
gage symboli- 
que ingénieux  et 
limpide. 

Voyez  ses  por- 
traits; ils  vont 
transmettre  à  la 
postérité,  parces 
images  ineffaçables,  répandues    à    profusion,      réunis  par 


^^ 


Médaille  eniniiiàinoratn'e 

le  la  erèatiiin  de  rKiiseij^iieiiieiit  seeandaire 

des  jeunes  filles. 


placée  plus  tard 
par  1  '  é  n  o  n  c  é 
d'un  menu  d'em- 
pereur de  la  dé- 
cadence. 

Là,  pour  la 
plaquette  com- 
mémoratived'un 
anniversaire  de 
mariage,  où  les 
deux  époux  sont 
accotés  sur  la 
face,  le  revers 
ingénieux  pré- 
sente soii  deux 
troncs  de  hêtres 
es    embrassements  du    lierre,  soit 


les  traits  de  grands  hommes,   de   savants   ou      un  arbre  généalogique  qui,  de  ses  deux  bran- 
d'artisies,  ou  simplement   d'amateurs,  d'amis      ches  noueuses   et  fortes,  crée  totue  ime  active 


L.   O.   Roty 


)9 


végétation     de     nombreux    et     robustes     ra- 
meaux. 

Pour  le  chemin  de  fer  d'Alger  à  Constaniine, 
c'est  la  Fortune  qui  répand  ses  trésors  sur  eeiie 
nouvelle  voie;  poui'  la  maison  pénitentiaire 
d'Auberive,  un  tableau  exquis  d'intimité  nous 
montre    dans   im    j^ai    pavsage    le   travail    des 


l-'.tndc  d'apj'cs  tuiliiiw 

jeunes  tilles  placées  sous  la  pirotection  de  la 
Loi,  offrant,  pour  le  personnel  destiné  à  la 
porter,  comme  un  enseignement  moralisateur. 
Voici  le  Club  .\lpin  :  sur  la  face,  au-dessous  de 
la  devise  per  ardiia,  un  alpiniste  contemple 
le  but  que  devront  atteindre  sa  persévérance  et 
son  courage  ;  sur  le  revers,  le  Génie  char- 
mant des  sommets,  assis  sur  les  neiges  encore 
vierges,  tend  au  hardi  et  triomphant  explora- 
teur la  fleur  des  montagnes,  Fedelweiss  sym- 
bolique. 


N'oici  encore  le  revers  si  intelligent  et  si 
expressif  de  la  médaille  commémoraiive  de  la 
création  de  l'Enseignement  secondaire  des 
jeunes  tilles,  qui  caractérise  si  simplement  ctsi 
clairemein  l'enseignement  que  la  République 
distribue,  sur  la  idcc.  aux  \iei'ges,  "  futures 
mères  des  hommes  "  :  un  livre  ouvert  dans  une 
corbeille  de  laine  où  sont  piquées  des  aiguilles 
à  tricoter. 

Par  une  délicate  flatterie,  il  dissimule  sous 
im  buisson  de  roses  l'âge  de  Pasteur,  et  il 
accompagne  avec  une  ingéniosité  charmante 
celui  de  son  jeune  hls  Maurice  d'une  branche 
fleurie  dont  les  premiers  boutons  commencent 
à  s'ouvrir. 

Car  il  adore  les  fleurs.  Au  milieu  de  tous 
ses  emblèmes,  cette  langue  hiéroglyphique 
qu'il  a  entièrement  rajeunie  en  remplaçant  tous 
les  termes  usés  et  surannés  par  des  locutions 
nouvelles,  compréhensibles  de  tous,  où  vous 
ne  trouvez  plus  de  glaives,  de  balances,  de 
ballots  ficelés,  de  caducées,  de  roues  à  engre- 
nage, de  foudres,  ni  d'enclumes,  etc.,  etc.  ;  mais 
des  épées,  des  téléphones,  des  lampes  qui  ont 
un  abat-jour,  etc.,  etc.,  la  fleur  joue  un  rôle 
très  grand  dans  les  médailles  de  Roty,  soit  en 
palmes  élégamment  jetées  en  travers  des  car- 
touches, soit  en  touffes  de  roses,  en  rameaux 
de  lauriers,  en  couronnes  d'églantines,  de  pri- 
mevères ou  de  coca  pour  le  vin  Marianii,  soit 
en  violettes  négligemment  jetées  portrait  de 
Mademoiselle  Taine  . 

C'est  que  la  médaille  n'est  point,  comme  on 
pourrait  croire,  un  art  de  sculpteur;  c'est  bien 
plutôt  un  art  de  peintre.  Ce  sont  des  peintres 
qui  l'ont  créée 
en  Toscane  au 
xv'siecle, d'après 
des  principespit- 
toresques.  Rotv 
est  un  peintre  et 
il  le  reconnaît  ; 
aussi  cette  force 
expressive  qu'il 
veut  faire  don- 
ner à  la  signih- 
cation  des  acces- 
soires, il  se  sert 
d'éléments  pit- 
toresques pour 
l'obtenir.   S'il 


_  / 


^1 '! 


h- 


H  L'j.'^K  IJL   ■   L  i_  ' 


La  Préfecture  de  Police. 


aime  les  fleurs,  il  adore  aussi  les  paysages: 
il  met  partout  des  arbres  ;  les  grands  pano- 
ramas de  montagnes    ou    de    fleuves   ne   l'ef- 


40 


Art  et   Décoration 


fraient  point.  Il  se  plait  également  à  ce  qu'on  tofle,  etc.,)  ou  ces  beaux  panoramas  des  Cham- 
pourrait  appeler  les paysagesd'intérieur,  àl'cm-  bres  de  Commerce  de  Paris,  de  Rouen  ou  de 
ploi  de  tout  notre  décor  de  mobilier  moderne  Lyon,  ces  paysages  de  montagnes  ou  de  prai- 
qui,  sous  sa  main  de  grand  artiste  généralisa-  ries  boisées  de  VEtiide,  du  Club  Alpin,  ces 
leur,  perd  son  caractère  particulier,  son  aspect  architectures  en  perspective,  etc.,  etc.,  que 
qui  date  ;  car  il  ne  se  sert  plus,  de   même,   de      Roty  relie  ses  figures  à  ses  fonds,  qui  désor. 

mais  jouent  aussi  leur  rôle  harmonieux 
dans  cette  orchestration  de  tous  les  élé- 
ments constitutifs  de  la  médaille. 

Depuis  le  portrait  de  Naudin  par 
Ponscarme,  les  fonds  commençaient 
déjà  à  perdre  cet  aspect  de  chocolat 
glacé  sur  lequel  se  découpaient  les 
ligures.  Mais  tous  ces  spectacles  pitto- 


Étttde  pour  la  plaquette  commémorative  de  Carnot. 

trépieds  ni  de  chaises  curules,  ni  de  tout  ce 
mobilier  conventionnel  de  théâtre  antique  qui 
donne  à  tous  les  ouvrages  de  l'époque  anté- 
rieure un  air  de  douloureuse  parenté,  mais  du 
mobilier  de  notre  temps,  traité  avec  simpli- 
cité et  élégance,  et  présenté  dans  des  illusions 
de  perspective  d'une  incroyable  habileté. 

C'est  avec  ces  vues  d'intérieurs  (la  Préfec- 
ture de  police,   Chevreul,  plaquette  de  Chris- 


\. 


~fl 


V 


l  LHvn'ANiTE:-       "^rH 

f—-  Zji^ 


Pasteur. 

Plaquette   ojferte  à    Pasteur 

pour  l'anniversaire  de  ses  yo  ans. 


resques ,  cette    vie    ardente    et    active 
dans   son   calme    et    dans   sa    sérénité 
viennent  animer  la  médaille,  la  rendent 
instructive,  attrayante,  pleine  de  décou- 
vertes pour  le  regard  et  pour  la  pensée. 
Les  progrès  de  la  réduction  à  la  ma- 
chine et  de  la  frappe  ont  évidemment 
conduit  Roty  à  prendre  dans  son  travail 
une  liberté   et  une  aisance  que  l'exécu- 
tion directe  du  coin  ne  permettait  pas  jadis. 
La  médaille  y  a  peut-être  perdu  certaines  qua- 
lités de  simplicité  synthétique  et  il  y  a  peut- 
être  quelque  danger,   entre  des  mains  moins 
sûres  et  moins  constamment  préoccupées  des 
conditions  de  cet  art,  dans  ces  représentations 
pittoresques  qui  peuvent  le  faire  tomber  dans 
le  maniérisme  gracieux  des  petits  effets,  qu'il 
ne. peut   supporter   par    nature.   Mais   il   taut 


L    O.   Roty. 


41 


savoir  profiter  de  tous  les  progrès  en  sachant 
éviter  d'être  entraîné  trop  loin,  et  Roty  s'est 
prudemment  gardé  d'encourir  ce  reproche. 

Il  n'est  donc  pas  un  seul  des  éléments  de 
forme  ou  de  décor  qui  entrent  dans  la  com- 
position de  la  médaille,  dont  Roty  ne  se 
soit  servi  pour  aug- 
menter et  renforcer 
ses  movens  d'expres- 
sion. Il  n'est  pas  jus- 
qu'à la  lettre,  au- 
trefois abandonnée 
par  le  graveur  et 
obtenue,  on  peut  dire, 
tvpographiquement, 
qu'il  n'ait  employée 
avec  ingéniosité  et  in- 
telligence dans  un 
sens  décoratif  ou  ex- 
pressif. Il  est  inutile 
de  rappeler  l'aspect 
solennel  ou  familier, 
sévère  ou  fantaisiste 
qu'elle  prend  dans 
ses  médailles  de  l'Est 
.algérien,  deM"''Bou- 
cicaut,  de  l'Enseigne- 
ment secondaire  des 
.Teunes  Filles,  où  elle 
empiète  sur  tous  les 
coins  de  libre,  de 
la  Maternité  où  elle 
s'étale  en  auréole, 
fournissant  par  sa 
forme  même,  son 
accumulation,  sa  dis- 
position symétrique 
ou  capricieuse  ,  les 
effets  les  plus  origi- 
naux et  les  plus  im- 
prévus. 

Il  n'est  pas  jus- 
qu'aux draperies 
auxquelles  Roty 
n'ait  donné  une 
grâce     exquise     ou 

une  suprême  éloquence.  Constatant  que 
le  nu  ne  pouvait  être  d'une  application 
facile  dans  la  médaille,  parce  qu'il  y  parait 
maigre,  qu'il  garnit  insuffisamment  les  fonds, 
il  a  senti  que  la  draperie,  devenue  indis- 
pensable, pourrait  ajouter  de  la  gravité,  du 
charme  ou  du  pathétique.  Au  début,  comme 
dans  la  médaille  de  l'Est  Algérien,  elle  hésite 


encore;  son  caractère  est  encore  incertain,  mal 
défini.  Mais  bientôt,  depuis  la  Gravure  jusqu'à 
la  Maternité,  à  la  médaille  de  Mariage,  au 
projet  de  la  médaille  cunimcmorative  de  la 
mort  de  Carnot,  dont  nous  donnons  un  des- 
sin ici,  la  draperie  de  Roty  se  reconnaît  à  pre- 


■\ 


.  .  VyffM^.i£ 


Etude  d'après  nature. 

mière  vue,  par  son  élégance  fière,  son  aisance 
et  son  naturel,  et  en  particulier  par  son  sens 
expressif  qui  vient  ajouter  à  la  signification 
des  figures. 

Nous  ne  disons  rien  de  ses  légendes  qu'il 
s'est  appliqué  à  rendre  concises,  claires  et  sug- 
gestives (plusieurs,  en  latin,  ont  été  traduites 
par  des  amis;  les  meilleures  sont  de  lui),  ni  de 

6 


42 


Art  et  Décoration 


la  matière,  qu'il  a  icnu  à  avoir  parfaite.  I''our 
les  médailles  frappées,  il  aime  surtout  l'ar- 
gent  ou    le   bronze   argenté,    car   les   patines. 


Plaquette  commcmiiratirc 
du  cinquauticiuc  anniversaire  de   la  maison    C.liristiïfle. 


naturelle  ou  artificielle,  agissent  lentement  ou 
difficilement  sur  les  molécules  du  métal  vio- 
lemment tassé  par  le  balancier.  Quant  aux 
fontes,  pour  lesquelles  il  s'est  montré  très 
exigeant,  il  les  a  revêtues  de  belles  patines 
brun  clair,  un  peu  olivâtre,  qui  rappellent 
les  tons  riches  et  profonds  des  bi'onzes 
japonais,  ou  d'un  brun  noii-  et  grave  qui  fait 
penser  aux  belles  épreuves  de  la  Renaissance 
italienne. 

Pour    achever    de    carac-       ; 
tériser   son    ctuvre,    il    fau-       î 
drait    dire   un    mot    de    ses      ; 
figures.    On    n'a   rien  à  ap-       |; 
prendre     sur     leur     grâce, 
leur    élégance    et    leur    no-      i 
blesse.    Ce    type    chaste    et 
fier,  doux  et   pensif  qui   se 
rencontre    dans    tout     son 
œuvre,    est    inoubliable;   il       I 
en    a   trouvé    les    éléments      ] 
tout  près  de   lui,   dans  des                 -^ 
traits  chers,  qu'il  a  immor- 
talisés   en    un    de  ses    plus 
beaux  portraits.  

Mais    ce  qui  est  intéres- 
sant   et    instructif   à   cons- 
tater chez  ce  penseur  et  ce 
visionnaire    qui    occupe    aujourd'hui    une    si 
grande    place    dans  notre    art,   c'est   que    ces 
rigures  qui  réalisent  les  caractères  les  plus  purs 


à  remplir  cet  idéal  complet  de  forme, 
d'expression  et  de  vie,  par  le  culte  très  fer- 
vent et  très  étroit  de  la  nature. 

Tout  le  début  de  la  car- 
rière de  Roty  est,  en  effet, 
curieux  à  étudier  à  ce  point 
de  vue.  Ses  premières  mé- 
dailles dénotent  une  recher- 
che passionnée  de  la  vie  et 
même  un  souci  très  mar- 
qué du  mouvement  —  qui 
disparait,  d'ailleurs,  bien- 
tôt, pour  faire  place  à  des 
gestes  plus  calmes,  plus 
rvthmés,  plus  conformes 
au  rôle  de  la  médaille. 
Dans  son  fond  de  coupe 
Faune  et  Faitnesse.  dans  la 
Médaille  de  F  Est  Algé- 
rien, dans  celle  de  VKxposi- 
tiou  d'électricité,  et  dans  les 
innombrables  dessins  si  soi- 
gnés, si  scrupuleusement  étudiés  de  cette 
époque  que  l'on  commence  à  arracher  de  ses 
cartons,  ses  personnages  s'agitent,  s'embras- 
sent, tournent,  s'envolent  avec  un  besoin  de 
vie  et  de  mouvement  qui  disparaîtra  bientôt 
de  son  leuvre. 

¥a\  même  temps,  leurs  formes  plus  allongées 
n'ont  pas  encore  atteint  la  distinction  suprême 
de  son  tvpe  consacré;  ils  gardent,  dans  cette 


-NA.Ni-/  II-  >.iùl 


^?5:^- 


de    la  beauté,   sont   arrivées    progressivement 


Revers  de  la  plaquette   ci-dessus. 

préoccupation  de  la  vie,  la  recherche  des  sen- 
sations même  de  la  chair,  un  certain  accent 
naturaliste  qui  étonne  les  yeux  habitués  exclu- 
sivement aux  productions  des  dernières  années. 


L.    O.   %ny. 


4} 


Mais  c'est  déjà  l'époque  1885-1887  decesad-  poète  la  conscience  et  la  probité  inaltérable 
mirables  portraits,  si  nerveux,  si  fermes  et  si  d'un  vrai  artiste,  l'étude  continuelle,  la  volonté 
vivants,  qui  s'affineront  encore  plus  tard  dans      patiente  et  tenace,  la  réflexion  assidue  qui  lont 


\- 


L'Observation.  —  Etude  pour  la  inéiiaiUe  du  ^JllSCC  Social. 

des  saillies  à   peine  indiquées,  par  des   plans  les  œuvres  durables,  il  arrive  par  une  progres- 

d'uneextrémetînesse,  avecdesprotilsnetsetdéli-  sion  rapide  à  créer  une  de  ces  œuvres  rares  qui 

cats,  une  acuité  de  vie  et  de  physionomie  qu'on  sont  une   des   manifestations  les  plus  impec- 

ne  peut  dépasser.  C'est  à  ce  nn)ment  que  joi-  cables  de  l'idée  du  Beau  et  atteii^nent  en  même 

gnant  à  la  vision  intérieure  d'un  penseur  et  d'im  temps  le  cœur  des  toules. 

Léonce  Bénédite. 


Couronnement   de  peigne. 


Les  Industries  d'art  au  Salon  de  la  Libre  Esthétique 


o^ 


E  Salon  de  la  Libre 
Esthétique  concen- 
tre chaque  année,  en 
unesectionspéciale, 
le  mouvement  des 
Industries  d'art.  Et 
non  seulement  les 
artistes  belges  les 
plus  compréhensifs 
ont  à  cœur  d'v  ex- 
poser leurs  créations,  mais  la  France,  l'An- 
gleterre, l'Allemagne,  tous  les  pays  où  sonne 
le  réveil  des  arts  mineurs  v  sont  représentés 
par  des  œuvres  de  choix,  hospitalièrement 
reçues  et  groupées  d'une  manière  pittoresque. 
C'est  la  Libre  Esthétique  qui,  la  première, 
croyons-nous,  imagina  d'exposer  un  ensemble 
complet  d'ameublement  conçu  selon  une  esthé- 
tique rationnelle.  M.  Serrurier-Bovy,  puis 
M.  Henry  Van  de  Velde  composèrent  pour 
elle,  en  ces  dernières  années,  des  appartements 
meublés  et  décorés  avec  une  entente  particu- 
lière des  formes  et  de  l'orne- 
mentation qui  frappa  vivement 
les  visiteurs.  Cette  fois,  c'est 
M.  Victor  Horta,  un  architecte 
de  sérieuse  valeur  auquel  M.  Thié- 
bault-Sisson  consacrait  récem- 
ment, en  cette  même  revue,  une 
étude  détaillée,  qui  occupe  la  place 
d'honneur  de  la  section  des  In- 
dustries d'art.  Il  expose  une  salle 
à  manger  complète  :  cheminée, 
buffet,  lambris,  portes,  table, chai- 
ses, lustre  électrique,  tapis,  dont 
l'ensemble,  d'un  coloris  général 
ambré,  est  d'un  effet  harmonieux 
et  chatoyant.  M.  Horta  a  pris 
comme  point  de  départ  de  la  déco- 
ration de  cette  salledesmotifs  tirés 
de  la  faune  et  de  la  flore  congolai- 
ses, enles  synthétisant  en  quelques 
types  de  pure  ornementation. 
Toute  l'huisserieet  le  mobilier,  de 
forme  imprévue  et  neuve,  est  exécutée  en  un  su- 
perbe bois  du  Congo,  sorte  d'acajou  aux  reflets 
flavescents,  auquel  se  marie  harmonieusement 
le  cuivre  des  appliques  d'éclairage  insinuées  aux 


angles  saillants  du  dressoir  et  de  la  cheminée. 
Celle-ci,  exécutée  en  bois  et  en  marbre  rouge, 
a  pour  corollaire  deux  armoires  vitrées  d'un 
aspect  élégant  et  d'une  incontestable  utilité  pra- 
tique. La  glace  est  enchâssée  dans  cet  ensemble 
et.  grâce  à  ce  dispositif  ingénieux,  n'apparait 
plus  comme  un  accessoire  encombrant  et  inu- 
tile. La  courbe  harmonieuse  des  lignes,  l'élé- 
gance des  chapiteaux,  la  hardiesse  et  la  nou- 
veauté des  profils  donnent  à  cette  partie  de 
l'ameublement  un  extrême  intérêt.  Le  monte- 
charge,  placé  à  droite  et  à  gauche  de  la  verrière 
de  l'entrée,  forme  lui-même,  avec  le  dessin  du 
vantail  et  sa  poignée  de  cuivre,  un  motif  de  dé- 
coration, le  principe  inflexible  de  M.  Horta 
étant  de  ne  jamais  rien  dissimuler  mais  de  tirer 
parti  de  tout  pour  composer  un  ensemble  dé- 
coratif séduisant.  Et  certes  y  a-t-il  plus  que 
jamais  réussi. 

Le  mobilier  est  représenté,  en  outre,  au 
Salon  de  la.  Libre  Esthétique,  par  une  armoire- 
bibliothèque  en  poirier  ciré  et  un  paravent  en 


Verres  soiijjles. 


K.     KOEPI'IXG. 


citronnier,  tous  deux  harmonieux  de  lignes  et 
d'un  dessin  très  pur,  dus  à  M.  Charles  Plumet, 
qui  a  également  donné  aux  jolies  lithographies 
zclandaises  de  M.  Alexandre  Charpentier  des 


Les  Industries  d'art  au  Salon  de  la  Libre  Esthétiqut 


A) 


SOjCitI 
FONDEE 


cadres  d'une  sobriété  pleine  de  goût.  Un  meu- 
ble d'atelier  de  M.  Henri  Van  de  Velde,  un  pa- 
ravent lithographie  de  M.  Paul  Bonnard,  des 
tapis  de  MM.  G.  Lemmen, 
Ad.  Crespin  et  Félicien  Rops, 
un  encadrement  de  glace  en 
ivoire  et  bois  du  Congo,  par 
M.  Ch.  Samuel,  un  miroir 
en  cuivre  repoussé,  modelé 
par  M.  F.  R.  Carabin,  com. 
plètent  la  section  del'ameu- 
blement. 

La  céramique  et  la  ver- 
rerie ont  une  large  part  au 
Salon.  MM.  W.  de  Morgan 
et  C'",  de  Londres,  exposent 
un  choix  de  faïences  déco- 
rées et  émaillées  au  grand 
feu,  d'une  rare  perfection 
technique.  Ils  ont  retrouvé 
pour  leurs  panneaux  déco- 
ratifs, 'pour  leurs  vases  et 
leurs  plats,  le  secret  des  harmonieuses  colora- 
tions orientales  où  domine  le  bleu  indigo  et  le 
cinabre.   Le  dessin  manque  d'originalité  et  ne 


l'Liquctte  commémorative. 

Alexandre  Charphn'tier 


les  poteries  de  M.  A.  \V.  Finch,  un  artiste 
belge  qui  se  consacre  exclusivement  aux  arts 
du  feu  et  qui  revêt  de  riches  émaux,  soit  par  le 
seul  mélange  des  terres,  soit 
par  la  fusion  des  oxydes, 
des  pièces  d'une  forme  im 
peccable. 

Un  artiste  danois,  M.  Her- 
man  Kaehler,  poursuit  avec 
succès,  dans  ses  céramiques 
aux  couleurs  de  caroubier 
et  d'aubergine,  un  but  sem- 
blable. Avec  les  seules  res- 
sources des  oxydes  en  igni- 
tion,  auxquelles  il  ajoute 
parfois  l'imprévu  d'une  or- 
nementation modelée  :  tètes 
de  vautours  ou  de  cygnes, 
salamandres,  crapauds,  il 
compose  des  œuvres  d'un  ca- 
ractère ornemental  de  puis- 
sant attrait,  d'une  exécution 
absolument   remarquable. 

Une  joie  pour  les  yeux,  ces  verres  délicats 
et  charmants    du    professeur    berlinois    Karl 


Pièces  céramiques. 


H.     KOEHLER. 


fait  que  pasticher  tels  décors    de  jadis,   mais  Kœpping,  qui  vitrifie    la  grâce   d'une   tulipe, 

l'exécution  est  irréprochable.  d'une  corolle  d'arum  dont  lestons  exquis,  les 

Nous  préférons  à  ces  réminiscences  d'autre-  irisations,   les   coulées   opalines  déconcertent 

fois  les  tentatives  réalisées,  par  exemple,  dans  les  visiteurs. 


46 


Art   et   Décoration 


compositii)ns   fini 


Henri  Gros  se  sert  de  la  pâte  de  verre  colo-  on  souhaiterait  plus  d'originalité,  pour  les  can- 
rée  pour  couler  en  des  bas-reliet's  délicieux  des  délabres  de  M.  Hathbone,  pour  le  panneau  en 
.■ment  modelées  :  telle  cette  bois  sculpté  et  le  bas-relief  destiné  ;i  une  che- 
minée de  M.  George  Jack. 
Dans  le  domaine  plus  immé- 
diatement industriel,  signa- 
lons toutefois  la  collection 
de  clefs,  de  poignées  de  ti- 
roirs, de  manches  de  son- 
nettes, etc.  en  cuivre  et  en 
b  r  o  n  /.  e  d  ans  les  q  u  e  1 1  e  s 
M.  Hathbone  a  uni  l'élégance 
et  le  gotit  à  la  simplicité. 

Des  gobelets  en  étain.  d'une 
décoration  sobre,des  médailles 
hnenicni  .  exécutées  consii- 
ILienl  l'apport  de  M.  i'aul  Du 
Bois,  l'un  des  artistes  belges 
combinent   a\  ce    le   plus 


translucides     de 


Polciics  cinaillces  et  dccnrccs. 

l'ciiu.s  iiiiX  hipf()Cûiu}.-'L\s.  qui  a  la  ligne  pure 
et  le  style  de  quelque  morceau  de  sculpture 
antique. 

Les  prestigieux  émaux 
M.  Thesmar  sont  assez  célèbres  pour  qu'il 
nous  suffise  de  dire  qu'ils  ont  ici  le  succès 
qu'ils  méritent.  D'autres 
émaux, dus  à  M.  Alexandre 
Fisher  de  Londres,  plai- 
sent parla  richesse  et  l'har- 
monie de  leur  coloration. 
Le  seul  reproche  qu'on 
puisse  adresser  à  M.  F"isher 
et  à  la  plupart  des  ar- 
tistes anglais  gagnés  à  la 
cause  des  industries  d'art, 
c'est,  nous  l'avons  cons- 
taté déjà  pour  M.  de  Mor- 
gan, qu'ils  se  cantonnent 
dans  la  reproduction  des 
formes  et  des  compositions 
ornementales  de  jadis  au 
lieu  de  créer  des  modèles 
nouveaux.  L'admirable 
mouvement  instauré  par 
William  Morris  et  ses 
amis  ne  donne    pas  à  cet 


A.    \V.    FINCH. 


l|Ul 


pratique   des    objets    usuels. 

Un  encrier  en  étain.  im 
bougeoir  de  piano,  des  bijoux  de  .\1.  Fer" 
nand  Dubois,  divers  médaillons,  un  pied  de 
lampe  en  bronze,  une  boucle  de  ceinture, 
une  biiiche  en  or  tma.squc  fantasliquct  de 
M.  Henry  Nocq  décèlent  un  souci  d'innova- 
tion qui  appelle  l'aticniion.  ("iions  encore  les 


Clin  I  ICI-  Je  l.itli 


IvuJciW    .  •■■    '-'-'MLA/. 

bijoux  ciselés  avec  goût  par  .\L  N'an  Strvdonck. 


égard  ce  qu'on  en  pouvait 

attendre.    L'influence  des  styles  traditionnels 

reste  prépondérante.  Tel  est  le  cas,  par  exemple,      les  gvhs  (encrier,  pot  à  labaci  modelés  avec  une 

pour  les  objets  en  cuivre  martelé  exposés  par  la      sûreté  remarquable  par   M.  Carabin,  les  élé- 

GtiiUi  of  haiiiiicraft  de  E'ivm'mgha.m,  ■àu:iqui:h      gantes    plaquettes   en    étain    et    en    bronze  de 


48 


Art   et   Décoration 


M.  Alexandre  Charpentier,  —  celle,  entre 
autres,  qu'il  exécuta  en  commémoration  de  la 
fondation  de  la  Société  symphonique  de  Bru- 
xelles. Mais  n'empiétons  pas  sur  le  domaine 
de  la  sculpture  proprement  dite,  aux  confins 
de  laquelle  nous  nous  arrêtons. 

11  nous  resterait  bien  des  choses  à  signaler, 
si  nous  ne  craignions  d'allonger  indéfiniment 
cet  aperçu.  Bornons-nous  à  citer,  dans  les  arts 
graphiques,  les  estampes  décoratives  de  Gras- 
set, déjà  étudiées  ici,  les  lithographies  murales 
de  MM.  Heywood  Sumner  et  Louis  Davis 
pour  la  Fit:^roy  Society,  les  affiches  de 
MM.  Rhead,  Hazenplug,  Penfield,  Bird,  Ras- 
senfosse,  Crespin,  F.  Rops,  en  insistant  sur 
les  débuts  d'un  Jeune  artiste  belge,  M.  Gisbert 
Combaz,  qui  nous  parait  être  dans  la  meilleure 
voie.  Ses  broderies  pour  courriers  de  table,  ses 
planches  d'illustration  en  couleurs,  ses  dessins 
pour  marques  de  fabrique,  sa  vignette  déco- 
rative pour  la  Maison  d'Art  unissent  à  l'intérêt 
de  la  composition,  dont  les  éléments  sont 
généralement  empruntés  à  la  flore,  un  senti- 
ment décoratif  nettement  accentué  et  une 
parfaite  entente  de  l'arabesque  ornementale.  11 
prend  place  à  côté  de  MM.  Van  Rysselberghe, 
Lemmen,  Donnay,  Berchmans,  Rassenfosse, 
parmi  les  promoteurs  d'un  art  décoratif  ori- 
ginal et  neuf. 


Nous  retrouvons  M.  Combaz  dans  les 
vitrines  consacrées  à  la  librairie  d'art  où 
M.  Lyon-Claesen  expose,  à  côté  de  quelques 
précieux  spécimens  de  l'industrie  du  Livre  en 
Angleterre,  de  luxueuses  éditions  illustrées.  Et 
le  très  artiste  relieur  anglais  Cobden-Sander- 
son,  l'ami  et  le  voisin  de  feu  ^\'illiam  Morris, 
fait  valoir  en  ce  compartiment  spécial  le  goût 
parfait  et  la  technique  irréprochable  qui  pré- 
sident chez  lui  aux  somptueux  vêtements  dont 
il  habille  les  beaux  livres. 

Dans  une  vitrine  voisine,  M.  Pierre  Roche, 
l'artiste  investigateur  et  toujours  en  éveil, 
expose  les  premiers  spécimens  de  ses  reliures 
«  églomisées  «,  douces  au -toucher  sans  aspé- 
rités, et  décorées  an  dedans,  au  dehors,  comme 
si  le  texte  venait  s'épanouir  en  couleur  au  tra- 
vers de  la  couverture.  Ce  principe  rationnel, 
appliqué,  pensons-nous,  fait  la  première  fois, 
est  l'opposé  de  celui  qui  consiste  à  orner  le 
cuir  de  ferrures  ou  d'ornements  rapportés, 
c'est-à-dire,  de  la  décoration  du  dehors  vers  le 
dedans.  Il  y  a  là  une  tentative  qui  appelle 
l'attention,  bien  que  l'exécution  matérielle 
laisse  encore  à  désirer. 

Telle  est,  en  raccourci,  cette  section  des 
Industries  d'art  qui  donne  au  présent  Salon 
de  la  Libre  Esthétique  une  haute  valeur  et  un 
intérêt  primordial.  Octave    Maus. 


Venus  au.\-  hippocampes  \pâtc  de  verre) 


HENRI    GROS. 


Grande  Portière  en  peluche. 


Isaac. 


t  Décoration. 


LES  ÉTOFFES  TEINTES  D'ISAAC 


o^op 


i:  public  ignorait  en- 
core les  t  r  a  \-  a  u  x 
d'Isaac  lorsqu'il  y  a 
deux  ou  trois  ans, 
celui-ci  exposa  pour 
la  première  t'ois  ses 
étoftes  teintes  ou  dé- 
colorées. Sans  être 
encore  bien  vieux,  ses 
essais  remontaient  déjà  à  plusieurs  années,  et 
une  décoration  qui  lui  fut  demandée  pour  une 
exposition  particulière  devait  le  l'aire  entrer 
dans  une  voie  neuve  et  presque  inexplorée. 
Charmé  dès  l'abord  par  la  teinture  et  ses 
procédés,  il  étudia  ceux-ci,  les  approfon- 
dit, les  Ht  se  plier  à  des  fantaisies  toujours 
nouvelles  et  souvent  charmantes  ;  il  les  maî- 
trisa entîn,  les  fit  siens,  et  sut  se  créer  une 
personnalité  sans  conteste.  Le  résultat  mérite 
d'autant  plus  d'être  signalé  qu'il  est  plus  rare: 
mais  encore  a-t-il  été  obtenu  grâce  à  un 
labeur  de  tous  les  instants  et  à  une  énergie  de 
recherches  toute  particulière. 

Les  applications  de  ces  procédés  sont  du 
reste  nombreuses;  tentures,  portières,  tapis, 
robes,  éventails,  rideaux  et  abat-jour  ont  été 
décorés  par  Isaac;  des  matières  diverses  ont 
aussi  été  employées  :  toiles  grossières  et 
crêpes  de  Chine,  étamines  et  mousselines  de 
soie,  velours  et  peluches  ont  tour  à  tour  reçu 
des  décorations  sobres  ou  compliquées,  en 
rapport  avec  leur  nature  rude  ou  précieuse; 
des  intérieurs  complets  ont  même  été  réalisés, 
ou  des  étoffes  différentes,  teintes  et  ornemen- 
tées dans  une  gamme  uniforme,  se  diversifient 
cependant  par  le  jeu  de  la  lumière  même  sur 
la  matière,  s'y  réfléchissant  ou  y  pénétrant. 
créant  des  tons  vibrants  ou  sourds,  véritables- 
cama'ieux  du  plus  riche  et  du  plus  heureux 
effet. 

Mais  malheureusement  aussi,  il  fallait 
compter  avec  cette  lumière,  qui,  par  le  jeu  des 
tons  et  de  la  matière,  peut  créer  des  effets 
admirables,  mais  qui,  ennemie  de  la  couleur,, 
ronge  et  anéantit  celle-ci.  Bien  rares  sont  les 
tons  qui  peuvent  lui  résister;  et  cependant  la 


certitude  de  durée  est  une  des  qualités 
indispensables  que  l'on  doit  exiger  d'une 
décoration.  Il  ne  saurait  être  question,  en 
ertet.  de  changer  celle-ci  à  chaque  instant, 
et  le  perpétuel  provisoire  ne  peut  être  admis. 

11     a    donc     fallu 
choisir  ces  tons,  les 
essayer  et  ne  retenir 
que  ceux  présentant 
toutes    garanties    de 
solidité  et  de  fixité. 
De  là  vient  une  ap- 
parente   pénurie   de 
colorations;   car  un 
artiste    moins   cons- 
ciencieux et  plus  dé 
sireux  de  l'effet  au- 
rait   pu    ne    pas    se 
préoccuper  delà  qua- 
lité    des     couleurs  ; 
mais     Isaac     les     a 
scrupuleusement 
étudiées,    et    tenant 
compte    de    ses    ob- 
servations, repoussa 
toutes   celles  qui  ne 
pouvaient  lui  assurer 
une   conservation 
presque  parfaite.  Ce 
n'est    certes    pas  un 
labeur  inutile,  d'au- 
tant que  les  rouges, 
les  roses,   les  oran- 
gés,   les   bleus    pro- 
fonds ou   verdàtres, 
les  verts  sont  repré- 
sentés dans   cette 
gamme  et  permettent 
déjà  de  varier  large- 
ment les   colorations  d'oeuvres  diverses. 

Quant  aux  procédés,  ils  changent,  pour  ainsi 
•dire,  avec  l'inspiration  du  moment,  l'étoffe 
choisie,  l'effet  désiré  :  teinture  et  reteinture, 
réserves  et  décolorations  y  sont  tour  à  tour 
employées  et  viennent  contribuer  à  l'effet  final. 
Nous  allons  du  reste  les  passer  rapidement 


l\villLdU    dcCOliltif. 


o 


/In   et   Dccoratiou 


en   revue,  loui  en  ciudiam  quelques-uns  des  Mais  cet  cmhousiasmeei  celle  joie  de  la  lech- 

motifs  décoratifs  exécutés  par  l'artiste.  nique  complète  ne  peuvent  durer;  bientôt  l'ar- 

Nous  x'cnons  de   parler  d'Isaac   aux   prises      tiste  se  sera   ressaisi,  et  retournant  aux  bons 


Ftisc  Cl!  j.'i' 

avec  les  procédés  eux-mêmes;  resterait  à  parler 
d'Isaac  décorateur.  Mais  peut-être  ici  nos  cri- 
tiques pourraient-elles  passer  pour  exagérées, 
si  nous  ne  faisions  une  constatation  et  ne  ren- 
dions justice  à  l'artiste. 

Préoccupé  avant  tout  de  la  technique  de  son 
art,  ayant  à  lutter  à  chaque  instant  contre  une 
matière  rebelle,  l'artisan  délaissa  forcément  le 
motif  en  lui-même.  On  peut  presque  suivre 
pas  à  pas  les  progrès  de  sa  technique  dans  la 
composition  même  des  œuvres  qui  se  sont 
succédé.  Parti  de  choses  simples,  naïvement 
interprétées,  bien  écrites,  deux  ou  trois  valeurs 
franchement  posées,  quelquefois  des  fonds 
dégradés  passant  du  bleu  verdâtre  au  rouge 
orangé,  nous  le  voyons  peu  à  pieu  arriver  à  la 
multiplicité  des  teintes,  des  demi-teintes,  des 
fondus,  des  repiqués  ;  maître  de  son  procédé,  il 
veut,  dans  une  même  composition,  en  appliquer 


lucJic  nni^c. 

principes  décoratifs,  à  l'étude  et  à  la  simplifica- 
tion de  la  nature  en  vue  d'une  interprétation 
bien  en  rapport  avec  la  destination  de  l'œuvre  et 
les  matières  employées,  à  la  simplicité  d'effet, 
à  la  recherche  de  lignes  pures  et  harmonieuses, 
nous  verrons,  grâce  à  sa  possession  parfaite  de 
lui-même,  son  art  s'élargir  et  tenir  enfin  ce  que 
ses  travaux  nous  ordonnent  d'espérer. 


Etudions  d'abord  les  décorations  murales. 
Ce  sont  les  plus  nombreuses  de  beaucoup 
dans  l'œuvre  de  l'artiste,  et  peut-être  aussi  les 
plus  complètes  et  les  mieux  réussies. 

Nous  prendrons  comme  exemple  afin  d'in- 
diquer sommairement  les  procédés  techniques 
d'Isaac,  deux  frises  différentes,  comportant 
cependant  le  marronnier  comme  élément  déco- 
ratif commun. 


i'risc  en  fi'hichc  hlctic. 

toutes  les  finesses,  fut-ce  au  détriment  de  l'effet.  Dans  chacune  d'elles  l'etfet  est  opposé;  alors 

Il  arrive    au    naturisme,   qui    en    décoration      que  dans  la  première,  les  feuilles  se  détachent 
doit  être  repoussé  avant  tout.  en  clair  sur  un  fond  foncé,  le  contraire  se  pro- 


Les  Etoffes  tL'inti's  illsûc 


U 


duii  dans  la  seconde  et  ce  sont  les  feuilles  qui 

V  sont  plus  chargées  de  couleur  que  le  fond. 

La   première   est   exécutée   dans   une 

d'un  rouge  très  adouci,  alors 

que  la  seconde  se  Joue  dans  une 

tonalité  d'un  bleu  un  peu  ver- 

dàtre. 

Voyons  maintenant  com- 
ment a  procédé  l'artiste.  D'une 
manière  générale,  ce  sont  des 
réserves  successives  qui  lui 
permettent  d'obtenir  ses  etiets  ; 
mais  encore,  qu'est-ce  qu'une 
réserve?  C'est  le  moyen  de  pré- 
server d'une  façon  quelconque 
un  tissu  contre  l'action,  soit 
d'une  teinture,  soit  d'un  déco- 
lorant. Et  en  général,  réservant 
toujours  son  motif,  Isaac  part 
ou  d'une  étoffe  claire  qu'il 
teint  successivement,  les  for- 
mes réservées  apparaissant  en 
clair  sur  un  fond  foncé,  l'opé- 
ration terminée  ;  ou  d'une 
étoffe  foncée  qu'il  décolore  en- 
suite, et  sur  laquelle  le  fond  dé- 
coloré laisse  apparaître  les  mo- 
tifs dans  le  ton  primitif  du  tissu. 

Ceci  nous  ramène,  somme 
toute,  à  la  contre-partie  d'un 
pochoir;  car  en  effet  dans  ce  der- 
nier procédé,  une  feuille  de  pa- 
pier, de  carton,  de  métal  même 
est  découpée,  ajourée  suivant  le 
dessin  à  reproduire,  et  la  couleur  est  appliquée 
dans  les  trous  ainsi  obtenus,  ce  qui    reste  de 


P^DllWûll 


fonds  se  trouvent  donc  seuls  travaillés,  les  su- 
jets décoratifs  étant  préservés.  Mais  encore  fal- 
lait-il trouver  la  matière  même  de  ces  sortes  de 
pochoirs;  il  ne  fallait  pas  que  la 
teinture  ou  le  décolorant  puis- 
sent se  glisser  dessous  et  ma- 
culer les  réserves.  Aussi,  après 
de  nombreux  essais,  l'artiste 
tixa-t-il  son  choix  sur  une  sorte 
de  papier  buvard,  qui  absor- 
bant le  liquide,  l'empêche  de  se 
répandre  et  de  gâter  le  dessin. 
Dans  sa  frise  rouge,  suivons 
donc  le  travail  d'Isaac.  Son 
carton  fait,  il  a  pris  une  pe- 
luche blanche,  et,  se  proposant 
une  harmonie  d'un  rouge  pâle, 
a  teint  toute  sa  peluche  en  un 
rouge  très  dilué  qui  lui  donne 
un  rose  passé.  Ce  sera  le  ton  des 
feuilles.  Ensuite  il  a  appliqué 
surson  étoft'eainsi  préparée. des 
feuilles  de  papierbuvard  décou- 
pées suivant  son  carton,  tout  en 
évitant  cependant  de  recouvrir 
un  certain  nombre  de  petites 
feuilles  qui,  recevant  ainsi  une 
teinture  supplémentaire,  se- 
ront plus  foncées  et  formeront 
un  second  plan.  Il  projette  alors 
une  teinture  t'aihle  destinée 
simplement  à  différencier  les 
petites  feuilles  non  ré?ervées 
des  premières;  il  aurait  pu 
ainsi  par  des  réserves  successives  se  mé- 
nager plusieurs  tons;   deux  lui  ont  suffi  pour 


Dessus  de  Ut.  —   (Frjinnciit.l 


laleuillepréservantles  fonds.  Isaac, lui, faitTin-  ce  motif.  Recouvrant  enfin  tout  le  feuillage,  il 

verse;  il  découpe  son  motif  lui-même,  (supprime  a  projeté  une  teinture  plus  forte  qui  a  donné 

les  tonds  par  conséquenti.  l'applique  sur  son  le    fond  rouge  désiré.  Les  caches  retirées,  le 

etofie  et  projette  sa  teinture  ou  son  acide.  Les  dessin  apparut,  se  détachant  en  une  harmonie 


r- 


An  et  Dccorat'u 


V! 


de  roses  pâles  sur  un  fond 
roLij;e  passé  plus  soutenu. 

On  voit  par  cet  exemple 
de  quelle  simplicité  est  le 
procédé;  reste  à  l'appliquer 
suivant  le  cas  et  les  ertets 
à  obtenir. 

Dans  sa  frise  rouge,  le 
motif  devant  rester  clair, 
l'artiste  est  parti  d'une 
étoffe  claire  pour  arriver 
ensuite  par  des  teintures 
successives  à  des  foncés. 
Dans  sa  frise  bleue,  au 
contraire,  le  feuillage  de- 
vant se  détacher  en  foncé 
sur  un  fond  clair,  c'est  l'in- 
verse qui  seproduitet,  tout 
en  suivant  exactement  la 
même  marche,  il  arrive  au 
résultat  diamétralement 
opposé,  en  substituant  un 
décolorant  à  la  teinture,  et 
àuneétoffeclaire,uneétof- 
fe    primitivement    foncée. 

Mêmes  demi-teintes  ob- 
tenues,   même   simplicité. 

Somme  toute,  ces  deux 
procédés  représentent  tou- 
te la  technique  d'Isaac  ; 
nous  les  avons  rapidement 
énoncés,  passant  volon- 
tairement sous  silence 
toutes  les  manipulations 
chimiques  purement  in- 
dustrielles que  doivent  su- 
bir les  étoffes  ainsi  prépa- 
rées ;  manipulations  trop 
spéciales,  n'ayant  pas  d'in- 
térêt immédiat  pour  nous 
et  ressortissant  plus  au 
métier  du  teinturier  qu'à 
celui  du  décorateur. 

Appliqués  ensemble  ou 
séparéinent  ces  deux  pro- 
cédés nous  ont  donné  nom- 
bre de  motifs  intéressants, 
parmi  lesquels  nous  allons 
en    étudier    quelques-uns. 

Dans  son  panneau  fleuri 
de  trois  tiges  de  lis,  au-des- 
sus desquelles  passent  des 
oiseaux,  la  manière  appa- 
raît dans  sa   plus    entière 


P^iinu\T.i  dàcoi-atif. 


simplicité;  l'étoffe  blanche 
a  reçu  une  seule  teinture 
d'un  Jaune  un  peu  bis  for- 
mant le  fond,  sur  lequelles 
végétations  ont  été  réser- 
vées. Aucune  teinte  secon- 
daire; seule  l'opposition 
du  ton  du  fond  avec  la 
teinte  primitive  de  l'étoffe, 
qui  vient  former  les  fleurs: 
l'effet  n'en  est  que  plus 
agréable,  franc,  et  seule  la 
forme  un  peu  trop  nature 
et  l'enchevêtrement  des 
feuilles  pourraient  être 
critiques. 

Par  contre,  beaucoup 
pluscompliquéea  étél'exé- 
cution  du  panneau  orné  de 
pavots  et  de  roseaux  dans 
sa  partie  inférieure,  alors 
qu'une  légère  branche  de 
pommier  vient  courir  sur 
la  partie  haute.  Plus  com- 
pliqué et  aussi  moins  heu- 
reux, l'aspect  un  peulourd 
du  bas  nous  faisant  re- 
gretter la  simplicité  et  la 
légèreté  de  tout  à  l'heure. 
Conçu  dans  une  teinte  vert 
jaunâtre  un  peu  aigrelette 
mais  agréable  cependant, 
il  séduit  au  point  de  vue 
technique  par  la  variété  de 
sa  facture  et  le  contraste 
qui  existe  entre  le  motif 
supérieur  si  léger  et  le 
faire  beaucoup  plus  accen- 
tué des  fleurs  du  bas.  Son 
exécution  peut  se  résumer 
en  ceci  :  teinture  faible,  les 
pavots  et  le  pommier  étant 
seuls  réservés,  reteinture 
forte  pour  les  fonds,  le 
motif  entier  étant  recou- 
vert. P3nsuite,  repiqué  exé- 
cuté au  pinceau  avec  des 
tons  plus  ou  moins  foncés 
sertissant  les  pavots  et  les 
roseaux,  modelant  les 
fleurs  et  les  massettes.  Par 
contre,  lepommierduhaut 
reste  simplement  si- 
lhouetté par  la  réserve,  ce 


Les  Etoffes  teintes  d'Isaac 


S) 


qui  produit  cette  sensation  de  légèreté  contras- 
tant avec  le  reste.  Ce  panneau  aurait  été  des 
meilleurs  avec  un  peu  plus  de  recherches  de 
lignes  décoratives  et  d'arrangement. 

Revenant  aux  choses  moins  compliquées, 
nous  ne  pouvons 
qu'admirer  un  dessus 
de  lit  rose,  semé  de 
fleurs  de  chrysanthè- 
me simplement  en  ré- 
serve. Chaque  fois 
qu'il  consent  à  rester 
simple,  l'artiste  est 
charmant  ;  du  reste 
la  simplicité  ne  de- 
vrait-elle pas  être  une 
des  grandes  lois  de 
l'art  décoratif? 

Dans  la  frise  ornée 
de  feuilles  de  platane, 
des  réserves  et  des  tein- 
tures successives  ont 
au  contraire  donné 
plusieurs  plans  de 
feuilles  superposées; 
mais  l'exécution  sobre 
en  fait  une  chose  inté- 
ressante. 

Voici  maintenant  un 
tapis  de  table.  Sur  la 
partie  qui  doit  être  po- 
sée à  plat,  un  orne- 
ment composé  de 
fleurs  d'iris;  la  partie 
retombant  autour  de 
la  table  se  trouve  fleu- 
rie de  tiges  de  la  mê- 
me plante,  accompa- 
gnées de  leurs  feuilles; 
critiquons  un  peu  en 
passant  la  rigidité  de 
celles-ci,  mais  louons, 
au     contraire,     l'idée 


Rohc  eu  rcloitrs. 


nuscule,  représente  un  échassier,  les  pattes 
dans  l'eau  et  entouré  de  roseaux  en  fleur.  Exé- 
cuté sur  velours  vert  foncé,  décoloré  suivant 
toute  une  gamme  de  demi-teintes,  il  est  d'une 
harmonie,  d'une  simplicité  et,  tout  à  la  fois, 
d'une  minutie  de  fac- 
ture, qui  en  font  une 
des  choses  les  plus 
réussies  de  l'artiste. 

.1  e  mettrai  cependant 
encore  au-dessus  un 
panneau  d'algues  et 
de  poissons,  qui  est 
une  œuvre  complète. 
Dans  une  eau  d'un 
bleu  profond  et  gris, 
parmi  les  herbes  et  les 
nénuphars,  se  jouent 
des  poissons  agiles. 
Ils  montent  des  ténè- 
bres vers  la  surface 
plus  lumineuse,  là  où 
la  teinte  pâle  de  l'eau 
vient  se  fondre  avec 
le  rouge  orangé  d'un 
ciel  embrasé.  Ce  que 
ne  peut  rendre  la  gra- 
\ure,  c'est  la  vibra- 
tion de  l'eau,  l'espèce 
de  frémissement  qui 
la  parcourt,  alors  que 
vaguement  s'esquis- 
sciu  les  silhouettes 
sombres  des  poissons 
et  des  algues  :  c'est 
encore  la  somptuosité 
du  bleu  partant  en  bas 
d'une  teinte  puissante, 
allant  s'éclaicissant 
vers  le  haut,  se  fon- 
dant ensuite  en  un 
rose  qui  va  se  foncer 
à  son  tour,  et  arriver 
à  un  rouge  orangé  ma- 
gnifique. Letoutd'une 
exécution  large  et 
tranquille. 


très  heureuse  de  la  dis- 
position. Ce  tapis  est 
exécuté  dans  un  des 
plus  beaux   tons  que 

possède    la    teinture,    et   un   des   plus  solides  Les  algues,  du  reste,  semblent  inspirer  Isaac. 

aussi,  tout  en  étant  des  plus  communs,  le  Elles  lui  ont  fourni  pour  une  grande  portière 
bleu  de  cuve,  bleu  puissant,  velouté,  profond  une  ornementation  d'une  fantaisie  et  d'un  im- 
et  admirable.  Les  fleurs  ont  été  réservées,  et  prévu  vraiment  admirables.  L'exécution  ne  le 
le  tond  légèrement  décoloré  est  ramené  à  une  cède  en  rien  à  la  composition,  et  l'effet  de  cette 
temi-teinte  :  eftet  riche  et  fort  heureux.'  pièce,  qu'il  m'a  été  donné  de  voir  en  place,  est 

un  autre  panneau,  charmant,  quoique   mi-      de  toute  beauté. 


)4 


Art  cî  T>i\oraîion 


Knt 


c  cil  crcyc 


Je  i.ltnic. 


Nous  voudrions  nous  arrcter  ici  et  ne  pas 
parler  des  derniers  travaux  de  l'artiste.  Mais 
encore    serait-ce    un    mauvais   service   à    lui 

rendre  c]ue 
de  lui  dissi- 
muler notre 
véritable 
sentiment . 
Nous  cons- 
tations plus 
haut  son 
tj-nùt  pourle 
naturisme , 
qui  lui  fait 
indiquer 
jusqu'audé- 
ch  iquetage 
des  feuilles 
mangées 
par  les  in- 
sectes, dans 
SCS  frises  de 
marronnier 
par  exem- 
ple. Pour- 
quoi ce  goût  le  pousse-t-il  à  faire  du  paysage 
aussi  nature  que  possible  sur  ses  panneaux 
décoratifs  ?  Autant  des  <euvres  comme  la  por- 
tière ou  rensemble  des  poissons  nous  plait  à 
regarder,  autant  le  petit  paysage  que  nous  re- 
produisons nous  semble  peu  propre  à  remplir 
le  but  que  l'on  s'est  proposé.  Mais  si  le  choix 
du  sujet  nous  choque,  encore  nous  faut-il 
admirer  le  faire  de  ce  panneau  où  l'habileté 
technique  est  portée  à  son  comble. 
A  présent  donc  que  l'artiste  est  en 
la  possession  parfaite  de  son  pro- 
cédé dont  la  recherche  a  pu  l'écarter 
un  moment  de  la  route,  qu'il  se  com- 
plaise en  l'étude  du  inotif  décoratif, 
et  bientôt  de  belles  œuvres  vien- 
dront s'aj(juter  à  celles  produites 
déjà. 

Par  une  pensée  ingénieuse,  Isaac 
voulut  renouveler  par  le  décor  même 
la  toilette  féminine.  Son  effort  n'est 
pas  encore  assez  long  pour  que  les 
résultats    obtenus    soient    considé- 
rables; mais  ils  peuvent  cependant 
nous  intéresser.  Déjà  plusieurs  robes  de   ma- 
tières   différentes  ont    été  ornées    :   crêpe    de 
Chine,  velours,  etc.  La  première  de  ces  ma- 
tières est  celle  qui  semble  l'avoir  séduit  le  plus 


souvent;  aussi  bien,  la  beauté  du  tissu  est-elle 
propre  à  tenter  l'artiste  ;  mais  son  peu  de 
consistance  rendait  l'application  des  méthodes 
oi;dinaires  de  réserve  bien  peu  pratique;  il 
fallait  trouver  mieux.  C'est  alors  que  revint 
à  l'esprit  d'Isaac  le  souvenir  d'un  procédé 
qu'exhibait  à  l'exposition  de  1889,  un  industriel 
javanais.  C'est  la  réserve  à  la  cire.  J'ai  du  reste 
retrouvé  ce  procédé  employé  par  Dysselhof, 
un  autre  artiste  décorateur,  à  Amsterdam. 

Vovonsen  quoi  consiste  ce  procédé  javanais. 
On  fait  fondre  à  un  feu  doux  de  la  cire  vierge 
additionnée  d'un  peu  de  benzine  ou  d'essence 
de  térébenthine;  puis  on  trace  sur  l'étoffe  au 
moven  d'un  pinceau  et  de  cette  cire  fondue  les 
dessins  à  réserver  lors  de  la  teinture.  La  diffi- 
culté réside  tout  entière  en  ceci  :  travailler  avec 
cette  matière  chaude  qui  se  fige  presque 
immédiatement  au  bout  du  pinceau.  Appli- 
quée, la  cire  pénètre  et  traverse  l'étoffe  légère: 
celle-ci  est  alors  plongée  dans  un  bain  colorant. 

La  fantaisie  de  l'artiste  trouve  ici  libre  car- 
rière :  tons  unis  ou  dégradés,  clairs  ou  foncés, 
lui  sont  permis.  L'opération  n'est  plus  qu'une 
simple  teinture  ordinaire,  et  nulle  préoccupa- 
tion ne  peut  l'entraver. 

Il  suffit,  cette  opération  terminée,  d'un  lavage 
à  la  benzine  pour  dissoudre  la  cire  et  en  faire 
complètement  disparaître  les  moindres  traces. 

Telle  est  la  description  sommaire  de  ce  pro- 
cédé que  chacun  peut  employer  et  qui  permet 
de  se  livrer  à  des  compositions  charmantes. 
Ici,  toute  difficulté  technique  disparaît;  seule, 
l'application    de    la    cire  subsiste,  la   teinture 


rMincaii  Dccdyjtif. 

étant  contiée  à  un  industriel;  le  maniement 
du  pinceau,  rendu  un  peu  difficile  par  la  solidi- 
lication  rapide,  est  seul  à  étudier,  et  quelques 
essilis  auront  vite  raison  de  cet   inconvénient. 


Lc's   Etoffes  teint L-s  dlsaac 


)) 


Nous  donnons  ici   deux  des   robes  compo- 
sées et  exécutées  par  Isaac;    une  en  crêpe  de 
Chine    et  une  en   velours.    Celle-ci   l'emporte 
certainement    de   beaucoup 
comme     composition.     La 
branche    fleurie   qui    court 
dans  le  bas  et  le  semis  de 
fleurettes  sont   bien   mieux 
appropriés  que  l'ornemen- 
tation    un    peu    maigre    de 
l'autre  robe  qui  est  du  reste 
plus  ancienne  de  composi- 
tion et  d'exécution. 

Nous  regrettons  cepen- 
dant qu'il  n'ait  pas  à  la  t'ois 
dirigé  son  etl'ort  sur  la  com- 
position de  la  robe,  et  ne  se 
soit  pas  plus  préoccupé 
du  lien  qui  doit  étroite- 
ment unir  l'ornementation 
à  la  forme  à  décorer.  Ce 
serait  cependant  une  chose 
bien  faite  pour  tenter  un 
artiste  :  créer  pour  une  per- 
sonne, d'après  son  allure  et 
sa  taille,  on  pourrait  presque 
dire  d'après  son  caractère 
même,  une  harmonie  de 
lignes  et  de  couleurs;  alors 
que  l'usage  applique  indiffé- 
remment à  l'une  ou  à  l'autre 
un  modèle  presque  unique, 
sans  aucune  préoccupation 
d'esthétique  ni  d'adaptation. 
Il  ne  saurait  être  que  fort 
heureux  de  voir  les  artistes 
s'occuper  du  costume  fémi- 
nin, régler  en  quelque  sorte 
les  modes  de  leur  temps.  Et 
il  peut  être  ainsi  très  inté- 
ressant de  créer  une  robe, 
un  chapeau  et  de  faire,  par 
là  même,  œuvre  d'art.  Mais 
encore  faut-il  pour  cela  que 
des  idées  artistiques  d'ordre 
supérieur  président  à  la 
composition. 

A  défaut  de  composition 
générale,     l'ornementation 
j  seule   présente    déjà    grand 
I  intérêt,  et  Isaac  l'a    bien  compris.  Il  n'a  pas, 
;  du  reste,  limité  à  la  robe  seule  ses  tentatives. 
Comme    objets  se   rapportant    encore   à    la 
;  femme,    citons     des    sacs     et     des    éventails. 


l'a>:neaii  dcjuraiif. 


Parmi  ceux-ci  :  un  vol  indécis  de  chauve-souris 
sous   la    neige,    décor    à    peine    indiqué,    en 
bleu  gris,  d'un  joli  ton  et  d'une   belle  exécu- 
tion sur  crêpe  de  Chine. 

(  )n  peut  se  rendre  compte 
par  ce  rapide  exposé,  des 
applications  multiples  que 
p.ut  recevoir  ce  procédé 
décoratif. 

Malgré  cela,  il  reste  un 
peu  en  dehors  de  l'idéal  que 
nous  avons  pu  nous  former 
à  ce  sujet.  Il  n'est  propre  en 
efïet,  pour  le  moment  pré- 
sent tout  au  moins,  qu'à 
produire  des  pièces  uniques, 
dont  le  prix,  par  là  même, 
peut  être  élevé;  or,  l'art  dé- 
coratif ne  devrait-il  pas 
tendre  au  contraire  à  créer, 
au  lieu  de  bibelots  précieux 
ou  de  pièces  rares,  des  mo- 
dèles courants  accessibles  à 
tous,  modifiant  les  stvles 
anciens  et  en  créant  un  plus 
moderne  el  plus  en  rapport 
avec  notre  époque,  nos 
mœurs  et  nos  besoins. 

Et  certes,  la  diffusion 
seule  des  modèles  nouveaux 
pourra  produire  cette  évo- 
lution réclamée  par  chacun 
et  à  laquelle  tant  d'artistes 
travaillent.  Mais  jusqu'ici, 
le  manque  de  direction  com- 
mune et  le  charme  de  la 
difliculté  à  vaincre  ont  dis- 
persé les  efforts  au  lieu  de 
les  rassembler  et  de  les  unir. 
<-)n  peut  facilement  conce- 
voir l'attrait  plus  grand  que 
doit  exercer  sur  l'artiste  la 
composition  d'un  objet  sur 
lequel  il  vient  concentrer 
tous  ses  efforts,  toutes  ses  re- 
cherches et  toute  sa  science; 
mais  au  point  de  vue  moral, 
n'est-il  pas  plus  beau  d'en 
créer  un  autre  répondant 
aux  besoins  de  son  temps, 
propre  à  satisfaire  les  aspirations  artistiques 
de  ceux  qui  nous  entourent,  utile  en  un  mot. 
Sans  aller  pour  cela  jusqu'à  l'art  démocra- 
tique dont  beaucoup  prétendent  la  réalisation 


!6 


Art   et   Décoration 


et  la  conception  même   inadmissible,  n'est-il  courants  se  renouveler  et  hausser  leur  niveau 

pas  possible  de  penser  au  renouvellement  de  artistique. 

nos  intérieurs,  de    nos  mobiliers,  sans   pour  Mais  pour  cela,  la  collaboration  efficace  des 

cela  tomber  dans  le  pastiche  à  bas  prix  d'arts  industriels  devient  indispensable.  Aux  artistes 

étrangers  ou  de  styles  anciens.  alors  de   la  provoquer;  et  peut-être  est-ce  là 

N'est-ce    pas    plutôt    le    procédé  qu'il    faut  Tutilitéque  pourront  avoir  les  tentativesisolées 

choisir  ou  modifier;  n'est-ce  pas  surtout   les  des  novateurs. 


Eveiitjil  eu  crcpc  de  Chine. 


modèles  ou  les  dessins  qu'il  faut  simplifier, 
ramener  à  leurs  éléments  mêmes,  afin  que  les 
prix  soient  à  la  portée  de  tous  et  ne  fassent  pas, 
de  ces  productions,  des  œuvres  restant  à  l'état 
d'exception,  sans  utilisation  pratique.  En  un 
mot,  cela  ne  revient-il  pas  à  industrialiser  les 
procédés  artistiques  sans  pour  cela  tomber 
dans  l'excès  contraire  ? 

Non  pas  que  nous  répugnions  à  l'œuvre  d'art 
unique;  mais  nous  voudrions  voir  les  modèles 


Nous  étudierons  ceux-ci  ;  parmi  eux  se  trouve 
Isaac.  Déjà  il  a  orné  de  nombreux  intérieurs 
et  a  produit  quantité  de  pièces  intéressantes; 
il  e'^t  bon  de  rappeler  ses  tentatives  et  d'attirer 
l'attention  vers  ce  laborieux  et  ce  modeste  dont 
le  succès  a  couronné  les  efforts,  et  qui,  non 
content  des  résultats  acquis,  élève  toujours 
son  idéal  et  s'applique  à  le  réaliser. 

M. -P.  Vi:rni:iil. 


Tapis  de  Table.  [Iris.) 


Concours   Rougevin   à  l'Ecole   des    Beaux- Arts 

r.V  TAPIS  POl'R  LA  GRAXDH  CHAMBRI-:  DK  LA  COl'R  DE  CASSATION 


'enseignEiMEnt  donné  aux 
architectes  s'est  élargi  de- 
puis quelques  années. 
Grâce  à  la  sollicitude  de 
leurs  maîtres,  les  élèves 
ont  appris  à  faire  sur  les 
œuvres  exécutées  des 
études  d'analyse.  Ils  ont 
dessiné  dans  nos  Musées 
les  plus  beaux  motifs  de 
chaque  époque,  interprétant  sur  le  vif  la  forme 
et  la  couleur.  En  apprenant  ainsi  à  saisir  les 
nuances  de  style,  ils  ont  compris  la  part  qui 
revient  dans  la  création  d'une  œuvre  à  l'inter- 
prétation décorative  des  qualités  de  la  matière 
et  à  l'appropriation  des  formes,  qui  en  est  la 
conséquence. 

Au  lieu  de  réduire  l'architecture  à  l'applica- 
tion de  formules  étroites,  les  maîtres  se  sont 
efforcés  de  montrer  aux  élèves  que  les  prin- 
cipes de  composition  qui  conviennent  à  l'or- 
donnance d'un  monument  sont  ceux  qui 
régissent  toute  composition  décorative,  et  que 
l'architecte,  aujourd'hui  comme  jadis,  doit 
être  aussi  bien  préparé  à  donner  le  dessin  d'un 
tapis,  d'une  reliure,  d'un  vitrail  ou  d'un  meuble, 
qu'à  fournir  les  plans  d'un  édifice  public  ou 
privé. 

Seul,  en  effet,  l'architecte  peut,  en  raison  des 
études  complexes  qu'il  est  tenu  de  faire,  con- 
tribuer aux  progrès  des  industries  d'art  qui  font 
partie  de  son  domaine.  Si  ces  industries  avaient 
cessé  depuis  un  siècle  de  progresser,  c'est  c[ue 
durant  ce  temps  l'enseignement  de  l'architec- 
ture s'était  spécialisé,  s'appliquant  aux  formes 
abstraites  plutôt  qu'aux  principes  de  composi- 
tion et  n'exerçant  plus  son  influence  salutaire 
sur  toutes  les  branches  de  l'art. 

Pour  ceux  qui  suivent  de  près  les  travaux 
des  élèves,  les  progrès  étaient  constants,  et 
chaque  concours  les  rendait  plus  sensibles; 
mais  ces  élèves  qui  paraissaient  bien  préparés, 
étaient-ils  désormais  en  état  d'aborder  dans  un 
esprit  vraiment  moderne  une  composition 
s'appliquant  à  la  technique  particulière  d'un 
art,  par  exemple  à  celle  de  la  tapisserie?  L'ex- 
périence méritait  d'être  tentée.  A  une  époque 


où  tout  le  monde  s'accorde  à  critiquer  la 
médiocrité  des  produits  industriels,  oii  faute 
de  nn)dèlesles  manufactures  les  mieux  outillées 
ne  produisent  guère  d'amvres  originales,  où 
l'archéologie  substituée  à  l'art  est  encore  un 
obstacle  à  la  production,  il  importait  de  savoir 
si  notre  école  d'architecture  est  vraiment  ce 
qu'elle  doit  être  et  si  les  artistes  futurs  justifie- 
ront les  espérances  qu'on  est  en  droit  de  con- 
cevoir. L'expérience  a  été  faite  :  elle  est  inté- 
ressante à  tous  égards. 


Piojci  de    M.     liDMUND   VIIRY 

Le  concours  d'ornement  dit  concours  Rou- 
gevin s'y  prêtait,  et  le  sujet  choisi  par  le  pro- 
fesseur de  théorie  a  été  un  tapis  du  genre  dit 
Cl    Savonnerie  »  (il  pour  la  Grande  Chambre 

I.  On  sait  que  ce  nom  de  «Savonnerie  u  provient  de 
l'ancienne  manufacture  de  tapis  établie  jadis  dans  une 
ancienne  fabrique,  quai  de  Billy,  et  transférée  en  182G 
à  la  manufacture  des  Gobclins. 


5« 


Art  et  Décoration 


de  la  Cour  de  Cassation.  Le  programme,  con- 
seillait aux  élèves  «  d'éviter  les  perspectives,  les 
«  figures,   les  représentations  de  reliefs  ou  de 


Projet   de  M.    MIEIER 

«  creux,  en  un  mot  tout  ce  qui  est  contradic- 
«  toire  avec  la  destination  d'une  étoffe  sur 
«  laquelle  on  marche  ». 

Il  recommandait  comme  étant  les  plus  dura- 
bles les  tonalités  de  couleurs  franches,  et  tout 
en  citant  comme  exemple  les  tapis  d'Orient, 
mosaïques  aussi  riches  de  dessin  que  de  cou- 
leur, il  rappelait  aux  élèves  qu'il  s'agissait  de 
composer  un  tapis  français  et  moderne,  non 
un  pastiche  des  tapis  orientaux. 

Près  de  deux  cents  projets  ont  été  exposés, 
et  jamais  concours  n'offrit  plus  grande  variété 
de  compositions.  Cette  variété  même  rendait 
le  jugement  difficile,  car  les  projets  n'étaient 
point  aisément  comparables. 

Dans  une  composition  de  ce  genre,  l'échelle 
des  ornements  a  une  importance  capitale, 
puisqu'il  s'agit  d'harmoniser  le  tapis  avec  une 
décoration  déjà  existante. 

D'ailleurs  le  tapis,  étant  destiné  au  milieu 
de  la  salle  bordée  de  trois  côtés  par  le  prétoire, 
avait  sa  partie  la  plus  large  à  l'extrémité  lon- 
geant le  bureau   des  présidents  et  sa  partie  la 


plus  étroite  à  l'extrémité  opposée  entre  les 
bureaux  fixes  des  greffiers.  Cette  disposition 
particulière  pouvait  donner  lieu  à  une  ordon- 
nance intéressante,  et  il  est  regrettable  que 
dans  les  meilleurs  projets  il  n'en  ait  pas  tou- 
jours été  tenu  compte. 

Les  compositions  les  plus  simples  sont  tou- 
jours celles  qui  ont  le  plus  de  chances  de  suc- 
cès, parce  qu'elles  donnent  la  moindre  prise  à 
la  critique  :  celles  de  MAL  Naville  et  Bassom- 
pierre  ont  obtenu  le  premier  et  le  second  prix. 
Tous  deux  avaient  assujetti  leur  tapisà  la  forme 
de  la  salle  ;  tous  deux  ont  développé  leurs 
ornements  de  ton  gris  ou  de  ton  jaune,  emprun- 
tés aux  emblèmes  et  aux  attributs  de  la  Justice, 
dans  une  bordure  encadrant  un  fond  bleu.  Il 
semble  que  la  décoration  de  la  Grande 
Chambre  où  l'architecte,  M.  Coquart,  a  usé 
très  largement  de  l'or,  ait  déterminé  le  choix  de 
cette  tonalité. 

Les  rinceaux  gris  et  verts  sur  fond  brun 
s'adaptent  bienà  lacom  position  de  M.  Naville. 


^.:,-^>5:' 


Projet  de  M.  ANDRÉ  COLLIN 

Dans  le  projet  de  M.  Bassompierre,  les  lignes 
rigides  du  cadre  et  les  torchères  s'inspirent 
peut-être  un  peu  trop  du  style  en  honneur  à  la 
fin  du  siècle  dernier. 


Concours  Tiougerin  a  l'Ecole 


des  'Beaux-oArts 


)9 


De  l'avis  des  tapissiers,  la  tonalité  bleue  du 
fond  est  de  celles  qui  doivent  être  évitées.  Le 
bleu  et  le  violet  sont,  en  tapisserie,  des  tons 
instables  qu'il  faut  employer  en  petites  sur- 
faces et  en  valeurs  très  soutenues. 

Les  projets  récompensés  en  seconde  ligne 
prêtent  sans  doute  sur  plusieurs  points  à 
diverses  critiques,  mais  ils  se  distinguent  par 
des  qualités  de  composition,  de  dessin  et  de 
couleur  qui  seraient  très  appréciées  dans  l'exé- 
cution d'un  tapis.  A  cet  égard,  le  projet  de 
M.  Hulot  et  celui  de  M.  Carré  sont  parmi  les 
meilleurs. 

M.  Hulot  a  très  heureusement  groupé  dans 
un  trophée  les  emblèmes  et  attributs  formant 
devant  le  bureau  des  présidents  la  partie  prin- 


"i 


Projet  lie  M.  GUY 


cipale  de  sa  composition  ;  il  l'a  développée 
latéralement,  de  part  et  d'autre  des  bureaux 
des  conseillers,  dans  une  large  bordure  dont 
les  rinceaux  gris  et  verts  à  fond  rouge,  enlaçant 


un  champ  bleu,  s'harmonisent  bien  avec  le  ton 
orangé  du  fond.  L'exécution  du  dessin  au 
pastel   donne    l'illusion    des    hautes  laines   à 


I  rojet   de    M.    TALLAST 

employer  dans  le  tapis.  La  composition  a 
quelque  rapport  avec  celle  de  M.  Naville;  elle 
est  d'une  indication  plus  savante  et  eût  cer- 
tainement réuni  un  plus  grand  nombre  de  suf- 
frages si  la  forme  circulaire  du  motif  principal 
eût  été  mieux  ajustée  dans  la  forme  rectangu- 
laire donnée  par  le  plan. 

Le  projet  de  M.  Carré  est  d'une  coloration 
plus  uniforme,  mais  très  appropriée  à  l'effet 
d'un  tapis.  La  composition,  ingénieuse,  parait  à 
premier  examen  de  forme  indécise  ;  cela  tient 
au  parti  adopté  par  l'élève  pour  le  tracé  des 
contours,  qu'il  a  interprétés  suivant  des  lignes 
brisées  afin  de  simuler  le  travail  de  la  laine. 
C'était  peut-être  une  préoccupation  inutile  ; 
car  un  dessin  d'exécution  ne  pourrait  comi- 
porter  que  des  contours  très  définis.  Quoi 
qu'il  en  soit,  la  composition  est  bien  pondérée, 
et  si  l'épéede  la  Justice,  qui  broche  sur  le  fond 


6o 


Art  et  Décoration 


parait  jurande,  les  i>nicnicnts  à  tons  rompus  se 
lient  bien  avec  le  lund  jaune,  isolés  seulement 
aux  unifies  de  la  bordure  rectangulaire  par  un 
tond  bleu  sombre. 

L'une  des  compositions  les  plus  gracieuses 
est  assurément  celle  de  M.  Gentil,  e^ui  a  dis- 
tribué comme  les  compartiments  d'une  reliure 
ses  entrelacs  bleus  de  valeurs  différentes  sur 
un  fond  bleu  clair  rehaussé  de  nielles  d'or. 
Malheureusement,  ces  nuances  de  bleu  tendre 


Projet  de   M.    HENRI  .MICHEL 

seraient  difhcilement  exécutables  en  tapisserie. 
D'autres  projets  récompensés  par  des  mé- 
dailles se  distinguent  moins  par  leur  originalité 
que  par  la  simplicité  de  leur  composition.  Les 
dessins  de  MM.  Joseph  Martin,  Potter  et  Mor- 
gan sont  dans  ce  cas.  La  composition  de 
M.  Deville  est  trop  toutfue  pour  un  tapis  et  les 
détails  trop  finsdisparaitraientdansl'exécution. 
Celle  de  M.  Mosler  a  de  grandes  qualités  :  dans 
une  bordure  rectangulaire  de  feuilles  vertes 
piquées  de  fleurs  rouges  sur  fond  brun,  sont 
ajustés,  aux  angles,  des  cartouches  de  ton  jaune 
limitant  le  fond  bleu  à  rinceaux  verts,  au  centre 


duquel  est  un  grand  motif  de  ton  jaune  sur 
fond  rouge.  Le  dessin  très  précis  serait,  ainsi 
que  le  constatait  M.  le  chef  d'atelier  de  la  Ma- 
nufacture des  Gobelins,  d'exécution  facile, 
mais  les  cartouches  d'angle  ne  se  lient  pas  bien 
à  la  bordure,  et  à  distance  le  projet  n'a  pas 
l'harmonie  de  ceux  de  MM.    Carré  ou   Huîot. 

M.  Quillet  avait  compris  son  tapis  comme 
une  mosaïque  dont  la  note  dominante  serait  le 
bleu.  Quoique  le  dessin  soit  très  habile  et  très 
harmonieux,  l'exécution  donnerait  une  œuvre 
froide  et  peut-être  insuffisamment  décorative. 

La  composition  d'un  tapis  offrait  deux 
écueils  :  d'une  part,  les  tons  francs,  les  seuls 
qu'il  faille  admettre,  se  prêtent  moins  aisément 
que  les  tons  rompus  à  une  harmonie  de  cou- 
leurs; d'autre  part,  la  tapisserie  de  haute  laine 
s'exécute  par  rangées  horizontales  à  raison  de 
trois  rangées  au  centimètre  pour  quatre  fils 
verticaux,  ce  qui  donne  douze  points  par  cen- 
timètre carré.  Il  importe  donc  que  le  dessin  ne 
multiplie  pas  les  finesses,  car  dans  une  rangée 
chaque  changement  de  ton  est  un  changement 
de  laine,  et  il  faut  évidemment  que  la  largeur 
attribuée  à  une  coloration  soit  au  moins  égale 
à  celle  d'un  point.  M.  l'Administrateur  général 
des  Gobelins  et  M.  le  chef  des  ateliers  de  la 
«  Savonnerie  »,  qui  ont  visité  à  plusieurs  re- 
prises l'Exposition  avec  le  plus  vif  intérêt, 
m'ont  communiqué  leurs  observations  sur  le 
choix  des  colorations  et  sur  l'échelle  des  orne- 
ments :  elles  sont  de  nature  à  faire  comprendre 
aux  élèves  les  erreurs  qu'ils  devront  éviter 
dans  toute  composition  d'un  tapis  de  haute 
laine. 

Parmi  les  projets  mentionnés,  il  en  est  plu- 
sieurs qui  se  prêteraient  parfaitement  à  l'étude 
définitive  et  à  la  confection  d'un  tapis.  Ceux 
de  MM.  Tallant,  Mûrier,  Uhry,  Garet;  Guy, 
Gutton,  Roisin,  André  Collin,  Michel  et  Du- 
buisson  méritent  d'être  signalés  à  cet  égard 
aussi  bien  que  les  premiers. 

C'est  dans  des  tonalités  bleues  que  M.  Mû- 
rier a  composé  son  tapis,  enlevant  ses  rinceaux 
en  foncé  sur  le  fond  et  reliant  ainsi  ses  attri- 
buts de  ton  d'or.  Le  bleu  vert  qu'il  a  choisi 
est  un  ton  de  tapisserie,  dont  les  valeurs  diffé- 
rentes en  haute  laine  auraient  bien  l'aspect 
velouté  qu'il  a  cherché. 

M.  Dubuisson  a  très  heureusement  limité 
son  fond  rouge  par  de  larges  rinceaux  de  tons 
bleu  et  jaune,  suffisamment  clairs  pour  s'har- 
moniser avec  le  fond,  et  dont  les  subdivisions, 
assez  fines   pour    grandir  l'échelle    des   orne- 


(Concours  Roiii^-cr:n  A  J'EcoJe  des  Bcaux-z4rts 


6 


mcnts,  seraient  encore  exécutables  en  points 
de  tapisserie.  C'est  nn  bon  projet,  qui  serait 
aisément  développé. 

Le  projet  de  M.  Garet,  absolument  ditîercnt, 
doit  à  l'emploi  de  trois  tons  :  le  gris  bleu  de  la 
bordure,  le  jaune  orangé  du  fond  et  le  brun 
rouge  des  ornements  qui  brochent  sur  ce  fond, 
une  harmonie  colorée  très  puissante  et  parfai- 
tement appropriée  à  l'effet  d'un  tapis. 

C'est  par  des  tons  clairs,  le  jaune  et  le  ver- 
dàtre  très  adroitement  combinés  pour  le  fond 
et  les  ornements,  que  M.  Guy  a  su  obtenir 
l'effet  agréable  d'une  étoffe  veloutée  accusant, 
par  le  bleu  foncé  qui  forme  le  fond  de  ces 
cartouches,  les  divisions  principales  des  com- 
partiments. 

M.  Gutton  et  M.  Roisin,  exposés  côte  à  côte, 
ont  des  qualités  fort  ditférentes.  M.  Gutton, 
dans  un  dessin  extraordinairement  habile,  s'est 
inspiré  des  tapis  persans,  divisant  un  fond  bleu 
soutenu  par  des  ornements  de  tons  francs, 
jaune,  rouge,  vert,  mais  assez  étroits  pour 
que  l'harmonie  colorée  n'ait  pas  à  soutfrtr  de 
l'intensité  des  tons.  La  ténuité  des  ornements 
rendrait  peut-être  l'exécution  difficile. 

Dans  le  projet  de  M.  Roisin,  les  ornements 
sont  plus  grands,  la  composition  plus  simple, 
mais  aussi  moins  originale.  Un  motif  central  en 
forme  de  losange  se  rattache  par  des  cartouches 
à  la  bordure  rectangulaire,  limitant  avec  la 
bordure  quatre  triangles  dont  les  fonds  sont 
garnis  d'élégants  feuillages  de  ton  verdâtre. 

Deux  charmants  projets,  celui  de  M.  Nyeth 
et  celui  de  M.  André  Collin,  sont  tous  deux 
composés  d'ornements  trop  ténus,  dont  les 
finesses  se  perdraient  à  l'exécution.  Dans  le 
tapis  de  M.  Nyeth,  la  couleur  dominante  est  le 
ton  d'or,  qui  apparaît  partout  entre  les  rinceaux 
délicats  et  les  compartiments  de  tons  rompus 
qu'émaillent  quelques  touches  de  bleu  clair 

La  bordure  bleue  à  dessins  blancs  est  la 
partie  la  plus  intéressante  du  projet  de 
M.  Collin,  qui  donne  peut-être  trop  de  place  à 
ses  tables  de  la  Loi,  de  coloration  très  claire 
et  par  cela  même  discordante. 

Deux  autres  compositions,  celle  de  M.  Uhrv 
et  celle  de  M.  Tallant,  quoique  trop  compli- 
quées, sont  très  ingénieuses  et  s'adaptent  bien 
aux  formes  de  la  salle.  Autant  le  projet  de 
M.  Tallant  admet  les  tons  crus,  le  rouge  et  le 
vert  foncés,    accentués  encore    par   de  larges 


sertis  blancs,  autant  le  projet  de  M.  Uhry 
s'attache  à  une  égalité  de  valeur  dans  les  bor- 
dures et  les  fonds  qui  devient  choquante  par 
excès  d'uniformité.  Ce  sont  cependant  de 
bonnes  études,  susceptibles  d'être  dévelijppées 
pour  l'exécution  d'un  tapis. 

11  faudrait  pouvoir  citer  presque  tous  les 
projets  :  dans  tous,  en  effet,  on  aurait  à  signaler 
quelque  joli  morceau,  intéressant  par  l'inven- 
tion, le  dessin  ou  la  couleur. 


Projet  de  M.  CARKE 

J'avais  eu  souvent  l'occasion  de  dire  que 
les  architectes  étaient,  mieux  que  tous  autres 
artistes,  préparés  par  leurs  études  à  renouveler 
les  arts  décoratifs,  en  appropriant  leur  compo- 
sition aux  obligations  d'un  emplacement,  en 
déterminant  les  formes  qui  conviennent  aux 
qualités  de  chaque  matière.  Les  travaux  de 
nos  élèves  semblent  m'avoir  donné  raison. 

Lucien  Magne. 


UN    INTERIEUR    MODERNE 


Lavillade  M.VandeVeldeà  Uccle(BeIgique\ 
bien  que  se  rapprochant  de  la  conception  des 
villas  anglaises  modernes,  témoigne  cependant 
hautement  des  recherches  auxquelles  se  livre 
cet  artiste. 

Il  est  certain  que  l'idéal  de  M.  Van  de  Velde 
en  cette  circonstance  a  été  d'avoir  une  maison 
aussi  confortable  et  aussi  gaie  que  possible. 
Ce  premier  but  est  atteint;  mais,  peut-être,   la 


Nous  reproduisons  ici  une  vue  de  la  salle  à 
manger  de  la  villa  d'Uccle. 

L'impression  première  est  toute  d'harmonie 
et  de  simplicité;  cette  dernière  peut-être  poussée 
un  peu  loin.  L'analyse  plus  complète  nous 
révèle  ensuite  des  détails  charmants  :  au  centre, 
un  panneau  composé  de  carreaux  céramiques, 
sur  lesquels  sont  posés  les  plats;  quatre  nap- 
perons couvrent  ensuite  le  pourtourde  la  table. 


sensation  de  gaieté,  que  recherchait  l'artiste, 
n'est-elle  pas  aussi  complètement  réalisée  qu'il 
pouvait  l'espérer.  Les  tonalités  claires  sont  dans 
des  gammes  charmantes,  un  peu  grises  parfois, 
mais  laissent  au  visiteur  une  sensation  de  froi- 
deur plutôt  que  de  gaieté.  De  plus,  l'ornemen- 
tation des  murailles  devient  très  difficile  avec 
la  coloration  des  papiers  employés,  et,  seules, 
les  estampes  japonaises  peuvent,  sans  faiblir, 
supporter  ce  voisinage.  Mais  ce  sont  là  cri- 
tiques de  détails,  et  certes,  l'habitation  de 
M.  Van  de  Velde  mérite  d'attirer  l'attention  au 
plus  haut  point. 


laquelle  est  exécutée  en  bois  très  clair,  du  frêne 
si  j'ai  bonne  mémoire. 

De  même,  les  sièges  du  même  bois  sont 
recouverts  de  paille  ou  de  jonc,  dont  la 
tonalité  grisâtre  s'harmonise  de  la  plus  heu- 
reuse façon  avec  l'ensemble.  C'est  du  reste 
une  des  principales  préoccupations  de  l'artiste, 
de  créer  une  harmonie  dans  chaque  pièce  dif- 
férente d'une  même  demeure  ;  il  y  excelle,  et 
nous  serions  heureux  de  voir  ces  tentatives  se 
généraliser  et  ne  pas  rester  des  exceptions 
éternellement. 

M.  P.  V. 


LE    CONCOURS     DE    CASIER     A    MUSIQ_UE 


Le  comité  de  direction  s'est  réuni  le  jeudi 
1 1  mars,  à  5  heures,  pour  juger  le  concours 
de  casier  à  musique.  A  l'unanimité,  il  a  jugé 
qu'il  n'y  avait  pas  lieu  de  décerner  de  premier 
prix.  En  général,  les  concurrents  se  sont  réglés 
beaucoup  plus  sur  l'esthétique  en  usage  dans 
les  maisons  anglaises  que  sur  les  lois  fonda- 
mentales du  meuble,  qui  doit  être  architecture 


d'une  simplicité  suffisamment  ornée.  Le  jury  a 
donc  décidé  d'attribuer  à  M.  Victor  Lhuer  le 
second  prix,  consistant  en  une  somme  de  cin- 
quante  francs. 

Le  projet  de  M.  Paul  Bourguin  n'a  pour  lui 
que  d'être  construit.  Il  l'est,  en  effet,  soli- 
dement, mais  nulle  trace  d'originalité  ne  s'y 
révèle,  et   rien   n'égale  sa   lourdeur,  sinon   sa 


avant  tout.  Ils  ont  fait  du  placage,  du  collage, 
non  de  la  menuiserie. 

Au  point  de  vue  décoratif,  le  mauvais  goût 
domine;  on  ajoute  au  meuble  des  ornements 
qui  ne  font  pas  corps  avec  lui,  des  enjolive- 
ments qui  défigurent  sa  silhouette. 

Deux  projets  seulement  ont  paru  mériter  au 
jury  d'être  retenus.  Celui  de  M.  Victor  Lhuer, 
que  nous  reproduisons,  est  d'un  aspect  un  peu 
lourd,  et  bien  qu'il  soit  de  beaucoup  le  plus 
étudié  au  point  de  vue  de  la  menuiserie,  il 
laisse  encore  à  désirer  sur  bien  des  points.  La 
traverse,  entre  autres,  qui  relie  les  deux  mon- 
tants latéraux,  n'entre  pas  d'une  manière 
assez  franche  dans  le  montant  postérieur, 
et  l'assemblage  ainsi  obtenu  manque  de 
solidité. 

Quant  au  reste,  le  meuble  est  de  bon  goût,  et 


pauvreté.   A  titre    d'encouragement,     le    jury 
décerne  à   son  auteur  une   mention. 

CONCOURS  DE  MAI 

UX    BANDEAU    DE    CHEMINÉE 


Le  sujet  du  concours  de  mai  sera  un  bandeau 
de  cheminée  pour  petit  salon.  Les  concurrents 
pourront,  à  leur  gré,  le  prévoir  soit  en  brode- 
rie, soit  en  tapisserie,  soit  en  étoffe  appliquée. 
Ils  seront  tenus  d'indiquer  la  matière  choisie. 
Les  projets  comporteront  un  dessin  d'ensemble 
et  un  détail  à  grandeur  naturelle.  Adresser  le 
tout,  avant  le  25  mai,  aux  bureaux  de  la iîevî<e. 

Les  primes  décernées  seront  de  jS,  de  5o  et 
de  2  5  francs. 


CHRONIQUE 


UNE  CONFÉRENCE  DE  M.  EMILE  MOLINIHR  SUR  LE  MEUBLE 


M.  Emile  MolinicT  donnait,  l'autre  jour, 
à  VUnion  des  Arts  décoratifs,  une  conférence 
sur  le  meuble.  Il  eût  pu  se  contenter,  en  retra- 
çant l'histoire  du  meuble,  d'en  marquer  d'un 
trait  précis  toutes  les  phases.  Mais  un  pro- 
gramme aussi  simple  aurait  paru  fade  à  cet 
observateur  avisé,  à  cet  esprit  sagace  et  alerte. 
Aussi  s'est-il  empressé  de  corser  sa  conférence 
par  la  discussion  de  quelques  idées  générales. 

On  ne  s'occupe  aujourd'hui  que  d'art  nou- 
veau :  il  a  mis  sur  le  tapis  l'art  nouveau,  et, 
nettement  abordé,  une  à  une,  toutes  les  ques- 
tions que  cette  préoccupation  unanime  sou- 
lève. Il  a  trouvé  au  premier  rang  la  théorie  que 
quelques  intransigeants  ont  prônée  et  d'après 
laquelle,  pour  faire  neuf,  il  faudrait  de  parti- 
pris  mépriser  ce  qui  s'est  fait  autrefois. 

Eh  quoi!  —  riposte  M.  Molinicr  —  en  un 
temps  où  le  travail  mécanique  tend  de  plus  en 
plus  à  se  substituer  au  travail  à  la  main,  où  la 
besogne  à  l'intini  se  subdivise  entre  des  ouvriers 
qui  refont  toute  leur  vie  la  même  pièce,  où, 
par  conséquent,  la  notion  complète  du  métier 
se  fait  de  plus  en  plus  rare,  interdirez-vous  à 
l'ébéniste,  au  menuisier  de  compléter,  en  exa- 
minant les  belles  pièces  de  menuiserie  et 
d'ébénisterie  du  passé,  l'éducation  technique 
qui  lui  manque?  Les  beaux  et  solides  assem- 
blages où  nos  artisans  des  temps  jadis  excel- 
laient ne  sont-ils  pas  pour  lui  la  meilleure  et 
la  plus  sérieuse  leçon? 

Va-t-on  changer,  dans  l'art  nouveau,  pour  le 
meuble,  les  lois  de  l'équilibre  et  de  la  stabilité? 
Ne  demandera-t-on  pas,  au  contraire,  à  nos 
fabricants  de  revenir  aux  saines  traditions 
oubliées  dans  une  période  de  mercantilisme  et 
de  camelote  ?  Le  premier  de  tous  les  devoirs  ne 
sera-t-il  pas  pour  eux  de  faire  à  la  fois  du  solide 
et  du  neuf  au  lieu  de  ces  horribles  placages  et 
de  ces  menuiseries  à  la  colle  dont  l'industrie 
anglaise  nous  inonde  et  dont  elle  introduit 
chez  nous  l'habitude? 

A  vrai  dire,  si  l'on  revient,  pour  la  fabrica- 
tion, aux  traditions  anciennes  d'habileté,  de 
métier  consciencieux  et  honnête,  la  marchan- 
dise reviendra  plus  cher.  Le  consommateur 
sera-t-il  disposé  à  la  payer  ce  qu'elle  vaut? 
Encouragera-t-il,  par  des  achats  répétés,  les 
essais  de  nouveau  stvle  exécutés  par  les  procé- 
dés coûteux  d'autrefois? 

M.  Molinier  ne  se  fait  pas  illusion.  11  répond 


par  la  négative.  —  Croyez-vous  que  l'aveu 
l'embarrasse?  Aucunement.  C'est  pour  lui,  au 
contraire,  l'occasion  du  paradoxe  le  plus  spi- 
rituel et  le  plus  juste. 

—  Ne  comptons  pas  sur  le  consommateur 
ordinaire,  s'écrie-t-il.  Celui-là  se  moque  bien 
de  l'art  nouveau  :  il  lui  faut  de  l'utile  avant 
tout.  Jamais  il  n'a  donné  le  signal  autrefois; 
il  ne  le  donnera  pas  davantage  aujourd'hui. 
Pour  qui  les  Boulle,  les  Riesener  et  tant 
d'autres  ont-ils  travaillé  jadis?  Pour  qui  se 
sont-ils  efforcés  à  faire  autre  chose  que  ce  qui 
s'était  fait  avant  eux,  à  renchérir  sur  les  trou- 
vailles du  voisin,  à  le  dépasser  en  inventions 
ingénieuses,  originales  tout  ensemble  et  char- 
mantes? —  Pour  le  plus  grand  seigneur  du 
rovaume,  pour  le  seul  qui  pût  estimer  à  leur 
prix  ces  merveilles  et  les  payer  ce  qu'elles  va- 
laient, pour  le  roi. 

Les  rois  ont  disparu  :  qui  les  remplace  main- 
tenant? C'est  l'État.  Cet  être  collectif  a  toutes 
les  prérogatives  du  monarque  :  il  a  le  devoir 
aussi  d'en  assumer  les  charges. 

Au  nombre  de  ces  charges  figurait  sous  l'an- 
cien régime  l'obligation  d'encourager  par  des 
commandes,  des  achats,  l'industrie  nationale. 

Or,  l'État  n'en  a  cure.  Non  seulement  il  ne  s'in- 
quiète pas  du  sort  de  nos  industries  d'art,  mais 
il  les  provoque  lui-même  au  pastiche,  en  ornant 
ses  palais,  non  de  mobiliers  nouveaux,  portant 
la  marque  de  l'époque,  mais  de  meubles 
anciens  dont  la  place  serait  dans  un  musée. 

Qu'on  utilise  pour  les  administrations  pu- 
bliques, les  vieux  stocks  sans  caractère  et  sans 
style,  passe  encore!  Mais  n'est-il  pas  bizarre 
que  le  palais  du  chef  de  l'État,  l'Elysée,  ne  soit 
meublé  que  de  Louis  XIY,  de  Louis  X'V,  de 
Louis  X'V!  ou  d'Empire.  Ne  serait-il  pas  plus 
décent  d'orner  ou  de  décorer  sa  demeure  sui- 
vant le  goût  du  jour,  et  l'État  ne  se  devrait-il 
pas  à  lui-même  de  remplacer  à  l'Elysée  la  dé- 
froque glorieuse,  mais  surannée,  de  nos  rois, 
par  un  ensemble  nouveau  qu'il  commanderait, 
en  v  mettant  le  prix,  aux  meilleurs  et  aux  plus 
distingués  de  nos  artistes? 

Ces  idées  valaient  la  peine  d'être  retenues. 
Le  Badaud  les  a  prises  au  vol.  Il  les  sème, 
après  M.  Molinier,  en  bonne  terre.  Il  ne  dé- 
sespère pas,  quelque  paradoxales  qu'elles 
paraissent,  de  les  voir  germer,  et,  qui  sait  ?  — 
car  tout  arrive  —  porter  fruit.       Le  Badaud. 


rmp.     de    \'ausirard,     G.  de  Malherbe  &  O',  i52,  rue  de  Vaugirard,  Paris. 


EMILE  LliVY,  Édticur-gèrant' 


J 


Art  et  Décoration 


î^ 


LES  SALONS  DE   1897 

QUELQUES    PEINTURES    DÉCORATIVES 


A  peinture  décora- 
tive, qui  en  notre 
siècle  a  été  si  sou- 
vent méconnue  et 
déformée,  qui  pen- 
dant la  période  la 
plus  lamentable 
de  son  histoire,  à 
la  suite  d'Ingres, 
hélas! a  donné  lieu  à  tant  d'œuvres  hybrides,  à 
tant  de  plafonds  non  plafonnants,  à  tant  de 
tableaux  érigés  en  fresques,  a  pris  de  nos  jours 
une  éclatante  revanche.  Ramenée  peu  à  peu 


instinct  ou  logique  profonde,  retrouva  les 
secrets  perdus,  elle  a  repris  conscience  d'elle- 
même,  de  ses  moyens,  de  son  but,  de  ce 
qu'elle  doit  dire  et  faire  pour  convaincre  l'es- 
prit ou  le  cœur  en  charmant  les  yeux.  Quels 
que  soient  le  thème  adopté  et  le  motif  choisi, 
histoire  ou  paysage,  beauté  plastique  ou 
symbole,  il  est  certaines  conditions  qui  s'im- 
posent, certaines  règles  immuables,  désor- 
mais généralement  comprises  et  respec- 
tées, qu'une  peinture  décorative  ne  saurait 
violer,  sans  perdre  son  nom  et  renier  son 
essence  même.  Il  lui  faut  l'accord  des  tons,  le 


Ii'iftyque  décoi\U:f.  m.   aman  jlan 

vers  les  voies  anciennes  qu'elle  n'eût  jamais  dû  rythme  des  lignes,  la  pondération  balancée  des 

quuter,  retrempée  aux  sources  de  la  nature  et  surfaces,  les  grands  partis  pris,  les  fermes  sil- 

dii  style,   dirigée  et  conduite  surtout  par  un  houettes.  Le réalismeleplus photographique  et 

enchanteur  comme  le  noble  et  glorieux  Puvis  le  plus  exact,  l'impressionnisme  le  plus  subtil 

de  Chavannes,  qui  par  divination,  merveilleux  n'y   atteindront   Jamais    sans    s'être    stylisés. 

9 


66 


Art  et  Décoration 


C'est  une  musique  qui  peut  varier  à  l'infini  sa 
chanson,  gaie  ou  triste,  tendre  ou  sévère,  mais 
est  astreinte  à  une  modalité  à  part,  à  une  trans- 
position nécessaire  du  spectacle  de  la  vie. 
Trois  belles  œuvres  choisies  dans  les  Salons 
qui  viennent  de  s'ouvrir,  trois  modèles  origi- 
naux, chacun  en  leur  genre,  de  décoration 
heureusement  combinée  et  conduite,  en  diront 
plus  sur  ce  sujet  que  toutes  nos  paroles. 

M.  Jean-Paul  Laurens  nous  a  habitués  aux 
créations    robustes  et   viriles.    Pénétré   de   la 
grande  parole  de  Michelet,  «  l'histoire  est  une 
résurrection»,  il  a  bien  des  foisévoqué  sous  nos 
yeux  et  fait  vivre  l'àme  des  anciens  hommes. 
Même  en  des  tableautins,  il   sut  faire  entrer 
souvent  l'austère  majesté  du  passé.  Mais  com- 
bien n'est-il  pas  plus  à  son  aise  et  à  sa  place, 
quand  le  cadre  élargi,  la  tâche  amplifiée  per- 
mettent à  l'imagination  tout  son  essor!  C'est 
ce  que  montre  au  plus  haut  point  l'admirable 
toile  qui  sera  cette  année  la  joie  et  l'honneur 
du  Salon  des  Champs-Elysées.  Rattachée  au 
même  ensemble  que  la  Muraille,  exposée  en 
1895,  et  destinée  à  décorer  la  même  salle  du 
Capitole  de  Toulouse,  elle  ne  rappelle  la  com- 
position antérieure,  déjà  si  puissamment  con- 
çue, que  pour  la  surpasser   en  grandeur,  en 
simplicité   et   en    style.    On    est  toujours   au 
xin«siècle;  mais  l'envahisseur  du  sol  a  disparu, 
contre  lequel  il  fallait  autrefois  se  défendre  et 
s'emmurer  solidement.  Comme  dit  la  mélan- 
colique complainte  de  langue  d'oc,  pittores- 
quement  inscrite  en   un  coin  du  tableau,  «  si 
l'ombre  de    Montfort  passait  dans  les  airs  au- 
dessus  des  champs  qu'il  ravagea,  il  n'y  verrait 
plus  que  laboureurs  ibeyro  pas  que  laoïiray- 
resl  dirigeant  les  grands  bceufs  tranquilles  sous 
les  ravons  du  soleil  la   la  rajo  iiel  souleh  ». 
Après  la  vision  du  danger  et  de  l'appareil  de 
défense,  c'est  l'image  de  la  paix  revenue,  du 
bonheur  retrouvé,  du  travail  fécond  et  calme. 
A  perte  de  vue,  sur  la  croupe  des  coteaux  qui 
par   ondulations    continues   se   succèdent,   se 
remplacent,  dévalent  vers  les  ravins  ou  se  re- 
dressent vers   la   ligne    bleue  d'horizon,  s'en 
vont  les  champs  encore  en  friche  ou  déjà  la- 
bourés. Les  bandes  de  terrain  grises  ou  vertes 
alternent  avec  les  sillons  creusés,  aux  mottes  de 
terre  brune  et  grasse  fraîchement  remuée.  Une 
suite   de  petits   saules  bleuâtres  et  de   hauts 
peupliers   indique    le    contour   d'une    vallée. 
D'autres  arbres  pointent  çà  et  là  entre  les  col- 
lines.   Partout    dans    l'immense    étendue,  où 
passe  l'ombre  des  nuages  flottants,  s'épanche 


une  lumière  égale  et  vive,  et  de  nombreuses 
charrues,  que  traînent  des  couples  de  bœufsau 
pas    grave,   continuent  patiemment    la   tâche 
commencée.   L'amour  du  sol   natal   a  noble- 
ment inspiré  M.  Jean-Paul  Laurens  en  cette 
page  éloquente.  Les  plans  sont  soulignés,  les 
contours  établis,   la  structure  des  êtres  et  des 
choses  interprétée  et  comprise,  le  dessin  et  la 
couleur  voulus  dans  une  harmonie  nettement 
décorative,  avec  une  audace,  une  énergie,  une 
décision  soutenue  d'un  bout  à  l'autre  qui  met- 
tent l'œuvre  absolument  hors  de  pair.  Le  Lau- 
raguais  est  ici  fixé  sous  un  aspect  d'éternité. 
Sans  avoir  aussi  haute  ambition  ni  pareille 
visée,    AL    Ménard,    qui    depuis    des    années 
marche  et  progresse,  élargissant  toujours  da- 
vantage ses   formules,  amplifiant   sa  manière, 
tendant  de  plus  en  plus  à  la  vraie  grandeur, 
condense  et  résume  cette  fois  en  un  beau  décor 
toutes  les  tentatives  faites  jusqu'ici  et  tous  les 
rêves   antérieurs.    C'est   l'affirmation   la    plus 
complète  de  ce  qu'il  aime,  veut,  désire  et  sent. 
Après  tant  d'essais  déjà  heureux  et  de  menues 
toiles,  baignées  de  colorations  franches  autant 
que  de  mâle  poésie,  c'est  l'œuvre  définitive  et 
forte   qu'on    attendait    de    lui.    Rien    de    plus 
simple  que  le   thème.  Deux  femmes  nues  au 
premier  plan,  dans  l'herbe   épaisse    et  haute, 
l'une  assise  et  rêvant,  l'autre  debout,  vue  de 
dos,    les    bras    levés    distraitement   vers    une 
branche  d'arbre  chargée  de  fruits,    regardant 
au  loin  l'horizon.   Derrière  ces  créatures  ro- 
bustes, les  entourant  comme  un  cadre  appro- 
prié à  la  plénitude  de  leurs  formes,  comme  le 
milieu  même  où  elles  se  sont  épanouies,  s'ouvre 
et  s'élargit  un  merveilleux  paysage  d'automne, 
où  dans  l'eau  d'un  lac  éclaboussé  de  lumière 
se  reflètent  les  coteaux  assombris  et  les  derniers 
feux  rouges  du  couchant.   L'ensemble  a  une 
beauté  d'accord,  une  sonorité  d'accent  qu'on  ne 
saurait  assez  louer,  s'il  n'y  avait  quelques  im- 
perfections à  signaler  dans  les  nus,  quelques 
réserves  à  faire  sur  leur  solidité. 

Esprit  tout  différent,  talent  plus  tendre,  plus 
féminin  et  délicieusementinteilectuel, M. Aman- 
Jean  semble  avoir  voulu  tenter  également, cette 
année,  un  décisif  combat.  Épris  dès  longtemps 
du  décor,  interprète  exquis  et  profond  de  la 
beauté  ou  du  charme  des  femmes  de  notre 
temps,  expert  à  sonder  les  âmes  et  à  symboliser 
l'idée,  il  a  comme  réuni  et  groupé  en  un  même 
cadre  l'expression  de  ses  divers  amours.  A  la 
fois  un  et  multiple,  le  triptyque  qu'il  a  conçu 
dénote  un  sérieux  effort  et  une  volonté  de  plus 


Salons 


u-iiiluDDit  (fjniu'Jiii  decoiwiif). 


M.    RENE    MESAKD 


en  plus  attirée  vers  les  grandes  entreprises  dé- 
coratives. Charmant  de  forme  et  de  pensée  est 
le  rêve  qu'il  nous  soumet.  Au  centre  est  assise 
sur  un  banc  de  jardin,  appuyée  à  des  coussins 
roses,  une  jeune  femme  de  type  caressant  et 
pur,  en  robe  vert  pâle  relevée  d'une  mince  cein- 
ture de  velours  violet.  Alanguie  et  rêveuse,  elle 
songe  doucement.  Derrière  elle,  une  pièce  d'eau 


son  rêve  ou  l'expression  dédoublée  de  sa  grâce. 
La  Beauté  nue,  qu'elle  ne  regarde  ni  ne  voit, 
caresse  deux  paons  au  plumage  splendide  et 
diapré.  La  Poésie  mystérieuse  et  réfléchie, 
vêtue  de  longs  voiles  blancs,  vers  laquelle  elle 
est  tournée,  semble  lui  présenter  et  lui  tendre 
une  pâle  fleur  d'anémone.  On  devine  et  soup- 
çonne jusque  dans  l'arrangement  des  intentions 


qu'entourent  des  caisses  d'oranger  clapote  délicates,  des  trouvailles  de  sentiment  ;  et, 
et  se  ride,  tachée  de  lueurs  mauves,  et  par  malgré  quelques  faiblesses,  quelque  raideur 
dessus  les  grands  arbres  du  parc  s'aperçoivent  gênée,  çà  et  là  subsistante,  rarement  M.  Aman- 
des contours  de  nuages  rosés.  C'est  un  ado-  Jean  aura  essayé  de  modeler  ses  figures  et  de 
rable  portrait,  élargi,  synthétisé.  A  droite  et  à  faire  chanter  ses  tons  dans  une  gamme  plus 
gauche,  à  peine  séparées  d'elle  par  une  baguette  fortifiée  de  colorations  harmonieuses  et  fines_ 
d'or,  le  long  de  laquelle  descendent  des  guir-  Telles  sont  les  trois  œuvres  diversement 
landes  suspendues,  sont  ingénieusement  figu-  intéressantes  et  empreintes  des  qualités  déco- 
rées et  incorporées  en  deux  apparitions  fémi-  ratives  les  plus  personnelles  et  les  plus  rares, 
nines,  les  qualités  que  cette  femme  aime  par  qu'on  est  heureux  de  goûter  paisiblement,  en 
dessus  tout  ou  qu'elle  unit  elle-même  en  sa  silence,  loin  de  la  cohue  banale  et  du  tradi- 
personne.  C'est  comme  le  sujet  matérialisé  de  tionnel  coudoiement.               Paul  Leprieur. 


Frise  pour  papier  peint. 


ORFEVRERIE    ET   BIJOUX 


LES  BIJOUX  DE  M.  LALIQUE 

l'.\  CADRE  IVOIRE  ET  OR  DE  M.  FALI/.E 

UN    COFFRET    DE   MM.    GARXIER,    GRASDHOMME,   ET   BRATEAU 

^^ 

Toutes  les  grandes  époques  curent  des  senter,  l'aurait  interprété  différemment;  ce 
formes  de  bijoux  très  caractéristiques;  ces  scarabée  aurait  pu  être  d'or,  et  les  élytres 
formes  varièrent  avec  la  destination  du  bijou  et      de    topazes.    Aujourd'hui,    le    scarabée    serait 


surtout  l'em- 
ploi des  ma- 
tières pré- 
cieuses. 

A  cette 
heure,  nous 
utilisons  les 
procédés  nou- 
veaux d'al- 
liage, (le  fonte 
etdetaillcdus 
à  la  science  ; 
l'artiste  voit 
de  plus  près 
la  nature,  et 
le  pistil  du  lis 
est  à  ses  veux 
aussi  beau 
que  le  lis  en- 
tier. 

Il  observe 
la  corolle  de 
la  plus  petite 
fleur  et  recon- 
naît qu'elle 
est  composée 
d'une  matière 
admirable  , 
demi  -trans- 
parente, par- 
semée de  dia- 


m  a  n  t  s  et 
teinte  des 
couleurs  les 
plus  vives. 

Notre  épo- 
que se  carac- 
térise par  Vanalj^se  en   orfèvrerie,   comme  en 
psychologie. 


également 
d'or;  mais  les 
élytres  de  to- 
pazes seraient 
frangés  d'é- 
meraudes,  sa 
tète  de  grenat 
porterait  des 
antennesd'ar- 
gent  mat  et 
des  yeux  de 
rubis.  La  for- 
me générale 
serait  plus 
précise,  beau- 
coup moins 
héraldique; 
l'œuvre  serait 
telle,  qu'un 
souffle  de  vie 
la  ferait  com- 
parable aux 
plus  beaux 
scarabées  des 
régions  tropi- 
cales. 

Et  ce  bijou 
serait  de  M. 
Lalique.Savi- 
trine  du  salon 
des  Champs- 
Elysées  nous 
permet  de  le 
supposer. 

Étudiez 

cette  superbe 

Diadème  aux  fuchsijs.  m.laiioui;         fleur  de  pavot 

qui  deviendra  diadème:  ses  quatre  pétales  sou- 
ples sont  d'or  ajouré,  et  les  interstices  remplis  par 


Un  exemple  établira  rapidement  le  chemin  un  émail  translucide,  opalin  vers  les  bords  et 

parcouru  par  cet  art  de  l'orfèvre.  Choisissons  plusjauneàlabase.DecettecoroUesortlatêtedu 

le  scarabée  :  pavot,  faite  d'un  émail  bleu  poussiéreux  qu'une 

L'Égyptien  le  fit  d'un  seul  ton,  bien  souvent  crête  de  diamants  maintient  dans  l'ombre. 

en  pâte  de  verre  bleu  lapis.  Les  étamines  en  grand   nombre  sont  termi- 

Le    Mérovingien    qui   —   un    peu    par    ses  nées  par  un    point    d'émail   noir  qui   réveille 

croyances,  —  n'eut  pas  l'occasion  de  le  repré-  cette  harmonie  rare. 


Orjcrrcrie  et  Bijoux 


69 


On  croirait  que  cette  fleur  va  se  rider  au  gré  frisson  de  la  vie  ?  Les  feuilles,  faites  d'or  vert 
d'un  souffle,  tant  chacune  de  ses  parties  semble  ajouré  et  d'un  émail  translucide  d'un  vert  plus 
mobile  et  vivante. 

La  même  impression  se  dégage  d'un  autre 


Bracelet. 


M.    LALKjrE 


diadème  formé   de  deux  branches    pendantes 
de  fuchsia  :  les  feuilks  sont   faites  d'or  vert  et 


Bonde. 


M.   LALKirE 


d'émail  bleuté  translucide,  le  pisiil  d'or  fuselé 
et  les  étamines  à  tête  brune  semblent  des  lus- 
tres abrités  sous  la  voûte  nacrée  de  la  corolle. 
Et  cette    branche    de  gui    n'a-t-clle    pas  le 


Boucle. 


M.     LALICiUE 


sombre,  s'harmonisent  comme  dans  la  nature 
et  cela  est  fier  et  transparent  comme  une  lame 
de  nacre. 

Enchantés  par  ces  trois  chefs-d'œuvre,  nous 


Brjcelet. 


M.    LALIQ^UB 


espérons  saisir  les  moyens  et  la  subtilité  de 
l'artiste;  mais,  hélas!  cela  est  impossible,  car 
dans  l'œuvre  de  M.  Lalique  tout  est  soumis  à 
la  fantaisie,  et  cette  fantaisie  est  la  marque  sûre 


70 


Art  et  Décoration 


du  chercheur,  cic  l'esprit  iiKiuiei  en  face   de  la 
nature,  en  un  mol  de  l'artiste  original. 

Peut-on  rêver  une  harmonie  plus  douce  et 
plus  imprévue  que  celle  de  ce  large  bracelet 
de  vieil  argent  mat,  légèrement  gravé,  parsemé 
sur  les  ajours  de  chardons  d'or  dont  le  centre  est 
noir  debron/.eet  rehausse  d'un  semis  d'opalines. 

L'artiste,  ensuite,  a  pensé  que  la  corne  était 
une  belle 
matière;  il  a 
donc  parse- 
mé un  brace- 
let de  corne, 
de  margueri- 
tes en  vieil 
argent  et  de 
floraisons  lé- 
gères qui, en 
s'appuvantà 
lacharnière, 
s'étalent  sur 
lasurtace  lis- 
se en  cour- 
bes termi- 
nées par  des 
turquoises. 

Puis,  dans 
un  senti- 
ment égale- 
ment neuf, 
et  avec  un 
égal  souci 
de  se  varier, 
il  a  exécuté 
la  parure 
désignée 
sous  le  nom 
de  «  collier 
de   chien  ». 

Des  per- 
les, placées  en  bandes,  réunissent  quatre 
plaquettes  d'or  ciselées  représentant  la  fleur 
du  lis  jusque  dans  ses  moindres  détails  ;  les 
feuilles  sont  d'un  émail  vert  clair,  et  cha- 
cune de  ces  petites  merveilles  est  enfermée 
dans  un  rectangle  de  3  centimètres  stir  4!!! 

Voulant  aborder  toutes  les  pièces  de  la 
parure  féminine,  M.  Lalique  a  exécuté  deux 
peignesd'ivoire  de  formesà  peu  prèssemblables. 

Une  figure  de  femme  debout,  sculptée  dans 
l'ivoire,  les  bras  écartés  du  corps  s'ache- 
vant  en  ailes  de  papillon,  et  ces  ailes  en  émaux 
bruns  parsemés  de  taches  bleues;  un  émail 
clair  forme    frange  sur   les    bords.   Telle  est, 


Cadre  ivoire  et  or. 


pour  le  premier  peigne,  la  partie  haute 
triangulaire  couronnant  trois  longues  dents. 
Dans  le  second,  la  hgurineest  couverte  d'une 
armure,  avec  casque  d'or;  mais  ici  l'aile  est 
ajourée  avec  des  transparences  opalines. 

Deux  pendants  de  sautoir  s'ajoutent  àcet  en- 
semble déjà  si  riche.  Je  ne  puis  que  les  citer, 
ainsi  que  six  boucles  de  ceinture  dont  deux, 

tout     spé- 
ciale m  c  n  t 
m  é  ]■  i  t  e  n  t 
d  être    rcte- 
iiLies. 

D'abord  , 
la  boucle 
rectangu- 
laire un  peu 
c  o  n  V  e  X  e  : 
des  chry- 
santhèmes 
d  'émail 
blanc  s'en- 
lèvent sur 
u  n  f  o  n  d 
d'or,  et  le 
centre  est 
marqué  par 
un  brillant; 
une  des 
fleurs  est 
mobile  et 
attachée  à 
•  l'autre  ex- 
trémité de 
la  ceinture. 
Grâce  à  cet- 
te innova- 
tion, les 
deux     pla  - 

M.    FALIZE  ^ 

ques     or 
dinaires    se    réunissent    en    une    seule. 

Ensuite  la  plaque  composée  de  trois  yeux  de 
plume  de  paon,  dont  le  centre  est  une  agate 
d'un  rouge  sombre  rave  de  noir  ;  deux  têtes 
de  coqs  affrontés  tiennent  dans  leurs  becs  une 
barre,  sur  laquelle  s'appuient  les  deux  pointes 
qui  devront  retenir  la  ceinture  d'étotfe. 

Et  d'autres  boucles,  non  moins  réussies, 
d'argent  mat  incrusté  de  cuivre,  d'or  et  d'argent 
patiné  plus  sombre  que  le  velours  noir  :  harmo- 
nies toujours  exactes,  et  rendues  fixes  par 
l'emploi  de  matières  impérissables. 

Tel  est  l'art  de  M.  Lalique,  basé  sur  cette 
qualité  très  rare,  naïve  en  apparence  et  capi- 


Orf errer ic  et  "Bijoux 


7^ 


taie  chez  l'artiste 
que  la  foule 
passe  indirté- 
reute  dans  les 
charmilles, 
M .  L  a  1  i  q  u  e 
s'arrête  auprès 
d'un  pavot  que 
l'Aurore  a  cou- 
vert de  pleurs 
et  le  prend  di- 
rectementpour 
modèle. 

Un  mot  main- 
tenant de  deux 
œuvres  ,  par  - 
faites  chacune 
dans  leur  gen- 
re et  toutes 
deux  d'une 
harmonie  de 
couleurs  déli- 
cieuse. 

La  première 
est  d'une  admi- 
rable      tenue  ; 


'ctiidc  de  hi  nature.  Alors      c'est  un  émail 


M. 


Grandhomme,  enfermé 
par  M.  Fa- 
lizedans  un  ca- 
dre d'ivoire 
rehaussé  d'un 
semis  régulier 
de  boutons  d'or 
et  de  feuilles  et 
de  feuillages 
d'aubépine. 
Lasecondeest 
un  coffret  d'i- 
voire orné  par 
MM.  Garnier 
et  Grandhom- 
me de  pan  - 
neaux  en  émail 
et  revêtu  par 
M.  Brateau 
d'une  exquise 
floraison  de 
bronzes  dorés 
qui  en  font  une 
inoubliable 
trouvaille. 
René  Binet 


.*j 


Côté  et  faitie  yoslcricurc  Jn  coffret. 


Pjftic  jnicrieure  ducoffrct. 


QUELQUES     ARTISTES 

M.  JEAN  DAMPT.  —  M""  ANTOINETTE  VALLGREN. 


o^ 


KPris  des  années  déjà, 
M.  Dampt  nousahahi- 
tués  aux  surprises  de 
son  talent  sûr  et  avisé, 
et,  partout  où  il  lui 
convient  de  porter  son 
effort,  à  la  maîtrise  de 
technique  la  plus  di- 
verse. Il  a  ramené  par- 
mi nous  l'expérience 
de  métiers  d'art  ardus, 
que  l'on  avait  désappris  depuis  des  siècles;  et 
ceux  qui  guettent  curieusement  les  manifesta- 
tions nouvelles  de  ses  triomphes  d'ouvrier,  appli- 
qué à  assouplir  la  matière  la  plus  rebelle,  ne 
seront  certes  pas  déçus  cette  année,  car  jamais 
peut-être  son  ex- 
position  n'a 
comporté  d'ieu- 
vres  si  variées  et 
si  accomplies. 
On  se  souvient 
du  Portrait  de 
A/ii'^ror//ï, cette 
précieusestaïue, 
faite  de  bois  di- 
vers et  d'ivoire, 
que  le  Salon  du 
Champ-de-Mars 
nous  montrait, 
il  V  a  deux  ans. 
A  la  même  don- 
née technique 
appartient  le 
Buste  de  M<^'  la 
Comtesse  de 
Béant,  qui  s'y 
trouve  cette  an- 
née. Les  par- 
tics  nues,  la  tête 
et  les  mains, sont 
traitées  en  ivoire,  le  vêtement  est  sculpté 
en  bois  de  poirier;  la  main  gauche  porte  la  figu- 
rine en  or  d'une  femme  occupée  à  sa  toilette, 
et  le  tout  repose  sur  un  socle  d'amarante.  Nous 
reviendrons  tout  à  l'heure  sur  l'emploi  de  ces 
matières  différentes  et  sur  le  parti  que  l'artiste 


Buste  de  .1/'"=  /.7  Cuiiitcsse  de  Bénnu 


en  a  tiré  ;  mais  l'œuvre  ne  comporte  pas  seule- 
ment un  intérêt  de  facture  et  un  mérite  de 
détails.  Ces  richesses  restent  sobres  et  harmo- 
nisées, et  la  figure  s'impose  avec  un  charme 
simple  et  intime.  Le  secret  de  cette  impression 
réside  dans  les  lignes  calmes  du  buste,  dans 
l'ordonnance  sévère  de  la  robe,  qui  n'accuse 
aucune  mode  éphémère,  avec  les  manches  à 
peine  amplifiées  aux  épaules,  et  l'échancrure 
du  col  encadrée  d'une  étroite  bordure  de 
mosaïque  discrète,  turquoise  et  or,  et  d'un  fin 
enroulement  d'or  portant  des  trèfles  en  cuivre 
verdi  et  des  incrustations  d'opales  minuscules 
et  de  poussière  de  diamants.  Mais  cette 
tranquillité  recueillie  est  due  surtout  au  geste 
méditatif  de    la  main  qui   soutient    le    visage 

incliné,  et  que 
l'artisie  affec- 
tionne si  fort, 
puisqu'on  le 
retrouve  non 
seulement  dans 
le  portrait  de 
M'^'Worth, mais 
encore  dans  le 
buste  en  bronze 
S  Aman- Jean,  et 
dans  le  petit 
buste  en  argent 
de  Dagnan-Bou- 
vcret.  Il  est  vrai 
que  nulle  atti- 
uide  ne  décèle- 
rait mieux  la 
con  ce  nt  ration 
du  modèle  sur 
lui  -  même  ,  et 
M.  Dampt  a 
souci,  —  et  nous 
l'en  louerons,  — 
de  donner  à  ses 
portraits,  faits  pour  la  quiétude  intérieure, 
cette  gravité  particulière  de  la  réflexion. 
Quant  aux  dil'ficultés  de  main-d'œuvre,  elles 
étaient  certes  considérables  et  d'ordres  multi- 
ples, dans  un  travail  qui  comporte  une  part  de 
sculpture  sur  bois,  de  sculpture  éléphantine  et 


Çhu'Iqiu's     Artistes 


7} 


d'orfèvrerie.  Le  travail  de  l'ivoire  était  particu- 
lièrement pénible  et  délicat,  si  l'on  songe  que 
l'artiste  est  parvenu  à  modeler  le  visage  et  les 
mains  de  louches  infiniment  sensibles,  comme 
il  eût  fait  le  marbre,  et  que  la  tète  et  la  main 
droite  sont  sculptées  d'un  seul  morceau,  ce  qui 
obligeait  à  une  tâche  longue  et  malaisée  pour 
dégager  le  dessous  de  la  figure  et  des  doigts. 
De  cet  effort  opi- 
niâtre, il  ne  l'esté 
qu'une  impres- 
sion d'aisance 
souple  et  d'heu- 
reux accord  :  la 
pâleur  chaude 
de  l'ivoire  se 
trouve  soutenue 
par  le  ton  du 
poirier,  de  cou- 
leur légèrement 
rougeâtre  ,  au- 
quel le  bois  d'a- 
marante fournit 
une  base  plus 
puissante,  tan- 
dis que  sur  ce 
socle  des  pla- 
ques de  nacre 
inscrustéesassu- 
rent  l'unité  de 
l'harmonie,  en 
rappelant  la  va- 
leur de  l'ivoire. 
D'un  tout  au- 
tre caractère  est 
le  buste  de  Dii- 
f^iiesclin  enfant 
taillé  en  pierre  : 
le  Portrait  Je 
MadamclaCnm-  ''"'"  f^""c/n!  enfant.  -  Buste 

tessc  de  Réarn  est  une  (euvre  toute  de 
grâce  et  de  préciosité  distinguée;  nous  voici 
maintenant  en  présence  d'un  morceau  d'éner- 
gie, et,  par  un  certain  côté,  de  rudesse  voulue. 
Sous  son  haubert  de  mailles  et  sa  cotte  à 
ses  armes,  avec  l'épée  à  pommeau  massif  où 
son  poing  se  referme,  ce  n'est  pourtant  pas  un 
enùnt  qui  essaye  en  jouant  une  armure  :  ce 
front  qui  se  bombe,  déjà  batailleur  et  volon- 
taire, ce  nez  bizarre  et  bosselé,  ces  lèvres  obs- 
tinées qui  s'abaissent  dans  une  moue  farouche, 
mettent  sur  ce  visage  enfantin  la  vigueur  têtue 
et  assurée  du  Breton  ôt  du  conquérant.  Et  l'on 
ne  peut  trop  remarquer  le  discernement  avec 


lequel  M.  Dampt  a  choisi  l'admirable  matière 
de  cette  pierre  grise,  qui  prend  sur  les  parties 
lisses  une  patine  douce  et  onctueuse,  et  se  co- 
lore de  telle  sorte  qu'un  sang  vivace  semble 
monter  au  visage  et  teinter  les  lèvres,  tandis 
c]ue  les  rugosités  du  vêtement  et  de  l'armure 
s'accusent  dans  une  note  plus  froide,  qui  met 
en  valeur  les  curiosités  de  détail.  En  vérité, 

cette  franchise 
de  métier  et 
d'observation, et 
cette  fermeté  de 
style  ,  éveillent 
immédiatement 
en  nous  le  sou- 
venirdes  vieilles 
statues  de  che- 
valiers qui  se 
dressentauxpor- 
ches  de  nos  ca- 
thédralesou  s'al- 
longent sur  les 
tombeaux;le/)!/- 
guescUn  enfant 
fait  revivre  tou- 
tes les  traditions 
de  nos  vieux 
maîtres. 

Mais  le  sculp- 
teur nerveux  ou 
éléi^ant  ne  doit 
pas  faire  oublier 
en  M.  Dampt 
l'artiste  ingé  - 
nicux,  dont  on 
connaît  le  lit 
exposé  l'an  der- 
nier. L'ébéniste 
se  rappelle  à 
nous  cette  fois-ci 


pierre. 


par  une  Chai.^e  d'enfant,  toute  charmante  avec 
ses  lignes  délicieusement  assouplies  du  dossier 
aux  bras,  et  la  simplicité  raisonnée  et  contor- 
table  de  sa  construction.  Au  centre  du  dossier, 
une  tablette  en  mosaïque  de  bois  porte  le  mot 
AMA,  traversé  d'une  branche  de  gui,  avec  des 
incrustations  de  nacre  pour  simuler  les  baies 
blanches  ;  et  le  sculpteur  reprend  ses  droits 
dans  ce  joli  groupe  de  deux  bébés,  taillé  dans 
un  seul  bloc  de  cormier,  qui  domine  les  mon- 
tants et  les  unit,  sans  pour  cela  surcharger  les 
tiges  fragiles  du  meuble. 

L'idée  de  cette  consolation   enfantine,  qui 
commente  la  devise  inscrite  plus  bas,  est  tout  à 

10 


/' 


Art  et  T)ecoration 


fait  charmante,  et  l'on  sait  avec  quelle  ten- 
dresse de  main  M.  Danipt  sait  modeler  des 
têtes  rieuses  ou  chagrines  de  poupons.  L'adap- 
tation de  la  sculpture  au  meuble  est  ici  très 
heureuse;  peut-être,  dans  le  lit  de  Tan  dernier, 
ne  dégageait-elle  pas  assez  les  panneaux;  cette 
fois,  le  groupement  des  deux  tètes  laisse  bien 
distincts  les  sommets  des  deux  montants,  et  la 
structure  intime  du  meuble  ne  s'en  trouve  pas 

masquée. 

De  là  vient 
l'aspect  de  lu- 
I  cidité  et  d'ai- 
sance raison- 
née  qui  séduit 
I  des    la    pre- 
ni  i  c  r  e    vue 
dans  la  con- 
[ception   de 
de     cette 
chaise;     et 
I  c'est    assuré- 


marqueterie,  ou  que  l'on  recouvre  les  sièges 
de  tapisserie,  de  cuir  repoussé  ou  d'étoffe,  les 


Cli.iisc  d'cnf^int 


Dcl.lll    Je    I.l    ('ll^liSC  M.   DAMPT 

lignes  essentielles  n'en  doivent  pas 
moins  s'imposer  selon  un  assemblage 
que  légitiment  la  destination  et  la  résis- 
tance nécessaire  de  l'objet,  et  être  tracées 
avec  toute  la  grâce  que  l'artiste  aura  pu 
leur  communiquer.  Ces  doubles  qua- 
lités de  joliesse  et  de  précision  font  de 
cette  chaise  d'enfant  un  des  meilleurs 
exemples  de  meubles  que  l'on  ait  pu 
voir  depuis  plusieurs  années. 

Voilà  bien,  dans  les  trois  œuvres 
qu'expose  M.  Dampt  au  Champ -d."- 
Mars,etque  nous  avons  pu  reproduire, 
la  complète  diversité  que  j'annonçais; 
et  de  quelque  coté  que  se  dirigent  ses 
recherches,  on  pourra  apprécier  la 
haute  conscience  de  ce  noble  artiste  et 
l'entente  de  plus  en  plus  parfaite  des 
métiers  qu'il  entreprend. 


ment  par  cette  recherche  de  clarté  élégante  et  de  M""  Antoinette  Vallgrcn  a  modelé  en  marbre 

simplicitélogiquc  quel'on  doittenierde  rénover  ou  en  terre  cuite  des  physionomies  nerveuses 

l'ameublement.    Notre  esprit,  plus  imprégné  et   vivaces;   je   songe   surtout   à  un    buste   de 

que  jadis,  par  les  exigences  pratiques  de  l'exis-  saint  Jean-Baplistc  enfant,  et  à  un  joli  masque 

tence,    de   la    rigueur    scientifique,   a    besoin  de  bambino  dont  elle  a  délicieusement  rendu 

d'être  satisfait  en  même  temps  que  nos  yeux.  la  mine  curieuse  et  éveillée,  avec  ce  sentiment 

Que  l'on  fasse  appel,  pour  les  détails  de  l'or-  si  juste  d'observation  dont  Donatello   et  son 

nenientation,  à  la  sculpture  sur  bois  ou  à  la  école  ont  donné  pour  toujours  le  modèle. 


Quelques  Artistes 


75 


â  ^i^r^'l 


Miià 


Mme  Vallgren,  depuis  quelques  années,  s'est 
surtout  vouée  à  la  reliure,  et  l'on  a  pu  voir  déjà 
quelques-unes  de  ces  couvertures  en  cuir  re- 
poussé et  teinté  par  des  procédés  chimiques, 
d'une  conception  tout  à  fait  nouvelle  et  dont  il 
faut  lui  attribuer  tout  l'honeur. 

Il  n'y  a  pas  à  craindre  que  le  relief  vienne  en- 
suite s'écraser,  comme  cela  pourrait  se  produire 
pour  un  sim- 
ple gaufrage; 
la  façon  dont 
le  cuir  est 
garni,  et 
comme  rem- 
boui  ré  à  Tin- 
té rieur,  ga- 
rantit le  mo- 
delage contre 
toute  pres- 
sion. Les  co- 
lora t  i  <  )  n  s 
sont  égal  c- 
ment  inalté- 
rables, parce 
qu'elles  ne 
sont  pas  ap- 
pliquées su- 
perficielle- 
ment, mais 
que  leur  ac- 
tion pénètre 
dans  la  peau, 
cequi  permet 
d'obtenir  des 
patines  beau- 
coup plus 
fondues  et 
plus  intimes 
avec  la  ma- 
tière même. 
Les    Salons 

du  Champ-de-Mars  nous  ont  fait  connaître  les 
reliures  dont  M""'  Vallgren  a  revêtu  Pécheur 
d'Islande,  avec  unmotifdebronzeincrustédans 
l'encoignure  et  figurant  une  vieille  femme  ac- 
croupie sur  des  marches  d'église,  et  Les  Yeux 
C/(i/r5,  où  de  jeunes  visages  ouvrent  leurs  pru- 
nelles parmi  les  volubilis;  ou  bien  encore  le  fin 
entrelac  d'algues, dont  se  dégage  u  n  paysage  ma- 
rin, pour  les  Souvenirs  d'un  Alatelot  ;  et  la  belle 
composition  conçue  pour  V Œuvre  de  Carriès, 


'  ■^'  [■   il 


Prnjel  JiJ  icliure  pour  Li  \'ic  Je  Je 


gren  compose  maintenant  pour  un  volume  de 
poèmes,  les  Étapes  de  l'Oubli. 

Nous  donnonsen  reproduction  la  reliure  exé- 
cutée pour  la  Vie  de  Noire-Seigneur  Jésus- 
Christ,  de  James  Tissot,  ou  du  moins  la  première 
idée  de  cette  reliure,  car  le  projet  définitif  com- 
piirte  quelques  modifications  dans  l'attitude  de 
l'enfant  et  de  la  Madone,  et  substitue  en  bor- 
dure un  décor 
continu  d  e 
branchesd'o- 
1  i viers,  par- 
tout oij   M""' 

Vallgren 
avait  d'abord 
esquissé  di- 
verses plantes 
tirées  des  pa- 
raboles évan- 
géliques  ;  le 

lis  des 
champset  les 
épis  de  fro- 
ment semés 
de  fleurs  en 
étoile.  Il  sem 
ble  que  l'on 
doive  un  peu 
regretter  ces 
changements 
Mais  ce  qu'il 
convient  sur- 
tout d'appré- 
cier, c'est  la 
disposition 
du  sujet  cen- 
tral etdestétes 
d'angesqui  le 
surmontent  , 
c'estcefondsi 
ingénieux  de 
troncs  d'oliviers,  dont  M"''  'Vallgren  a  si  bien 
dégagé  le  caractère  noble  et  harmonieux,  et  qui 
s'unissent  dans  leurs  inflexions  aux  plis  du  vête- 
ment de  la  Vierge.  Avec  un  très  faible  relief, 
Mme  Vallgrenafaitune  œuvre  d'une  unité  sobre 
etpénétrante,et  qui  obéit  parfaitement  à  sa  des- 
tination. Car  il  ne  faut  pas  oublier  qu'un  livre 
se  range  sur  les  ravons  d'une  bibliothèque,  et 
que  son  habillement  doit  le  protéger  et  non  se 
substituer  à  lui  :  de  là  des  conditions  néces- 
saires   de    modération  dans    le   relief,    et  de 


VALLGREN 


et  inspirée  par  l'idée  de  la   flamme  donnant 

naissance  à  la  céramique.  Et  je  puis  moins  que      sobriété  dans  la  composition  et  la  couleur. 

tout  autre  oublier  la  couverture  que  M™«  Vall-  Gust.we  Soulier. 


Les  Industries  d'Art  au  Salon 

LE    MEUBLE 


L'organisntion  de  la  section  des  objets  d'art 
aux  Salons  annuels  n'est    pas  ce   qu'un   vain 
peuple  pense  :  une 
simple    innovation 
administrative,  in- 
génieuse,   ayant 
pour  but    de    leur 
assurer  un  élément 
nouveau    d'attrac- 
tion, un  moyen  de 
concurrence    mon- 
daine;  on    doit    y 
voir  le  commence- 
ment   d'une    idée, 
autantsocialequ'in 
dustrielle  et  artis- 
tique, destinée,    si 
des     circonstances 
imprévues  n'en  en- 
ravent   point   l'ap- 
plication, à  modi- 
fier les  conditions 
actuelles  de    fonc- 
tionnement des  in- 
dustries d'art,  qui, 
il  faut  bien  le  dire 
franchement ,      ne 
sont     rien     moins 
que    favorables     à 
l'éclosion  d'œuvres 
nouvelles,     origi- 
nales,  supérieures 
d'invention  etd'exé- 
cution,  et  de  nature 
à  les  vivifier  active- 
ment.   Des   petites 
causes    produisent 
de    grands    effets; 
n'a-t-on    pas    dit, 
avec    éloquence  et 
esprit,    que  le   nez 
de  Cléopâtre  a  failli 
changer  la  face  du 
monde  ? 

La  poursuite  et 
l'invention  des  idées  artistiques  nécessitent 
une  passion,  un  désintéressement,  une  foi, 
que  seuls  peuvent  avoir  des  artistes  que  ne 
hantent  point  exclusivement  l'objectif  de  ga- 


gner de  l'argent,  devenu  aujourd'hui,  par  la 
force  des  institutions  et  des  mœurs,  le  mobile 

général  des  chefs 
d'industries  d'art, 
qui  ne  sont  plus 
guère  que  des  admi- 
nistrateurs finan- 
ciers,et  non. comme 
autrefois,  des  gens 
de  métier,  expéri- 
mentés et  hardis. 
L'étude  de  la  ge- 
nèse des  progrès 
artistiques,  techni- 
ques même,  accom- 
plis depuis  un  quart 
desiècledanstoutes 
les  branches  de  ces 
industries,  démon- 
tre irréfutablement 
que  tous  sont  dus 
à  des  artistes  iso- 
lés, qui,  suivant  le 
mot  suggestif  de 
Bernard  Palissy,sc 
sont  «  fait  leur 
éducation  avec  les 
dents  »,  ont  pour- 
suivi, avec  une  éner- 
gie et  une  ténacité 

irréductibles,  et 
presque  loujoursau 
prix  de  privations 
et  de  souftVances, 
la  réalisation  de  ce 
qu'ils  avaient  dans 
l'imagination.    En 

céramique,  par 
exemple,  d'où  est 
sortie  la  renais- 
sance actuelle 
avec  laquelle  au- 
cune période  his- 
torique ne  peut 
certainement  être 
comparée  pour  tant  d'efforts  simultanés  et 
couronnés  de  succès  en  vue  de  la  conquête  de 
formes  décoratives  nouvelles,  de  procédés  tech- 
niques   nouveaux?    Des   petits    ateliers,    pour 


Meuble  vitrine  eomposé  par  M.  Belvillc  pour  ses  reliures. 


Les  Industries  dArt  au  Salon 


77 


ainsi    dire    familiaux,  de    Chaplet,    de   Dela- 
herche,  de  Dammousse,  de  Carriès,  de  Bigot, 


Panneau  de  bois  sculpté,  reliaussé  de  couleur, 
par  M.  Heslaux. 

de  Lachenal,  etc.  Qui  a  fait  de  la  verrerie 
cette  industrie  artistique  si  originale,  si  pré- 
cieuse, où  une  conception  personnelle  du 
décor,  un  symbolisme  poétique,  se  trouvent 
réalisés  féeriquement  par  la  techniciue  la  plus 
audacieuse,  employant,  avec  toute  la  liberté 
prodigieuse  de  l'empirisme  et  avec  la  méthode 
sévère  de  la  science,  habilement  combinées, 
des  incorporations  inconnues  de  métaux,  des 
malaxages  ignorés  de  matières,  des  façonnages 
inédits,  qui  enferment  dans  le  cristal  les  effets 
les  plus  prestigieux  de  coloris,  de  tons,  de 
nuances,  d'irrisations,  de  fulgurations  et  de 
reflets?  Les  puissants  manufacturiers  du  Nord 
et  de  l'Est?  Non;  des  verriers  modestes,  in- 
connus, simplement  passionnés  pour  leur  mé- 
tier, et  amoureux  d'art. 

Quel  est,  en  ce  moment,  le  système  de 
concurrence  universellement  en  faveur?  Le 
bon  marché  qui  réduit  la  valeur  de  la  main- 
d'œuvre  et  la  valeur  de  la  conception  à  leur  ex- 
pression la  plus  simple,  et  fatalement  en  arrive 
à  ne  plus  laisser  employer  d'autres  moyens 


d'appréciation  que  le  poids  et  la  mesure  de  la 
matière.  Cette  organisation  nouvelle  restaure 
la  tradition  de  l'œuvre  unique,  où  la  matière 
n'est  plus  rien,  où  l'idée,  ainsi  que  le  travail 
de  l'artiste,  est  tout.  Elle  ressuscite  aussi  les 
relations  directes  entre  le  producteur  et  le 
consommateur,  par  lesquelles  l'un  et  l'autre 
apprennent  à  se  connaître,  à  s'estimer  et  à 
s'aimer,  dans  la  communion  intime  et  con- 
stante des  idées,  des  ambitions  et  des  rêves 
d'art,  qui  inspire  et  crée  les  œuvres  originales 
et  met  leurs  auteurs  au  rang  social  auquel  ils 
ont  droit.  Quand  je  compare  les  mœurs  d'au- 
trefois à  celles  d'aujourd'hui,  il  me  vient  aus- 
sitôt à  la  mémoire  ce  passage  de  la  vie  de  Ben- 
vcnuto  Cellini  :   «  Je  m'occupai  du    jovau  de 


Encadrement  de  glace  en  bois  sculpté 
de  M.  Hestaux, 

«  la  Duchesse.  Quand  je  l'eus  terminé,  je  le 
((  lui  présentai;  elle  me  dit  qu'elle  estimait 
((  autant  mon   travail  que  le  diamant   vendu 


78 


Art   et  T)écoration 


«  par  Bernardaccio.  Elle  voulut  que  j'atta- 
((  chasse  de  ma  main  le  pendant  sur  sa  poi- 
«  trine,  ce  que  je  tîs  avec  une  grosse  épingle 
((  qu'elle  me  donna  elle-même;  lorsque  je  me 
((  retirai,  j'étais  complètement  dans  les  bonnes 
«  grâces  de  Son  Excellence.  » 

Celte  communication  constante  entre  le  pro- 
ducteur et  le  consommateur,  cette  collabora- 
tion, pour  mieux  dire,  n'existe  plus  aujour- 
d'hui entre  l'artiste  qui  crée  le  meuble  et  les 


la  grâce  et  de  l'originalité,  sans  oublier  qu'il 
sera  soumis,  en  outre,  à  tout  ce  que  comportent 
d'agitation  nos  habitudes  de  vie  errante.  Or,  si 
l'on  veut  bien  s'en  souvenir,  tout  ce  que  les  Sa- 
lons annuels  nous  ont  offert  jusqu'ici,  en  ameu- 
blement, à  très  peu  d'exceptions,  ne  réunissait 
guère  ces  qualités  essentielles,  et  paraissait 
bien  plutôt  en  être  le  svstématique  contre-pied. 
Cette  annéeau contraire,  les  spécimensqu'on 
rencontre  du  meuble  attestent  un   retour  très 


Danqiicllc  d'aniicluimhie. 

amateurs  auxquels  l'artiste  le  destine,  —  et  les 
créations  nouvelles  s'en  ressentent. 

Or,  le  meuble  s'accommode  beaucoup  moins 
que  l'objet  d'art  (orfèvrerie,  ferronnerie,  grès, 
faïence,  porcelaine,  etc.),  de  la  fantaisie  que 
celui-ci  admet  très  volontiers,  si  même  il  ne  la 
réclame.  Par  destination,  il  est  usuel;  et,  en 
conséquence,  il  exige  des  conditions  spéciales 
de  logique  et  d'harmonie,  dans  la  conception  et 
dans  l'exécution.  Il  doit  supporter  ou  contenir 
ou  protéger  quelque  chose  d'utile  ou  de  pré- 
cieux, et  en  même  temps  contribuer  à  la  dé- 
coration d'un  intérieur;  ainsi,  ses  services 
impliquent  de  la  solidité  et   de  l'élégance,   de 


M.    BONVALLET 


marqué  aux  traditions  anciennes  de  logique 
trop  longtemps  méconnues  par  les  construc- 
teurs de  meubles  modernes.  Signalons  en  pre- 
mièrelignequelquesmeubles  extrêmement  bien 
compris,  de  MM.  Plumet  et  Selmersheim,  que 
nous  reproduirons  dans  le  prochain  numéro. 
Signalons  également,  pour  les  belles  qua- 
lités de  sa  frise  en  application  d'étoffes  de  cou- 
leur, la  banquette  de  M.  Ronvallet,  pour 
l'ingéniosité  de  son  décor  en  marqueterie, 
pyrogravure  et  bois  découpé,  le  cabinet  de 
M.  Reynier,  pour  la  simplicité  élégante  de  sa 
forme,  la  vitrine  de  M.  Rciville;  signalons 
aussilesecrétaire  en  bois  sculpté  de  M.  Angst. 


Les    Industries    d'oÂrt    au    Sait 


VI 


79 


Ingcnumcnt,   sans   se  mettre   douloureuse- 
ment martel  en 


teie  pour  in 
venter  quelque 
orme  architec- 
turale nou  - 
velle,  plus  ou 
moins  bizarre, 
son  auteur  en 
a  choisi  une 
parmi       celles 


sacrées  non 
sans  raison  , 
qui  lui  a  paru 
convenir    le 


Cabinet  en  m^trquctev'c,  avec  jf^IicLitions  de  bois  découpé,      m.  reyn:er 


mieux  à  son  projet;  et,  sur  du  chêne,  bien 
choisi,  d'une  belle  couleur  naturelle,  assemblé 
en  vanteaux  de  porte,  en  panneaux  de  tiroirs, 
en  montants,  soubassements  et  corniches,  avec 
i;oùt,  suivant  les  prescriptions  du  «  Roubo  », 
il  a  sculpté  finement  un  décor  très  gracieux 
qu'il  intitule  :  «  Chant  du  soir  et  Chant  du 
matin  ».  Ici,  des  alouettes  montent  dans  le  ciel 
en  chantant,  des  coqs  claironnent  le  lever  du 
soleil;  là,  des  oiseaux  nocturnes  saluent  de 
leurs  cris  le  crépuscule,  et,  au  bord  d'un  étang, 
que  les  habi-  des  grenouilles  coassent.  C'est  bien  simple, 
tudes  ont  con-  bien  naturel;  ce  n'est  ni  du  Cauvet,  ni  du  Bé- 
rain;  et  c'est  original  et  charmant.  Que  vou- 
driez-vous  déplus? 

L'artiste  véritable  sait  faire  servir  la  matière 
à  l'expression  précise  de  sa  pensée, sans  rien 
lui  enlever  de  ce  qui  en  est  la  nature  essen- 
tielle, de  ce  qui  en  constitue  les  qualités 
d'usage  ou  d'aspect  ;3il  l'adapte,  il  l'assouplit, 
mais  il  la  respecte.  Et  tout  est  béné- 
fice pour  lui  :  car  ainsi  elle  devient 
elle-même,  suivant  le  caractère  du 
travail  auquel  il  a  dû  se  livrer,  une 
affirmation  de  sa  personnalité,  en 
ce  qu'elle  contient  d'ingéniosité, 
d'énergie,  de  conscience  ou  d'ha- 
bileté. Quand  un  artiste  peint  sur 
une  étoffe  de  soie  un  décor  de 
paravent,  de  tenture,  comme  il 
en  est  montré  beaucoup  aux  Sa- 
lons, si  les  qualités  intrinsèques  de 
la  soie  ne  paraissent  pas  avoir  été 
utilisées  dans  le  travail,  on  songe 
immédiatement  à  un  gaspillage 
d'une  matière  précieuse  ;  mais  , 
que  ce  même  décor  soit  tissé  ou 
brodé,  il  en  devient  une  oeuvre  d'art 
complète,  qui  plaît  à  la  fois  par  les 
mérites  de  l'idée  par  ceux  de  son 
exécution.  Les  artistes  du  cuir,  qui 
font  des  reliures,  des  coffrets,  des 
buvards,  etc.,  se  donnent  le  plus  sou- 
vent un  mal  énorme  pour  que  cette 
matière  n'apparaisse  plus  ce  qu'elle 
est, qu'elle  donnel'illusion  de  l'étoffe, 
de  l'ivoire,  du  bois,  etc.  ;  ils  le  pei- 
gnent, le  glacent,  le  vernissent,  le 
dorent,  le  compriment,  le  martèlent 
péniblement.  Combien  sur  un  vrai 
cuir,  au  naturel,  une  simple  idée  dé- 
corative, dont  l'expression  a  mis  à 
profit  les  qualités  de  la  matière  qui 
en    ont    inspiré    le    choix,    est,    au 


8o 


Art    et    'Dc'coraîioii 


contraire  chose  exquise,  et  sourit  délicieuse-      En  cela,  ils  font   œuvre    patriotique,   oppor 
ment  aux  yeux!!  ^""2'   urgente  même,  car   quoi   qu'en  disent 

Aussi,    faut-il    émettre    franchement   le  re-      les  optimistes  de  carrière,  nos  industries  artis- 


gret  de  ne  point  trou 
ver  aux    Salons  plus 
de  travaux  en  exécu- 
tion définitive,  plus  de 
spécimens  de  tous  les 
types  de  formes  d'art 
décoratif:  des  soieries 
lyonnaises,  de  la   ru- 
bannerie  stéphanoise, 
des  broderies  des  Vos- 
ges   et    de    Franche- 
Comté,  des  dentelles 
du    Puv,  de  Calais  et 
de    Lvon,   des    tapis, 
des  tapisseries  et  des 
tentures  de  Roubaix, 
de  Tourcoing,   d'Au- 
busson,  des  indiennes 
de    Rouen,  des  meu- 
bles   de    Nantes,    de 
Toulouse  et  de   Bor- 
deaux. Des  esquisses, 
desmaquettes,  desdes- 
sins, en  vue  de  ces  in- 
dustries, il  y  en  a,  et 
en  grand   nombre,  et 
de  fort  originaux,  pit- 
toresques, charmants, 
mais  cela   n'est  point 
assez  vivant,  assez  sug- 
gestif   de    sensations 
pour  le  public.  Seules, 
les étoffesdontM.  Plu- 
met a  garni  le  délicieux 
boudoir  dans  lequel  il 
expose  sesmeubles,  re- 
présentent au  Champ 
de  Marsle  travail  de  l'ar- 
tiste mi  s  définitivement 
en    valeur    par    l'ex- 
écution industrielle. 

Et  cesétoffes, comme 
toutes  celles  de  M.  Au- 
bert,  sont  charmantes. 
Elles  sont  vraiment 
de  nature  à  inspirer 
au  public  l'énergique 
et     décisif    désir     de 


tiques  ont    besoin  de 
recevoir  des  idées  nou- 
velles;  et,  seuls  peu- 
vent donner  une  im- 
pulsion vigoureuse  en 
ce  sens,  les  artistes  in- 
dépendants, hardis  et 
convaincus,  pleins  de 
foi  et  d'enthousiasme, 
ceux  qu'on  voit  à  ces 
salons,    et    ceux    qui 
y   viendraient,     avec 
la  joie  d'être  délivrés 
de   l'obscurité  ou  du 
snobisme,  si  les  condi- 
tions   d'admission    et 
le  bon  accueil  dont  y 
sont  assurées  les  pro- 
ductions   originales  , 
loyales    et    sincères  , 
étaient  plus  connues. 
L'heure  à  vrai  dire, 
de  ces  grandes  assises 
de  l'art  décoratif  n'est 
pas     encore     venue, 
parce  que    le  mouve- 
ment    qui     entraine, 
grands  ou    petits,  les 
artistes  et   les   manu- 
facturiers versun  nou- 
vel idéal,  n'a  point  pris 
forme  encore  dans  les 
grandes  industries. 
Pour  celles-ci,  en  effet, 
une  évolution  comme 
celle   qui   se  prépare, 
se  complique  de  pré- 
occupât ions  d'un  autre 
ordre.  Elle  entraine  de 
lourdes  dépenses,  elle 
engage  d'énormescapi- 
taux:  il  est  donc  natu- 
rel qu'avant   de  virer 
de  bord  on  se  recueille. 
Quoi  qu'il  en   soit, 
l'attente   ne    sera    pas 
longue.  Les  ouvriers 
de  la  première  heure 


Secrétaire  en  chêne  sculpté.  m-  angst 

mettre    dans   sa   vie    un    peu  plus   d'art.  Or,       sont  à  l'œuvre.  La  voix  pubHque  s'est  pronon- 
c'est  bien  là  le  but,  d'une  haute  portée  sociale,       cée  pour  eux;  qu'on  le  ^''^^J'^'^^^^Y^chÔn 
que  poursuivent  les  organisateurs  des  Salons.       suivre.  N  arils 


LA    SCULPTURE    DECORATIVE 


La  production  esthétique  s'est  tellement  également  les beauxessaisde  Carriès  et  de  Bar- 
ccartée  des  voies  naturelles  depuis  le  commen-  tholomé.  Enfin,  récolebelgecontemporainequi 
cément  de  ce  siècle,  qu'il  importe  à  présent  de  compte  quelques  sculpteurs  éminents,  cherche 
distinguer  sous  une  étiquette  spéciale  les  pro-  à  son  tour  à  pénétrer  ses  créations  d'un  large 
ductions  d'art  qui  répondent  à  une  nécessité  sentiment  ornemental,  et  à  ce  point  de  vue 
pratiquée!  dont  le  seul  rôle  n'est  pas  de  figurer  nous  pouvons  signaler  comme  tout  à  fait  inté- 
commc  bibelot  ou  objet  de  luxe  dans  un  salon,  ressauts  les  envois  au  Champ-de-Mars  de  ces 
ime  galerie  particulière  ou  un  musée.  Toute  deux  admirables  artistes  qui  ont  nom  Cons- 
la  sculpture  jadis  était  décorative,  et  le  statuaire,  tantin  Meunier  et  .lef  Lambeaux.  Voici  du  pre- 
en  principe,  ne  considérait  son  (euvre  que  mier  lui  bas-relief  de  petite  dimension  qui 
comme  un  complément  de  la  création  architec-  s'harmoniserait  à  mer\eille  avec  un  encadre- 
turale.  Les  effigies  de  dieux  et  de  déesses,  de  ment  de  marbre;  pour  la  simplicité  de  la  mise 
héros,   d'em-  en    scène,   la 

pereurs,  d'o- 
ra  t  eu  r  s,  de 
gvnina  sies, 
que  nous  lais- 
sèrent les 
Grecs  et  les 
Romains,  or- 
liaient  les 
temples,  les 
places  publi- 
ques,les  théâ- 
tres, les  jar- 
dins—conçus 
également 
par  les  archi- 
tectes —  et 
bien  souvent 
l'on  ne  pou- 
vait détruire 
ou  enlever 
l'une  d'elles, 


vérité  physio- 
nomique  des 
types,  et  la 
poésie  natu- 
relle du  sujet, 
ce  morceau 
est  compara- 
ble aux  sculp- 
tures les  plus 
expressives 
du  xnr-siècle. 
Le  site  choisi 
est,  comme 
toujours,  un 
sombre  'pay- 
sage du  Bo- 
rinage  où 
circulent  les 
ouvriers  des 
mines  et  des 
carrières.  On 

sansqueTharmoniegénérale  ensouffrit. Quand  ne  se  lasse  pas  d'admirer  la  profonde  vérité 
Phidias  sculptait  les  frontons  du  Parthénon,  il  d'allure,  de  geste  et  de  '<  vie  intérieure  <>  avec 
subordonnait  sa  conception  à  celle  d'Ictinus,  laquelle  Meunier  nous  montre  cette  humanité 
Cl  qui  saiti  son  admirable  groupe  des  Parques  douloureuse  et  fière...  On  sait  que  l'artiste  est 
doit  peut-être  quelque  chose  de  sa  beauté,  aux  devenu  le  glorificateur  du  travail;  il  s'est  par- 
umiensions  sévères  imposées  par  la  ligne  d'ar-  ticulièrement  attendri  sur  l'héroïsme  incons- 
chitecture.  Les  imagiers  du  Moyen  Age  firent  cient  des  mineurs;  il  a  peint  leur  sol  grouillant, 
de  même  des  statues  pour  les  niches  des  égli-  vivant,  noir;  il  a  vécu  dans  leurs  villages 
ses,  des  bas-reliefs,  des  tympans,  des  gar-  calmes  et  gais  ;  il  a  contemplé  le  ciel  tragique 
gouilles,  etc.,  toujours  en  relations  de  forme  de  la  contrée  où  se  déroulent  d'efi'rayants 
et  desprit  avec  le  monuinent  auquel  ces  panaches  de  fumée  et  de  flammes;  il  a  pénétré 
travaux  étaient  destinés.  aux  heures  brutales  des  catastrophes,  dans  les 

1  armi  les  modernes.  Rude  et  Carpeaux  ont  lazarets  volants  où  s'alignent  les  cadavres... 
seuls  compris  le  véritable  caractère  de  la  sculp-  S'il  a  choisi  spontanément  le  monde  des  houil- 
ture;  et  dans  ces  derniers  temps,  nous  avons  eu      leurs,  c'est  quecemond.  lui  donnait  le  spectacle 

1  1 


Bas-rclicf  brunie  "  /es  Mnieurs  ". 


CUNSIANIJN  MEINIKR 


8; 


Art  et  Décoration 


d'une  vie  intense,  primordiale,  presque  vierge. 
Et  son  génie  delà  beauté  plastique  lui  a  permis 
ensuite  de  tixer  dans  la  forme  la  plus  nettement 
réelle  les  modèles  qu'a  choisis  son  rêve.  C'est 
pourquoi  aussi  le  bas-relief  que  nous  reprodui- 
sons aujourd'hui  est  un  nouveau  chef-d'œuvre 
du  puissant  maître. 

Jef  Lambeaux  est  un  créateur  non  moins 
vigoureux  que  Meunier;  mais  sa  parenté 
artistique  est  plus  facile  à  déterminer.  Lam- 
beaux est  le  successeur  direct  de  Rubens  et  de 
.Tordaens  et  il  tient  peut-être  même  plus  du 
second  que  du  premier.  Il  expose,  cette  année, 
au  Champ-de-Mars  un  fragment  en  marbre 
d'une  grande 
composition 
décorative 
les  Passions 
humaines  , 
qu'il  a  exé- 
cutée pour  le 
gouverne- 
ment belge  . 
Quand  on  ap- 
prit en  Belgi- 
que qu'un 
ministre  clé- 
rical avait 
osé  comman- 
der à  .1  e  f 
Lambeaux 
un  bas-relief 
d'un  svmbo- 
lisme  aussi 
dangereux.ce 

fut  dans  la  presse  bien  pensante  un /o//^  général. 
Au  récent  congrès  ecclésiastique  de  xMalines, 
le  gouvernement  fut  accusé  de  trahison  et  de 
«  pornomanie  ».  Des  légendes  circulèrent  et 
l'on  racontait  que  le  sculpteur,  s'inspirant  des 
artistes  médiévaux,  s'était  laissé  aller  aux  fan- 
taisies les  plus  immorales.  Or, personne  n'avait 
vu  l'œuvre.  L'artiste  y  travaillait  avec  grand 
mystère  dans  un  atelier  perdu  en  pleine  cam- 
pagne, aux  environs  de  Bruxelles.  Enfin,  quel- 
ques amis  furent  admis  à  contempler  la  gigan- 
tesque maquette  de  plâtre  où  la  conception  du 
jeune  niaitre  avait  pris  corps.  On  chercha  les 
épisodes  lubriques,  on  n'en  trouva  point.  Mais 
on  fut  invinciblement  ému  du  spectacle  de  vie 
réelle  et  profonde  que  présentait  cette  fresque 
sculptée.  L'ensemble  forme  véritablement  ta- 
bleau :  la  mort  apparaît  au  centre  de  l'a^uvre  ; 
à   ses   pieds   s'épanouissent   les   voluptés,    les 


l-'raprmcnt  des  Passions  liunmnics.  — 'J^'.U'Cu, 


ivresses,  tous  les  plaisirs  charnels,  personnifiés 
par  d'éclatantes  créatures,  pétrid's  pour  l'amour 
et  la  joie  ;  au  sommet  de  la  composition,  se 
détache  la  figure  amaigrie  de  Jésus  expiant  sur 
la  croix  les  passions  mauvaises  des  hommes. 
Le  symbole  est  simple,  comme  on  voit,  et  la 
philosophie  de  .lef  Lambeaux  se  passe  de  com- 
mentaires. 

On  peut  juger,  d'après  notre  reproduction, 
du  souci  de  forme  que  l'artiste  a  apporté  dans 
son  bas-relief.  Ce  groupe  est  d'une  remar- 
quable élégance  de  lignes.  Le  sculpteur  a. 
d'ailleurs,  pris  lui-même  le  morceau  au  point, 
ne  voulant  point  confier  ce  soin  au  praticien. 

Il  faudra  en- 
core cinq  an- 
nées à  Jef 
Lambeaux 
pour  réaliser 
complète- 
mentson  œu- 
vre. Ils  sont 
rares,  à  l'heu- 
re présente, 
les  créateurs 
qui  s'absor- 
bent pendant 
douze  années 
dans  le  même 
l'eve  d'art... 
Aussi  d  e- 
vons-nous  sa- 
luer les  Pas- 
sions humai- 
nes ,  avant 
même  que  d'en  avoir  apprécié  la  valeur  totale, 
non  seulement  comme  une  œuvre  de  vigou- 
reuse et  saine  beauté,  mais  comme  un  exem- 
ple tout  à  fait  précieux  de  foi  et  de  conscience 
artistiques. 

La  France  est  représentée  au  Champ-de- 
Mars  par  des  œuvres  qui  ne  le  cèdent  en  rien, 
pour  la  hauteur  de  conception,  la  beauté  plas- 
tique et  l'accent,  aux  envois  des  artistes  belges. 
Quelque  sensation  d'inachevé  qu'il  nous 
laisse,  le  groupe  en  plâtre  de  M.  Rodin, 
Victor  Hugo  écoutant  les  voix  de  la  mer,  est 
l'œuvre  la  plus  puissante  peut-être  que  la  sculp- 
ture contemporaine  ait  produite.  Ce  n'est 
guère,  hélas,  qu'une  ébauche;  si  le  person- 
nage principal,  le  poète,  est  un  morceau  accom- 
pli et  d'une  suprême  beauté  d'attitude,  le 
génie  qui  se  penche  à  son  oreille  n'est  encore 
qij'une  indication;  si  la  néréide  debout  se  re- 


M.    JEF    LAMBEAUX 


La  Sculpture  Décorative 


85 


commande  par  un  torse  admirable  et  compa- 
rable aux  meilleurs  morceaux  de  l'antique,  il 
reste  à  la  compléter  par  des  bras  et  à  taire  de 
ses  Jambes  informes  le  soutien  élégant  et  noble 
qu'exige  impérieusement  ce  beau  corps. 

Au  point  de  vue  de  l'exécution  définitive, 
bien  des  inquiétudes  subsistent  également. 
L'œuvre,  commandée  par  l'Etat,  et  destinée  au 
jardin  du  Luxembourg,  sera  traduite  en 
marbre.  Or,  dans  cette  matière,  elle  est  irréali- 


garde,  dans  sa  forme  définitive  de  la  pierre,  le 
même  sentiment  profond,  la  même  noblesse 
auguste  que  l'on  a  reconnus  au  modèle. 

Passons  aux  Champs-Elysées.  Nous  y  trou- 
verons, dans  la  sculpture  décorative,  une  série 
de  compositions  du  plus  haut  intérêt,  le  Coup 
de  collier  de  M.  Debrie,  le  Poète  de  M.  Fal- 
guière,  le  bas-relief  exécuté  par  M.  Frémiet 
pour  le  Muséum  d'histoire  naturelle,  la  statue 
tombale    du    Cardinal     Guibcrt,    œuvre     de 


Le  coup  de  collier,  haut-relief,  plâtre. 

sable  actuellement.  Ni  le  bras  du  génie  qui  se 
convulsé  au-dessus  de  la  tète  du  poète,  ni  le 
bras  du  poète  lui-même  ne  pourraient  se  sou- 
tenir qu'au  moyen  d'étais  de  marbre,  de  l'effet 
le  plus  regrettable  et  le  plus  lourd.  L'artiste 
aura-t-il  le  courage  de  remanier,  comme  il  le 
faudrait,  son  ensemble,  avant  de  le  remettre 
aux  mains  des  praticiens?  Telle  est  la  question 
qui  se  pose. 

L'Alexandre  Dumas,  que  M.  de  Saint-Mar- 
ceaux  a  couché,  comme  les  gisants  du  Moyen 
Age,  sur  sa  dalle  funéraire,  est  une  conception 
élégante  et  simple  qui  fera  le  plus  grand  hon- 
neur à  l'artiste.  Enfin,  le  groupe  central  du 
Monument   aux   morts    de    M.    Bartholomé, 


M.    DEBRIE 


M.  Louis  Noël,  et  de  la  plus  magistrale  ordon- 
nance, le  monument  à  Giij'  de  Montpassant, 
de  M.  Raoul  Verlet,  le  monument  kILeconte 
de  Lisle,  de  M.  Puech,  le  monument  au  comte 
Lambrecht,  de  M.  Breitel.  Nous  ne  nous  arrê- 
terons aujourd'hui  qu'aux  trois  premières. 

Le  haut-relief  de  M.  Debrie  représente  un 
attelage  de  quatre  chevaux  de  trait  dans  l'effort 
tendu  d'  «  un  coup  de  collier  ».  Des  deux  che- 
vaux de  tête,  l'un  au  premier  plan  tire  à  pi  in 
collier  dans  un  audacieux  mouvement  tour- 
nant que  suivent  les  deux  timoniers,  la  crinière 
éparse,  les  naseaux  dilatés,  l'arrière-train 
engagé  dans  le  fond  du  haut-relief  où  reste 
perdu    le  lourd  chariot,   accessoire  inutile  et 


84 


Art  et  Décoration 


dont  la  composition  n'exigeait  pas  l'indication. 
C'est  une  œuvre  ardente  et  puissante,  met- 
tant devant  nos  yeux  une  de  ces  scènes  de  nature 
qui  nous  ont  si  souvent  arrêtés  à  la  ville  ou 
à  la  campagne.  Quoi  de  plus  beau  que  la  ten- 
sion et  l'effort  du  cheval  de  trait,  qui  font  jouer 


due:  ce  monument  exécuté  en  bronze  ferait 
une  admirable  entrée  au  Marché  aux  chevaux 
ou  à  la  Maison  d'Alfort. 

Le  Poète  de  M.  Falguière  est  un  groupe 
équestre  en  bronze  destiné  à  un  square  privé 
de  Paris  C'est  un  Apollon  chevauchant  Pégase. 


L'Age  de  Li  pierre,  liaut-rclief,  plâtre. 


M.    I-REMÏFT 


les  muscles,  accentuent  les  lignes  et  donnent  à 
la  bete  la  plus  déformée  par  le  travail  une 
bcau'.é  mcjincntancc  nù  le  paroxvsme  de  la  vie 
est  attcini. 

L'auteur,  M.  Debrie,  qui  professe  à  l'École 
des  Arts  Décoratifs  un  cours  d'anatomie  artis- 
tique que  tout  apprenti  sculpteur  devrait 
suivre,  est  un  modeste  et  un  timide  qiie  sa  pro- 
bité d'art  et  sa  conscience  ont  retenu  plusieurs 
années  devant  cette  œuvre  qu'il  ne  considérait 
jamais  comme  assez  parfaite.  Il  y  apporte 
vingt  ans  d'étude  passionnée  du  cheval. 
Souhaitons  qu'un  si  beau  labeur  et  une  si  belle 
œuvre  reçoivent  la   récompense  qui   leur   est 


De  ses  genoux  nerveux  pressant  les  flani's  du 
cheval  ailé  qu'il  pousse  en  avant,  de  sa  main 
gauche  tenant  une  lyre,  il  suit  de  son  regard 
inspiré  et  de  sa  main  droite  étendue  vers  l'es- 
pace, la  tuvante  image  qui  se  dérobe  el  se 
refuse  à  sa  prise.  C'est  l'exquise  figure  de  la 
jeunesse  et  de  la  beauté,  et  en  dehors  de 
cette  recherche  idéale,  le  sculpteur  a  apporté 
dans  l'étude  de  nature  du  cheval  et  du  cava- 
lier une  souplesse,  une  unité  et  une  entente  du 
mouvement  qui  en  font  une  œuvre  admirable. 

H.  Fii:ri;ns-Gevaert  et  Gaston  Migeon. 


Frise  en  afflic<itio:i  de  broderies. 


M.    BONVALLEl' 


TAPISSERIES  ET  BRODERIES 


la    main 


La  tapisserie  et  la  broderie  «  à 
étaient  complètement 
tombe-es  en  défaveur 
depuis  une  \ini;taine 
d'années.  Seules,  les 
vieilles  filles  au  fond 
des  antiques  cités  pro- 
vinciales, continuaient 
à  pratiquer  le  point  de 
marque  sur  canevas  et 
la  broderie  sur  velours 
ou  soie.  Et  les  jours  de 
féies, on  échangeait  dans 
les  familles,  les  écrans, 
les  chaises  de  peluches, 
voire  des  tableaux  en- 
cadrés, dont  la  confec- 
tion avait  demandé  une 
année  de  travail  inin- 
terrompu à  la  cousine 
ou  à  la  tante  sexagé- 
naire... La  tapisserie 
otricielle,  de  son  côté, 
n'a  rien  produit  de  bien 
remarquable  dans  ces 
derniers  temps.  Nous 
avons  été  admis  à  voir 
aux  Gobelins  les  quatre 
panneaux  commandés 
pour  la  Comédie  fran- 
V'aise  et  dont  les  sujets 
inspirés  de  notre  réper- 
toire dramatique,  ont 
été  dessinés  par  MM. 
Clairin,  Humbert,  etc.  — 
Nous  avouons  n'avoir 
été  touchés  que  médio- 
crement par  ces  compositions,  exécutées 
pourtant  avec  la  lenteur  qui  est  tradition- 
nelle dans  la  maison. 


Panneau  de  Tapisserie. 


On  ne  peut  donc  qu'applaudir  aux  efforts 
des  rares  artistes  qui  cherchent  à  rénover  la 
tapisserie  et  la  broderie.  Au  salon  du  Champ- 
de-Mars  nous  remar- 
quons entre  autres  les 
travaux  de  M.  Raiisttir. 
Voici  une  composition 
représentant  trois  jeu- 
nes filles  occupées  à 
cueillir  les  fleurs  prin- 
tanières  aux  branches 
inclinées  d'un  arbuste. 
Les  deux  figures  du 
premier  plan  sont  d'un 
dessin  fort  gracieux. 
Les  laines  emplovées 
par    M.    Ranson    sont 

malheureusement 
échantillonnées  avec 
peu  de  soin.  Quand  l'ar- 
tiste nuancera  davan- 
tage ses  tons  et  dégrade- 
ra légèrement  certains 
plans,  ses  œuvres  de- 
viendront absolument 
parfaites.  Mêmes  ré- 
serves pour  la  frise  ou 
dessus  de  porte  repré- 
sentant une  jeune  fa- 
mille se  livrant  aux  plai- 
sirs champêtres. 

Signalons  de  M'^"  van 
Mattemburgh  un  trip- 
tyque tissé  en  soie,  dont 
chaque  panneau  s'en- 
cadre de  galons  vieil  or. 
Au  centre  un  motif 
floral  s'enlève,  comme 
dans  les  tableaux  de 
Duez,  sur  une  mer  calme,  très  bien  rendue  par 
les  fils  verts.  Des  deux  côtés,  sur  un  fond  iden- 
tique se  détachent  des  tètes  d'enfants  célestes  et 


M,  J.  FLANDKIX 


£6 


Alt   et    Décoration 


les   couleurs   de  cette  jolie  frise  sont  harmo- 
nisées et  tondues  avec  infiniment  de  goût. 

Nous  pouvons  encore  citer  un  panneau  de 
A/.  F/aw^;-/».  ta- 
pisserie aux  tein 
tes  sobres  repré- 
sentant une  jeu- 
ne fille  assise 
devant  un  gué- 
ridon et  buvant 
lentement  une 
tasse  de  thé. 

Le  contraste 
des  gris  éclairés 
et  des  ombres 
plates  est  un  peu 
violent:  mais 
l'ensemble  du 
tableau  est  néan- 
moins d'une  bel- 
le   allure. 

M.  Aristide 
Maillol  cherche 
.des  harmonies 
plus  fondues  ;  la 
grande  tapisse- 
rie où  il  nous 
montre  des 
jeunes  filles 
dans  un  verger 
est  un  retour 
vers  les  pro- 
cédés tradition- 
nels. Le  des- 
sin    malheureusement     manque     d'élégance. 

De    M.    Ronai,    un    joli     motif    de    frise  ; 
l'artiste  a  choisi  comme  sujet   la  lisière  d'un 


Le  Fvintcmps  {'J  jfisscnc). 


bois  éclairée  par  les  lueurs  du  soleil  couchant. 

Trois    laines    seulement     sont     employées  : 

l'une  de  couleur  rouge  vif.  l'autre  d'un  bleu  vi- 
brant, la  troisiè- 
me vert  foncé. 
Avec  ces  trois 
tons  adroite- 
ment distribués, 
M  .  R  onai  ob- 
tient les  plus  cu- 
rieux etl'ets. 

Parmi  Icsbro- 
deurs,  mention- 
nons encore 
M.  de  Feureqm 
envoie  un  grand 
motif  floral, d'un 
style  fort  élé- 
gant, à  l'usage 
detapisdetable, 
et  M.  Bonvallet 
dont  la  frise,  his- 
toriée déplumes 
de  paon,  mérite 
un  sérieux  en- 
couragement. 

Terminons 
par  un  éventail 
en  broderie, 
pour  lequel  une 
mention  spé- 
ciale s'impose. 
M"^"  Eliot  en  a 
dessiné  le  motif 

et  nuancé  les  t  )ns  avec  le  goût  le  plus  délicat 

et  le  plus  sûr. 

H.   FlÉRENS-GzVAERT. 


M.   RANOON 


Eventail  en  broderie. 


Ta;:isscrie. 


Dessins  et  exécution  de  m.   kanson 


L'ART    MODERNE 


CONFERENCE     DE     M.     GRASSET 


Dans  la  série  de  conférences  organisées  par 
l'Union  des  Arls  décoratifs,  M.  Eugène  Gras- 
set a  traité  dernièrement  de  VArt  nouveau.  On 
sait  que  dans  la  conférence  précédente,  sur  le 
Meuble,  dont  notre  revue  a  rendu  compte  dans 
son  dernier  numéro,  M.  Emile  Molinier  avait 
déjà  donné  quelques  aperçus  de  la  question  ; 
et,  ainsi,  ces  leçons  se  trouvent  d'elles-mêmes 
renouées  l'une  à  l'autre,  et  il  en  ressort  davan- 
tage pour  les  auditeurs  la  valeur  et  la  cohésion 
d'un  enseignement. 

Par  ses  investigations  personnelles  dans  des 
domaines  si  divers  de  l'art  ornemental,  et  par  la 
diflusion  de  sa  doctrine  à  laquelle  il  forme  de 
nombreux  élèves,  M.  Grass;t  apparaît  comme 
l'un  de  ceux  qui  se  sont  le  plus  dévoués  aux 
progrès  de  la  décoration.  Il  avait,  certes,  beau- 
coup à  dire  sur  un  sujet  qui  lui  tient  si  fort  à 
cœur,  qu'il  en  a  fait  la  raison  d'être  de  sa  vie 
personnelle;  et  nous  comprenons  bien  que  l'on 
lit  songé  à  lui,  pour  entretenir  le  public 
des  préoccupations  d'art  où  semblent  tendre 
tous  les  esprits  éclairés  et  novateurs.  Disons 
tout  de  suite  que  sa  conférence,  nourrie  d'idées 
pratiques  et  renfermant  les  principes  essentiels 
d'une  saine  instruction,  ne  trompait  point  l'in- 
térêt qu'on  en  pouvait  attendre. 


Il  faut  avouer  que  nous  nous  servons,  pour 
désigner  nos  aspirations,  d'une  locution  assez 
malheureuse,  et  que  le  terme  d'Ai't  nouveau, 
lancé,  voilà  un  an,  par  l'Hôtel  de  la  rue  de 
Provence,  ne  saurait  être  adopté  sans  réserves 
et  sans  commentaires.  Le  grand  défaut  de  cette 
expression  est  de  paraître  appuyer  exclusive- 
ment et  atout  prix  sur  la  nécessité,  pour  l'art 
décoratif,  de  rechercher  sans  cesse  l'inédit  ;  elle 
semble  faire  délibérément  bon  marché  de  tout 
le  passé  et  encourager  à  construire  un  art  de 
toutes  pièces,  qu'il  soit  bizarre  ou  saugrenu,  au 
mépris  de  toute  tradition.  Le  mot  d'art  qui  ex- 
prime ce  qu'il  y  a  dans  les  œuvres  humaines  de 
beauté  résolue  et  durable,soutfreaussi,  je  crois, 
de  se  voir  accoler,  entre  toutes,  cette  épithète  de 
nouveauté,  qui  semble  faire  injure  à  la  valeur 
qu'on  lui  attribue  et  le  classer  parmi  les  chan- 
geantes manifestations  de  la  mode.  Il  ne  faut 
pas  oublier  que  l'art,  sans  cesse  renouvelé 
dans  ses  formes,  demeure  du  moins  éternel 
dans  ses  lois  fondamentales;  la  préoccupation 
dominante  de  nouveauté  est  souvent  funeste, 
et  risque  d'affoler  les  chercheurs  les  mieux 
doués.  La  nouveauté  vient  d'elle-même,  et 
sans  qu'on  y  songe,  dans  les  œuvres  sincère- 
ment conçues  en  vue  d'une  destination  déter- 


88 


Art  et  Décoration 


mince  et  dans  un  esprit  bien  net  des  conve- 
nances de  répoquc.  Il  serait  sans  doute  meil- 
leur d'insister  sur  \vi  propriété  ex  \a.  personna- 
lité de  l'art  qu'il  s'agit  pour  nous  tous  de 
réaliser  et  d'accueillir,  et  la  nouveauté  y  trou- 
verait son  compte  par  surcroit.  Mais  bien 
qu'imparfait,  le  mot  existe,  et  c'est  de  lui  que 
l'on  se  servira  sans  doute  encore  pour  activer 
l'etîort  des  artistes. 

M.  Grasset  a  très  bien  établi,  en  effet,  le  péril 
de  l'industrie 
courante,  qui  se 
borne  à  recopier 
des  modèles  an- 
ciens; et  le  mal 
est  profond,  car 
il  ne  vient  pas 
seulement  de  la 
demande  des 
clients,  qui  veu- 
lent avoir  sous 
les  yeux  un 
((  style  »  classé 
et  connu,  mais 
de  l'incapacité 
des  ouvriers,  ha- 
bitués à  repro- 
duire toujoursla 
même  pièce,  et 
que  tout  chan- 
gement dans 
leur  partie  déso- 
rienterait. 

Toute  initia- 
tive dans  les  arts 
de  l'ameuble- 
ment doit  donc 
s'effectuer,  pour 
le    moment,   en 

dehors  des  cran-  Rchmc  en  cuir  inciic  et  tcnit. 

des  maisons  in- 
dustrielles; mais  ceux  qui  cherchent  dans  cette 
voie  doivent  se  méfier  de  l'influence  néfaste 
qu'a  eue  l'école  réaliste  dans  tous  les  domaines 
de  la  décoration  et  de  la  trop  grande  habi- 
leté de  main-d'œuvre,  qui  pousse  à  imiter  de 
trop  près  la  nature,  quelle  que  soit  la  matière 
travaillée.  Il  faut  louer,  à  ce  propos,  M.  Gras- 
set d'avoir  formulé  si  nettement  les  règles 
primordiales  de  la  décoration  :  «  On  oublie, 
dit-il,  que  deux  lois  des  plus  importantes  com- 
mandent l'Art  ornemental.  La  première,  c'est 
que  la  forme  d'ensemble  des  objets  ornés  doit 
être  adaptée  à  l'usage  de   ces    objets,   et  que 


cette  forme  ne  doit  pas  être  altérée  par 
les  ornements...  La  deuxième  loi  est  que 
la  matière  oppose  une  limite  à  la  repré- 
sentation exacte  des  objets  naturels,  et 
que  cette  limite  ne  doit  être  franchie  par 
aucun  tour  de  force De  la  combinai- 
son étroite  de  ces  deux  principes,  dérive 
le  style,  c'est-à-dire  l'appropriation  spé- 
ciale de  l'imitation  d'un  objet  donné  à  un 
but   défini  et    à    une    matière   donnée.    » 

Cette  connais- 
sance des  ma- 
tières diverses, 
des  contraintes 
que  chacune 
d'elles  impose, 
mais  aussi  des 
effets  spéciaux 
que  l'on  en  peut 
tirer,  ne  peut  se 
trouver  vrai- 
ment que  chez 
les  ouvriers 
d'art  qui  ont  la 
pratique  des 
métiers  ;  aussi 
M .  Grasset  es- 
tinie-t-il  avec 
raison  que  leur 
initiative  pour- 
rait être  prépon- 
dérante dans  le 
mouvement  de 
l'art  décoratif, 
et  bien  plus  effi- 
cace que  les  di- 
rections dcsdes- 
s  i  n  a  t  e  u  r  s  en 
chambre  ou  des 
modeleurs,  qui 
n'ont  guère  ma- 
nié que  la  terre  et  la  cire,  et  fournissent 
souvent  des  modèles  impossibles  à  exécu- 
ter dans  la  matière  qu'ils  avaient  en  vue. 
Le  fer  forgé,  le  cuivre  repoussé  ou  la  sculp- 
ture sur  bois  exigent  des  techniques  diffé- 
rentes, et  l'on  ne  peut  à  son  gré  appli- 
quer un  projet  à  l'une  ou  l'autre  de  ces 
matières. 

Mais  cette  influence  des  ouvriers  d'art  n'est 
malheureusement  pas  près  de  s'accomplir 
encore.  Il  faudrait  renoncer  d'abord  à  cette 
spécialisation  à  outrance,  qui  paralyse  l'ingé- 
niosité de  l'artisan;  pour  qu'un  objet  gardât  la 


M.    MEVNIER 


L'An     Moderne 


89 


saveur  neuve  et  l'unité  de  son  caractère,  il 
serait  nécessaire  qu'il  n'eut  pas  à  passer  par 
trop  de  mains  avant  d'être  achevé.  Puis,  la 
pratique  du  mé- 
tier ne  suffît  pas, 
et  l'instruction 
seule  serait  ca- 
pable d'en  diri- 
ger les  effets.  Il 
n'v  a  pas  plus 
d'un  demi-siè- 
cle, quel  que  dut 
être  le  métier 
d'art  suivi,  on 
donnait  aux  ap- 
prentis artisans 
une  éducation 
dont  la  Géomé- 
trie et  r.A.rchi- 
tecture  for- 
maient la  base. 
"  llsacquéraient 
ainsi,  »  dit  M. 
Cîrasset,  «  le 
sentiment  des 
proportions,  le 
sens  coustructif 
ou  agencement, 
la  variété  dans 
la  disposition.  » 
Et,  sans  doute, 
l'étude  seule  de 
l'Architecture 
nous  fait  sentir 
le  caractère  lo- 
gique de  ses 
propres  modifi- 
cations à  travers 
les  siècles.  Le 
bon  sens  est 
avant  tout  né- 
cessaire pour 
employer  la  ma- 
tière    dont    on 

dispose,  et  la  Géométrie  apprendra  ensuite 
comment  réaliser  les  conditions  indispen- 
sables de  toute  construction  :  la  durée  et  Véqiii- 
îibre. 

Toute  cette  partie  pratique  de  la  conférence 
de  M.  Grasset  est  très  vivement  sentie  et  d'une 
portée  excellente.  M.  Grasset  propose,  pour 
conclure,  une  meilleure  direction  dans  l'en- 
seignement des  ouvriers  d'art;  une  éducation 
plus  technique,  comprenant,  outre  la  Géomé- 


Maiblc  cta^cre. 


trie.  l'Architecture  et  l'Anatumie,  les  éléments 
de  la  Botanique  et  de  la  Zoologie,  l'étude  des 
objets  de  toutes  sortes  pouvant  engendrer  des 

ornements,  et 
—  nous  en 
avons  vu  l'im- 
portance, —  le 
travail  manuel 
de  toutes  les 
matières,  qui 
peut  seul  faire 
trouver  le  style. 
Et  c'est  aux  So- 
ciétés d'Art  qu'il 
appartiendrait 
de  fonder  ces 
Conservatoires 
des  Arts  ma- 
nuels. 

Mais  ce  n'est 
pas  tout  de  sus- 
citer des  initia- 
teurs éclairés  et 
expérimentés.  Il 
convient  d'en- 
visager la  tache 
qui  se  présente 
à  nous.  M . 
Grasset  ne  croit 
pas  possible  de 
faire  dériver 
notre  style, 
moderne  de  la 
continuation 
d'un  style  an- 
cien, le  style 
Louis  XVI,  par 
exemple,  si  élé- 
gant et  de  si  bon 
aloi,  d'un  carac- 
tère absolument 
original  et  qui 
appartient  bien 
à  notre  race  ; 
car  l'expérience  a  montré  qu'il  était  impossible 
de  s'en  tenir  à  l'inspiration  d'un  style  passé,  et 
que  l'on  en  arrivait  inévitablement  à  la  pure 
copie. 

Il  est  bien  certain  que  le  retour  aux 
bergères,  si  douillettes  et  si  confortables,  du 
siècle  dernier  semble  le  prouver. 

Il  s'agit  donc  de  remplacer  des  formes  an- 
ciennes, très  riches,  très  élégantes,  mais  dont 
nous  ne  comprenons  plus  le  sens,  par  des  formes 

I  2 


M.    DE    FEUEE. 


90 


Art  et  Décoration 


nouvelles  répondant  aux  aspirations  de  notre      par  les    ressources   de    notre   invention    plus 

époque.  nourrie  qu'autrefois,  et  aussi  par  la  beauté  de 

Il     faut,    par     conséquent,     consulter     les      la  matière,  que  les  perfectionnements  techni- 

^CSo;ni  présents,  se  rendre  compte  de  Yittilitc      ques  mettent  à    notre  disposition;  car  l'objet 

d'art  comporte  deux  éléments  de  charme,  le 
décor  et  la  matière.  Il  v  a  encore,  à  ce  sujet, 
une  éducation  de  l'œil  qui  a  besoin  de  se  faire, 
avant  que  le  public  reconnaisse  toujours  la 
vraie  valeur  d'un  objet  et  n'égare  pas  son  choix 
sur  l'apparence  frelatée  d'un  article  de  came- 
lote. 

M.  Grasset  estime  que  notre  art  décoratif 
ne  se  conformera  à  sa  raison  d'être  qu'en  don- 
nant une  impression  de  richesse,  même  avec 
les  matériaux  les  moins  coûteux,  grâce  au  goût 
entendu  de  la  composition  et  à  l'économie 
réalisée  dans  l'exécution  parles  moyens  méca- 
niques. 

Il  détinit  l'Art:  ■.<  la  richesse  de  la  forme, 
ajoutée  aux  aspects  purement  utiles  des 
objets  »  ;  et,  par  suite,  il  ne  croit  pas  pos- 
sible un  art  simple  et  populaire,  comme 
quelques-uns   le  demandent,  cet   "  Art  par  le 


Motif  de  dentelle. 


M.  coi:ty 


Vase  en  grès,  décore  de  feuilles    en  reliej.    m.  jeannesby 

peuple  et  pour  le  peuple  »  que  prônait  William 

Morris. 

J'avoue  que  je  ne  suis  pas  ici  d'accord  avec 
M.  Grasset;  et  répondons  tout  de  suite  que  nul 
n'a  jamais  compris  par  art  populaire  une  c\a%st 


des  objets  et  les  orner  au   moyen  d'éléments 

tirés  de  la  jmture,  en  les  adaptant  à  la  matière  d'art  inférieure  comme  pour  les  enterrements, 

employée.  un  an  de  pauvre,  maussade  et  dénudé.  Sans 

Il  nous  est  possible  de  dépasser  nos  ancêtres  doute,  il  y  a  des  degrés  dans  le  luxe,  mais  c'est 


L'Art     Moderne 


9 


pour  tous  que  l'art  décoratif  semble  devoir  se 
simplifier  aujourd'hui,  justement  d'après  ce 
principe  d'accommodation  à  l'époque,  que 
M.  Grasset  pose  lui-même. 

Ce  n'est  pas,    me   semble-t-il,    le  caractère 


nous  retrouvons  nous-mêmes  après  la  vie  du 
dehors  ;  et  nos  yeux  et  nos  goûts  ont  besoin  d'y 
être  doucement  séduits  et  attachés,  plutôt 
Qu'émerveillés. 

Cela  ne  veut  pas  dire  qu'il   faille  renoncer 


Carton  de  papier  peint.      ? 

de  richesse  qui  doit  s'imposer  de  nos  jours 
dans  rornementation,  mais  le  caractère  d'in- 
timité. Nous  ne  vivons  plus  à  une  époque 
de  faste  et  d'apparat  extérieur,  mais  dans 
des  temps  difficiles  et  troublés.  Nous  n'ha- 
bitons plus  guère  des  palais,  et  il  parait 
assez  inutile  de  reconstruire  un  Trianon  ; 
nos  appartements    sont  les   refuges   où    nous 


M.    GILLET 


aux  matériaux  peu  usités  encore,  aux  bois 
rares,  aux  applications  précieuses  ;  mais  la  plus 
belle  matière  devra,  me  semble-t-il,  être  si 
exactement  employée,  que  sa  richesse  même 
ne  puisse  rien  avoir  d'exagéré  et  d'offusquant. 
C'est  l'harmonie  qui  doit  tout  d'abord  frapper 
le  spectateur  dans  la  disposition  d'un  ameuble- 
ment, et  l'on  ne  doit  songer   qu'ensuite   à  en 


9^ 


y4n   et   Décoration 


louer  la  richesse,  car  toute  recherche  d'har- 
monie oblige  les  parties  diverses  à  rester 
sobres. 

Sans  doute,  les  appartements  que  les  archi- 
tectes mettent  à  notre  disposition,  avec  leurs 
dorures  et  leurs  stucs  appliqués  sans  souci 
raisonné  de  décoration,  ne  semblent  guère 
exhorter  à  cette  sobriété,  et  ne  peuvent  assu- 
rément qu'encourager  le  choix  de  meubles  dis- 
parates et  trop  ornés  chez  ceux  qui  n'y  sont 
déjà  que  trop  portés  par  les  habitudes  cou- 
rantes 

Aussi,  doit-on  féliciter  M.  Grasset  d'avoir 
relevé  la  part  qui  revenait  à  l'architecture  dans 
le  mouvement  décoratif  moderne.  Et  non  seu- 
lement l'architecture  est  nécessaire  pour  incul- 
quer à  l'artisan  la  connaissance  sûre  et  indis- 
pensable des  lois  de  tout  agencement  de  formes, 
de  toute  construction;  mais  c'est  aussi  l'archi- 
tecte qui  fournit  le  cadre  où   l'ingéniosité  du 


donc  souhaiter  avant  tout,  pour  l'efficacité  du 
mouvement  décoratif,  de  voir  les  jeunes  archi- 


Dessin  de  rideau. 


M.   COUT Y 


décorateur  aura   ensuite  à    s'exercer,    et   avec 
lequel  il  devra  rester  d'accord.   Il   nous    faut 


Modèle  de  décoration  pour  faïence,     m.  couty 

tectes  se  bien  pénétrer  des  exigences  de  notre 
temps. 

Je  sais  bien  que  cet  art  sans  tapage  sera  en- 
core très  coûteux,  et  il  en  sera  ainsi  tant  que 
les  exemples  d'art  ornemental  que  l'on  nous 
présente  ne  seront  exécutés  qu'à  l'état  de  pièces 
uniques. 

Mais  les  nouvelles  doctrines  faisant  leur 
chemin,  il  n'est  pas  impossible  de  voir  se 
fonder  la  fabrique  d'art  qui  pourra  multiplier 
des  exemplaires,  offrant  une  valeur  artistique, 
de  façon  à  les  faire  entrer  en  concurrence  avec 
les  modèles  courants. 

M.  Grassst  a,  du  moins,  parfaitement  raison, 
en  pensant  qu'on  ne  saurait  trop  encourager, 
pour  le  moment,  tous  les  essais  qui  se  mani- 
festent. 11  est  bien  naturel  que  dans  ce  nouveau 
retour  à  la  nature,  il  y  ait  souvent  encore  de 
la  gaucherie  ou  une  recherche  trop  apparente; 
mais  le  sens  de  la  décoration  deviendra  plus 
clair  et  plus  spontané,  et  le  style  se  décou- 
vrira de  lui-même. 

Gustave  Souliiîr. 


Premier  prix  (ensemble). 


M       BLANCHE   LAfZAXXE 


NOS    CONCOURS 


r.V  VOILE  POUR  DOSSIER  DE   CAXAPE 

Le  Comitc  de  direction  s'est  réuni,  le  lundi 
12  avril,  à  cinq  heures,  au  siège  de  la  revue, 
pour  juger  le  concours  de  mars  :  un  voile 
pour  dossier 
de  canapé. 

Sur  l'en- 
semble des 
projets,  le  ju- 
ry en  a  retenu 
quatre  ,  qui 
ont  été  mis 
aux  voix.  Les 
votes  expri- 
més ont  don- 
né le  pre- 
mier prix  à 
M"^  Blanche 
L  a  u  z  a  n  n  e  , 
de  Paris, dont 
nous  repro- 
duisons le 
projet.  D'a- 
près les  indi- 
cations join- 
tes à  ce  pro- 
jet, le  modèle 
devrait  être 
exécuté  en 
applications 

de  fleurs  blanches,  avec  un  lil  d'or  cernant  les 
contours,  sur  un  jeu  de  fond  brodé. 

Le  second  prix  a  été  décerné  à  M.  Casimir 
Dobrzycki,  de  Paris,  dont  nous  reproduisons 
également  le  projet.  M.  Raymondis  Raymond, 
de  Paris,  reçoit  un  troisième  prix.  Une  men- 
tion honorable  est  accordée  à  M""  Ida  Brinck- 
mann,  de  Hambourg. 


Premier  fri.\-  (détail). 


CONCOURS  DE  JUIN 

Porte-jlbimettes. 

Un  des  objets  les  plus  indispensables,  dans 
l'usage  courant,  est  un  porte-allumettes.  Ne  se- 
rait-on pas  heureux  lorsqu'on  rentre  chez  soi  ou 

qu'on  se  ré- 
veille la  nuit, 
de  trouver  à 
poste  fixe  un 
porte  -  allu  - 
mettes  sur  le- 
quel la  main 
se  poserait 
sans  cher- 
cher. Nous 
donnons 
donc,  pour 
sujet  du  con- 
cours de  mai, 
un  porte-al- 
lumettes à 
suspendre  au 
mur.  Les 
concurrents 
devront  le 
supposer  as- 
sez grand, 
pourvu  d'un 
trottoir  bien 
visible  et 
bien  recon- 
naissable  au  toucher.  On  peut  le  prévoir 
soit  en  céramique  décorée,  soit  en  bois  dé- 
coupé, soit  en  bois  pyrogravé  et  rehaussé  de 
couleur.  Il  pourrait  même  comporter  une 
tablette  destinée  à  recevoir  un  bougeoir  ou  un 
flambeau  léger. 

Trois  prix  seront  décernés,  un  de  jS,  un  de 
5o  et  un  de  25  francs.  Adresser  les  envois, 
a\antle  25  juin,  i?,rue  Lafavette. 


(>e^^ 


Voile  pour  dossier  de  canapé  (i"  prix). 


CASIMIR   DOBRZYCKl 


CHRONIQUE 


LE  SUCCES  DE  LA  REVUE  ART  ET  DECORATION 

UNE  CONFÉRENCE  DE  M.   1  ALIZE  SUR  LE  BIJOU 


—  Eh  bien,  cher  ami,  cette  revue,  comment 
va-t-elle? 

—  A  merveille. 

—  C'est  bientôt  dit  ((  à  merveille!  »,  mais  ce 
n'est  pas  suffisamment  explicite.  Qu'on  s'inté- 
resse, dans  un  petit  clan  d'artistes  et  dans  un 
petit  groupe  de  gens  de  goût,  à  votre  tentative, 
qu'on  déclare  ingénieuse  votre  revue,  qu'on  la 
trouve  sérieuse,  très  nourrie,  admirablement 
illustrée,  ce  n'est  que  justice.  Mais  vraiment, 
a-t-elle  un  public,  aura-t-elle  jamais  un  public 
de  lecteurs  suffisant  pour  la  faire  vivre  sans 
publicité  dégradante,  sans  réclame  outrageuse- 
ment déshonnéte? 

—  N'est-ce  que  cela?  Sachez  donc  que  dès 
maintenant  nous  avons  notre  vie  assurée.  Pas 
un  jour  qui  n'amène  de  nouveaux  abonne- 
ments, venus  de  partout,  de  Belgique,  d'Alle- 
magne, d'Italie,  des  pays  Scandinaves,  de 
Russie.  Dans  deux  ans,  nous  aurons  dix  mille 
abonnés,  sans  compter  la  vente  au  numéro. 

—  Vous  êtes  fou  ! 

—  Très  logique,  au  contraire,  cher  ami.  Plus 
je  regarde  autour  de  moi,  et  plus  je  vois,  à  des 
symptômes  éclatants,  que  le  public  entre  avec 
enthousiasme  dans  nos  vues.  De  tous  côtés, 
sur  cet  art  nouveau  dont  l'élaboration  se  mani- 
feste par  des  œuvres  de  plus  en  plus  nom- 
breuses, étudiées,  des  conférences  de  vulgari- 
sation s'organisent,  hnitile  de  vous  rappeler 
la  série  si  brillamment  inaugurée,  cet  hiver,  à 


l'Union  centrale  des  Arts  décoratifs.  Vous 
savez  à  la  fois  la  haute  valeur  des  conférenciers, 
le  succès  qu'ils  ont  obtenu.  —  Mais  en  pareil 
endroit,  me  direz-vous,  la  chose  est  naturelle. 
—  D'accord  ;  mais  le  mouvement,  vous  ne 
l'ignorez  pas,  ne  s'est  pas  restreint  à  VUnion 
Centrale.  Les  femmes  s'y  intéressent  à  présent 
comme  les  hommes.  Elles  veulent  savoir,  elles 
aussi,  et  l'initiation  qui  leur  manque,  elles  l'ont 
demandée  à  des  érudits  comme  M.  Eugène 
Miintz,  à  des  spécialistes  et  à  des  lutteurs 
d'avant-garde  comme  notre  confrère  Champier 
ou  notre  directeur  Thiébault-Sisson. 

i<  Les  savants,  à  leur  tour,  ont  compris  qu'un 
artiste  peut  manifester  son  talent,  son  esprit 
d'invention  et  son  goût  autrement  qu'en 
barbouillant  de  la  toile  ou  en  tapant,  pour  le 
dégrossir,  à  grands  coups  de  ciseau  ou  de  mail- 
let, sur  un  bloc  de  marbre;  et,  comme  les 
femmes  du  monde,  les  savants  ont  demandé  à 
s'instruire.  La  Société  d'encouragement  pour 
l'industrie  nationale,  dont  le  comité  est  formé 
mi-partie  de  hautes  notabilités  scientifiques  et 
de  hautes  notabilités  industrielles,  y  est  allée, 
elle  aussi,  de  sa  série  de  conférences,  et  tout 
récemment,  j'ai  entendu  un  de  nos  orfèvres  les 
plus  distingués.  M.  Falize,  conférencer  chez 
elle,  sur  le  bijou.  Qu'avez-vous  à  répondre  a 
cela,  Saint  Thomas?  Croircz-vous  au  mouve- 
ment, désormais?  » 

Telle  est  la   conversation    qui   s'échangeait 


Chronique 


95 


l'autre  jour  entre  votre  serviteur  le  Badaud  et  du    bijoutier,   mais    l'initiative   de   la    femme, 

un  de  ses  confrères  en  critique.  L'interloeuteur  l'esprit   d'invention    de  l'artiste.   Celui-ci  doit 

n'a  pas  répondu.  maintenant  reprendre  la  tradition  des  Holbein, 

Quelques  mots  maintenant,  doux  lecteur,  de  des  Rubens,  des  Van  Dick;  il  doit  dessiner  lui- 

cette   conférence   de  même  les  bijoux, 

M.  Falize  sur  le  bi-  inventer,      pour 

jou.  On  n'y  a  point  chaque  femme  un 

fait      d'archéologie.  peu   éprise   d'art, 


des  ornements 
d'une  forme  nou- 
velle.  C'est  ainsi 


seulement  que  s  a 
chèvera  dans   les 


Ayant  à  comparer  le 
bijou  d'autrefois  et 
le  bijou  d'aujour- 
d'hui, on  s'est  con- 
tenté de  caractériser 
celui  d'autrefois  par  conditions  indis- 
une  série  d'exemples  pensablesdebeau- 
recueillis  dans  les  té,  de  logique, 
portraits  de  femmes  d'harmonie, l'évo- 
dont    regorgent    les 


v-in 


musées  d'europe. 
On  a  montré,en  s'ai- 
dant  de  projections, 
la  collaboration  de 
l'artiste  et  de  la  fem- 
me dans  le  choix, 
et  l'emploi  logique 
du  bijou,  qui,  non- 
aj»i,'fo„Vf/j,«).M.Fix-MAssEAu  seulemcnt   doit  être 

d'une  belle  forme, 
mais  qui  doit  être  aussi  le  complément,  éclatant 
ou  discret,  toujours   nécessaire,  du    costume. 

Ce  qui  distingue  le  passé  du 
présent  dans  le  bijou,  c'est  que 
les  femmes  d'autrefois,  n'ayant 
pas  le  besoin  de  variété  et  de 
changement  qui  sévit  sur  nos 
contemporaines,  restaient  tou- 
jours fidèles,  quand  elles  l'avaient 
trouvé,  à  l'accommodement  qui 
convenait  à  leur  taille  et  à  leur 
visage. 

Aujourd'hui,    en    dehors    des 
diamants  et  des  perles,  la  femme 
n'a  pas  la  parure  d'or  qui  con- 
vient à  son  costume  de  ville.  Elle 
répugne  à  porter  les  bijoux  des 
grand'mères  et  les  choses  démo- 
dées qui  dorment  dans  les  écrins 
de  famille.   Il  lui  faut  des   orne- 
ments nouveaux,  créés  pour  son  costume  d'à 
présent,   si    différent    des    costumes    anciens 
dans  le  principe,  et  dont  la  note  dominante  est 
d'être  fait  pour  le  mouvement,  pour  la  marche 


lutiondu  goût  ré- 
clamée par  un 
changement  radi- 
cal dans  nos 
mœurs  et  dans 
nos  façons  de 
nous  vêtir. 

Le  Bauaud.    ■- 

p  .g  _J^,J_  p'gjyj-Q       Botigcnir  (ctjin).    m,  fix-masseau 

Statuaire,  nous 

prie  de  déclarer  qu'il  est  l'auteur  du  modèle  de 
la  fontaine  exécutée  en  grès  par  M.  Dalpayrat, 
reproduite  dans  notre  numéro  de 
février.  Tous  les  éloges  que  nous 
avions  donnés  à  la  conception  lui 
reviennent  donc. 


UN  CONCOURS  D'EVI':NTA1L 


La  section  féminine  de  l'L  nion 
centrale  des  Arts  décoratifs  a  dé- 
cidé, sur  la  demande  de  la  Cham- 
bre syndicale  de  l'Eventail,  d'ou- 
vrir entre  tous  les  artistes  français 
un    concours  de    projets    d'cvcn- 
tails  montés,  c'est-à-dire  l'ensem- 
ble  d'un    éventail    terminé,    avec 
l'espoir  que  de  ce  concours  sortira 
une  idée  nouvelle  qui  donnera  un 
plus  grand  essor  à  l'industrie  si 
française  de  l'éventail. 
Les  projets  d'éventails  montés  devront  être 
présentés  en  dessins  coloriés,  grandeur  d'exé- 
cution. 

Le  but  de  ce  concours  étant  la  recherche 
Il  en  résulte,  dans  le  bijou,  un  complet  chan-  d'un  éventail  essentiellement  nouveau,  la  plus 
.gement  de  front.  Il  faut,   non  pas  l'ingéniosité      grande  latitude  est  laissée  aux  artistes  pour  le 


Reliure 


M.    DELVILLE 


ç>6 


Art  et  Décoration 


choix  de  la  forme,  de  la  grandeur,  de  la  matière 
à  employer,  lani  pour  la  monture  que  pour  la 
feuille,  et  du  genre  de  décoration. 

Néanmoins,  l'éventail  ne  saurait  être  rigide 
et  devra  toujours  pouvoir  se  replier. 

Tout  éventail  dessiné  devra  être  représenté 
sous  ses  deux  aspects,  ouvert  et  fermé. 

Le  jury  de  ce  concours  sera  composé  de  : 

1"  Trois  membres  choisis  dans  la  section 
féminine  de  PUnion  centrale  des  Arts  déco- 
ratifs ; 

2»  Trois  membres  choisis  dans  le  conseil  de 
l'Union  centrale  des  Arts  décoratifs; 

3"  Trois  membres  choisis  parmi  les  artistes 
et  les  critiques  d'art; 

4"  Trois  membres  choisis  dans  la  Chambre 
syndicale  de  l'Éventail. 

Ce  jury  présidera  à  la  réception  des  projets 
et  désignera  ceux  à  récompenser. 

Le  premier  sujet  classé  recevra  une  prime  de 
^0  0  francs. 

Le  second,  de  -joo  francs. 

Les  projets  classés  n»  3,  n'>4,  n°  5  recevront 
chacun  une  prime  de  i oo  francs. 

L'Exposition  du  concours  aura  lieu,  du 
3 1  mai  au  i  2  juin,  dans  le  grand  hall  du  journal 
le  Figaro,  rue  Drouot,  2(j. 

1°  Les  artistes  devront  remettre  leurs  projets 
à  la  bibliothèque  de  l'Union  centrale  des  Arts 
décoratifs,  3,  place  des  "Vosges,  du  24  au  28  mai 
prochain,  de  10  heures  du  matin  à  5  heures  du 
soir.  Ils  les  accompagneront  d'un  pli  cacheté, 
marqué  de  la  devise  ou  du  signe  inscrit  sur  le 
projet,  et  dans  lequel  ils  auront  mentionné 
leurs  nom  et  adresse. 

20  Chaque  concurrent  ou  concurrente  pourra 
exposer  plusieurs  projets,  mais  n'obtiendra 
qu'un  seul  prix  pour  son  meilleur  projet;  les 
autres  projets  seront  déclarés  hors  concours  et 
ne  pourront  donner  lieu,  le  cas  échéant,  qu'à 
une  simple  mention  honorifique. 

3"  Les  dessins  primés  resteront  la  propriété 


de  la  section  féminine  de  l'Union  centrale, 
mais  les  artistes  conserveront  le  droit  de  repro- 
duction industrielle,  sauf  pour  le  projet  classé 
n"  I  et  ayant  reçu  la  prime  de  5oo  francs.  Le 
droit  de  reproduction  de  ce  projet  appartiendra 
à  la  Chambre  syndicale  de  l'Éventail.  Le  droit 
de  reproduction  de  tous  les  autres  projets,  pri- 
més ou  non,  pourra  être  vendu  de  gré  à  gré. 

40  En  cas  d'infériorité  manifeste  des  œuvres 
présentées  ou  de  l'inobservation  par  les  con- 
currents des  conditions  du  concours,  le  jury 
aura  le  droit  de  réduire  en  totalité  ou  en  partie 
le  nombre  des  récompenses. 

5»  Les  projets  devront  être  retirés  dans  les 
trois  jours  qui  suivront  l'exposition  du  con- 
cours. Passé  ce  délai,  l'administration  ne 
répondra  plus  de  leur  conservation. 

Les  concurrents  pourront  demander  aux 
membres  de  la  Chambre  syndicale  de  l'Even- 
tail les  renseignements  qui  leur  seraient  néces- 
saires. 

Une  Exposition  d' Affiches  Illustrées 

La  Société  impériale  d'Encouragement  des 
Arts  organise,  en  novembre  1897,  une  exposi- 
tion internationale  d'affiches  illustrées. 

Cette  exposition  est  placée  sous  le  patronage 
de   S.  A.    I.    Madame    la    Princesse   Eugénie 

d'OLDENBOURG. 

Le  but  de  l'exposition,  qui  sera  la  première 
de  ce  genre  en  Russie,  est  de  présenter  au 
public  une  application  de  l'Art  à  l'industrie  de 
la  publicité. 

Elle  ne  comportera  que  ce  qui  a  trait  à  l'af- 
fiche artistique,  c'est-à-dire  des  dessins  et  ma- 
quettes d'affiches,  des  affiches  en  reproduction 
lithographique,  avec  et  avant  lettres,  des  livres, 
éditions,  revues,  etc.,  traitant  de  l'affiche  d'art. 

Pour  les  conditions  générales  et  les  rensei- 
gnements supplémentaires,  s'adresser  au  secré- 
taire de  rE.xposition,  au  siège  de  la  Société, 
38,  Grande  Morskaïa,  Saint-Pétersbourg. 


NOS    PLANCHES    HORS    TEXTE 


Nos  gravures  hors  texte  sont  toutes  deux  les  prieur,  dans  l'article  qui  figure  en  tète  de  cette 

reproductions  d'oeuvres  figurant  aux  Salons  de  livraison.  L'autre  est  une  composition  décora- 

cette  année   :   Pune  est  Le  Lauraguais.  cette  tive  de  M.  E.  Grasset  et  fait  partie  de  la  série 

page  magistrale   de    M.   .Tean-Paul    Laurens,  Les  Estampes  décoratives  en  coitlcursdoninoMS 

longuement  étudiée  et  appréciée  par  M.    Le-  avons  déjà  parlé  dans  notre  premier  numéro. 


liup.  de  Vauglrsrd,   G.  de  Malherbe  &  C«,  lôi,  roe  de  Vaugirard.  Paris. 


EMILE  LÉVY,  Édlleur-gérant 


Le  Poète. 


^"ALGU1I■;RE. 


Art  et  Décoration 


** 


L'ART    DÉCORATIF    AUX    SALONS 

ou    EN    EST    LE    NOUVEAU     STYLE? 


)\isqiie-l;i.    vers 


A  tache  est  décidément 
bien  ingrate  d'es- 
sayer, en  quoi  que 
ce  soit,  de  faire  neuf. 
Voilà  dix  ans  à  peine 
qu'un  groupe  d'artis- 
tes hardis  s'est  porté, 
malgré  le  discrédit 
qui  s'y  était  attaché 
art  décoratif,   dix  ans  seule- 


autre  chose,  —  et  déjà  des  juges  trop  pressés 
la  condamnent. 

«  Quel  style  avez-vousenfanté?  lui  disent-ils. 
Depuis  dix  ans  que  vous  nous  annoncez  l'art 
nouveau,  l'avez-vous  seulement  esquissé?  Vous 
n'avez  produit  que  dans  le  bibelot  des  (éuvres 
acceptables.  Vos  sculpteurs,  vos  orfèvres,  vos 
ciseleurs,  vos  émailleurs,  vos  potiers  ont  créé; 
leur  inspiration  s'est  renouvelée,  leur techni- 
i.iue  s'est  améliorée,  mais  dans   la   décoration 


Le  monument  aux  Morts;  f  terre.  —  (Partie  centrale). 


M.     BARTHOLOME. 


ment    que,   désabusée    du   pastiche,   la  petite      intérieure  s'est-il  révélé  une  note  neuve,  s'est-il 
bande   des   novateurs   s'évertue    à  créer  enfin      réalisé  un  progrès,  quel  qu'il  soit? 

i5 


98 


Art  Ci    D:ccraîun 


'<  N'oLis  dt.'crJicz  qu'o:i  n'i:iiitcra  plus  l'art 
anclc;i  :  —  à  merveille.  Dans  les  salles  à  man- 
ger, le  Henri  II  vous  parait  suranné  :  —  je  le 
veux  bien.  \'ous  proscrivez  bien  loin  de  nos 
salons,  vous  écartez  de  nos  chambres  à  coucher, 
comme  impropres  à  nos  usaijes  modernes,  le 
Louis  XI\'.  le  Louis  X\',  le  Louis  X\'l  et  l'Km- 
pire  :  —  d'accord. 

«  Mais  qu'avcz-vous  à  leur  substituer  qui  les 
vaille  ?Constaie-i- on  dans  vos  inventions  la  plus 


quelconque,  s'il  était  tenu  sculcjncnt  par  des 
hommes  qui  n'ont  pas  qualité,  aux  veux  du 
public,  pour  juger.  Il  en  est  autrement.  Ces 
jugements  sans  appel  sont  rendus  par  des 
érudits  dont  le  nom  seul  est  une  autorité.  D'où 
vient  le  parti  pris  qui  s'v  accuse?  Pourquoi, 
sans  entrer  en  rien  dans  le  détail,  déclarent-ils 
en  bloc,  mal  venus,  tous  les  essais  de  mobilier 
exposés  au  Salon? 

Un  procédé  de  discussion  si  sommaire  a-t-il 


Vjse  décuratif;  maître. 

superficielle  cohérence  et  trouvc-t-on,  non  pas 
même  un  style,  mais  un  embryon  de  style  dans 
vos  meubles?  Ici,  c'est  de  l'art  anglais  qu'on 
s'inspire,  et  là  du  moyen  âge.  Toute  la  nou- 
veauté tient  ailleurs  dans  une  cheminée  exécu- 
tée, non  plus  en  bois  ou  en  marbre,  mais  en 
grès.  Si  c'est  là  tout  ce  que  vous  avez  à  m'of- 
Irir,  tant  pis  pour  l'art  nouveau.  Je  ne  vois  pas 
la  nécessité  de  pasticher  l'art  ancien,  mais  je 
préfère,  tout  bien  pesé,  ce  pastiche  à  vos  essais 
impersonnels  et  sans  grâce.  » 

Voilà  le  langage  qu'on  tient  tous  les  jours.  11 
n'y  aurait  pas  lieu  d'y  attacher  une  iaiportance 


M.    INJALEERT. 

sa  raison  d'être,  et  qui  convaincrat-il  ?  On  ne 
rend  pas  d'arrêt,  en  justice,  sans  l'appuver  sur 
un  exposé  des  motifs.  De  même,  en  critique,  il 
importe,  pour  qu'une  condamnation  soit  vala- 
ble, de  se  fonder  sur  l'examen  préalable  des 
objets.  Il  ne  suffit  pas  de  dire  qu'on  n'en  goûte 
ni  l'aspect  général  ni  le  principe  :  il  est  indis- 
pensable de  se  livrer  à  une  étude  approfondie  du 
détail,  à  une  critique  serrée  de  l'ensemble.  Cette 
critique  et  cette  étude  font  défaut  dans  les  tra- 
vaux dont  je  parle.  C'en  est  assez  pour  rendre 
suspecte  l'opinion  qui  s'y  manifeste  avec  une 
netteté  si  tranchante. 


UÀrt  décoratif  aux   Salons 


99 


Est-ce  à  dire  que  je  trouve  irréprochables 
tous  les  ameublements  exposés  au  Champ-de- 
Mars?  Non  certes  :  aucun  d'eux,  dans  son 
ensemble,  n'est  parlait.  On  verra  plus  loin  les 
critiques,  motivées  celle-là,  e^  précises,  que 
notre  collaborateur  M.  Esquié  leur  adresse.  Je 
ne  songe  point  à  les  adoucir  :  je  renchérirais 
même  volontiers  sur  les  reproches  qu'il  adresse 
aux  artistes  en  cause.  Mais  le  critique  n'a  pas 
pour  unique  devoir  de  relever  les  défauts.  Il 
lui  appartient  aussi  de  mettre  en  évidence  les 


grand  rôle  y  est  joué,  en  effet,  bien  plus  par 
l'objet  d'art,  dont  on  peut  toujours  se  passer, 
que  par  la  chose  indispensable,  —  le  meuble,  — 
essentielle  dans  la  création  d'un  style  neuf. 
Mais  cette  constatation  ne  comporte  pas  pour 
moi  la  conclusion  féroce  qu'on  en  tire,  et  de  ce 
qu'on  ne  trouve  au  Salon  que  très  peu  de 
meubles,  et  des  meubles  d'inspirations  très 
diverses,  je  ne  vois  nullement  qu'il  v  ait  lieu 
de  mettre  en  doute  l'aptitude  de  nos  contem- 
porains   à    créer.    L'objet  d'art    étant    facile- 


Paiincaii  dàcorjttf. 

trouvailles  et  de  signaler  tout  ce  qu'il  peut  y 
avoir  d'heureusement  conçu,  d'élégant  et  de 
pratique  dans  un  meuble  où  il  aura  relevé 
quelques  fautes,  soit  contre  la  logique,  soit 
contre  la  technique  du  métier.  Ce  faisant,  le 
rôle  qu'il  remplira  sera  utile  :  —  il  ne  sera 
utile  qu'à  ce  prix.  Dans  une  période  d'enfante- 
ment comme  celle-ci,  l'excès  de  sévérité  court 
le  risque  d'aboutir  aux  mêmes  résultats  que  le 
panégyrique  à  outrance.  Il  supprime  l'élan  :  il 
paralyse  ou  il  annule  l'effort. 

Ceci  posé,  j'accorderai  sans  peine  qu'aux 
salons  l'art,  de  demain  est  surtout  représenté 
par    le   céramiste,    l'orfèvre,    l'émailleur.    Le 


M.    ROGER. 


ment  transportable,  il  est  tout  naturel  qu'on 
en  expose  davantage.  Il  est  rare  au  contraire 
que  l'artiste,  quand  il  a  travaillé,  sur  com- 
mande, à  un  type  nouveau  de  mobilier,  ait  la 
chance  de  le  faire  voir  au  public  L'amateur 
se  dessaisit  sans  peine,  pour  un  temps,  d'un 
grès,  d'un  émail  ou  d'un  bronze  :  il  ne  se 
dégarnira  pas  d'un  meuble  d'usage.  On  ne 
voit  donc  aux  expositions  annuelles  qu'une 
partie  des  meubles  exécutés  dans  l'année.  La 
pauvreté  d'inventions  est  donc  moins  grande 
qu'on  ne  le  dit. 

L'écart   n'en   existe    pas  moins,    je    l'avoue, 
et    je    suis    ravi     qu'il    existe.    Mon    opinion 


lOO 


Art  et  Décoration 


est  fondée  sur  quelques  raisons.  Les  voici  : 
Nos  stvlc?  anciens  se  sont  créés  sans  effort 
et  succédé  sans  inter- 
ruption apparente, 
parce  qu'ils  ne  sont, 
a  V  regarder  d'un  peu 
près,  que  les  modifi- 
cations successives 
Sun  même  style, 
étranger  d'origine. 
Le  mobilier  de  la 
Renaissance  fran- 
çaise n'est  français 
que  de  nom  :  il  nous 
est  venu  tout  fait 
d'Italieet,  jusqu'àl'a- 
vcnement  du  Louis 
XVI,  nous  nous  som- 
mes bornés  à  le  mo- 
difier de    règne    en 


Vase. 


M.    GALLE. 

règne  pour  l'adapter  de  plus  en  plus  étroite- 
ment à  nos  mœurs,  à  nos  idées,  à  nos 
goûts. 

Inspiré  de  l'antique,  le  Louis  XVI  n'en 
dérive  pas  moins  du  Louis  XV.  L'architec- 
ture du  meuble  y  est  changée,  mais  un  même 
besoin  d'élégance,  une  conception  pareille 
de  la  grâce  le  distinguent  et,  s'il  se  refuse  à 
la  décoration  parasite  qui  surchargeait  nos 
mobiliers  rococo,  s'il  redresse  ses  lignes, 
s'il  rectifie  avec  un  soupçon  de  rigidité 
ses  aplombs,  il  emprunte  quand  même  aux 
stvles  antérieurs  plus  d'un  détail  encore  de 
son  ornementation.  La  guirlande,  par  exem- 
ple, dont  il  a  fait  usage  avec  tant  de  bon- 
heur, lui  vient  du  Louis  XIII.  Il  s'est  con- 
tenté de  rafraîchir,  en  l'allégeant,  le  motif. 
Quant  au  stvle  de  l'Empire,  qu'est-ce  autre 
chose,  dites-moi,  que  le  Louis XVI  refroidi, 
alourdi,  dépouillé  de  sa  grâce  et  restreint, 
par  la  préoccupation  exclusive  de  l'antique, 
à  une  majesté  pompeuse,  massive  et  maus- 
sade. 

Latransition  entretous  ces  styles  s'est  donc 
faite,  en  quelque  sorte,  toute  seule.  Nos  ébé- 
nistes ont  passé  de  l'un  à  l'autre  sans  effort. 
Les  matières  employées  restant  les  mêmes, 
il  leur  suffisait,  le  plus  souvent,  d'un  effori 
d'imagination  très  léger.  Sur  le  vœu  d'une 
reine,  d'une  princesse,  ou  d'une  grisette  as- 
sociée à  la  royauté  par  caprice,  on  se  met- 
tait au  travail,  on  appelait  à  son  secours 
l'architecte,  le  sculpteur  en  bois,  le  ciseleur, 
et,  dix-huit  mois  au  plus  après  la  commande. 


l'œuvre  nouvelle  éclatait.  C'était  l'aurore  d'un 
style  neuf.  En  dix  ans,  la  nation  avait  pris  le 
pli,  tout  entière. 

Les  temps  sont  changés  quelque  peu.  La 
monarchie  a  disparu.  C!omme  un  rouleau  sur 
le  macadam,  le  niveau  égalitaire  s'est  pro- 
mené, uniformisant  tout,  sur  la  France.  Il  l'a 
embourgeoisée  tout  d'abord,  démocratisée 
ensuite.  Le  mobilier  doit  se  démocratiser 
comme  le  reste  :  il  sera  utilitaire  avant  tout. 

Au  temps  jadis,  on  se  laissait  vivre  :  au 
temps  présent,  on  vit  double.  .\  notre  activité 
décuplée,  un  nervosisme  exalté  correspond.  Il 
nous  faut  tout,  sur  l'heure,  sous  la  main.  Nous 
avons  le  téléphone  à  domicile,  nous  y 
avons  le  théàtrophone  également;  nous  y 
serons  bientôt  en  relations  par  l'électricité, 
comme  dans  l'Amérique  du  Nord,  avec  le 
poste  de  pompiers,  de  commissionnaires,  de 
voitures  et  de  télégraphe  le  plus  proche;  nous 
y  aurons  à  demeure  une  machine  à  écrire.  Nos 
tables  de  travail  n'auront  droit  à  l'élégance, 
désormais,    que  toute  satisfaction    donnée    à 


lieliiii  c. 


M.     MEIMI  K. 


l'utile,  et  l'utile  tiendra  la  grande  place.  Nous 
voudrons  à  portée  du  doigt  tout  le  clavier  par 


L'Art   décoratif  aux  Salons 


lOI 


k-qucl  nous  communiquerons  avec  l'extérieur, 
et  le  meuble  se  ressentira  dans  sa  forme  de  toutes 
ces  additions,  et  cette  forme  sera  égalitairc  forcé- 
ment. Financier,  médecin,  avocat,  homme  de 
lettres  ou  industriel,  nous  recourrons  tous  aux 
mêmes  movens  rapides  de  communication  et 
nous  concentre- 
rons autour  de 
nous  ces  moyens. 
Le  meuble  riche 
neditïéreraguère 
du  moins  cher 
que  par  la  ma 
tière  employée. 
Identiques  d'à 
gencement,  l'un 
et  l'autre  seront 
identiques  aussi 
dansleurs  lignes, 
identiques  aussi 
dans  le  aécor  en 
ce  sens  qu'ils  se 
passeront  de  dé- 
cor. Sur  la  table- 
bureaudeTavenir 
les  supertluités 
charmantes  d'au- 
trefois seraient 
un  véritable  non- 
sens  et  je  ne  la 
vois  pas  ornée, 
comme  au  siècle 
passé,  d'une  gar- 
niture de  bronze 
ciseléeparunmo- 
derneGouthière. 
Etpartout.dans 
l'appartement, 
même  complexi- 
té d'un  côté,  mê- 
me simplification 
utilitaire  de  l'au- 
tre. L'homme  n'a 
pas  été  le  seul,  en 
ce  temps-ci    à  se  Reliure  en  cuir  incisé. 

créer  des  besoins  nouveaux  :  la  femme,  dans  la 
même  voie,  l'a  suivi.  Comparez,  je  vous  prie, 
le  trousseau,  non  pas  d'une  élégante,  mais  d'une 
simple  petite  bourgeoise  de  nos  jours  avec  le 
trousseau  de  sa  grand'mère;  à  la  garde-robe 
de  l'une  opposez  celle  de  l'autre,  et  en  regard 
du  bagage  intellectuel  et  moral  de  celle-ci,  dou- 
loureusement étriqué,  placez  l'éducation  libé- 
rale que  nous  donnons,  dans  cette  fin  de  siècle. 


à  nos  tilles  :  —  vous  comprendre  sans 
peine  qu'il  v  ait  lieu,  pour  la  femme  d'à 
présent,  de  prévoir  dans  la  chambre  à  cou- 
cher ou  dans  le  cabinet  de  toilette  tout  un 
monde  de  complications  dont  la  femme  du 
temps  de  Louis-Philippe  eût  frémi. 

Pour  parer  à 
ces  besoins  nou- 
veaux, créera- 1- 
on  des  formes 
nouvelles?  A 
coup  sur.  Dans 
quel  sentiment 
seront-elles  con- 
çues? je  l'ignore, 
mais  j'ai  peine  à 
croire  qu'on  ne 
s'inspirera  pas 
dans  une  certaine 
mesure,  comme 
l'ont  fait  les  An- 
glais dans  leurs 
encadrements  de 
cheminées,  des 
ingénieusescom- 
binaisons  japo- 
naises. Dans  l'a- 
meublement de 
M  M .  Selmers- 
heim  et  Plumet, 
que  nous  avons 
récemment  re- 
produit, 1"  i  n  - 
tluence  en  était 
sensib  le  :  elle 
avait  abouti  à  un 
résultat  des  plus 
satisfaisants,  si 
j'en  juge  moins 
d'après  mon  sen- 
timent personnel 
que  d'après  celui 
de  nos  lecteurs. 
Lin  desprincipes, 
par  suite,  sur 
lesquels  on  se  réglera  sans  nul  doute,  sera 
celui  de  la  dissymétrie,  seul  capable  de  ré- 
pondre, par  la  multiplicité  des  combinai- 
sons qu'il  engendre,  à  la  multiplicité  de  nos 
besoins.  Mais  cette  dissymétrie  sera  tempérée 
par  un  goût  beaucoup  plus  épuré  que  celui  des 
Japonais,  par  un  souci  plus  marqué  de  l'équi- 
libre des  masses  et  par  ce  don  de  sobriété  qui 
est  inné  dans    une  race  pondérée,  amoureuse 


>I.     MEUNIER. 


lo; 


cÀrt   et   Décoration 


de  logique,    éprise  de  clarté  conime  la  nôtre. 


>^:-     

>u   ,> 

wMê       \ 

^/ 

^^^' 

1' 

■  '     "^~  w 

M.    GALLE. 


Dans  le  stvle  du  meuble  nouveau,  la  matière 


été  précédé  de  l'introduciion  dans  l'usage  cou- 
rant de  matières  nouvelles.  Voyez,  à  la  fin  du 
siècle  dernier,  la  révolution  causée  dans  l'in- 
dustrie du  meuble  par  la  vulgarisation  de  l'aca- 
jou. Plus  encore  que  l'anticomanie,  la  matière 
nouvelle  a  hâté  la  transformation  du  LouisXVI. 
On  n'avait  emplové  jusque-là,  dans  l'industrie 
du  meuble,  que  les  bois  de  nos  forets  d'Eu- 
rope. Or, nos  bois  sont  à  fibres  courtes;  on  les 
ornemente  et  on  les  sculpte  sans  peine;  je  di- 
rais volontiers  qu'ils  appellent  de  toute  néces- 
sité la  sculpture.  L'acajou  au  contraire,  comme 
la  plupart  des  bois  exotiques,  bois  dont  la  fibre 
est  longue,  et  la  matière  très  dense,  ne  se  prête 
qu'à  une  ornementation  modérée;  il  exclut  par 
là  même  la  sculpture.  Qu'en  est-il  résulté?  On 
a  remplacé  la  sculpture  dans  la  matière  même 
du  meuble  par  des  sculptures  exécutées  dans 
une  matière  étrangère,  et  l'acajou  s'est  revêtu 
de  bronzes  d'applique  dont  l'usage  s'est  d'au- 
tant mieux  répandu  que  le  ton  chaud  du  bois 
s'y  prétait. 

On  ne  me  contestera  pas  cet  exemple; — on 
ne  contestera  pas  non  plus  qu'au  temps  où 
nous  vivons,  sous  la  formidable  poussée  qui 
pousse  l'Europe  vieillie  à  sortir  d'elle-même 
pour  se  jeter  sur  les  pays  neufs,  l'Afrique.  l'In- 
do-Chine,  l'Australie,  les  Indes  néerlandaises, 
l'ébénisterie  ne  s'enrichisse  tous  les  jours  de 
matières    insoupçonnées,    et    très   belles.    De 


Panneau  accoratif. 


JUA.i.vY    KECl'LUS. 


jouera  nécessairement   un  grand  rôle.    Tout      toutes  parts  des  bois  inconnus  nous  arrivent, 
changement  radical  dans  les  styles  a  toujours      qui  vont  lutter  d'ici  peu,  par  le  nombre  et  par 


L'Art  décoratif  aux  Salons 


ÎO) 


la  qualité,  avec  nos  bois  d'Europe.  A  prix  ci;al, 
la  nouveauté  de  leurs  tons,  la  richesse  et  la  va- 
riété de  leurs  aspects  les  feront  cei-taincment 
préférer.  Pour  peu  que  la  nu)de  s'en  mêle  et 
qu'on  en  adopte  l'usage,  leur  contexture  impo- 
sera une  technique,  des  profils  et  des  méthodes 
de  travail  qui  sert>nt  autres.  Du  jour  où  l'on 
aura  déterminé  cette  technique,  inventé  ces 
profils,  mis  tout  le  monde  à  même  de  se  régler 
sur  ces  méthodes  de  travail  le  stvle  nouveau 
sera  créé,  pour 
le  meuble. 

Mais,  nous 
n'en  s  o  m  m  e  s 
pas  là.  Les  ma- 
tières nouvelles 
que  nous  avons 
commencé  à  re- 
cevoir, du  Con- 
go surtout,  nous 
les  expérimen- 
tons peu  it  peu. 
Nous  y  mettons 
quelque  hésita- 
tion, il  est  vrai, 
car  l'inconnu 
que  nous  v  sen- 
tons caché  nous 
tourmente.  Le 
vent,  d'ailleurs, 
n'a  tourné  en- 
core qu'à  moitié 
à  l'emploi  des 
bois  exotiques, 
et  ce  qu'on  nous 
a  mis  sous  les 
yeux  en  fait  de 
nouveauté  ne  re- 
présente qu'une 
infimepartie  des 
richesses  que  le 
continent     noir 

nous  tient  en  réserve.  Il  faut  donc  encore  pa- 
tienter, il  faut  attendre,  avant  de  multiplier  les 
essais  de  décoration  intérieure,  que  nous 
connaissions  à  fond  toutes  les  ressources  des 
bois  qui  constitueront  la  matière  du  mobilier 
nouveau. 

D'autres  raisons,  non  moins  bonnes,  suffi- 
raient pour  nous  conseiller  la  patience.  La  dé- 
coration intérieure  ne  comporte  pas  que  le 
■  meuble,  et  les  créateurs  du  style  nouveau  de- 
vront se  préoccuper  de  renouveler,  en  mémo 
temps  que  ce  dernier,  le  cadre  où  ce  dernier 


PanncJiu  décoratif. 


sera  placé.  On  renonce  de  plus  en  plus,  pour 
les  salles  à  manger,  au  papier,  aux  imitations 
de  tapisserie,  aux  imitations  de  cuir  de  Cor- 
doue  en  carton.  Le  règne  de  l'odietix  simili 
est  passé.  On  revient  à  la  décoration  peinte, 
aux  panneaux  et  aux  frises  en  faïence  décorée 
ou  en  grès. 

De  ces  deux  matières  céramiques,  c'est  le 
grès  qu'on  tend  à  employer  de  plus  en  plus.  Oii 
est  dans  le  vrai.  Les  elfets  auxqticls  il  se   prête 

sniii  plus  larges, 
[Mus  francs,  plus 
l'obustes.  Les 
usages  auxquels 
il  s'adapte  sont 
aussi  plus  va- 
riés. Nous  avons 
NU,  au  Champ- 
de-Mars,  des  es- 
sais de  cheminée 
en  grès.  Des  cri- 
tiques ont  trou- 
Né  l'idée  biscor- 
nue. Ils  n'ont 
pas  dit  p  o  u  r  - 
quoi.  Ils  a  u- 
raient  été  bien 
jn  peine.  La  sé- 
\érité  de  leur 
jugement  s'ex- 
pliquerait s'ils 
avaientcondam- 
né  seulement  les 
modèles,  médio- 
crement heu- 
reux de  concep- 
tion, et  d'une  lo- 
gique douteuse: 
—  ils  ont  con- 
damné sans  rai- 
son la  matière. 
Au  même  titre 
que  la  pierre,  et  bien  plus  légitimement  que  le 
bois,  le  grès  a  une  destination  toute  trouvée 
comme  encadrement  de  foyer.  Le  bois  appelle 
la  flamme  ;  c'est  une  perpétuelle  menace  d'incen- 
die :  le  grès,  au  contraire,  l'isole.  11  sera  donc 
employé  logiquement.  Au  point  de  vue  déco- 
ratif, on  n'aura  pas  plus  de  raisons  de  l'écar- 
ter. Il  revêtira,  au  gré  du  potier,  les  colora- 
tions les  plus  ternes  ou  les  plus  chatoyantes, 
et  le  moule  lui  donnera  à  volonté  toutes  les 
formes.  Je  le  verrais  avec  plaisir  détrôner, 
tout  au  rnoins  dans  la  salle  à  manger  ou  dans 


M.    BOTKINH. 


I04 


oArt     et      Décoration 


le  cabinet  de  travail,  l'odieux  assemblage  de 
couleurs  par  lequel  les  trois  quarts  de  nos 
cheminées,  toutes  en  marbre,  déshonorent 
nos  appartements.  Il  y  créerait  par  la  belle 
chaleur  de  ses  tons,  par  des  formes  suscep- 
tibles à  l'infini  de  se  varier,  un  centre  d'inté- 
rêt qui  remplacerait  avantageusement  les  mo- 
tifs dont  nos  yeux  seront  longtemps  encore 
affligés. 

L'industrie  du  grés,  par  malheur,  est  encore 
dans  l'enfance  de  l'art.  Nos  fabricants  n'ont 
visé  jusqu'ici  qu'un  bibelot  :  ils  commencent 
à  peine  à  se  douter  du  grand  rôle  que  cette 
admirable  matière  est  appelée  à  jouer  dans  l'ar. 
chitecture  de  l'avenir.  Quelques  rares  céra- 
mistes se  sont  essayés,  depuis  peu,  à  créer 
les  types  variés  et  pratiques  auxquels  le  grès 
peut  se  plier  dans  la  décoration  architectu- 
rale. Il  nous  reste  à  voir  s'engager  dans  le 
même  sens  tous  les  artistes  e]ui  se  sont  voués 
à  l'étude  des  émaux  de  grand  feu.  Des  résultats 
obtenus  dépendra,  dans  une  forte  mesure,  la 
réussite  des  essais  de  nouveau  style. 

J'ajouterai  que  dans  cette  réussite  entreront 
aussi,  pour  leur  part,  et  pour  une  part  nota- 
ble, les  perfectionnements  du  travail  mécani- 
que du  bois.  Si  nombreux  qu'ils  soient  dès 
maintenant,  ils  sont  loin  d'être  définitifs.  Une 
invention  récente  permet  à  la  machine  d'exé- 
cuter à  elle  seule  des  travaux  déjà  très  com- 
pliqués de  sculpture.  Quels  résultats  pratiques 
cette  invention  récente  donnera-t-elle?  Encore 
une  question  à  résoudre. 

L'introduction  des  bois  exotiques  dans 
l'usage  courant  aura  son  contre-coup  dans  la 
marqueterie.  La  renouvellera-t-elle?  II  y  a 
tout  lieu  de  le  croire.  On  a  vu,  par  les  remar- 
quables travaux  de  M.  Emile  Galle,  dans  quel 


sens  le  renouvellement  est  possible.  .\I.  Che- 
vrel  a  fait,  de  son  coté,  des  combinaisons  de 
mosaïque  de  bois  et  d'incrustation  de  métal 
qui  ont  donné  des  résultats  excellents.  Le 
parti  qu'on  en  peut  tirer  n'est  pas  mince. 
Attendons-nous  aussi  de  ce  coté  à  des  révéla- 
tions très  prochaines,  et  très  neuves. 

Mais  encore  une  fois,  pour  tout  cela,  nous 
sommes  dans  la  période  d'essai.  II  faut  à  nos 
chercheurs  le  temps  d'expérimenter,  de  syn- 
thétiser, de  rendre  définitives  leurs  recherches. 
Quand  elles  auront  revêtu  ce  caractère, le  stvle 
demandé  surgira.  Nos  artistes  le  créeront  sans 
effort,  parce  qu'ils  trouveront  réunis  dans  leurs 
mains  tous  les  éléments  nécessaires  pour  faire 
neuf. 

D'ici  là,  ne  pressons  point  les  choses.  Lais- 
sons les  idées  se  mûrir  et  les  inventions  venir 
à  point.  L'éducation  du  public  n'est  pas  faite  : 
elle  n'est  qu'en  bonne  voie;  achevons-la.  Les 
artistes  qui  se  sont  confinés  dans  le  bibelot 
nous  y  aideront.  Les  modèles  achevés  qu'ils 
nous  montrent,  modèles  dont  l'inspiration  est 
si  personnelle,  si  fraîche,  si  dégagée  de  toute 
imitation  d'art  ancien,  nous  dégagent  insen- 
siblement, nous  aussi,  des  impressions  gardées 
malgré  nous  de  l'art  classique.  En  nous  appre- 
nant à  regarder  directement  la  nature,  sans 
qu'aucun  souvenir  entre  elle  et  nous  s'inter- 
pose, sans  intermédiaire  aucun  que  notre  œil, 
ils  éveillent  en  nous,  pour  tout  ce  qui  touche 
à  l'art,  des  sensations  et  des  idées  moins 
banales. 

Des  émotions  nouvelles  nous  pénètrent,  des 
appétits  ignorés  nous  gagnent.  En  même 
temps  que  le  réveil  des  âmes,  le  réveil  des 
industries  artistiques  a  sonné. 

Thiébault-Sisson 


Le  monument  d'Alexandre  Dumas  JUs. 


M.    DE    SAIXT-M ARCEAUX. 


Les  Essais  de  Mobilier  et  de  Décoration  Intérieure 

Une  des  preuves  de  l'importance  du  niouve-  aussi,    ne  s'agit-il  ici  que  de  fragments,  mais 

ment  que  cette  revue  a  pris  à  tâche  de  suivre,  de  fragments  qui   nous   font  juger    nettement 

c'est  l'intervention    de  l'architecte.   Lui  aussi  de  la  tendance  à  laquelle  l'artiste  obéit  et  de 

s'en  mêle  et,    pour  intéresser  le  public  à  ses  la  qualité  personnelle  de  l'effort. 


Cheminée  et  lambris  de  salle  à  ineinger. 

travaux,  il  recourt  au  moyen  le  plus  pratique, 
à  l'exposition  de  modèles  en  nature. 

On  comprend  toute  la  difficulté  d'exposer 
une    œuvre    architecturale    en     nature.    En 


M.    LEON   EKNOLVILLE. 


Dans  cesconditions,  les  sections  d'architec- 
ture et  d'objets  d'art  en  arrivent  peu  à  peu  à 
se  confondre.  Du  moment  que,  dans  les  ensem- 
bles   exposés,   le    rôle  prépondérant   est  joué 
général,  les  dimensions  même  s'y  opposent;      par  l'exécution,  il  n'y  a  plus  de  raison  de  séparer 

14 


o6 


Art   et   T>écoration 


ces  deux  catégories.  Elles  sont,  en  effet,  d'au- 
tant plus  étroitement  liées  l'une  à  l'autre  que 
le  meuble  a  sa  place  toute  marquée  dans  les 
décorations  d'intérieur  conçues  par  l'archi- 
tecteset  exécutées  sous  sa  direction. 

C'est  au  Champ  de   Mars  que  se  trouvent 
réunis    les    essais    de 
cette    nature.  —    En- 
trons  au    Champ    de 
Mars. 

En  pénétrant  dans 
la  première  salle  qui 
leur  est  réservée,  nous 
remarquons  d'abord. 
à  droite,  une  décora- 
tion de  salle  à  manger 
de  M.  L.  Benouville, 
dont  une  cheminée  en 
pierre  dure  forme  le 
motif  central. 

L'architecte  s'y  est 
appliqué  à  employer 
simultanément  la  pier- 
re, le  bois,  le  marbre, 
les  faïences,  les  gla- 
ces,etc.,  et  à  faire  avec 
tous  ces  éléments  ce 
qui  était  loin  d'être 
facile!  un  tout  homo- 
gène, ingénieux  et  pra- 
tique .  L'inspiration 
découle  visiblement 
de  l'étude  de  l'art  du 
moyenàge  modernisé. 
Nous  voyons  que  la 
préoccupation  du  bon 
emploi  des  matériaux 
est  constante;  la  pier- 
re dure  est  moulurée 
sobrement,  l'aération 
des  lambris  etlemode 
à  emplover  pour  les 
fixer  ont  donné  prétexte  à  des  motifs  décoratifs 
très  heureux.  Une  petite  étagère  destinée  à  re- 
cevoir du  grès  relie  agréablementlesdeuxcôtés 
de  lambris,  en  en  continuant  la  tonalité,  et  des 
fragments  de  glaces  adroitement  placés  élargis- 
sent cette  partie  d'une  façon  originale.  Il  y  a  là 
une  disposiiion  de  couronnement  de  cheminée 
intime,  dont  on  peut  tirer  bon  parti.  Obser- 
vons, cependant,  que  si  les  montants  des  lam- 
bris ont  besoin  d'être  fixés  dans  le  haut  d'une 
manière  apparente,  il  serait  non  moins  mile 
de  les  retenir  dans  la  partie  inférieure. 


Éc'\in. 


A  notre  droite  encore,  nous  trouvons  un 
grand  vitrail  de  M.  Carot,  représentant  un 
paysage  aux  tonalités  franches  et  gaies.  C'est 
bien  le  genre  qui  conviendrait  pour  nos  habi- 
tations modernes.  Ici,  l'inspiration  de  la  nature 
est  directe,  et  l'artiste  a  fait  œuvre  tout  à  fait 

personnelle  :  la  mise 
en  plomb  accentue  le 
dessin  et  le  souligne 
aux  bons  endroits.  Si 
nous  avons  une  légère 
critique  à  faire,  elle  a 
trait  plutôt  au  dessin 
de  la  partie  supérieure, 
qui  est  un  peu  confus. 
L'artiste,  ne  doit  pas 
.perdre  de  vue  que  le 
grand  mérite  de  la  dé- 
coration réside  dans 
la  clarté.  Si  nous  exa- 
minons l'exécution  de 
ce  vitrail,  nous  remar- 
querons la  préoccupa- 
tion d'éviter  la  pein- 
ture, qui  diminue  l'é- 
clat de  la  lumière,  et  le 
choix  de  verres,  de 
structure  spéciale,  co- 
lorés dans  la  masse. 
Signalons  avant  de 
quitter  M.  Carot,  deux 
autres  vitraux  de  lui, 
d'après  les  mêmes 
principes  ,  représen- 
tant :  l'un  une  femme 
au  bord  de  la  mer  ; 
l'autre  des  poissons  ro- 
ses stylisés  sur  fond 
vert  d'eau  très  clair,  et 
dont  l'effet  est  char- 
mant. 

M.  Ciuimard  nous 
montre  un  intérieur  dont  une  bibliothèque  est 
le  motif,'principal.  Quoique  l'ornementation 
soit  stylisée  d'après  les  principes  du  moyen 
âge,  on  ;  ne  peut  nier  une  grande  recherche 
personnelle  et  pour  laquelle  la  fantaisie  des 
formes  est  poussée  à  l'excès.  Une  série  de 
pièces  dans  ce  genre  risquerait  de  donner  le 
cauchemar. 

Avec  M.  Gardelle,  nous  remarquons  des 
formes  plus  simples  et  plus  raisonnables,  mais 
peut-être  un  peu  lourdes.  Pourquoi,  d'ailleurs, 
près  des  étagères,  ces  tiges  en  cuivre  d'un  entre- 


M.    C.     PLUMET. 


Les  Es^iiiis  de  Décoration.  Intérieure 


107 


tien  difficile  et  dont  l'utilité  ne  peut  être  que  très      moyen  âge  interprctc  d'après  les  principes  de 
problématique?   Les  pentures  de   cuivre   des       VioUet-Ie-Duc   pour  les  détails.  L"effet  ccpen- 


Chaise. 


M.    T.    SELMERSHtIM. 


portes  nous  semblent  aussi  trop  développées 
pour  un  ef- 
fort, en  som- 
me, d'aussi 
petite  im- 
portance. 

MM.  Plu 
met  et  Sel- 
mer  s  h  e  i  m 
exposent, 
en  deux  ca- 
dres sépa- 
rés, les  meu- 
bles d'un 
boudoir  et 
d'un  cabi- 
net de  tra- 
vail. Si  j'a- 
nalvse  l'im- 
pression 
produite, 
j'y  trouve 
un  mélange 
deLouisXV 


Cliijjonnicyc. 

dant  est  agréable  et  les  motifs 


M.    T.    SELMHRSIIEIM. 


;racieux.f  Nous 
regrette- 
rons cepen- 
dant ,  pour 
les  meubles 
du  boudoir 
(chaises  ou 
autres),  les 
saillies  aus- 
si inutiles 
que  i^énan- 
tcs  et  aux- 
quelles les 
vêtements 
ne  manquc- 
1-  a  i  e  n  t  p  a  s 
de  s'accio- 
cher  à  tous 
les  instants. 
Mais  à  part 
cette  criti- 
que, il  \'  a 
lieudelouer 


Table. 


M.    I.    StLMEESHEIM. 


pour    le    gracieux    des     courbes,     de     japo- 
nais pour  les  dispositions   d'ensemble,   et  de 


ces    artistes 
pour  l'effort  qu'ils  ont  fait,  non  sans  succès. 
Signalons  en  passant  la  belle  exécution   de 


io8 


Art  et  'Décoration 


l'autel  gothique  de  M.  Goiu  et  dont  remplace- 
ment a  dû  déterminer  le  style. 

Une  note  décorative  très  intéressante  est 
donnée  avec  la  banquette,  formant  armoire,  de 
M.  Lambert;  l'étude  en  est  fine  et  recherchée, 
et  quoique  l'artiste  ait  été  impressionné  vive- 
ment par  l'art 
japonais,  il  y 
a  une  recher- 
che person- 
nelle de  déco- 
ration qui  lui 
fait  le  plus 
grand  hon- 
neur. Les  or- 
nements dé- 
coupés et  do- 
rés, ainsi  que 
la  frise  à  jour 
supérieure 
sont  particu- 
lièrement à 
citer  .  Qu'il 
nous  soit  ce- 
pendant per- 
mis de  dire, 
que  nous  ne 
croyons  pas 
qu'au  mo- 
ment où  l'art 
de  la  sculp- 
ture a  atteint, 
au  point  de 
vue  de  l'exé 
cution  ,  une 
perfection 
aussi  grande 
que  celle  que 
nous  voyons 
aujourd'hui  , 
il  soit  désira- 
ble de  voir 
réduire  son 
rôle  à  ce  i;enrc  dans  l'art  à  venir;  si  l'archi- 
tecte doit  tenir  compte  de  tous  les  progrès  de 
l'industrie,  il  ne  peut  négliger  l'évolution  qui 
se  produit  soit  en  peinture,  soit  en  sculpture. 

Pour  terminer  notre  examen  du  Champ  de 
mars,  signalons  enfin  une  voûte  en  faïence  à 
reflets  métalliques  d'une  disposition  ingénieuse 
par  M.  Pierre  Roche,  et  un  vitrail  pour  salon 
exécuté  par  M.  Gaudin  d'après  les  cartons  de 
M.  Grasset.  L'éloge  des  cartons  du  peintre 
Crassct  n'est  plus  à  faire,  et  celui-ci  est  digne 


Bibliothèque. 


de  ceux  que  nous  connaissions.  La  coloration 
en  est  claire  et  bien  appropriée;  quant  à  l'exé- 
cution elle  nous  a  paru  tout  à  fait  à  la  hauteur 
de  la  conception.  Elle  fait  à  M.  Gaudin  grand 
honneur.  Le  même  artiste  expose  un  vitrail 
religieux  de    belle    allure    destiné    à    l'église 

de  Monte- 
reau,  et  dont 
M.  L.-O. 
M  e  r  s  o  n  a 
fourni  les 
cartons.  Le 
verrier  de- 
vait nécessai- 
rement s'y 
interdire  les 
beaux  eftets 
lumineux  re- 
cherchés 
dans  son  vi- 
traildesalon. 
11  n'en  a  pas 
moins  fait 
une  œuvre 
qui  a  du  style 
et  qui  répon- 
dra à  mer- 
veille aux  exi- 
gences spé- 
ciales de  son 
r(Mc. 

AuxChamps- 
E  1  y  s  é  e  s , 
c'est  sous 
forme  de  géo- 
métrauxetdc 
perspectives 
que  les  archi- 
t  e  ctes  ex- 
posent leurs 
travaux,  et 
cela  de  la 
façon  la  plus 
attrayante.  Quoique  nous  nous  soyons 
promis  de  ne  parler  ici  que  d'œuvres  en 
nature,  nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de 
signaler  la  remarquable  galerie  japonaise  con- 
struite par  M.  Marcel  et  représentée  par  des 
dessins  d'une  exécution  parfaite. 

En  résumé,  si  les  tentatives  paiticulières  n'a- 
bondent pas,  le  talent  est  denrée  courante,  et  si 
les  réussites  absolues  font  défaut,  il  ne  manque 
pas  de  rencontres  heureuses.  11  y  a  tout  à 
espérer  pour  l'avenir.  Pierre  Esquié 


M.    C.    PLUMET. 


LES  ARTS  DU   FEU 


'il  est,  parmi  les  métiers 
artistiques,  des  métiers 
ingrats  ce  sont  bien  cer- 
tainement ceux  qu'on  a 
dénommés  très]  ustement, 
les  arts  du  feu  :  celui  qui 
les  veut  pratiquer,  céra- 
miste, émailleur  ou  verrier  doit  s'attendre  à 
mille  déboires;  il  doit  d'avance,  bien  entendu, 
renoncer  non  seulement  à  l'espoir  de  faire 
fortune,  mais  encore  ne  point  trop  escompter 
la  réussite. 

L'artiste  est  à  la  merci  d'un  élément  qu'il  ne 
peut  conduire  que  dans  une  certaine  mesure;  il 
faut  donc  que,  par  avance,  il  mette,  autant  que 
possible,  tous  les  atouts  dans  son  jeu  :  il  doit 
non  seulement  être  persévérant,  courageux  et 
entêté,  mais  encore  ne  laisser  rien  au  hasard  de 
ce  qui,  dans  l'exécution  de  son  œuvre,  dépend 
de  sa  volonté  ou  de  son  talent.  Tout  doit  être 
calculé  d'avance;  il  y  a  bien  assez  de  risques  à 
courir  une  fois  que  le  feu  entre  en  scène  et  vous 
rend  ou  une  merveille  ou  souvent,  hélas! 
quelque  chose  d'informe  et  d'innomable.  Peut- 
être  est-ce  cet  attrait  de  l'inconnu  qui  attire 
tant  d'artistes  bien  doués  vers  la  pratique  de 
ces  arts  difficiles;  peut-être  aussi  est-ce  à  ces 
difficultés  mêmes  qu'on  doit  aujourd'hui  la 
qualité  des  œuvres.  Les  difficultés  mêmes  de 
la  pratique  de  ces  métiers  en  écartent  ceux 
quine  sont  point  convaincus  et  j'avoue  que 
dans  notre  évolution  des  arts  décoratifs,  si  je 
ne  suis  pas  sans  inquiétude  d'une  manière  géné- 
rale, je  suis  plus  rassuré  en  contemplant  les 
travaux  que  nous  montrent  céramistes,  émail- 
leurs  et  verriers.  C'est  que  les  uns  et  les  autres 
sont  tenus  de  savoir  le  métier  qu'ils  veulent 
pratiquer  sous  peine  d'échouer  au  port.  Dans 
mainte  autre  branche  de  l'art,  l'à  peu  près  est 
admissible  :  ici  il  est  bien  difficile  de  s'en  con- 
tenter. Aussi  peut-on  dire  que  si  les  salons  de 
cette  année  ne  marquent  pas  un  progrès  évi- 
dent au  point  de  vue  des  arts  du  feu,  l'ensemble 
est  des  plus  honorables  et  fait  bien  augurer  de 
1  avenir.  Il  y  a  sans  doute  bien  des  lacunes, 
bien  des  procédés  anciennement  employés  et 
qui  pourraient    être  remis   en  honneur  pour 


créer  des  objets  de  style  moderne  et  qui  sont 
abandonnés,  je  ne  sais  pas  trop  pourquoi  ;  mais 
ce  n'est  là  qu'un  détail  et  étant  donné  que  nos 
artistes  connaissent  plutôt  trop  l'ancien  dont 
les  réminiscences  les  gênent  dans  bien  des  cas, 
il  y  a  gros  à  parier  que  les  procédés  dont  nous 
ne  trouvons   pas    d'échantillons    aujourd'hui 


Vase. 


M.   ROBALBHEN. 


seront  repris  bientôt  pour   le  plus  grand  bien 
de  notre  art  contemporain. 

La  céramique,  depuis  quelques  années,  a,  du 
moins  dans  certaines  branches,  fait  des  progrès 
incontestables  :  le  grès,  surtout,  a  été  de  la 
part  d'artistes  possédant  à  fond  tous  les  secrets 
du  métier,  l'objet  de  recherches  très  fruc- 
tueuses qui  ont  ouvert  pour  ainsi  dire  une 
voie  nouvelle  à  l'art  de  terre.  Le  succès  a  été 


1  10 


Art  et  Décoration 


grand,  si  bien  que  des  artistes  délicats,  nulle- 
ment potiers  par  vocation,  séduits  par  les  colo- 
rations ainsi  obtenus,  se  sont  parfois  essayés  en 
cet  art  dithcile  et  il  en  est  qui  ont  produit,  tel 
M.  Michel  Cazin,  des  œuvres  tout  à  fait  char- 
mantes. La  vitrine  qu'il  expose  cette  année  con- 
tient, outre  un 
vase  en  forme 
de  section  de 
tronc  d'arbre . 
inspiré  visible- 
ment par  l'an  de 
l'Extrême- 
Orient,  des  va- 
ses d'une  colo- 
ration heureuse 
et  qui  font  bien 
augurer  de  la 
réussite  de  ses 
recherches.  U  y 
a  fort  longtemps 
déjàque  les  sculp- 
teurs se  sont 
rapprochés  des 
céramistes;  Car- 
rièsa  ouvert  une 
voie  que  beau- 
coup de  ses  con- 
frères semblent 
vouloir  suivre  : 
Pierre  Roche,  à 
dire  vrai,  sem- 
bleétreattirépar 
une  foule  de 
branches  deTart 
décoratif;  mais, 
si  personnelle- 
ment je  ne  sau- 
rais m'extasier 
devant  ses  re- 
liures églomi- 
séesf?)  il  est  évi- 
dent que  ses 
grès,  son  espèce 
de    surtout     de 

table  représentant  quatre  femmes  nues.  Sa 
Vénus  d'or,  sa  coupole  en  faïence  à  reflets  métal- 
liques représentent  des  recherches  curieuses  ; 
je  n'aime  pas  beaucoup  ses  plats  à  fond  vert  ou 
jaunâtre,  qui  ont  plutôt  l'air  de  pièces  mal 
venues  que  d'œuvres  voulues;  j'imagine  qu'il 
faudrait  même  beaucoup  de  littérature  pour  les 
faire  passer  pour  autre  chose  que  des  essais, 
mais  je  les  prends  comme  tels  et  à  ce  point  de 


y..se. 


vue,  ils  sont  encore  intéressants.  Un  autre 
sculpteur,  Fix  Masseau,  grâce  à  la  collabora- 
tion de  Bigot,  a  obtenu  des  masques  en  grès 
qui  sont  d'un  effet  charmant;  ce  sont  des 
sculptures  très  gracieuses  qui  rachètent  un  peu 
tout  ce  qu'il  v  a  de  coniourné  et  de  fantas- 
tique dans  ses 
étains  et  dans 
ses  vases.  Com- 
ment, quand  on 
est  capable  de 
taire  des  choses 
aussi  simples  , 
a-t-onl'idéed'al- 
1er  fouiller  les 
bas-fonds  de  la 
littérature  pour 
en  tirer  des  com- 
positions qui  ne 
sont  recomman- 
dables,  ni  par 
l'idée,  ni  par  la 
forme? 

La  littérature 
-  et  souvent  en 
l'espèce,  il  s'agit 
delà  plus  médio- 
cre—  fait  décidé- 
ment beaucoup 
de  ravages  dans 
l'art  moderne  : 
on  veut  toujours 
faire  exprimer  à 
la  forme  quel- 
que sentiment 
compliqué,  sans 
s'inquiéter  si 
cette  forme  est 
belle,  ni  même 
si  elle  n'enfreint 
pas  certaines  rè- 
gles qui  n'appar- 
tiennent à  au- 
cune esthétique 
particulière, 
mais  tout  simplement  imposées  par  la  na- 
ture. Croit-on,  si  des  hallucinations  litté- 
raires ne  hantaient  pas  le  cerveau  de  M.  Aris- 
tide Mailhol,  qu'il  eût  peuplé  une  vitrine 
de  plaques  ou  de  figurines  de  poterie,  sans 
dessin  ni  style,  où  se  rencontrent  des  réminis- 
cences d'un  peu  de  tout.  Si  c'est  de  la  sorte  que 
certains  artistes  entendent  l'art  décoratif,  ils 
feraient  bien   mieux  de  faire  autre  chose.  Car 


M.     RODALBHES. 


Les  Arts  du  Feu 


1 1 1 


cela,  il  fauî  avoir  le  courage  de  le  dire,  vise  qu'il  faut  beaucoup  de  désintéressement  pour 
trop  à  scandaliser  le  bourgeois,  sans  protît  aborder.  Je  ne  leur  ferai  pas  l'injure  de  leur 
pour  l'art  :  le  talent  et  l'originalité  ne  résident      déclarer  qu'ils  ont  atteint  la  perfection.  J'ima- 


pas  uniquement  dans  l'étrangeté  et  dans  l'in- 
compréhensib! 


gine  qu'ils  sont  trop  artistes  pour  être  toujours 
contents  d'eux-mêmes  ;  mais  les  résultats  qu'ils 
ont  obtenus  en  peu  d'années,  sont,  en  somme, 
très  remarquables.  Après  ce  franc  éloge  me 
sera-t-il  permis  de  leur  adresser  quelques  cri- 
tiques? Je  trouve,  en  général,  leurs  tons  un 
peu  sourds;  pas  assez  de  notes  claires  ;  il  faut 
se  rappeler  que  beaucoup  de  ces  grès  font,  aux 
lumières,  des  effets  assez  peu  décoratifs:  et  puis 
aussi,  chez  quelques-uns,  on  rencontre  des 
traces  de  japonisme  inquiétantes.  Je  m'explique: 
il  est  évident  que  dans  ces  recherches,  l'art  de 
l'Extrême-Orient  a  exercé  parfois  une  influence 
salutaire;  mais,  il  faudrait  maintenant,  rede- 
\cnir.  autant  que  possible,  original  et  ne  pas 
adopter  aveuglément  tous  les  errements  d'un 
art  qui  n'est  pas  sans  avoir  son  petit  côté, 
(^uand  on  m'aura  montré  un  vase  en  grès  qui 
a  l'air  d'être  en  bois,  j'admirerai  peut-être  la 
virtuosité  de  l'artiste,  son  habileté  technique, 


Vase 


M.    ROBALBHEN. 


Mais  passons.  Heureusement  qu'à  côté  de 
ces  productions,  qu'il  faut  ouvertement  décou- 
rager si  on  veut  que  notre  art  décoratif  pro- 
gresse, j'en  vois  de  plus  consolantes  :  les  grès 
de  Bigot  ne  m'enchantent  pas  tous;  j'en  trou\e 
la  décoration  un  peu  pàlote  et  anémique;  je 
n'approuve  ni  sa  fontaine  en  forme  de  crapaud, 
conception  plutôt  peu  agréable  à  avoir  chez 
soi,  ni  sa  cheminée  ornée  de  hgures  de  femmes, 
exécutée  en  collaboration  avec  M.  Guillemonat  ; 
mais  ses  vases  sont  bons  de  forme  et,  d'ailleurs, 
on  est  en  face  d'œuvres  dont  on  peut  contester 
le  style,  affaire  de  goût  et  d'opinion,  mais  qui 
sont  nées  viables,  qui  sont  sorties  des  mains 
d  un  homme  qui  sait  son  métier,  ce  qui  est 
toujours  respectable.  Jeanneney  avec  ses  vases 
aux  tons  d'écorce,  Lachenal  avec  ses  grès  et 
ses  faïences,  Dalpayrat  et  Mm"  Lesbros,  Des- 
mant  et  surtout  Delaherche.  méritent  tous  des  mais  je  me  dirai  que  j'aimerai  autant  que  le 
éloges  ;  ce  sont  tous  à  des  degrés  différents,  des  vase  fût  véritablement  créé  dans  la  matière 
gens  de  grand  talent,  des  artistes  qui  se  sont  qu'il  pastiche  si  bien.  La  terre  est-elle  donc 
mis  vaillamment   à  résoudre   des    problèmes      une  matière  vile  qu'il  la  faille  déguiser? 


Vase. 


il.   RubALbHfcN. 


112 


/irt   et  T)ecoration 


Et  puisque  je  parle  de  matières  qui  sont  au 
service  des  céramistes,  pourpuoi  ne  pas  déplo- 
rer l'oubli  dans  lequel  tombent  et  la  faïence  et 
la  porcelaine? 

L'une    et   l'autre    apparaissent    timidement 


Pl.it  cil  faïence. 


M.   SAIST-LHRCHE. 


chez  Dammoussc,  chez  Chaplet,  chez  Lerchc 
dont  il  faut  signaler  un  plat  à  fond  vert  clair, 
décoré  d'un  serpent  un  peu  trop  Palissy,  mais 
dont  le  ton  est  charmant.  Je  ne  comprends  pas 
cet  ostracisme,  car  sans  retomber  dans  les  mo- 
tifs de  décoration  usités  par  les  anciens  maîtres, 
faïence  et  porcelaine  peuvent  permettre  à  des 
artistes  de  créer  des  objets  de  style  moderne 
d'un  beau  décor  ou  de  forme  délicate. 

J'ai  hâte  de  voir  renaître  cette  industrie 
artistique.  Car  enfin,  certains  bons  esprits  trou- 
veront peut-être  que  je  suis  trop  dur,  mais 
parmi  toutes  ces  pièces  de  céramique,  je  ne 
vois  que  des  objets  d'étagère  ou  de  vitrine. 
Comment  se  fait-il  qu'aucun  de  ces  artistes 
n'aient  eu  l'idée  de  nous  présenter  les  modèles 
d'un  service  de  table?  Il  y  a  là  matière  à  des 
essais  curieux,  dirigés  dans  le  sens  du  véritable 
art  décoratif,  qui  consiste  à  imprimer  un  carac- 
tère artistique  à  tout  objet  usuel,  si  vil  soit  son 
usage.  C'est  le  but  à  atteindre;  et  on  me  semble 
bien  souvent  l'oublier. 

Je  n'ai  point  la  prétention  de  n'omettre  au- 
cun nom  parmi  les  céramistes;  beaucoup 
d'œuvres,  sans  doute,  m'ont  échappé  :  j'en  de- 
mande pardon  aux  artistes  et  au  lecteur.  Mais 
je  ne  voudrais  point  quitter  la  poterie  sans  dire 
un  mot  de  l'exposition  de  Massier.  Et  puisque 


l'occasion  s'en  présente,  pourquoi  neformule- 
rai-je  pas  franchement  mon  opinion  :  La 
céramique  à  reflets  métalliques  ne  me  satisfait 
pas.  Je  crains  que  dans  cette  voie  on  n'ait 
plus  grand'  chose  à  trouver.  En  appliquant  les 
reflets  sur  des  émaux  foncés,  je  ne  crois  pas, 
pour  ma  part,  qu'on  soit  entré  dans  une  très 
bonne  voie  :  les  reflets  sont  peu  lisibles,  peu 
intenses.  Les  Orientaux  ont  été  bien  plus 
habiles  en  emplovant  les  reflets  avec  des  fonds 
d'email  blanc  relevés  parfois  d'une  touche  de 
bleu.  Et  sans  reprendre  ni  leur  style,  ni  abso- 
lument leurs  procédés,  il  v  a  là  une  indication 
bonne  a  retenir  pour  la  fabrication  d'objets  de 
conception  moderne.  C'est  là  un  des  cas  ou 
l'art  ancien  peut  fournir  pour  la  rénovation  de 
notre  art  moderne  un  utile  appui,  fortifié  par 
une  longue  expérience.  Nos  émailleurs  n'ont 
point  négligé  ces  enseignements  et  le  résultats 
atteints  par  eux  et  dont  ils  peuvent  être  bien 
justement  fiers,  démontrent  une  fois  de  plus 
que  pour  créer  des  œuvres  véritablement  ori- 
ginales et  caractéristiques,  point  n'est  besoin  de 
faire  complètement  table  rase  du  passé. 

Meyer  et  Taxile  Doat  sont  ceux  qui  s'écar- 
tent le  moins  des  traditions  limousines;  le 
premier  surtout  a  remis  chez  nous  en  hon- 
neur  les  procédés    des   émailleurs    de  la  Re- 


Piaque  cmaillce. 


.M.    GEORGES    JEAN. 


naissance;  Ta.xile  Doat  se  maintient  dans 
ces  traditions  avec  ses  camaïeux  sur  fond 
noir  ou  sur  fond  brun  très  chaud.  Ces  émaux 
sont  habiles,  mais  parfois  les  blancs  ont  un 
aspect  un  peu  froid.  Me  risquerai-je,  moi 
simple    profane,    à    faire   une    petite  observa- 


C/3 

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Lc's  Arts  du  Feu 


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lion  technique  :  cette  troideur  de  certains  hueront  pas  peu  à  relever  cette  brandie  si  fran- 
émaux  en  t^risailie  exécute's  aujourd'hui,  et  çaisedesarts  mineurs.  J'aime  moins,  je  l'avoue, 
d'ailleurs  d'un  dessin  souvent  bien  plus  correct  le  grand  émail  de  Georges-Jean;  mais  c'est 
que  les  émaux  de  la  Renaissance,  ne  provient-  affaire  de  goût,  et  je  me  plais  à  reconnaître 
elle  pas  bien  souvent  des  matières  employées?  qu'une  pièce  de  cette  dimension  exécutée  sur 
Les    émaux,  paillon,    pré- 

sente des  dif- 
ficultés tech- 
n  i  q  u  e  s  q  u  e 
l'artiste  a  très 
habilement 
surmontées  ; 
au  surplus,  il 
taudrait  voir 
cette  œuvre 
mise  en  place, 
au  manteau 
d'une  chemi- 
née, pour  en 
juger  équita- 
hlement. 

Lucien 
Hirtz,  tout  en 
s  u  i  vaut,  en 
partie  du 
moins,  les  er- 
rements des 
anciensémail- 
leurs,  a  e  u 
de  véritables 
t  rouvailles. 
Sa  Naïade  et 
la  Noyée  , 
pour  étrange 
que  soit  le  su- 
jet, a  des  co- 
lorations ver- 
tes et  bleues 
d'une  délica- 
tesseadorable 
que  vient  é- 
clairer  à  demi 
le  ton   de    la 


tels  que  les  li- 
vre le  com- 
merce ,  sont 
bien  impar- 
faits et  il  y  au- 
rait grand 
p  r  o  h  t  pour 
nos  artistes  à 
composer 
eux-mêmes 
leur  palette, 
tout  comme 
leurs  devan- 
ciers, ou  du 
moins  à  per- 
fectionner les 
produits  dont 
ils  font  usage. 
Je  sais  bien 
que  c'est  un 
grand  embar- 
ras, mais  la 
chose  est  trop 
importante 
pour  qu'on  la 
néglige. 

Garnier  et 
Grand  hom- 
me peuvent 
aussi  être 
considérés 
comme  des 
élèves  directs 
des  Limou- 
sins, et  je 
ne  pense  pas 
que  cette  assi- 
milation leur  puisse  êtredésagréable.  Etàdire  plaque  de  cuivre.  Si  je  préfère  infiniment  ce 
vrai,  j'imagine  que  l'un  et  l'autre  eussent  tenu  petit  tableau  au  masque  d'homme  sur  lequel 
à  Limoges,  un  des  premiers  rangs.  Puis,  je  se  promènent  des  coléoptères,  il  n'en  faut  pas 
leur  sais  un  gré  infini  de  ne  point  être  atteints  moins  reconnaître  que  cette  pièce  montre  une 
de  la  maladie  du  moment  :  ils  ne  craignent  très  grande  habileté  dans  l'emploi  simultanédes 
point  la  couleur  et  néanmoins,  leurs  émaux  émaux  de  différents  tons,  quelques-uns  aussi 
sont  tous  très  harmonieux.  Les  portraits  de  éclatants  que  des  pierres  précieuses.  De  petits 
M.  Roty  et  d'une  petite  fille  qu'expose  Grand-  vases,  une  sorte  de  coupe  ou  de  cendrier  sont 
homme,  la  riche  série  de  plaques  en  couleurs  là  pour  attester  que  l'artiste,  le  jour  où  il  voudra 
qu  expose  Garnier,  réconcilieront  beaucoup  de  reprendre  la  tradition  de  la  vaisselle  émaillée, 
gens  avec  l'art  difficile  de  l'émail  et  ne  contri-      pourra  produire  de  petits  chefs-d'œuvre. 

i5 


La  Naiadc  et  la  Noyée. 

l'Interprétation  d'un  dessin  de  Lévy-Dliurmer.) 


M.    HIRTZ. 


114 


Art    et    T>ccoration 


La  technique  de  rémail  cloisonné  semble 
passionner  Etienne  Tourrette  qui  nous  donne 
une  jumelle,  des  panneaux  décoratifs,  des 
vases,    des   bijoux    sur  lesquels  se  détachent 


Une  jumelle  (Email  cloisonné).        m.  e.  tourkette. 

fermement  des  tiges  de  fleurs,  s'enlevant  sur 
un  fond  de  fondant,  très  légèrement  teinté  par 
place.  La  coloration  générale  est  douce  et  c'est 
une  heureuse  idée  que  de  faire  concourir  les 
fonds  d'or,  à  peine  voilés,  à  l'éclat  de  l'œuvre 
tout  entière.  La  réussite  est  parfaite  et  je  sou- 
haiterais vivement  que  ce  procédé  fût  plus 
souvent  employé  pour  la  bijouterie,  au  moins 
pour  les  bijoux  faits  sur  commande,  les  seuls 
au  surplus  pour  lesquels,  pour  le  moment  du 
moins,  il  soit  question  d'art. 

J'ai  eu  déjà  plus  d'une  fois  l'occasion  de 
faire  l'éloge  de  Thesmar  et  de  ses  émaux  trans- 
parents, merveilles  de  goût  et  d'exécution 
qu'aucun  artiste  n'a  pu  surpasser  ;  j'aurais  l'air 
de  me  répéter  en  adressant  de  longs  compli- 
ments à  un  travailleur  aussi  acharné  que 
modeste.  Je  signalerai  seulement,  en  passant, 
ses  applications  d'émaux  cloisonnés  sur  la  por- 
celaine, et  au  risque  de  paraître  poursuivre 
une  idée  fixe,  je  redirai,  une  fois  de  plus,  qu'on 
peut  regretter  qu'il  ne  puisse  continuer  ses 
essais  sur  une  plus  vaste  échelle  ;  qui  sait  si  la 
continuation  de  ses  recherches  ne  transfor- 
merait pas  largement  le  rôle  décoratif  de  la  por- 
celaine,en  faveur  de  laquelle  il  faut  bien  plaider 
aujourd'hui  puisqu'on  n'y  parait  plus  songer? 

L'artdu  verrier  nous  ramène  à  des  artistes  qui, 
depuis  longtemps  déjà,  ont  un  renom  mérité. 
Léveillé,  qui  expose  un  grand  vase  gravé,  frotté 
d'or,  d'une  riche  coloration  ;  Gallé,  dont  la  vi- 
trine contient  une  série  de  vases,  les  uns  gravés, 
les  autres  unis,  aux  tons  vigoureux  ou  mou- 


rants, empruntant  leur  coloration  soit  aux 
plantes,  soit  aux  gemmes,  à  coté  desquelles 
ils  sont  dignes  de  prendre  place.  La  matière 
est  toujours  admirable,  mais  quelques  formes 
sont  un  peu  incertaines  ;  et,  comme  toujours, 
les  plus  belles  pièces  sont  celles  dont  le  galbe 
est  le  plus  simple.  Tyffany,  cette  année,  me 
plait  parce  que  ses  vases  conservent  l'apparence 
du  verre  ;  les  colorations  sont  heureuses,  les 
mélanges  harmonieux,  les  irisations  très 
riches  ;  mais  les  formes,  quand  ce  ne  sont  pas 
de  pures  imitations  d'objets  anciens,  pour- 
raient donner  lieu  à  plus  d'une  critique.  Karl 
Kœpping  semble  s'être  voué  à  la  fabrication 
du  vase-fîeur,  ce  qui  n'est  pas  très  nouveau, 
le  simple  terme  de  calice  pour  désigner  la  ca- 
vité d'un  verre,  éveillant  déjà  l'idée  d'un  végé- 
tal. J'imagine  que  ces  œuvres  iront  rejoindre, 
un  jour  ou  l'autre,  dans  les  vitrines  des  mu- 
sées, tous  ces  produits  des  verreries  de  Murano 
—  pas  ceux  du  xv°  siècle,  dus  à  des  artistes  plus 
robustes  —  dont  on  admire  surtout  la  légèreté 
et  la  fragilité. 


Portc-rvnqtict  énuiii.  i-   i-  imw.:. 

L'art  du  vitrail,  pour  une  infinité  de  raisons, 
ne  figure  jamais  aux  expositions  annuelles  que 
dans  des  proportions  très  restreintes.  D'ail- 
leurs, cela  se  conçoit  de  reste  :  un  vitrail  est 
généralement  exécuté  pour  un  emplacement 
déterminé,  et  il  serait  assez  malaisé  d'en  juger 


Zc'5  Arts  du  Feu 


1 1 


S 


dans  un  autre  milieu.  Il  y  en  a  cependant  un 
certain  nombre  aux  Salons  de  cette  année  :  je 
signalerai  d'abord,  et  sans  aucun  enthou- 
siasme, le  paravent  en  verre  de  Laumonnerie, 
qui  me  parait  manquer  absolument  de  vigueur 
dans  les  tons  ;  et  puis,  la  nécessité  de  l'emploi 
du  verre  dans  un  meuble  de  ce  genre  ne  me 
semble  pas  démontrée.  Parmi  les  vrais  vitraux. 


dient  les  œuvres  du  passé,  c'est  moins  en  admi- 
rateurs qu'en  historiens  de  la  civilisation.  Les 
véritables  œuvres  d'art  ont  toujours  été  très 
rares.  Notre  siècle  ne  fera  pas  plus  exception 
qu'un  autre  :  il  ne  paraîtra  peut-être  pas, 
à  distance,  plus  médiocre  qu'un  autre  non 
plus;  mais  il  est  une  remarque  que  feront 
certainement  nos  descendants  :  c'est  que  nos 


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Panneaux  pour  meuble  (Email  cloisonné). 

il  faut  mentionner  ceux  de  Gaudin,  d'après 
L.  0.  Merson,  et  surtout  la  Symphonie  d'après 
Grasset,  vitrail  très  clair  et  d'un  joli  dessin, 
tout  à  fait  un  vitrail  d'appartement.  En  dehors 
de  ceux-là,  je  ne  vois  rien  qui  trahisse  des  ten- 
dances bien  nouvelles,  ou  bien,  ce  qui  est  plus 
grave,  qui  indique  une  intelligence  bien  nette 
de  ce  que  doit  être  le  vitrail. 

Je  ne  voudrais  pas  quitter  le  lecteur,  qui 
doit  trouver  certainement  cet  article  un  peu 
prolixe,  sans  remercier  les  rédacteurs  d'Art 
et  Décoration  d'avoir  donné  l'hospitalité  à  ces 
lignes.  Les  archéologues  ont,  je  le  sais,  mau- 
vaise réputation  parmi  les  artistes;  on  leur 
prête  trop  volontiers  la  qualité  de  laudator 
temporis  acti,  et  on  oublie  trop  que  s'ils  étu- 


M.    E.    TOUERETTE. 


artistes  ne  sont  pas  assez  artisans  et  que 
nos  artisans  veulent  trop  être  des  artistes. 
L'évolution  de  nos  arts  mineurs  aura  peut- 
être  pour  résultat  de  faire  sortir  de  pair  des 
hommes  qui,  dans  leur  genre,  seront  les  égaux 
des  peintres  ou  des  sculpteurs;  mais  si  elle 
continue  dans  le  même  sens,  elle  ne  me  parait 
pas  destinée  à  produire  une  fois  de  plus  cette 
union  intime  entre  toutes  les  parties  de  l'art 
qui  caractérise  certaines  époques  qui  ont 
possédé  un  style.  C'est  grâce  à  ces  tendances 
générales,  que  nos  salons  nous  font  voir 
beaucoup  de  fort  jolis  bibelots,  mais,  en 
résumé,  un  très  petit  nombre  d'objets  usuels 
ennoblis  par  un  décor  artistique. 

Emile  Molinier. 


ALEXANDRE      CHARPENTIER 


M.  Alexandre  Charpentier  prodigue  son  art 
subtil  et  étudié  à  tout  ce  qui  est  susceptible  de 
relief:  lesmétauxet  le  grès  le  sollicitent  à  la  t'ois, 
et  l'on  connaît  aussi  ces  plaquettes  de  papier  et 


Bouton  de  porte. 


M.    A.    CHARPENTIER. 


de  carton  qu'il  frappe  comme  du  cuir,  et  les 
lithographies  estampées  qui  en  sont  dérivées.  Ses 
étains  et  ses  bronzes  sont  peut-être  la  partie 
de  son  œuvre  oij  l'ingéniosité  souple  de  son  ta- 
lent a  trouvé  jusqu'ici  son  meilleur  emploi. 
On  appréciera  dans  ce  numéro  les  plaquettes 
de  bronze  destinées  à  des  serrures,  rehaussées 
de  figures  jouant  aux  échecs  ou  aux  dominos, 

dont    le    mouvement    allongé    s'or-    

donne  bien  avec  les  dimensions  de 
l'objet  qu'il  s'agissait  de  décorer.  Les 
boutons  de  portes  où  s'enlève  une 
tète  de  chanteuse  ou  de  joueuse  de 
harpe  sont  aussi  d'un  modelé  délicat 
et  d'une  jolie  trouvaille  d'expres- 
sion. M.  Charpentier  a  recouvert 
le  métal  de  belles  patines,  l'une 
chaude  et  vermeille,  l'autre  grave 
et  sombre;  et  il  a  obtenu  pour 
les  boutons  de  porte  de  curieuses 
irisations,  qui  se  figent  dans  les 
creux    comme     un    dépôt    salin. 

Il  semble  pourtant  que  la  destination  de  ces 
plaques  et  de  ces  médaillons  ne  s'affirme  pas 
assez,  et  que  la  forme  même  devrait  garder 
l'empreinte  de  la  serrure  ou  de  la  poignée. 

Mais  un  morceau  d'une  plus  grande  enver- 
gure nous  sollicite  :  M.  Charpentier  nous  pré- 
sente un  grand  bas-relief,  les  Boulangers,  que 


M.  Emile  Muller  a  exécuté  en  briques  de  grès 
flammé;  et  c'est  là,  à  coup  sûr,  l'œuvre  de 
sculpture  la  plus  considérable  de  cette  année. 
Pour  la  réalisation  de  son  idée,  M.  Charpentier 
a  eu  nettement  en  vue  l'admirable  Frise  des 
Archers,  que  les  fouilles  de  Suse  ont  mise  au 
jour,  et  l'on  ne  saurait  trop  le  féliciter  de  remettre 
le  premier  en  honneur,  pour  les  grandes  sur- 
faces monumentales,  celte  décoration  de  briques 
émaillées.  Car  on  ne  peut  assurément  rappro- 
cher de  cette  tentative  les  malencontreux  essais 
de  fa'iences  colorées  appliqués  par  Forain  au 
Café  Riche.  Une  œuvre  décorative,  surtout 
lorsqu'il  s'agit  de  décoration  architecturale,  ne 
peut  s'accommoder  de  la  notation,  si  juste 
qu'elle  soit  dans  son  abréviation  préméditée, 
de  la  veulerie  de  nos  poses  et  des  tares 
de  notre  physique  anémié  ou  rachitique. 
Les  peintures  égvptiennes,  comme  les  terres 
cuites  du  palais  d'Artaxerxès,  nous  mon- 
trent les  actions  humaines  transposées  selon 
la  dignité  d'un  rite,  et  accomplies,  pour  ainsi 
dire,  par  des  attitudes  liturgiques.  Regardez 
les  Archers  du  Louvre  :  ils  marchent  l'un 
derrière  l'autre,  identiques,  comme  s'ils  avaient 
été  reproduits  au  moyen  de  poncifs.  Il  est  bien 
entendu  que  cette  parité  complète  de  posture 
doit  être,  aujourd'hui,  abandonnée  aux  sol- 
dats des  images  d'Epinal;  mais,  il  importe 
de  découvrir  ce    que    devra   être  l'hiératisme 


\     > 


Plaque  de  scrnirc. 


M.    A.    CHARPESTIHR. 


moderne.  Je  crois  que  M.  Charpentier  y  a 
réussi,  et  qu'il  a  bien  compris  qu'il  fallait 
simplifier  et  ordonner  les  mouvements,  et  que 
la  tension  des  muscles  devait  rester  calme  et 
sans  effort  excessif;  par  suite,  il  faut  éliminer 
ce  qu'il  y  a  d'accidentel  dans  les  gestes,  et 
même  de  trop  individuel  dansles  physionomies. 


Alex  an  de  Ch  arrp  entier 


11 


7 


Il  ne  faut  pas  saisir,  dans  reffervesccnce  de 
l'atelier  ou  de  l'usine,  l'exactitude  réaliste  du 
métier  qui  s'accomplit  sous  ses  formes  succes- 
sives et  multiples.  L'artiste,  pour  faire  œuvre 
décorative,  doit  en  dégager  le  trait  essentiel, 
les  moments  capitaux,  pour  ainsi  dire,  et  les 
attitudes  nécessaires. 

Les  Boulangers  de  M.  Charpentier  sont  vrai- 
ment les  ouvriers  du  labeur  antique  et  éternel, 
indispensable  à  l'entretien  delà  vie,  et  leur  ca- 
ractère particulier  s'efface  devant  la  grandeur 
du  travail.  Cette  scène  éloquente  et  pacifique  se 
joue  dans  une  belle  tenue  de  colorations, dont 
l'ardeur  est  habilement  maîtrisée  ;  les  roux  et 
les  verts  se  fondent  dans  le  champ,  servis 
par  d'heureux  coups  de  feu  :  et  la  composition 
s'encadre  d'un  revêtement  gris-bleu,  dont  le 
lustre  reste  suffisamment  neutre. 

La  grande  difficulté  consistait  à  laissera  l'en- 
semble son  caractère  bien  marqué,  et  à  ne 
rien  enlever  à  l'œuvre,  par  l'exécution  de  la 
partie  décorative,  de  son  aspect  mural.  Le 
relief  de  briques  émaillées  reste  bien,  en  effet, 
de  la  bâtisse;  la  solidité  même  des  figures, 
lortement  construites,  et  la  disposition  du 
sujet,  avec  le  décor  sobrement  indiqué  sur  le 
fond,  sans  rien  de  grêle  ni  d'évidé,  contribuent 
à  en  établir  fermement  le  dessin.  M.  Char- 
pentier a  même  été  plus  loin  dans  le  sens  delà 


semble  tout  naturellement  s'imposer  :  c'est 
celui  des  plombs  de  vitrail,  qu'un  verrier 
habile  sait  disposer  de  façon  à  laisser  d'une 
seule  pièce  les  parties  intéressantes,    ou    à   les 


■^sc. 


Boulon  de  porte. 


M.   A..  CHARPENTIER. 


assembler  suivant  des  lignes  plus  conformes  à 
leur  structure  naturelle. 

Mais  je   sais  que  M.    Charpentier  n'entend 
pas  lui-même  avoir  dit  son   dernier   mot   dès 


maçonnerie,  et  son  mur  est  complètement  son  premier  essai,  et  qu'il  veut  poursuivre 
édifié  en  briques  rectangulaires.  Evidemment,  d'autres  projets  d'ornementation  en  céra- 
un  précédent  peut  être  invoqué,  et  c'est  ainsi  mique  éniaillée,  sinon  en  grès;  car  le  grès 
que  sont  ajustées  les  briques  de  là  Frise  des  reste  une  matière  coûteuse,  et  l'artiste 
.-bx/îers  et  de  celle  des  L/on5  ;  mais  le  motif  ne      songe    maintenant    à    des    applications    d'un 

usage  plus  courant.  Il  sera  temps 
d'en  dire  davantage  lorsque  nous 
pourrons  mettre  sous  les  yeux  de 
nos  lecteurs  des  modèles  nou- 
veaux. Dès  maintenant,  voilà  une 
œuvre  véritablement  conçue  avec 
le  sens  de  la  décoration,  et  dont 
l'importance  ne  peut  échapper  : 
on  se  prend  à  désirer  pour  elle 
un  autre  asile  qu'une  salle  de 
Musée,  pour  laquelle  elle  n'a 
point  été  faite.  Il  serait  à  sou- 
haiter aussi  que  l'on  piit  assister 
souvent  à  une  semblable  initiative  : 
c'est  en  tout  cas   un   exemple  qui 


'/ 


/ 


Plaque  de  serrure. 


M.   A.    CHARPENTIER. 


se  répète    pas   ici  de  la    même    façon;    nous  demeure,  et    il  est    bien  certain  que    la    voie 

sommes   en  présence  d'une  scène  d'ensemble,  étant  ouverte  de  ce  côté-là,  nous  verrons  bien- 

et  il  est  désagréable    de  voir  les  joints   rayer  tôt  d'autres  efforts  se   maniiester  de   partout 

impitoyablement  le  visage  ou  l'épaule  des  per-  dans  le  même  sens, 

sonnages.     Un     système    de    découpage    me  Gustave  Soulier. 


Bordure. 


PAPIERS     PEINTS 


M.  BASTARD. 


Nous  voulons  parler  de  ceux  qui  sont  expo- 
sés aux  deux  Salons  et  d'abord  au  Champ  de 
Mars. 

Que  doit  être  une  tenture?  —  C'est  bien 
difficile  à  dire  puisque  cela  dépend  du  i;oùtde 
celui  qui  la  fait  po- 
ser sur  ses  murs 
pour  rendre  l'as- 
pect de  ceux-ci 
agréable.  Car  c'en 
est  là  la  vraie  défi- 
nition :  Un  papier 
ou  une  étoffe  des- 
tinés à  produire 
un  effet  agréable 
quand  ils  seront 
appliqués  sur  les 
parois  des  habita- 
tions. 

L'effet  est-il  tou- 
jours agréable  ?  — 
Il  me  souvient  que 
non  !  Je  vois  tou- 
jours, entre  autres, 
un  satané  rosier 
grimpant  qui  me 
rendit  jadis  l'exis- 
tence bien  désa- 
gréable ;  j'avais  tou- 
jours peur  de  m'é- 
corcher  à  ses 
odieuses  branches 
couvertes  d'épines  énormes,  et  malgré  cent 
études  fixées  aux  murs,  le  rouge  hurlant  de 
ses  fleurs  sur  fond  beurre  frais  m'assassinait 
encore. 

Voilà  donc  un  cas  précis;  un  papier  qui  n'a 
pas  été  posé  exprès  pour  l'habitant  de  la  pièce. 
Et  n'est-ce  pas  le  cas  le  plus  fréquent? 
Le  propriétaire,  en  effet,  en  fait  de  dessin  con- 
sulte  surtout  le  prix  du    rouleau;   or,   chose 


Tapis. 


remarquable,  à  part  les  papiers  unis,  on  peut 
prétendre  que,  comme  pour  les  habits,  plus  les 
papiers  sont  chers  et  moins  ils  sont  canailles. 
Il  ne  s'agit  pourtant  là  le  plus  souvent  que 
de  couleur;  or  il  est  à  supposer  que,  quand  un 

papier  est  franche- 
ment raté,  on  le 
met  à  un  prix  mo- 
dique, et  ainsi  s'ex- 
plique le  goût  du 
propriétaire. 

Cette  questionde 
couleur  prime  tout. 
Ainsi  le  plus  atroce 
dessin  peut  être  re- 
lativement sauvé 
par  la  couleur;  car 
en  théorie  tous  les 
dessins  sont  bons, 
et  ceux  qui  répétés 
donnent  de  mau- 
vaises barresen  tra- 
vers ou  en  diago- 
nale, peuvent  être 
modifiés  par  le  pla- 
cement arbitraire 
des  couleurs  ternes 
ou  vives,  par  la  ré- 
partition des  foncés 
et  des  clairs.  Ce 
qui  est  le  plus  diffi- 
cile à  masquer,  ce 
sont  les  grands  mouvements  continus  et  dé- 
pouillés, ainsi  que  de  mauvaises  formes  isolées 
mal  dessinées  ou  trop  marquantes. 

Ainsi,  le  raccord  de  M.  Schlumberger  pré- 
sente, tel  qu'il  est,  des  barres  obliques.  Eh  bien! 
il  suffirait  de  foncer  un  peu  une  seule  de  ses 
orchidées  pour  empêcher  cet  effet.  —  Pourquoi 
des  orchidées,  cher  Monsieur?  Parce  que 
c'est  la  mode,  peut-être  ?_Elles  sont  fort  joli- 


M  .    JOERAND. 


Tapiers  Peints 


119 


ent 


ment  dessinées,  bien  arrangées  et  d'un  exccl 
style,   mais  j'ai- 
merais    mieux 
quelque    autre 
plante    moins 
exotique.    L'en- 
semble  n'en  est 
pas    moins    des 
plus  distingués. 
D'ailleurs,  on 
peut     faire     de 
charmantes  ten- 
tures    sans      la 
moindre  plante, 
rien    qu'en   dis- 
posant joliment 
des  formes  quel- 
conques; car  il 
est  bien  inutile 
de  se   casser  la 
tète,    en    cher- 
chant   de    l'im- 
possible, au  lieu 
d'être  simple  et 
naturel.    Il     ne 
faut  pas  en  eri'et 
se    figurer    que 
les  gens  qui  en- 
trent  dans    une 
pièce    n'y   vien- 
nent  que    pour 
examiner  les  pa- 
piers ou  les  étof- 
fes    qui    recou- 
vrent les  murs. 
C'est  cette    ma-        ^ 

Orchidées  (Dessin  pour  etiilïe  d. 

rotte,  commune  ■' 

aux  fabricants  et  aux  artistes^  qui  a  fait  produire 


pliciié  ;    remplis    de    recherche   inutile    et    de 

pompe  ridicule. 
Parmi  les  des- 
sins exposés  il  y 
en  a  peu  qui  mé- 
ritent ce  repro- 
ehc;  ils  sont  en 
général  simples, 
et     plutôt     trop 
que    pas    assez. 
Mais    il  est  une 
critique      qu'on 
peut  adresser  à 
presque     toutes 
ces    composi- 
tions,   c'est    de 
ne      consister 
qu'en    un    petit 
échantillon     de 
leur      sur  fa  c  e 
utile;    car   en 
montrer  un  joli 
petit    morceau 
ne  signifie  abso- 
1  u  m  e  n  t      ri  e  n 
pour      l'ensem- 
ble,    qui     peut 
être    détestable! 
C'est     ainsi 
qu'il    est     diffi- 
cile de  juger  du 
mérite    des    in- 
ventions de  M. 
Gillet  au  point 
de  vue   du  bon 
effetd'ensemble. 
Les      morceaux 


Suie). 


M.   SCHIA'.MBhRGLR. 


exposés  sont  fins,  bien   arrangés,   d'une  cou- 


M.    EASTARD. 


Frise  de  tenture. 
tant  de  dessins  manquant  de  naïveté,  de  sim-      leuragréable.  Peut-être  les  deux  motifs  d'algue 


120 


C/^/t    et    Décoration 


sont-ils  un  peu  trop  comme  des  pages  d'herbier,      sont  trop  claires.  Il  est  donc  facile  de  le  réta- 
ct V  a-t-il  trop  d'espèces  diflerentes  réunies  et      blir  à  souhait. 


Modèles  de  tenture. 

d'une  exécution  un  peu  maigre.  Du'Jméme,  un 


M.    GILLET. 


On  ne  fait  que  trop  souvent  des  effets  heur- 


.M.    HhAli'N. 


Frise  de  p:ificr. 

raccord  de  rhododendrons  un  peu  lourd,   bien      té-s  et  durs  qui  tirent  l'ieil  et  détruisent  \a. pla- 
de  couleur,  mais  dur  d'effet  parce  que  les  fleurs      «/^e  de  la  sur  face,  tandis  que  nous  préférons  ins- 


Papiers  Peints 


I  2  1 


tinctivemem  les  aspects  doux  et  fondus  ,  c'est 
à-dire  les  tentures  où  les  valeurs  locales  sont 
peu  éloignées 
les  unes  des  au- 
tres. Cela  ne 
veut  nullement 
dire  clair,  il  s'en 
faut.  Aujour- 
d'hui, on  a  la 
sotte  manie  du 
clairà  outrance, 
sans  réfléchir 
qu'avec  nos  cos- 
tumes en  char- 
bon nousfaisons 
là-dessus  le  plus 
effroyable  effet  ! 

Pour  en  reve- 
nir à  M.  Gillet, 
le  dessin  n"  aSg 
est  d'une  bonne 
tonalité;  je  si- 
gnale le  défaut 
de  bandes  hori- 
zon t  a  le  s  trop 
apparentes. 

Quant  au  mo- 
dèle où  se  trou- 
vent des  lis  à 
tiges  trop  cour- 
tes, l'effet  est 
aussi  un  piu  trop 
celui  d'un  her- 
bier ,   par   suite 

,    ,,.  .        .  Modèle  de  tenture. 

de  I  introduction 

de  fragments  de  plantes  de  différentes  espèces. 


SS^ 

'  ^i-^^'" 

\èmè^ 

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m^'A\^\^z 

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i^g 

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%^ 

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1   ,fy-^ 

^ 

^Mà^ 

dessin  exact,  c'est-à-dire  peu  interprété 
L'envoi  de  M.  Gillct  est  en  somme  très  in- 
téressant et  la 
couleur  en  est 
agréable,  ce  qui 
est  un  g r a n d 
point  ^I  1. 

Si  un  petit 
morceau  de  ten- 
ture ne  rensei- 
gne en  rien  sur 
l'effet  final,  un 
dessin  à  petite 
échelle  n'en  dit 
pas  beaucoup 
plus  à  ce  sujet, 
car  les  compo- 
sitions réduites 
font  presque 
toujours  bon 
effet  et  les  modè- 
les de  M.  Cler- 
mont,  Ni^^  214  et 
2 1  5 ,  qui  sont 
réduits  à  la  moi- 
tié, se  trouvent 
dans  ce  cas.  Le 
motif  à  arti- 
chauts est  d'une 
bonne  couleur, 
harmonieuse  et 
chaude,  d'un 
dessin  intéres- 
sant et  un  peu 
tourmenté.  Les 
distance,    forme- 


M.    BASTARD. 


feuilles    en    clair,    vues    à 


Frise  de  papier. 

Les    mélanges   sont   en    général   mauvais; 
une    seule    nature     suffit,    surtout    avec    un 


M.    HEATON. 


(i)"Nous  apprenons  que  le  Musée  de'^  .\rts  décoratifs 
vientd'acquerir  deux  aes  modèles  de  tentures  exposes 
par  M.  Gillet. 

16 


1  22 


cÂrt  et  'Décoration 


raient  des  losanges  un  peu  froids  de  lignes. 
L'autre  tenture  est  bien  aussi  de  couleur,  dans 
une  gamme  froide,  avec  les  tiges  des  lis  trop 
massives  et  une  trop  grande  tendance  au  dessin 
en  contre-partie  exacte. 

En  effet,  le  rectangle  du  raccord  donné  ne 
coûte  pas  plus 
cher  à  imprimer 
varié  en  entier 
que  symétrique 
de  dessin  ,  et 
donne  incontes- 
tablement un 
effet  plus  riche. 

De  toutes  les 
tentures  exécu- 
tées exposées 
par  M.  Aubert, 
celle  que  je  pré- 
fère est  le  N"  i63. 
Lauriers  roses, 
encore  que  les 
tiges  soient  un 
peu  visibles  et 
donnent  quel- 
que sécheresse 
à  la  composi- 
tion. Les  brode- 
ries du  boudoir, 
N"  I  5  3,  sont 
d'un  goût  très 
élégant,  avec 
encore  des  tiges 
peut-être  un  peu 
trop  apparentes. 
Je  redoute  aussi 
la  fragilité  de  ce 
remarquable  tra- 
vail et,  si  j'é- 
tais    une     jolie 

femme son 

prix!  Mais  qu'importe!  Il  vaut  mieux  faire  de 
belles  choses  très  chères  que  de  l'Art  pauvre  de 
parti-pris,  et  je  suis  heureux  de  constater  de 
telles  tentatives. 

Les  projets  de  M.  Bas  tard,  N°^  i66  et  167, 
bien  que  d'un  coloris  quelque  peu  dur,  sec  et 
froid,  défaut  qu'on  peut  facilement  corriger 
en  changeant  la  gamme  des  tons,  sont  des  plus 
intéressants  à  signaler  à  cause  de  l'emploi  des 
formes  animales. 

On  comprend  qu'à  la  rigueur,  on  bannisse 
des  tentures,  les  architectures,  les  perspectives 
et  aussi  les  imitations  brutales  et  choquantes 


Ml'dL  IL     de     itltlll: 


des  araignées,  des  crabes,  des  crocodiles,  des 
crapauds  e:  autres  animaux  dont  se  régale 
l'œil  des  .Japonais.  Mais  il  est  curieux  de  cons- 
tater que,  par  un  caprice  bizarre,  les  fabricants 
modernes,  habitués  à  chercher  la  petite  béte, 
ont  absolument  proscrit  les  animaux,  de  leurs 

tentures.  On  n'y 
tolère  que  les 
chimères  plus 
ou  moins  classi- 
ques!! 

Quand  un 
dessin  de  papier 
peint  est  bien 
homogène,  joli 
de  couleur,  har- 
monieux dans 
son  ensemble, 
je  vous  demande 
un  peu  ce  que 
peut  bien  y  faire 
le  sujet  ?  —  Si  le 
sujet  déplaît  au 
client,  c'est  qu'il 
est  mal  exécuté 
et  mal  composé  ; 
car  même  en 
prenant  comme 
thème  tous  les 
monstres  de  la 
création,  il  est 
p  a  r  fai  tement 
possible  d'en 
faire  des  tentu- 
res qui  ne  cho- 
quent personne. 
Le  tout  est  de 
ne  pas  en  faire 
de  copies  en 
troiipe-l'œil, 
"  '"""  '  comme  on  a  eu 

jusqu'à  présent  la  stupide  manie  de  le  faire  de 
tous  les  objets  qu'on  a  pris  comme  motifs. 

Qui,  d'ailleurs,  se  préoccupe  des  sujets?  — 
Des  fabricants  plus  ou  moins  timbrés.  Quant 
au  public,  il  les  subit  agréablement  ou  indiffé- 
remment, sans  s'en  marteler  la  tête  comme 
MM.  les  fabricants. 

Le  dessin  des  Souris  blauchcs  de  M.  Bas- 
tard  est  charmant  de  composition.  Il  suffirait, 
pour  le  rendre  parfait,  de  moins  dirterencier 
les  clairs  et  les  foncés  et  d'employer  des  cou- 
leurs moins  distantes  entre  elles.  La  bordure 
y   est  parfaitement    appropriée,    bien    que    la 


Papiers    Peints 


123 


ligne  des  épis  au  bas  manque  un  peudesinuo-      présentant  le  défaut  d'être  modelés  Jaii.s  l'oi- 
sité.  Je  louerai  tout  autant  les  modèles    tirés      semble^  ce   qui    est    une  erreur   manifeste    en 

tant  que  tenture  murale.  Mettre 
une  partie  des  motifs  dans  l'ombre 
et  une  partie  dans  la  lumière,  est 
le  plus  détestable  système  qu'il 
soit  possible  de  suivre.  On  doit, 
au  contraire,  absolument  sup- 
poser tous  les  motifs  sur  le  même 
plan  et  aussi  peu  modelés  que 
possible,  sans  cela  on  troue  les 
murailles  de  creux  et  de  saillies 
hors  de  saison.  Jamais  un  homme, 
du  got^it  même  le  plus  élémen- 
taire, ne  choisira  un  tel  ornement 
pour  ses  murs  et,  à  son  aspect, 
le  supposera  volontiers  destiné 
aux  populations  canaques. 

Quant  à  ceux  qui  font  du 
trompe-l'œil  et  qui  modèlent  les 
objets  comme  pour  imiter  des 
ornements  en  staff,  ils  feraient 
mieux  d'entrer  dans  la  sculpture 
où  ils  pourraient  se  donner  des 
bosses  à  discrétion. 


Je   veux    dire    quelques    mots 
d'une    fort    originale    exposition 
qu'on  peut  voir  dans  la  Salle  d'ar- 
chitecture au    Champ  de   Mars, 
T.^i'if.  M-  joRiîAND.  et  dont  une  partie  seulement  ren- 

tre,   à    proprement   parler,  dans 

de  l'escargot,  très  ingénieusement  agencés.  Que      le  cadre  de  cet  article.  C'est  celle  de  M.  Hcaton 

M.  Bastard  persévère  dans  cette  voie  intéres- 
sante,  il  ne  peut  manquer  d'y  réussir  et  je  le 

remercie    personnellement   de   son  initiative. 

J'aime  à  croire  qu'elle  sera  suivie  par  d'autres 

dessinateurs. 

D'ailleurs,  au  point  de  vue  du  goût  et  de  la 

convenance  du  sujet,  l'artiste  sera  aussi  près 

que  possible  de  la  vérité  en  se  demandant  s'il 

aimerait  à  avoir  les  murs  de  sa  chambre  ten- 
dus de  ses  propres  compositions.  On  ne  peut 

guère  lui  en  demander  plus  ! 
Au  salon  des  Champs-Elysées,  nous  n'avons 

vu   que    peu   de  projets  de  papiers  peints  ou 

étoffes,  et  parmi  ces  dernières  un  spécimen  qui 

ne   relève   guère  de  cet  article,    un  tapis,    de 

M.  Jorrand,  formé  de  fleurs  de  nénuphars  dans 

des  ondes  noires  et  bleues.  Bonne  composition, 

un   peu  grosse   et  heurtée  d'effet,  mais  que  je 

préfère  de  beaucoup  à  ses  chardons. 
J'ai  aperçu  quelques  projets  de  papier  peint. 


M.    HEATON. 


Papier  de  tenture. 
où  se  trouvent    des   frises   de   papier   gautré. 


124 


Art  et  Décoration 


bronzé  et  rehaussé  à    la   main,  ciu  plus  bel  effet.       a  exécutés  à  Neuchâtel   (Suisse]   pour  le 

Musée  de  cette  ville.  Des  pilastres  et  des 
archivoltes,  encadrés  de  cuivre  fondu  ou 
repoussé,  témoignent  d'un  talent  souple 
et  exercé.  Les  lions  qui  garnissent  les 
sommets  des  pilastres  sont  d'un  modelé  un 
peu  empâté  et  ne  se  relient  pas  bien  au 
reste  du  travail,  qui  est  très  précis.  Ces 
lions  n'ont  pas  été  modelés  par  M.  Hea 
ton;  il  est  l'auteur  des  cloisonnés  et  des 
repoussés. 

On  peut  à  juste  titre  être  étonné  de  cette 
multiplicité  de  matières  mises  en  œuvre, 
si  l'on  y  ajoute  les  céramiques  et  reliefs  qui 
garnissent  les  impontantes  surfaces  des 
voûtes  décorées  ainsi,  qui  complètent  cet 
ensemble. 

Kn  elïet,  rien  n'est  plus  remarquable; 
mais  il  y  a  à  cela  une  explication,  et  une 
explication  bien  moderne  :  M.  Heaton 
est,  paraît-il,  son  propre  dessinateur,  son 
propre  modeleur,  son  propre  émailleur, 
son  propre  repousseur  et  surtout  son 
propre  mécanicien  !  Voilà  l'explication  de 
ces  faces  diverses  d'un  talent  auquel  les 
matières  importent  peu  grâce  à  l'appui 
de  ce  merveilleux  ouvrier  futur  :  la 
machine  ! 

.le  suis  heureux  de  profiter  de  cet  exem- 
ple concluant  pour  répéter  en  finissant  : 
L'Art  nouveau  existera  surtout  quand 
les   machines  ,    jusqu'ici   uniquement     em- 


Détail  de  la  decotaiion  de  l  escalier  du  Mitsje  de  Xeiifclt.ilcl 


en  cloisonné  Heaton. 


Composition  de  M.  P.  Robert 


Le  procédé  est  nouveau,  car  les  reliefs  ne  si 
mulent  aucunement  la  sculpture, 
mais  seulement  les  traits  et  ner 
vures  des  ornements,  ce  qui  les 
laisse  bien  dans  un  même  plan 
avec  la  légèreté  d'une  peinture  et 
le  nerf  d'une  ciselure.  La  petite 
frise  me  parait  particulièrement 
réussie  et  l'ornement  d'un  beau 
caractère.  11  y  a  aussi  un  fond  de 
tenture  auquel  Je  reproche  d'être 
un  peu  trop  en  rosaces.  Mais  je 
relève  ici  le  procédé  très  nouveau 
et  fécond  en  applications  variées. 

M.  Heaton  expose  des  décora- 
tions murales  encore  bien  plus 
extraordinaires,  car  elles  se  com- 
posent d'émail  cloisonné,  matière 
jusqu'ici  réservée  aux  objets 
de  petite  dimension  ;  l'émail 
ici  employé  est  de  l'invention 
de  l'exposant.  Des  photographies  montrent  ployées  par  les  ingénieurs,  le  seront  aussi 
l'importance    des  travaux    de    ce    genre  qu'il      par  les  artistes.  E    Grasset. 


Modèle  de  tenture. 


M     GILLET. 


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iMÉ*fâ£L:^iirf...j/i;^; 

7'apisscrîc 


M,     VAN    MATTI-MLIVUGH. 


NOS  CONCOURS 

f/iV£'    LANTERNE    D'ANTICHAMBRE 


Le    jury,    réuni   le    i3    mai,   a    décerne 
i<"'  prix  à   M.  Francis  Madeleine,   et  le   2 


Projet  de  M.  !■'.  .U.idclcnic.  (i"  piix.) 

M.  G.  Riom.  Il  a  retenu,  pour  être  publiés 
dans  la  Revue,  les  projets  de  MM.  Paul 
Guignebault  et  Louis  Blanc,  Spero,  Nicolas 
Stœckel  et  L.  Clermont.  Les  membres  du 
jury  ont  été  d'avis  qu'il  y  avait  lieu  de 
taire  connaître  aux  concurrents  les  criti- 
ques qu'avait  suggérées  l'examen  des  pro- 
jets. 


adopté   par  chacun    des    concurrents    pour   y 
donner  satisfaction. 

En  général,  la  préoccupation  du  détail  nuit 
à  la  composition.  Les  concurrents  n'attachent 
pas  assez  d'importance  à  l'obligation  qui  s'im- 
pose de  trouver  d'abord  la  forme  générale, 
l'enveloppe  résultant  de  la  destination  de 
l'objet  et  des  qualités  de  la  matière  employée. 
Quant  aux  conditions  particulières,  le  pro- 
gramme  ne  les   avait  peut-être   pas  suftisam- 


Projet  de  M.  F.  Madeleine.  (1"  prix.) 


Les  unes  sont  générales  et  applicables  à  tous  ment  précisées  :  l'éclairage  au  gaz  et  l'éclairage 
les  concours;  les  autres  résultent  des  condi-  à  l'électricité  ont  pour  la  disposition  des  appâ- 
tions particulières  du  programme  et  du  parti      reils  des  nécessités  différentes  :  la  flamme  du 


26 


Art  et  Décoration 


gaz  qui  brûle  de  bas  en  haut  au  contact  de  l'air 
est  évidemment  très  différente  de  la  lumière 
électrique  due  à  l'incandescence,  dans  le  vide, 
de  charbons  d'une  extrême  ténuité.  Si  le  gaz 
nécessite,  pour  une  combustion  régulière,  des 
appareils  verticaux,  l'électricité  admet,  comme 
source  lumineuse,  des  ampoules  de  verre  rcn- 


suivant  qu'on  adopte  l'un  ou  l'autre  système 
MM.  Madeleine  et  Riom  ont  bien  interprété 
le  programme  en  admettant  que  l'appareil 
pourrait  servir  à  deux  fins,  la  partie  centrale 
constituant  une  véritable  lanterne  à  gaz  tandis 
que  la  lumière  électrique  serait  répartie,  au- 
dessous  do  la  lanterne,  dans  quatre  foyers  for- 


.^ 


:j 


-fr' 


"^ 


Projet  de  M.  G.  Riom.  (2'  prix.) 


versées  que  traverse  le  courant  électrique  et 
qui  peuvent  être  placées  immédiatement  sous 
le  plafond,  la  lumière  étant  renvoyée  par  des 
réflecteurs  convenablement  disposés.  Le  gaz 
doit  brijlerau  contraire  assez  loin  du  plafond, 
pour  ne  point  risquer  d'endommager  les  pein- 
tures. 

L'alimentation  des  appareils,  soit  par  des 
tubes  s'il  s'agit  du  gaz,  soit  par  des  fils  s'il 
s'agit  d'un  courant  électrique,  peut  contribuer 
à  la  disposition  caractéristique  de  la  lanterne, 


niant  un  celai  rage  complémentaire.  M.  Francis 
Madeleine  a  étudié  avec  beaucoup  de  soin  la 
construction  de  sa  lanterne,  répartissant  dans 
l'une  des  tiges  le  conduit  du  gaz,  dans  l'autre 
les  fils  électriques.  Le  corps  de  la  lanterne  est 
constitué  par  des  feuilles  de  cuivre  jaune;  des 
flammes  martelées  forment,  pour  l'appareil  à 
gaz  du  centre,  une  cheminée  d'aération;  la 
partie  haute  constitue  un  véritable  fumivore. 
Les  foyers  lumineux  sont  disséminés  derrière 
une  enveloppe  de  verre  montée  dans  l'armature 


Nos  Concours 


127 


de  cuivre  et  retenue  par  des  crochets;  la  partie 
inférieure  s'ouvre  à  ciiarnière  pour  faciliter 
l'entretien  des  foyers. 

C'est  une  étude   d'exécution  très  conscien- 


l'iojct  dd  MM.  Giitgncb-inlt  et  Lljnc. 

cieuse  et  tout  à  fait  digne  d'éloge.  La  forme 
générale,  qui  se  rapproche  de  celle  d'un  flacon 
ou  d'une  aiguière,  pourrait  seule  donner  prise 
à  lacritique.  M.  Madeleine  estimeà  ?oo  francs 
la  dépense  d'exécution. 

M.  Riom  a  préféré  le  fer  l'orgé  au  cuivre,  et 
il  en  a  fait  une  charmante  application.  Les 
feuilles  découpées  et  estampées  qui  garnissent 
les  armatures  de  la  lanterne  sont  d'un  joli 
dessin,  et  l'auteur  du  projet  a  étudié  avec  beau- 
coup de  soin  l'arrangement  de  la  douille  réu- 
nissant les  tubes  pour  l'arrivée  du  gaz,  ainsi 
que  les  crochets  portant  les  fils,  en  vue  de  la 
solution  la  plus  économique.  Des  pétales  en 
verre  américain  accompagneraient  les  ampoules 
et  formeraient  d'élégants  réflecteurs. 

Si  nous  avions  pu  décerner  un  3®  prix,  nous 
l'aurions  attribué  volontiers  à  la  composition 
de  MM.  Guignebault  et  Blanc  :  les  auteurs  ont 
très  adroitement  interprété  la  fleur  du  pavot, 
dont  le  bouton  en  verre  côtelé,  terminé  par  une 
calotte  de  fer  ajouré,  renfermerait  le  foyer 
lumineux, 

Le  projet  est  d'ailleurs  bien  plus  une  com- 


position décorative  qu'une  étude  d'exécution, 
et  ne  pouvait  pour  ce  motif  entrer  en  lutte 
avec  les  deux  projets  primés. 

La  composition  de  M.  Spero  est  très  simple, 
et  serait  d'un  agréable  effet  à  la  condi- 
tion de  considérer  le  dessin  comme  étant  fait 
à  moitié  et  non  au  tiers  de  l'exécution  ;  sinon, 
la  rangée  de  fleurs  d'églantier  en  tôle  repoussée 
qui  borde  le  réflecteur  serait  beaucoup  trop 
large.  La  lanterne  serait  éclairée  au  gaz  ;  les 
tiges  qui  soutiennent  le  globe  se  termineraient 
par  deux  fleurs  pouvant  donner  un  supplé- 
ment d'éclairage  par  l'électricité.  Les  tiges 
n'existant  que  dans  un  sens,  l'appareil  d'éclai- 
rage ne  serait  pas  suffisamment  équilibré. 

Les  autres  projets  sont  intéressants,  mais 
accusent  une  réelle  inexpérience. 

M.  Stœckel,  en  garnissant  d'ornements 
métalliques  la  partie  basse  de  sa  lanterne, 
mettrait  obstacle  au  passage  de  la  lumière. 


Projet  de  M.  Clermont. 

Le  projet  de  M.  Clermont  est  un  des  mieux 
étudiés  au  point  de  vue  de  la  construc- 
tion, mais  la  forme  générale  n'est  pas  bien 
trouvée. 


128 


Art  et  Décoration 


En  résumé,  le  concours  est  intéressant;  mais      bonne  que  si   elle  convient  absolument  à   sa 
si  l'on  excepte    les  deux    projets   primés,    les 


Projet  de  M.  Stœckcl. 

études  seraient  généralement  insuffisantes 
pour  rcxccution,  et  les  concurrents  ne  se  ren- 
dent pas  assez  compte  des  difficultés  d'une 
composition    de   ce  genre.    Une   forrre    n'est 

CONCOURS 

Papier 

On  néglige  trop  depuis  longtemps,  presque 
depuis  l'époque  de  Louis  XV,  les  Papiers  de 
garde  des  livres  ;  ces  beaux  papiers  d'autrefois, 
dorés,  gaufrés,  coloriés,  qui  donnent  tant  de 
richesse  et  de  mystère  aux  vieux  livres  qui  en 
sont  encore  ornés. 

l.a  r^evue  Aft  et  Décoration  a  pensé  qu'avec 
son  premier  volume,  elle  ne  pouvait  moins 
faire  que  d'encourager  la  restauration  de  cet  art 
charmant,  et  elle  met  au  concours  un  dessin 
pour  ce  papier  destiné  spécialement  à  la  Revue. 

Il  est  certain  qu'en  notre  siècle  d'  "  Art 
simple,  »  la  dorure  et  le  gaufrage  sont  hors  de 
prix,  ce  qu'il  est  permis  de  déplorer  ;  aussi,  nous 
contenterons-nous  d'un  ton  lithographie. 

De  plus,  le  dessin  ou  raccord  est  en  général 
très  petit,  o"'o5  sur  o'no25,  ou  o'no4  sur  o'^oq, 
sans  que  ces  mesures  aient  rien  d'absolu,  car 
c'est  plutôt  une  indication  destinée  à  empêcher 
de  s'embarquer  dans  de  grands  dessins.  Malgré 
cela  il  faudra  éviter  de  faire  trop  fin  de  détail. 

Il  sera  nécessaire  de  répéter  ce  motif  sur  un 


Projet  de  Mil.  Guignebault  et  Blanc. 

destination  ;  elle  n'est  exécutable  que  si  elle 
s'accorde  avec  les  propriétés  delà  matière. 

Lucien  Magne. 

DE  JUILLET 

de  Garde 

espace  d'au  moins  la  moitié  du  format  de  la 
Revue.  Cette  répétition  peut  se  faire,  en  repor- 
tant le  dessin  à  côté  et  au-dessous  de  lui-même 
ce  qui  est  le  raccord  droit  \  ou  au-dessous  de 
lui-même  et  à  côté  par  moitié  et  non  sur  la 
même  horizontale,  comme  un  mur  de  briques 
qu'on  mettrait  de  champ,  ce  qui  est  le  raccord 
en  sautoir.  La  répétition  peut  se  faire  encore 
comme  le  mur  de  briques  resté  horizontal,  ce 
qui  est  \c  raccord  par  moitié. 

Enfin,  on  peut  adopter  le  semis. 

En  outre,  le  dessin  comportera  dcit.y  mono- 
gramiiies  simples  et  lisibles,  mêlés  aux  orne- 
ments; l'un  formé  de  A  D  et  l'autre  de  E  L. 

Toute  autre  latitude  est  laissée  aux  concur- 
rents qui  peuvent  faire  leur  dessin  en  clair  sur 
foncé  ou  en  foncé  sur  clair  à  leur  choix. 

Trois  prix  seront  décernés  :  le  !<=''  de  i5o  fr., 
le  2»  de  jS  fr.,  le  3'  de  25  fr. 

Adresser  les  envois  avant  le  5  juillet  à  la 
Li-brairie  Centrale  des  Beaux-Ans,  i!3,  rue 
Lafayette,  Paris. 


Imp.  de  VaugirarJ.  G.  de  Sliilherhc  &  Cic.  |52.  rue  Je  VauKirurJ,  Paris. 


ÉMll.i;  l.liXY,  lUileur-gérant' 


Art  et  Décoration 

Un    Dernier    Mot    sur    les     Salons 


L'ETAIN  —   LE   CUIR 


LA   faïence 


L  est  diflicile  d'cpuiser 
en  un  jour  une  ma- 
tière aussi  dense  que 
celle  de  nos  Salons 
annuels  d'art  déco- 
ratif. Trop  de  formes 
d'art  s'y  cultivent  et 
des  talents  trop  va- 
riés s'y  essayent  pour 
qu'il  ne  soit  pas  in- 
dispensable d'y  reve- 
nir, même  après  les  études  séparées  où  nos 
collaborateurs  se  sont  plu  à  mettre  en  relief 
l'effort  personnel  et  à  déterminer  la  valeur 
d'ensemble  des  travaux  exécutés  par  des  artistes 
spéciaux  dans  chaque  genre. 

A  mesure  qu'on  prend  plus  de  'recul,  on 
juge  ces  manifestations  de  plus  haut.  L'ana- 
Ivse  à  laquelle  on  a  soumis  au  début  toutes 
les  pièces  marquées  d'une  note  d'art  fait 
place  à  un  instinctif  besoin  de  synthèse  :  on 
résume  ses  idées,  on  les  pèse,  on  les  fond 
dans  une  appréciation  motivée.  Il  est  rare  que 
cette  revision  n'entraine  pas  quelque  utile 
réflexion,  et  qu'il  ne  s'en  dégage  pas  peu  ou 
prou  d'observations  générales.  C'est  ce  que  je 
vais  essayer  de  faire  pour  l'étain,  le  cuir  et  la 
faïence. 

L'étain  est  une  matière  à  la  mode  et,  comme 
il  arrive  toutes  les  fois  qu'une  matière  est  à  la 
mode,  on  en  abuse.  Le  succès  des  jolis  plats 
de  Desbois,  des  pichets  de  Charpentier,  de 
quelques-uns  des  modèles  de  Baftier,  a  lancé 
nos  sculpteurs  dans  une  voie  où  l'exagération 
côtoie  le  mauvais  goût.  Nous  avons  vu  des 
surtouts  de  table  en  étain,  des  bustes  en  étain; 
nous  verrons  sous  peu  des  statues  coulées 
dans  le  même  métal.  Déjà  des  industriels,  trop 
habiles  à  profiter  d'un  engouement  passager, 
se  préoccupent  de  trouver  des  patines  qui 
donnent  le  change  à  notre  œil  et  qui  sup- 
pléent, par  des  colorations  mensongères,  à  la 
monotonie  des  effets  que  la  matière,  employée 
à  l'état  naturel,  peut  fournir.  L'étain,  en  effet. 


s'encrasse  vite,  et  l'oxydation,  loin  d'ajouter  à 
son  charme,  lui  enlève  rapidement  tout  attrait. 
Il  se  plombe,  et  les  jolis  effets  de  lumière  aux- 
quels il  se  prétait  au  début  s'évanouissent. 

De  là  vient  que  nos  ancêtres,  gens  pratiques, 
ne  se  sont  jamais  avisés  de  l'employer  qu'à 
l'usage  de  gobelets  ou  d'assiettes,  de  pots,  de 
plats  ou  de  fontaines,  tous  objets  qu'on  net- 
toie sans  cesse  et  dont  le  poli,  par  conséquent, 
ne  s'altère  pas.  Ils  se  seraient  bien  gardés  de 
s'en  servir,  comme  nous  le  faisons  aujour- 
d'hui, dans  une  multitude  de  cas  où  le 
bronze  est  seul  indiqué.  Matière  éminemment 
malléable,  l'étain  s'accommode  à  merveille 
des  plus  faibles  reliefs.  Où  le  bronze  aurait 
besoin,  vingt  fois,  d'être  repris  et  travaillé  par 
une  main  habile  au  ciselet,  l'étain  donne  du 
premier  coup  le  résultat.  Le  modèle  garde  à  la 
fonte  ses  finesses,  sans  réclamer   de   l'artiste 


Bouteille. 


M.    GALLE. 


autre  chose  qu'un  imperceptible  travail  de 
finissage.  L'étain  perd  de  ses  avantages  à  me- 
sure que  le  relief  s'accentue.  Il  ne  donne  ni 
l'impression  de  solidité  que  laisse  le  bronze, 
ni  les  lumineuses  souplesses  de  l'argent  :  mou 

21 


i6; 


Art  et  Décoration 


et  terne,   savonneux   et  lourd,  il  n"a  droit   ni 
à  l'attention  des  orfèvres,  ni  à  celle  des  sculp- 


Mudèlc  de  tenture  (.1). 


M.    CLtKMUNT. 


teurs  amis  de  la  ronde-bosse.  Il  n'en  est  point 
pour  cela  méprisable,  et  sur  son  domaine 
limité, il  y  a  place, comme  du  temps  des  Briot. 
non  seulement  pour  l'œuvre  d'art,  mais  bien 
pour  le  chef-d'œuvre. 

Il  serait  difficile  en  effet,  de  désigner  par 
un  autre  terme  les  purs  bijoux  dont  Desbois 
nous  a  offert  aux  Salons  précédents  le  régal, 
dans  son  plat  de  la  Vague,  par  exemple,  et 
ceux  dont  nous  sommes  redevables,  cette 
année,  dans  une  série  de  gobelets,  à  Brateau. 
Maintes  fois  déjà,  depuis  que  le  Champ  de 
Mars  s'est  ouvert  à  l'art  décoratif,  nous  avions 
goûté  ce  talent  délicat,  pondéré,  à  la  fois  si  in 
génieux  et  si  pur  ;  nous  n'avions  pourtant  rien 
vu  de  lui,  avant  ses  gobelets,  qui  dénotât  d'une 
manière  absolue  la  maîtrise.  Dans  toutes  ses 
inventions,  si  le  travail  se  faisait  admirer  sans 
réserve,  la  personnalité  restait  toujours  un 
peu  hésitante.  On  ne  passe  pas  impunément 
toute  une  vie,  toute  une  moitié  au  moins  de  sa 
vie,  à  rééditer  pour  des  tanatiques  d'art  ancien 
les  modèles  que  nos  maîtres  de  la  Renais- 
sance ont  créés. 

(i)  Voir  iJ.igo  121. 


Plus  de  génc,  cette  fois,  plus  d'eflort,  plus 
de  souvenir  intempestif  du  passé.  Dans  ces  go- 
belets ovoïdes  ou  coniques  dont  les  panses 
ont  pris  pour  décor,  tour  à  tour,  la  vigne  évo- 
catrice  du  vin,  l'orge  et  le  houblon  dont  le 
mariage  est  l'indispensable  prélude  de  la  bière, 
le  pommier  dont  la  fleur  est  l'emblème  obli- 
gatoire du  cidre,  l'olivier  dont  le  fruit  don- 
nera l'huile,  une  aisance  inconnue  se  manifeste, 
un  tact  exquis  a  fait  sentir  à  l'artiste  l'exacte 
proportion  dans  laquelle  le  motif  et  la  forme 
se  convenaient.  Ici,  de  franches  saillies  atté- 
nuées par  le  gras  et  le  fondu  de  la  facture,  la 
des  reliefs  légers,  faits  de  modulations  insen- 
sibles, et  toujours,  entre  l'ornement  et  la 
surface  à  orner,  une  heureuse  et  douce  har- 
monie. Je  ne  vois  à  relever,  dans  l'ensemble, 
qu'un  imperceptible  détail  dont  la  présence 
me  choque  :  la  division  du  gobelet  à  cidre  en 
panneaux  dont  l'encadrement  se  relève  en  mou- 
lures et  se  complique,  par,  places,  de  char- 
nières destinées,  dans  la  pensée  de  l'artiste,  à 
rappeler  nos  armoires  normandes.  Complica- 


Gahelet  à  hijhiii-  de  fiDiniiiei   (etdinj.      m.  LUAitAU. 

tion  inutile  et  fâcheuse;  puérilité,  sinon  mau- 
vais goût. 

Mais  n'attachons  pas  à  une  erreur,  en  somme 


Un  Dernier  Mot  sur  les  Salons 


16 


} 


aussi  mince,  plus  d'importance   qu'il  ne  faut.       de  passer  à  un  autre   sujet,  d'observer  l'ana- 
EUe  n'enlèvera  rien  de  sa  spontanéité  à  l'éloge      logie  frappante  qui  existe,  pour  la    mode  de 


BcDiqitctte  d'antichambre  (Voir  page  108). 


M.    LAMBERT. 


que  tout  homme  de  goût,  dans  son  for  inté-  composition  et  d'interprétation  de  la  nature, 
rieur,  a  porté  sur  ces  produits  d'un  art  raffiné.  entre  ces  gobelets  et  ceux  du  trésor  d'argen- 
Je  n'insiste  donc  pas.  Je  me  contenterai,  avant      terie  trouvé,  il  y  a  deux  ans,  à  Bosco-Réale 


164 


cArt   et    Décoration 


dans  les  ruines  d'une  villa  pompéienne.  Le 
retour  à  la  simplicité  que  nous  saluons  avec 
une  joie  sans  mélans;e  chez  Brateau,  et  qui  est 
pour  nous  l'indice  le  plus  sûr  de  son  atfran- 
cliissement,  ne  lui  a-t-il  pas  été  dicté  par  les 
pièces  exquises  que  des  orfèvres  grecs  ont  mo- 
delées, voilà  dix-huit  cents  ans,  pour  un  riche 
Romain  contemporain  de  Tibère  ou  de  Néron? 


à  une  renaissance  des  industries  artistiques  du 
cuir.  Je  crains  bien  que  cette  renaissance,  à 
laquelle  nous  avons  tous  applaudi,  n'ait  eu  la 
durée  d'un  feu  de  paille.  A  vrai  dire,  elle  s'est 
bornée  à  la  reliure,  et  c'est  peu. 

Par  cela  même  qu'elle  est  artistique,  une 
reliure  est  un  travail  d'exception,  accessible 
seulement  au  petit  nombre.  La  production  en 


Paravent. 

Je  serais  bien  surpris  si  l'inspiration  du  gobe- 
let à  l'olive  et  celle  du  gobelet  à  la  vigne  ne 
venaient  en  droite  ligne  du  Louvre,  où  ces 
merveilles  d'art  antique  ont  pris  place,  et  je 
féliciterais  volontiers  M.  Brateau  d'avoir  pris 
cette  le(;on  des  anciens.  Jamais  il  n'a  existé 
d'art  plus  libre  et  en  même  temps  plus  réglé, 
plus  fantaisiste  et  en  même  temps  plus  choisi. 
La  recette  la  plus  sure  pour  faire  neuf  est  en- 
core de  prendre  exemple  sur  eux. 


On  avait  pu  croire,  il  y  a  quelques  années, 


M.    CHANTEAU. 

est  donc  forcément  limitée.  On  relie  d'ailleurs 
de  moins  en  moins.  Plus  le  goût  de  la  lecture 
se  répand,  plus  on  achète  de  livres,  moins  on 
s'inquiète  de  les  faire  habiller  solidement.  Les 
ouvriers  expérimentés  se  font  rares.  Ils  se  font 
d'autant  plus  rares  qu'entre  la  reliure  et  les 
autres  métiers  où  l'on  travaille  le  cuir,  il 
n'existe  plus  aujourd'hui  le  plus  léger  point  de 
contact.  La  reliure,  dès  qu'elle  est  faite  avec 
soin,  devient  un  art:  où  voyez-vous,  dans  la 
maroquinerie,  dans  la  gainerie  d'à  présent, 
quoi  que  ce  soit  qui  évoque  l'idée  d'art  ? 
Il  en  était  jadis  autrement. 


Un  Dernier  zMot  sur  les  Salons 


,6, 


Quand  on  examine,  à  Clunv  ou  dans  les  plaines  du  Farwest,  la  dépouille  des  bœufs,  des 
belles  collections  d'amateurs,  les  trousses,  les      vaches,  des  moutons  arrive  sur  nos  marchés, 

chaque  année,  par  centaines  de  milliers  de  dou- 
zaines. Pourquoi  n'en  pas  profiter  pour  remet- 
tre en  honneur  la  matière  et  l'appliquer  aux 
mêmes  usages  décoratifs  qu'autrefois? 

Sans  doute,  il  n'y  a  plus  de  raison,  de  nos 
jours,  pour  ressusciter  les  tentures  de  cuir 
à  sujets  dont  on  se  servait  couramment  au 
xiv"^  siècle,  et  que  les  tapisseries  flamandes 
détrônèrent;  mais  qui  nous  empêche  de  renon- 
cer, pour  la  fabrication  de  l'article  de  luxe,  aux 
cuirs  de  Cordoue  en  carton  et  de  les  remplacer 
par  un  cuir  naturel  ouvré  ?  Il  ne  serait  nulle- 
ment nécessaire  de  tendre  en  entier  de  ce  cuir 
les  murs  d'une  antichambre,  d'un  fumoir  ou 
d'une  salle  à  manger  ;  il  suffirait,  pour  obtenir 
retfet  désiré,  d'exécuter  des  panneaux  de  di- 
mensions moyennes,  qui  s'encadreraient  dans 
des  moulures  de  bois. 

•le  ne  serais  pas  moins  heureux  de  voir 
revivre  les  tapis  de  pied  en   cuir.   Au  lieu  des 


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Garde  de  livic  (modelée  à  la  main),  m.  saint-asdeé. 

coffrets,  les  étuis,  les  boites  à  livres,  à  hos- 
ties, aux  Saintes-Huiles,  que  d'humbles  arti- 
sans, au  xv'^  ou  au  xvi'=  siècle,  décorèrent  de 
si  précieux  cuirs  gaufrés,  on  ne  pense  pas 
sans  tristesse  aux  horribles  travaux  en  cuir 
brut  qui  constituent  l'unique  ressource  des 
maroquiniers  et  des  gainiers  d'aujourd'hui. 
Pour  les  ouvrages  de  luxe  comme  pour  ceux 
de  pacotille,  même  matière  dénuée  d'orne- 
ment. Elle  est  plus  choisie  dans  les  uns,  elle 
s'encadre  dans  des  montures  plus  riches,  —  et 
c'est  tout. 

Il  me  semble  pourtant  que  jamais  le  mo- 
ment n'a  été  plus  propice  pour  essayer  de  faire 
renaître  quelques-unes  de  ces  industries  artis- 
tiques jadis  si  florissantes,  et  d'un  effet  si  ori- 


Gobelet  à  l'olive  (ctaiii). 


M.    BKATEAU. 


moquettes   à   la    mode  qui   emmagasinent    si 
bénévolement  la  poussière  pour  nous  la  resti- 
ginal  et  si  franc.  Le  cuir  est  à  vil   prix.  Des      tuer,    assaisonnée  de    microbes,  au   moindre 
pampas   de    la   République  Argentine  et   des      de  nos  pas,  je  trouverais  agréable  et  logique  de 


i66 


Art  et   Décoration 


marcher  sur  un  tapis  de  cuir  facile 
à  nettoyer,  à  balayer,  à  laver. 
Ces  tapis,  au  xiv>^'  siècle,  étaient 
d'un  usage  constant  dans  les 
habitations  princières  et  royales; 
on  les  décorait  de  motifs  de 
feuillages,  encadrant  l'écusson 
du  maître.  Ce  serait  une  indus- 
trie productive  à  recréer. 

Les  procédés  de  décoration  ne 
manqueraient  pas.  Le  fer  chaud 
dont  on  se  servait  au  MoyenAge 
pour   imprimer    les    silhouettes 
d'hommes  et  de  bétes  ou  les  rin- 
ceaux de  feuillages,  serait  avan- 
tageusement remplacé  par  la  py- 
rogravure dont  on  est  arrivé  à 
tirer,  pour  le  cuir  aussi  bien  que 
pour  le  bois,  des  eifcts  particu- 
lièrement larges.  Pour  l'article  à 
bon  marché, l'estampage  donne- 
rait des  résultats  pratiques,  peu 
coûteux  et  d'une  très  belle  tenue 
Quant  à  la  maroquinerie,  elle 
gagnerait   infiniment   à    revenir 
aux  anciennes  traditions  du  cuir 
repoussé.   Le  succès  obtenu  au 
Champ  de   Mars  par  les  spéci- 
mens de  boites  et  de  coffrets  que 
Mino  Waldeck-Rousseau  a  revê- 
tus d'une  décoration  de  ce  genre, 
ne  me  laisse  aucun  doute  à  ce 
sujet.  Il  suffirait  qu'un  magasin 
parisien  un   peu  achalandé  mit 
en  vente  quelques  jolies  pièces 
du  même  ordre,  pour  éveiller  la 
curiosité  générale.  En  huit  jours, 
l'article  serait  lancé. 

Nous  n'avons  malheureuse- 
ment pas  revu,  cette  année,  l'équi- 
valent des  beaux  panneaux  de 
cuir  martelé,  repoussé  et  teinté, 
exposés  les  années  précédentes 
par  Lepère  et  par  Victor  Prouvé. 
Ces  essais  avaient  ravi  le  public; 
ils  n'ont  pas  ému  le  fabricant,  et 
les  artistes  mêmes  qui  les  avaient 
entrepris  paraissent  y  avoir  re- 
noncé. 

Seul,  Saint-André  continue, 
avec  la  même  conscience,  la 
même  persévérance,  la  même 
perfection  de  main-d'œuvre,  les 
études  auxquelles   il  s'est  livré 


à  entretenir, 


<^ 


.-^ 


depuis  trois  ans  pour  ouvrir  au  travail  du  cuir 
des  voies  nouvelles  et  pratiques. 
Tout  en  exécutanttoujours.pour 
des  gardes  de  livres,  quelques- 
uns  de  ces  motifs  délicats  en  cuir 
de  couleur,  modelés  à  la  main, 
par  lesquels  il  a  débuté,  mais  qui 
ne    sont,    comme    tout    ce    qui 
concerne  la  reliure,  que  des  tra- 
vaux d'exception,  il  a  étendu  sa 
fabrication,  cette  année,  à  tout 
ce  qui  peut  servir  à  la  décora- 
tion. Sa  série  de  bibliophores  et 
de  panneauxen  cuir  incisé,  mar- 
telé,  nous  montre  des  modèles 
d'une  conception  large  et  franche, 
que  l'industrie  utiliserait  à  mer- 
veille, lia  ouvert,  pour  propager 
ses  idées,    un    atelier   d'élèves. 
Souhaitons-lui,  dans  son  ensei- 
gnement, tout  le  succès  que  sa 
courageuse  initiative  mérite. 

A  noter  aussi,  pour  la  perfec- 
tion du  travail,  le  buvard  et  les 
deux   coffrets  de    Meunier.    Cet 
artiste    a    compris,    lui    aussi, 
qu'outre  la  reliure,  où  il  est  passé 
maître,  un  vaste  champ  d'acti- 
vité  peut    s'ouvrir   à    ceux    qui 
connaissent  le  cuir  et  qui  savent 
(::■?  ,,1    l'ouvrer.  Peut-être  ses  ouvrages, 
f(^    exécutés  presque  tous  en  peau  de 
mM    bœuf,  d'une  très  grande  épais- 
f-  :  ;3    seur,  gagneraient-ils  à  être  exé- 
WÉ    cutés  en  peaux  plus  légères.  Ils 
■      ■     V  perdraient  cet  aspect  un  peu 
i    dur  qui  caractérise  toujours  le 
travail  sur  peau  de  bœ*uf  et  qui 
■    rappelle  parfois  la  sculpture  sur 
fi  *    buis.  Il  lui  suffirait  de  changer 

sa  matière  pour  obtenir  des  effets 
qui  auraient  toute  la  souplesse 
désirable. 

En  dehors  des  travaux  que 
nous  venons  d'énumérer,  nous 
n'avons  vu,  cette  année,  aux 
Salons,  aucun  essai  de  cuir  ou- 
vré applicable  à  des  usages  cou- 
rants. Il  faut  aller  rue  de  Pro- 
vence, à  VArt  nouveau,  pour  en 
voir.  Dans  un  ameublement  de 
jalle  à  manger,  que  vient  de 
faire  exécuter  M.  Bing,  on 
trouve  des  chaises  dont  le  siège 


Encadvcment  de  panneau 
décoratif-  >'■  bigavx. 


Un  Dernier  zMot  sur  les  Salons 


,6- 


et  le  dossier,  revêtus  de  cuir  de  vache,  ont  été 
décores  par  M™'-  Thaulow  d'un  motif  large- 
ment conçu  de  nénuphars,  emprunté,  si  mes 


Gobelet  à  la  yi^ne  {ct.iinj. 


M.    LRAÎL.VU. 


souvenirs  ne  me  trompent  pas,  à  Ranson.  Les 
contours,  fortement  stylisés,  sont  dessinés  en 
creux  par  la  pyrogravure.  L'effet,  rehaussé  de 
couleur,  est  charmant. 

Il  serait  à  désirer  que  ce  procédé  si  peu  coû- 
teux et  si  simple  entrât  dans  la  pratique.  Il  est 
pénible  de  se  dire  que  la  plupart  des  cuirs 
employés  par  nos  fabricants  de  meubles,  pour 
leurs  sièges,  nous  viennent  tout  faits  de  l'étran- 
ger; il  est  plus  pénible  encore  de  s'avouer  que 
nulle  part  on  ne  travaille  le  cuir,  industrielle- 
ment, comme  en  Allemagne  et  que,  même 
parmi  les  objets  d'art  exposés  sous  des  noms 
français  au  Salon,  il  s'en  voit  qui  ont  été 
labriqués  outre  Rhin.  Ce  ne  sont  pas  les 
meilleurs,  et  la  raison  qui  en  a  fait  adresser 
la  commande    à    des    ateliers    allemands    ne 


(jn  n'a  pas  sufhsamment  insisté,  dans  le 
compte  rendu  des  Salons,  sur  le  bel  ensemble 
de  pièces  céramiques  exposé  aux  Champs- 
Elysées  par  M.  Charles  Robalbhen.  Ce  sont 
des  faïences  au  grand  feu,  des  vases  de  formes 
très  simples,  comme  on  en  peut  juger  par  les 
reproductions  insérées  dans  notre  dernier 
numéro  et  par  celle  qui  accompagne  cet 
article.  La  décoration,  très  simple  également, 
est  d'une  note  absolument  neuve.  L'artiste 
semble  avoir  été  préoccupé,  avant  tout,  d'enle- 
ver à  la  faïence  cet  aspect  trop  brillant  qui 
nous  choque  dans  la  plupart  des  ouvrages 
exécutés  depuis  dix  ans,  même  par  nos  meil- 
leurs céramistes.  Sur  des  fonds  légèrement 
granulés,  de  manière  à  empêcher  la  lumière 
de  se  concentrer  sur  un  point,  ce  qui  arrive 
dans  les  surfaces  trop  lisses,  M.  Robalbhen 
a  posé  des  décors  exclusivement  végétaux, 
feuilles  et  fleurs,  soigneusement  adaptés  à  la 
forme  du  vase,  feuilles  élancées  de  roseaux 
pour  les  formes  allongées,  fleurs  épanouies  et 
largement  exécutées  pour  les  formes  ventrues. 


WAI-DECK-EOUSSEAU. 


Cojfrct  au  Zodiaque. 

Les  émaux  employés  sont  très  mats.  La  décora- 


saurait  être  qu'une  raison  de  bon  marché    Le  tion  est,  le  plus  souvent,  ton  sur  ton.  Les  effets 

fait   n'en  est  pas  moins  regrettable.  Nous  le  obtenus  sont  exquis.   On  ne  saurait  trop  en 

signalons  sans  trop  espérer  qu'il  ne  se  renou-  signaler   l'aspect  savoureux,  la   fraîcheur,   la 

vellera  pas.  sobre  et   harmonieuse   richesse.  Nous  avions 


i68 


cArt  et  'Décoration 


vu  de  M.  Robalbhcn,  l'an  dernier,  une  demi- 
douzaine  de  plats  qui  dénotaient  déjà  un  goût 


sûr  et  des  recherches  vraiment  personnelles, 
mais  qui  ne  faisaient  en  rien  présager  le  déci- 
sif envoi  de  cette  année.  C'est  une  mas^istrale 
et  brillante  réussite. 

Il  serait  injuste  d'omettre,  parmi  les  céra- 
miques, les  plats  en  faïence  de  M.  Viat  qui, 
pour  être  traités  dans  la  même  note  que  ceux 
dont  je  parle  plus  haut,  n'en  méritent  pas 
moins  d'attirer  l'attention.  Mêmes  qualités 
que  chez  M.  Robalbhen  ;  le  décor  en  est  sim- 
ple comme  la  composition;  la  couleur  en  est 
savoureuse,  l'aspect  gras.  La  richesse  en  est 
réconfortante  et  douce  à  notre  œil. 

J'aurais  tenu  à  pouvoir  ajouter  quelques 
mots  sur  les  peintures  et  sculptures  décora- 
tives, au.tquelles  nous  n'avons  pu,  jusqu'ici, 
consacrer  qu'un  espace  trop  mesuré.  Les 
chefs-d'œuvre  n'y  sont  pas  en  majorité,  mais 
les  œuvres  bien  conçues  et  charmantes  y 
abondent.  On  y  reviendra  dans  le  prochain 
numéro. 

Thiéual'lt-Sisson. 


ORFEVRERIE    ET   BIJOUX 

L'objet  d'art,  tel  que  nous  l'entendons,  est 
d'une  création  tout  intime:  le  potier  modèle, 
colore  et  cuit  lui-même  ses  grès;  l'émailleur 
ne  quitte  pas  un  seul  instant  son  œuvre  qui 
s'achève  dans  la  fournaise,  et  le  relieur  pyro- 
grave, patine  et  colore  lui-même  ses  cuirs. 
C'est  l'intimité  absolue  ;  l'objet  achevé  est  bien 
le  reflet  de  la  volonté,  des  craintes  ou  des 
doutes  de  l'artiste.  A  la  somme  des  soucis  que 
notre  société  si  mouvante  rend  encore  plus 
vifs,  un  autre  est  venu  s'ajouter,  comme  à 
plaisir:  celui  d'être  original. 

On  pense  à  tort  que  l'originalité  est  l'effet 
d'une  grande  imagination,  qui  fait  de  grands 
efforts,  et  à  tout  prix  on  cherche  à  se  créer  une 
personnalité.  On  n'est  pas  soi-même  dans  la 
recherche,  comment  le  serait-on  dans  le 
résultat? 

Cette  remarque  faite,  entrons  dans  le  détail 
des  objets  d'art  exposés  aux  Salons,  et  com- 
mençons par  le  plus  ancien,  celui  des  Champs- 
Elysées. 

Un  bronze  nerveux,  à  patine  dorée,   nous  y 


Vase. 


M.    GALLE. 


attire:  c'est  un  Bonaparte  en  Egypte.  Le  jeune 
conquérant,  sec,  rongé  par  la  Hèvre,  est  rière-     < 
ment  campé  dans    un  riche   costume,  sur  un     M 


Un   'Dernier  cMot  sur  les  Salons 


69 


cheval  couvert  de  broderies  d'Orient  et  d'un 
tapis  de  selle  d'une  incomparable  beauté.  Le 
cheval  a  consciencedu  triomphe  dcson  maiirc; 
il  trépigne  gaiement  sur  les  lauriers  dont  la 
route  est  jonchée.  Bonaparte  salue,  le  chapeau 


geux  et  sans  amour son  œil  est  celui  des 

condottieri   du    .\v°    siècle...    sa    vie    fut    une 
longue  fièvre.  » 

L'observateur,  à  la  vue  de  la   Victoire  c^ui 
hurle  sous  le  revers  de  l'habit,  saurait  cpelle 


Bonapaite  entrant  au  Caire  (statuette  brunie). 


M.    GEBOME. 


dans  la    main  droite.    A 

geste  hautains,  on  sent  qu'il  prend  possession 

de  ses  vaincus.  C'est  la  conquête  définitive  qui 

s'opère. 

Un  phrénologue  dirait,  en  voyant  le  buste 
placé  à  côté  : 

«  Cet  homme  était  doué  d'une  mémoire  pro- 
digieuse, d'une  âpreté  et  d'une  ambition  au 
delà  de  ce  qu'on  peut  rêver,  il  était  organisa- 
teur, volontaire,  envahissant,  égoïste,  coura- 


fut  la  fonction  de  cet  homme  étrange,  et  aper- 
cevant, dans  l'ombre  du  torse,  un  aigle  prêt  à 
s'élancer,  il  dirait  :  «  Ce  fut  Bonaparte.  » 

Ce  buste  est  moins  un  portrait  qu'une  syn- 
thèse. 

Nous  devons  à  M.  Gérôme  ces  deux 
œuvres. 

Tout  auprès,  un  petit  groupe,  Odette  et 
Charles  VI,  où  M.  Théodore  Rivière  afïirme 
définitivement  sa  maîtrise.  Il  y  fait  un  emploi 

22 


1 


70 


Art   et  'Décoration 


très  judicieux  du  bronze,  du  marbre  et  de 
l'ivoire.  Voyez  comme  le  bronze  convient  bien 
à  la  tête  dure  de  Charles  VI,  et  l'ivoire  au  doux 
visage  d'Odette. 

Plus  loin   une  intéressante  composition  de 


Boucle  bronze. 


M.   V.   PROUVE. 


M.  Allouard,  la  Péclic.  Sur  un  vase  de 
bronze  noir,  est  assise  une  Japonaise,  à  la  coif- 
fure touffue,  agrémentée  d'épingles  à  tête  de 
corail.  Au  bout  de  sa  ligne,  est  accroché  un 
poisson  sculpté  sur  la  panse  du  vase. 

La  Bninchilde  de  M.  Belloc  est  animée  d'un 
bel  élan  de  fougue  guerrière;  la  statuette  du 
C^ar  Nicolas  II,  de  M.  Geoffroy  de  Ruillé, 
est  d'une  allure  très  heureuse.  Le  Dom  Péri- 
gnon  de  M.  Chavaillaud,  VArchitccte  du 
XV'  siècle  de  M.  Cordonnier,  VAi-mand  Sil- 
vestre  de  M.  Rivière  sont  autant  d'œuvres  cu- 
rieuses et  d'une  finesse  d'observation  qui  est 
charmante.  Quelle  extase  dans  la  physionomie 
du  prieur  qui  vient  d'inventer  le  vin  de  Cham- 
pagne! Quelle  concentration  dans  celle  du 
vieux  moine  qui  combine  en  silence  des 
doubleaux  et  des  formerets!  Comme  on  sent 
la  joie  de  vivre,  la  santé,  l'humour,  la  gaieté 
dans  le  petit  morceau  de  bronze  où  revit 
la  plantureuse  silhouette  de  notre  brillant 
conteur. 

J'allais  oublier  la  petite  statuette  si  carac- 
téristique du  peintre  Weerts,  exécutée  par 
M.  Bernstamm,  et  le  petit  Poème  de  Pierre  de 
M.  Derré,  qui  induit  à  la  rêverie,  tant  la  lu- 
mière est  distribuée  avec  art  sur  «  l'imagier  » 
et  les  feuilles  frisées  qui  l'entourent. 

C'est  encore  le  sens  de  la  vie  qui  fait  le 
charme  de  la  Vache  de  M.  Just  Becquet,  de  la 
Poule  aux  œufs  d'or  de  M.  Frémiet,  du  Cj^no- 
céphale  de  M.  Paillet,  ou  du  Combat  de  che- 
vaux de  M.  Gaulard.  Le  C/;a^  de  M.   Carvin 


est  sans  pitié  pour  les  pauvres  moineaux  terri- 
fiés à  la  vue  du  monstre  . 

Sous  son  enveloppe  rugueuse,  percevez- 
vous  l'intelligence  de  l'éléphant  qui  aide  son 
cornac  à  grimper  sur  sa  tête?  M.  Valton,  qui 
est  l'auteur  de  ce  morceau,  n'est  pas  un  artiste 
banal. 

Voici  les  vitrines  de  M.  Engrand.  La  plus 
grande  contient  quelques  pièces  remarqua- 
bles. Son  Tigre  étouffant  un  singe  est  surtout 
d'une  justesse  expressive  très  rare. 

La  seconde  vitrine  ne  contient  que  le  coffret 
à  bijoux,  les  Trésors.  La  cassette  est  de  forme 
elliptique.  Sur  ses  parois",  quatre  figures,  à 
peine  saillantes,  étalées  sur  les  quatre  griffes 
qui  soutiennent  le  coffret;  sur  le  couvercle, 
un  peu  sec  peut-être,  une  figure  de  la  Fortune 
étendue  ;  près  d'elle,  sa  roue  ailée  ;  à  ses  pieds, 
disséminées,  des  pièces  d'or.  Dans  sa  course 
vagabonde,  la  déesse  est  venue  tomber  là;  elle 
est  morte  pour  tous,  et  son  dernier  asile  est  ce 
coffret.  Telle  a  dû  être  l'idée  de  l'artiste;  elle 
est  charmante,  avec  un  brin  de  philosophie. 

De  M.  Blondat,  un  encrier  de  bronze  d'une 
belle  patine,  que  complète  une  souple  figure 
de  femme,  la  Pensée. 

M.  Moreau-Vauthier  nous  montre  une  Jar- 
dinière, soutenue  par  deux  figures  finement 
modelées;  M.  Lelièvre,  un  vide-poche,  le 
Renard  et  les  Raisins,  vraiment  original  dans 
le  bon  sens  du  mot. 

Parmi  les   étains  de    MM.   Ledru,    Pavnot, 


Ciiuye  argent.  m.  phureux. 

Bordeaux  et  Methey,  quelques  jolies  pièces 
bien  conçues  dans  les  formes  exigées  par  la 
matière. 

Notons   les  belles   reliures  de    MM.    Saint- 
André  et  Petrus  Ruban,  deux  artistes  très  per- 


Un  'Dernier  zMot  sur  les  Salons 


1/1 


Ceinture  cuir  et  .iti;cnt. 

sonnels  ;  encourageons  surtout  de  toutes  nos 
forces  les  beaux  essais  de  cuir  repoussé,  appli- 
cables à  toutes  sortes  d'usages,  auxquels  s'est 
livré  le  premier. 

Un  travail  de  fer  forgé  de  M.  Pagis,  le  seul 
peut-être  du  Salon,  attirera  l'attention  des 
spécialistes  par  les  qualités  de  premier  ordre 
qu'il  renferme. 

Du  fer,  nous  passons  à  un  métal  plus  pré- 
cieux: l'or.  En  dehors  de  M.  Lalique,  l'orfè 
vrcrie  a  des  représentants  qui  ne  sont  pas  sans 
valeur:  M.  Guevton,  par  exemple,  avec  un 
Parut  oii  la  nature,  prise  pour  guide,  a  fourni 
un  modèle  de  coupe  assez  original,  mais  repo- 
sant sur  un  pied  d'une  conception  illogique; 
M.  Guerchet,  qui  enchâsse  des  cristaux  poly- 
chromes dans  des  formes  ajourées  d'orfè- 
vrerie et  dont  le  petit  vase  décoré  de  nénu- 
phars est  d'un  réel  intérêt;  M.  Fouquet. 
qui  expose  dans  sa  vitrine  une  très  belle 
chaîne,   formée  de  perles,  alternant  avec  des 


DetJil  de  tcntur 


M.  B.ISTARD. 


grains  d'or  ciselés  ;  entin,  M.  Paul  Richard. 
A  cette  catégorie,  rattachons  les  verres 
gravés  de  .M.  Harant,  bien  formés  et  riches  en 
couleur,  et  terminons  par  les  tapisseries  très 
distinguées  de   MM.    Bellery-Desfontaines   et 


% 


M.    ^■lCTOR    l'ROl-VK. 

Bunny,  par  l'éventail  de 
M.  Duvelleroy,  et  par  les 
panneaux  décoratifs,  ingé- 
nieusement composés,  en- 
cadrés avec  goût,  de  MM. 
Brémond  et  Bigaux.  Men- 
tionnons enfin  les  jolis  pa- 
ravents de  M""  Dvbowska 
et  de  M.  Baillet,  sans  oublier 
l'intéressant  eftort  de  M.  André  Boutard,  dont 
la  monture  mériterait  d'encadrer  autre  chose 
que  les  médiocres  vitraux  de  M.  Laumon- 
nerie. 

Au  Champ  de  Mars,  l'ensemble  est  plus 
riche  et  dénote  plus  de  hardiesse  dans  la  re- 
cherche. C'est  une  abondance  d'impressions, 
de  sensations,  dont  l'artiste  quelquefois  n'a 
qu'à  demi  conscience  ;  tout  cela  s'agite,  se 
presse  et  s'exprime  difficilement  en  une  suite 
continue.  Le  moment  de  la  synthèse  n'est  pas 
encore  venu. 

Semblables  au  savant,  qui  de  l'observation 
des  maladies  les  plus  diverses  déduit  les  pré- 
ceptes de  la  bonne  santé,  certains  artistes,  attirés 
aujourd'hui  par  l'étrangeté,  reviendront  à  des 
formes  plus  rationnelles,  et  lentement  ils  éta- 
bliront une  esthétique  nouvelle. 

Les  reliures  mystiques  de  M.  Belville,  d'une 
simplicité  voulue,  accusent  peut-être  un  peu 
moins  de  richesse  qu'on  ne  serait  tenté  de  le 
croire;  cependant,  la  reliure  du"  Cantique  des 
Créatures  »  marque  une  connaissance  parfaite 
des  matières  employées.  Ceci  pourrait  aussi 
s'appliquer  à  M.  Marius  Michel,  dont  la  vitrine 
contient  de  beaux  spécimens  de  reliures 
riches. 

M.  Mathey,  avec  une  toute  petite  chose, 
quelques  feuilles  de  gui  ciselées  dans  un  mor- 
ceau de  cuir,  nous  laisse  entrevoir  ce  que  peut 
un  véritable  artiste. 

M.  Meunier  a  déjà  fait  ses  preuves  :  il 
nous  faut  signaler,  en  même  temps  que  la 
variété  de  ses  envois,  la  perfection  de  leur 
exécution. 

La  vitrine  de  M'"''  Waldeck-Rousseau  se  rat- 
tache en  plusieurs  points  au  travail  du  cuir  : 


172 


An   et   Décoration 


on  y  remarque,  entre  autres  morceaux  assez 
tins,  une  reliure  formée  de  feuilles  de  maron- 
niers,  une  autre,  pour  le  Livre  de  la  Fortune 
de  Jean  Cousin,  qui  est 
d'une  curieuse  harmo- 
nie rouge  et  verte,  et  un 
coffret  en  forme  de 
petite  chasse,  où  les  si 
gnes  du  zodiaque  sont 
gravés  sur  un  cuir  cha- 
mois. 

Notons  le  paravent 
un  peu  japonais  de 
M.  Chameau,  celui  de 
M.  Caruchet,  et  ceux  de 
M.  Francis  Jourdain, 
d'une  originalité  char- 
mante. La  Nuit  de  Fête, 
par  exemple,  est  le 
résultat  d'une  observation  très  fine  :  sur  un 
beau  ciel  bleu  profond,  se  détachent  quelques 
lanternes  vénitiennes,  d'une  jolie  lumière  oran- 
gée. 

Les  Soleils  de  M.  Grellet,  et  Y  Adam  et  Eve 
de  M"s  van  Mattemburgh,  comptent  parmi 
les  meilleures  oeuvres  exécutées  en  tapisserie. 

Le  panneau  de  M.  Reculon  est  une  œuvre 
décorative  d'un  sentiment  des  plus  délicats.  Le 
jeu  de  cartes  de  M.  Des  Cachons  n'a  qu'un 
défaut,  à  mon  sens  :  celui  d'être  très  peu 
lisible. 

Notons  encore  les  jolis  meubles  de  coin  de 
M.  Hérold,  la  boite  à  gants  très  artistique  de 
M"°  Jacquinot  etlepetit  coffret  de  M.  Paulian. 


Bitu^.c  i  I  uii: 


Enfin, quelques  cires,  bronzes  ou  pièces  d'or- 
fèvrerie. De  M.  Aube,  un  Souvenir  des  fêles 
desii.  j  et  <y  octobre  /A\y-,  destinéà  être  exécuté 
en  vermeil  et  cristal  de 
roche;  la  glace  de  M"" 
Egoroff,  le  cartel  en 
échinide  de  .\I.  Jouant. 
De  M.  Nocq,  une  vi- 
trine remplie  d'art.  Im- 
possible de  nous  arrê- 
ter au  détail  des  pièces 
si  ingénieusement  va- 
riées et  d'une  inspira- 
tion si  moderne,  qui 
font  de  sa  modeste  vi- 
trine, au  Champ  de 
Mars,  une  reposante  et 
fraîche  oasis.  Bornons- 

M.    V.    l'Uul  VI.. 

nous  a  relever  le  carac- 
tère tout  particulier  de  nouveauté  qu'il  a  su 
donner  au  travail  de  l'argent,  de  l'ivoire  ou  de 
l'or  en  le  relevant  d'incrustations  de  pierres 
précieuses  qui  chatoyent,  sur  les  surfaces  lisses, 
comme  des  gouttes  de  lumière  colorée. 

De  M.  Peureux,  une  coupe  faite  de  ressouve- 
nirs  pompéiens  ;  de  M.  Prouvé,  enfin,  une  sé- 
rie superbe  de  bronzes  où  nous  n'aurions  qu'à 
louer,  si  nous  netrouvions  inadmissible,  à  cause 
de  leur  poids,  l'idée  de  diadèmes  en  bronze. 
Quant  à  la  poignée  de  porte,  autour  de  laquelle 
s'enlace  une  figure  de  femme  en  bronze  vert, 
elle  peut  compter  parmi  les  créations  les  plus 
parfaites  de  l'artiste. 

René  Binet 


Masque  (cmaU). 


y 


Grille  en  ïnctal  dure. 


A,     VUVbbï. 


L'Arbre  dans  le  Dessin  d'Ornement  Anglais 


En  175?,  William  Hogarth,  qu'on  peut  à 
juste  titre  considérer  comme  le  créateur  de 
'lécole  moder- 
ne de  peinture 
anglaise,  est 
l'auteur  d'un 
livre  intitulé 
Analyse  de  la 
Beauté.  De  cet 
ouvrage,  on  ne 
se  rappelle 
guère  aujour- 
d'hui qu'une 
seule  chose, 
c'est  que  cer- 
taine ligne 
courbe  est  «  la 
ligne  de  beau- 
té. »  Il  peut 
paraître  tout 
d'abord  fantai- 
siste de  remon- 
ter à  cette  ligne 
pour  trouver 
l'explication 
du  mouvement 
actuel  accusé 
par  le  dessin 
d'ornement 
anglais;c'estlà, 
pourtant,  une 
théorie  pleine 
d'attirance. 

Cette  ligne  mollement  ondulée,  qui  dessine 
le  contour  de  la  forme  nue,  Hogarth  la  re- 
gardait comme  vivante,  consciente,  animée. 
A  côté  de  celle-ci,  toutes  les  autres  lignes  qui  se 
rattachent  à  une  base   géométrique   semblent 


Papier  peint  "  La  Fotét  ", 


n'être   que  le  produit  de  la  mécanique.   Elle, 
au    contraire,    provient    directement     de     la 

nature    et     se 
i  '^^V         refuse  au  con- 
trôle   des  ma- 
thématiques. 

Faut -il  re- 
garder comme 
exagérée  l'idée 
qui  nous  porte 
à  retrouver  un 
rapport  entre 
cette  ligne  et  le 
dessin  d'orne- 
ment actuelle- 
ment en  vogue 
dans  la  Gran- 
de -  Bretagne? 
On  peut  citer 
un  millier 
d'exemples  à 
l'appui  de  cette 
théorie;  or, 
toute  théorie 
qui  repose  sur 
des  preuves 
tangibles  doit 
être  admise 
comme  ayant 
la  valeur  d'un 
axiome. 

Dire  que  les 
grandes  écoles 
de  la  Grèce  ou  celles  du  Moyen  Age  basaient 
leurs  sujets  d'ornement  conventionnel  sur  des 
carcasses  géométriques,  est  aussi  une  idée  qui 
a  de  l'attrait,  alors  même  qu'elle  n'est  point  fon- 
cièrement vraie.  L'art  de  l'antiquité  classique  e- 


174 


QÂrt     et     Décoration 


celui  de  la  Renaissance  italienne,  au  même  titre  £;raphe  avec  ses  rayons  X,  se  voile  aux  yeux  de 

querartquinedatcqued'hicr,proviennenttous  tous  sous  les  dehors  de  la  carnation,  de  même 

les  trois  d'enroulements  et  de   volutes  qu'on  aussi  la  ligne  onduleuse,  serpentine  n'est  visible 

peut  mesurer  scientifiquement.  De  même  aussi,  que   pour  l'œil  exercé.   Elle  s'y  trouve  pour- 


cette  seule  théorie,  que  la  symétrie 
des  végétaux  se  réclame  de  la  sou- 
plesse élancée  de  la  forme  humaine. 
L'arbre,  qui  parait  si  raide,  s'est 
amolli. 

Jusqu'à  ce  jour,  à  quelque  ligne 
qu'on  s'arrêtât  pour  servir  de  carcasse 
géométrique  à  un  dessin,  on  la  gar- 
nissait le  plus  souvent  de  tieurs  ou 
d'accessoires  de  pure  fantaisie.  En 
Angleterre,  au  contraire  du  Midi 
ensoleillé,  les  fleurs  ne  sont  que  des 
hùtes  de  passage  pendant  la  courte 
saison  estivale,  tandis  que  toujours 
l'arbre  demeure.  Soit  consciemment, 
soit  effet  du  hasard,  le  dessinateur  de 
l'école  moderne,  qui  est  en  général 


Frise. 


AI;  1  mit    SliVER. 


dans  l'art  gothique,  une  bonne  part  de  l'orne-      un  disciple  de  ^^'agner,  un  doux  réformateur 


mentation  se  réclame  de  la  géométrie  ;  à 
d'autres  époques  encore,  la  construction  rap- 
pelle par  ses  lignes  l'influence  du  règne  végé- 
tal —  les  branches,  le  feuillage,  le  tronc  élancé 
de  géantes  fougères,  les  entournements  bizarres 
d'une  herbe  au  bord  de  la  route. 

Actuellement,  les  ornemanistes  de  l'école 
nouvelle  prennent  la  ligne  inspirée  à  Hogarth 
par  le  contour  charnel,  et  la  revêtent  de  fleurs 
et  de  feuilles.  Peut-être  ne  savent-ils  pas  que 
c'est  Hogarth  qui  les  inspire.       ,  -  v^i,._ 

Ils  l'empruntent,  il  est  vrai.       !*:!'(. -i-'/Ste^R* 
tout 
Ja 


politique,  et  dont  l'esthétique  se  révolte  à  la 
seule  idée  du  convenu  —  ce  qui  parait  être 
une  anomalie  chez  un  peuple  aussi  res- 
pectueux du  passé  —  le  dessinateur  an- 
glais, dis-je,  éprouve  de  nos  jours  une  fai- 
blesse marquée  pour  la  ligne  erratiquement 
ondoyante  et  serpentiforme.  Chaque  artiste 
a  sa  serpentine,  qui  lui  est  propre;  c'est 
sa  formule,  selon  son  caractère  en  rac- 
courci, son    message    au    monde. 


po 
Klieya 

sa  provenance,  c'est  tou)ours 

Janiêmeligneonduleuse, celle            Poncif.  arihi-r  s» - 

de  la  personnalité,  de  la  croissance  humaine,  «  L'artiste,   a  dit  M.  Zola,  voit  les  nations 

qui  lesmaitrise.Cettelignefantasque,  coquette,  à   travers    un    tempérament.  «    Si    le    faiseur 

impertinente  ou  suave, àleur  gré, ils  ontsoinde  d'images,  de  statues,  de  livres,  de  poèmes,  est 

ne  la  point  faire  trop  saillir  dans  leurs  sujets.  De  libre  à  ce  point  dans  ses  allures,  pourquoi  le 

même  que  le  squelette,  si  ce  n'est  pour  le  photo-  faiseur  de   dessins  ne   le  serait-il    point?  Kn 


L'Arbre   dans  le  Dessin   d'Ornement   An^^lais 


7S 


Angleterre,  quelques-uns  d'entre  eux  ont  eu 
cette  audace  et  le  mouvement  actuel  en  est 
résulté. 

Dante  Gabriel  Rossetti,  poète,  peintre  et 
mystique,  eut  l'initiative  du  mouvement.  Il 
était  continué  par  ^^  . 
William  Morris,  ' -_t»A^_  i>^-..».<l 
un  Anglais  typi- 
que celui-là,  fidè- 
lement attaché  à 
son  idéal  qui  était 
le  Moyen  Age, dé- 
voué Jusqu'à  la 
cagoterie  dans 
son  respect  pour 
l'autorité  du  pré- 
cédent, hardi  en 
ses  théories  socia- 
listes. Tout  d'a- 
bord, le  mouve- 
ment se  dessina 
avec  un  caractère 
entièrement  go- 
thique, ce  qui 
pour  un  Anglais 
d'éducation  insu- 
laire est  une  for- 
me d'art  essen- 
tiellement britan 
nique.  Puis,  à  me- 
sure que  s'éleva 
une  génération 
nouvelle,  ceux  qui 
arrivèrent  àsavoir 
la  vérité  pour 
avoir  étudié  l'art 
à  Paris,  ou  pour 
avoir  fait  plus  am- 
plement connais- 
sanceavec  l'Italie, 
et  qui  purent  se 
rendrebien  comp- 
te de  ce  fait  que  les  |_^ 
races  latines  sont 
les  maîtres  et  les 
plus  grands  artistes  du  monde,  ceux-là  s'en  re- 
vinrent dans  leur  pays  sans  témoigner  une  bien 
grande  épouvante  de  la  découverte  ;  ils  se  mi- 
rent à  l'ouvrage,  s'efforçant  d'être  de  loyaux 
imitateurs;  mais  ils  ne  tardèrent  pas  à  être  pris 
d'inquiétude.  Ils  s'évertuèrent  de  leur  mieux 
à  rester  cosmopolites  ;  à  ne  pas  être  de  simples 
pasticheurs  de  la  France,  où  la  légende  de 
l'art  est  encore  vivante  ;  ni  de  l'Italie,  où  elle  se 


l^^ll^^ 


Poncif  d'après  C.  Hjrrisoii  Tun'uscnd. 


conserve  à  l'état  de  fossile  chez  les  habitants  ;'en 
un  mot  à  être  eux-mêmes,  c'est-à-dire  Anglais, 
tout  en  s'assimilant  l'ensemble  des  connais- 
sances artistiques  répandues  sur  le  continent. 
Ils  avaient  à  cœur  de  démontrer  qu'en  An- 
,  glcicrre  la  Prin- 
^..-^..  ,Ao  cesse,  après  tout, 
n'était  qu'endor- 
mie, et  ils  espé- 
raient la  réveiller 
d'un  baiser.  Une 
rivalité  entre  la 
France  et  l'Angle- 
terre s'ensuivit  ; 
telle  la  jalousie  de 
deux  sœurs  éga- 
lement belles  de- 
vant l'amour.  Il 
lui  tardait,  à  cette 
dernière,  démon- 
trer à  quel  point, 
elle  aussi,  avait  le 
culte  de  la  beauté, 
et,  comme  elle 
avait  pour  le  ver- 
dict   de   Paris    le 


même  respect  que 
les  Grecs  avaient 
pour  leurs  déesses, 
elle  lit  semblant 
de  ne  tenir  nul 
compte  de  ce  que 
disait  Paris.  Au- 
jourd'hui que  Pa- 
ris se  montre  un 
peu  curieux  à 
l'égard  de  l'art 
britannique,  l'An- 
glais est  charmé 
au-delà  de  toute 
expression.  Au 
fond  de  son  cœur, 
il  estime  à  plus 
haut  prix  l'appro- 
bation de  Paris 
que  celle  de  toutes  les  autres  nations;  et  ce 
compliment,  qui  lui  vient  de  la  ville  toujours 
fidèle  envers  l'art,  le  touche  plus'profondément 
que  ses  préjugés  séculaires  ne  lui  permettent 
de  l'admettre.  Si  Paris  pouvait  un  seul, ins- 
tant comprendre  la  haute  estime  que' l'Anglais 
d'éducation  ressent  pour  elle,  le  sort  des  na- 
tions serait  changé. 

Mais,  c'est  une  banalité  que  de  dire  la  vérité. 


AKTHUK    SILVER. 


.76 


Art  et  Dccoration 


cl,  en  tant  qu'Anglais,  peut-êire  vaut-il  mieux       Paris,    1492;    Jehan    Lecoq,    Troyes,     i5oo; 

atfecter  l'insouciance  quant  au   verdict  de  la      Jehan  Petit,  Paris;   Simon  de  Collines,  Paris, 

i5o2;    Peter     Treveris,     Lon- 
dres, I  514. 

Aujourd'hui,  en  Angleterre, 
l'arbre  domine  entièrement  l'é- 
cole du  dessin  d'ornement.  Muni 
d'un  serpent  qui  s'enroule  à 
même  le  tronc,  il  offre  un  sym- 
bole théologique,  de  même  qu'un 
oranger,  qui  porte  ensemble  ses 
fleurs  et  ses  fruits,  offre  l'em- 
blème de  l'épanouissement 
de  l'art  séculaire  et  ses  résul- 
tats. 

Mais  l'arbre  de  la  marque  d'im- 
primeur, droit,  infléchi,  est  de- 
venu, lui  aussi,  soupleet  sinueux. 
On  n'insiste  plus  sur  la  vertica- 
lité de  ses  lignes.  Son  tronc  jadis 
rigide  se  coule,  obéissant  à  la 
ligne.  Son  feuillage  s'est  sim- 
plifié, est  devenu  rare  ;  une 
douzaine  de  feuilles  remplacent 
les  milliers  de  la  nature.  Ses  ra- 
cines sont  souvent  exposées  et 
apparaissent  comme  les  tresses 
hérissées  de  serpents  de  la 
Méduse.  Ces  racines,  qu'on 
trouve  dans  Vex-libris  dessiné 
et  gravé  sur  bois  par  M. 
Charles  Ricketts,  révèlent  de 
mystères.    Leurs    courbes   se    rou- 


Papier  feint  '■  Le  Clicue,  le  J'ièiie  et  le  Lierre 
exécuté  par  MAI.  Jeffrey  et  C. 

nation  que  nous  admirons  le  plus.  Nous 
n'avons  pas  pour  objet,  en  cet  écrit,  d'appré- 
cier la  valeur  artistique  du  dessin  d'ornement 
de  l'école  anglaise;  notre  seul  but  est  de  discu- 
ter l'emploi  de  l'arbre  dans  les  dessins  régu- 
liers. 

Pour  ce  qui  est  de  la  décoration,  c'est  surtout 
le  bouquet  de  fleurs  ou  la  branche  chargée  de 
fruits  qui  a  inspiré  l'artiste;  l'arbre,  si  élastique, 
si  plein  de  détails,  si  énigmatique  en  son  ana- 
tomic,  l'a  fort  peu  souvent  captivé.  Il  est  vrai 
de  dire  qu'en  Assyrie,  un  certain  convenu  était 
de  mise;  aussi  les  arbres  de  Ninive  ne  rappel- 
lent-ils pas  plus  la  réalité  que  le  chèvre-feuille 
grec  ne  ressemble  à  la  fleur  de  ce  nom. 

L'arbre  figure  dans  la  décoration  byzantine 
et  romane,  de  même  que  dans  les  soies  faites 
en  Sicile  à  une  époque  aussi  rapprochée  que  le 
XIV8  siècle.  On  en  voit  également  dans  les  mar- 
ques d'imprimeurs  qui  existent  sur  les  pages 
de  titre  des  livres  gothiques.  On  peut  citer  les 
suivants  parmi  un  plus  grand  nombre:  Coutan, 


nouveaux 


lent 


Mutif  de  tenture, 

et    s'entortillent  : 


AKTHl'R    SIMIU. 


souvent,    elles    enser- 


rent une  tête  de  mort  dans  leurs  replis.  Mais 


L'(zArhrc  clans  le   dessin  J' Ornement  oAno-lais 


ijj 


rigides  ou  plastiques,  quelles  que  soient  les  créé  un  arbre  nouveau,  inconnu  à  la  botanique, 
formes  qu'elles  affectent,  elles  servent  à  décorer  comme  on  peut  s'en  rendre  compte  en  exami- 
un  espace  déterminé,  qtae  ce  soit  une  frise,  un      nant  le  relief  en  plâtre  de  M.  George  Framp- 


Papier  pour  escalkr  (figue  et  olive). 

panneau,  ou  comme  unité  répété  d'un  dessin 
régulier. 

Un  grand  nombre  d'arbres,  toutefois,  conser- 
vent encore  la 
ligne  verticale 
du  tronc, et  n'ont 
point  subi  l'in- 
fluence du  ser- 
pent de  l'Eden 
ou  de  la  ligne  de 
Hogarth. 

Parfois,  com- 
me dans  le  des- 
sin géométri- 
que de  la 
plante  curieuse 
que  les  Anglais 
appellent  «  ho- 
nesty  »  —  végétal  de  trop  petite  taille  pour 
être  qualifié  arbuste  et  encore  moins  arbre,  — 
les  cosses  à  graines  sont  disposées  comme  des 
tcuilles  à  des  plans  variés,  et  ainsi  se  trouve 


Fijgmeni  d'un  bas-telief 
en  plâtre  coloré. 


HEYWOOD  SUMMER. 

ton,  que  nous  donnons  ici.  Dans  la  'grille  mé- 
tallique, œuvre  de  M.  G.  F.  A.  Voysey,  nous 
avons  un   autre  exemple  de  l'arbre  droit  ;  de 

m  ê  m  c    aussi 
dans    l'esquisse 
d'une    frise,  par 
M.  Walter  Gra- 
ne.  Dans  le  très 
ingénieux     des- 
sin géométrique 
de   feu    M.    Ar- 
thur Silver,  une 
disposition    fort 
heureuse, suggé 
rée,    je    crois, 
par  M.  G.  Har- 
rison     Town- 
send,   permet  à 
l'ornement   de    s'étendre  en  hauteur,  de    ma- 
nière à  garnir  le  mur  entièrement,  quelle  que 
soit  son    élévation.    Dans    d'autres  exemples 
de   frises    ainsi  que  dans    des   dessins    régu- 

23 


GhURGE    FRAMPTUN.  A     K.  A. 


■78 


Art  et  T)écoration 


k 


liers  à  sujets  ^répétés,    dus    au  même  artiste, 
l'arbre  est  utilisé 
avec  une  grande 
adresse. 

La    Century 
Gzf/W,  une  associât  ion 
d'artistes  et   d'architec- 
tes, jeunes  pour  la  plupart, 
fut  la  première   à  encourager 
l'esprit  nouveau  dans  les  des- 
sins anglais.  Il  y  a  une  quin- 
zaine d'années,  MM.  Macmur- 
do,   Selwyn    Image    et    H.- P. 
Hornc,  exécutèrent  une  char- 
mante   «    music    room    »,    — 
chambre    où   l'on    fait    de    la 
musique  —  qui  nous  a  fourni 
les   esquisses    que   nous   don- 
nons des  décorations  murales. 

Dans  le  modèle  de  papier 
peint  dû  à  M.  H.  Wilson,  l'ar- 
bre, avec  la  courbe  sinueuse  des 
lignes,  est  traité  d'une  heu- 
reuse façon.  Une  disposition 
habile  permet  d'employer  le 
papier  peint  «  Figue  et  Olive  », 
de  M.  Heywood  Summer,  pour 
le  mur  d'un  escalier  et  toute 
autre  surface  plane.  En  un 
autre  modèle  du  même  artiste, 
"  La  Vigne  »,  cette  plante  est 
traitée  suivant  une  manière 
qui  rappelle  l'arbre  d'Assyrie. 
Un  autre  modèle  parmi  les  pa- 
piers fournis  par  MM.  Jeffrey, 
I'  Le  Chêne,  le  Frêne  et  le 
Lierre  »,  otfre  l'exemple  d'un 
dessin  entièrement  fait  de  for- 
mes arborescentes;  «  La  Fo- 
rêt »  et  «  Le  Rosier  »  nous  en 
d'autres  combinai- 
sons. 

Un  critique  anglais 
a  dit  :  «  Pour  être 
dessinateur ,  il  faut 
d'abord  savoir  com- 
ment ne  pas  dessiner.  » 
Ainsi  l'arbre,  com- 
plexe et  infiniment 
exigeant,  peut  s'expri- 
mer par  des  moyens 
tellement  simples,  que 


Un  arbre 
(jragmcnt  d'une  frise). 

fournissent      ain 


J'enture  pour  la  "  Century  Guild 


ait  le  succès  de  bien  des  dessins  géomé- 
triques ,    et    cette 
simplicité    ne    se 
voit     nulle     part 
d'une  façon   plus 
évidente  que  dans  l'ar- 
bre, comme  le  font  au- 
urd'hui    les    Anglais.    Sa 
première  manifestation  re- 
monte à  l'Arbre  de  Vie,  du 
Paradis   terrestre;    sa    der- 
nière se  trouve  dans  un  pa- 
pier peint  ou  un  cliché.  Le 
serpent  s'est  perdu  à  travers 
les  âges,  mais  on  a  gardé  de 
notre  vieil  allié  son  mouve- 
ment flexueux  et  ondulé,  et 
ce  mouvement  sert  à  cette 
heure  comme  motit  décora- 
tif dans  les  dessins. 

L'arbre,  en  ce   moment, 
est    la    vraie    marque    dis- 
tinctive,  la  signature  avec 
paraphe.  Sur  les  couvertu- 
res   des   revues    d'art,    sur 
les  bouhls  et  la  marquete- 
rie, dans  le  métal  repoussé, 
dans  la  gravure,  les  dessins 
géométriques,  la  tapisserie, 
partout   l'arbre    s'épanouit. 
Disséquer  le  nouveau  venu, 
'étudier  froidement  et  scien- 
tifiquement serait  absurde. 
Ce  n'est,  d'ailleurs,  que  sa 
spontanéité     qui     charme. 
Les  illustrations  qu'ici 
même    nous    donnons   éta- 
blissent de   quelle  manière 
la      fantaisie      britannique 
C'est  la  mode  pour  le    mo- 
ment, et  son  emblème 
se    reconnaîtra    tou- 
jours comme  apparte- 
nant au  style  de  l'épo- 
que   qui    sépare    les 
deux    jubilés     de    la 
reine  Victoria. 

Les  roses  de  Vénus 
et  les  lis  de  la  Vierge 
ne  nous  délectent  plus; 
c'est  ((  l'arbre  du  bien 
et  du  mal,  »  la  source 


WALTER  Cr.ASE. 


cet  arbn 


la  formule  n'en  est  qu'un  pur  artifice    Savoir      première   du    péché    dans   le   Gan-Eden.   qui 
comment  il  ne  faut  pas  dessiner,  tel  est  le  secret      prédomine  à  nouveau  aujourd'hui  en  tant  que 


L'A  rive  dans  le  Dessin   d'Ornement  Anglais 


179 


motif  dans  le  dessin  d'ornement  contemporain. 
Il  faut  être  juste  et  ne  pas  oublier  que  l'arbre 


msMf  m 


4 


pr>-Q 


1%: 


..v>3 


disposés  en  coquettes  rangées,  ou  espacés 
symétriquement  sur  le  fond  du  dessin.  De 
cette  façon,  l'arbre  s'offrait  aux  yeux  de  l'en- 
fant comme  une  allégorie  de  la  vie  de  famille 
à  son  origine  —  avec  le  serpent  —  et,  pour 
éviter  toute  équivoque,  on  mettait,  soit  au-des- 
£us,  soit  au-dessous  de  l'arbre,  une  maison- 
nette en  briques  rouges,  garnie  de  cheminées, 
d'où  la  fumée  s'échappait  en  sens  contraire, 
par  amour  pour  la  symétrie. 

Lorsque  nos  dessinateurs  modernes  adop- 
tèrent cet  emblème,  ils  l'étiquetent  Yggdrasil, 
nom  de  l'arbre  sacré  dans  la  mythologie  des 
Norses  Scandinaves.  Ainsi  donc,  dès  son  intro- 
duction, l'emblème  se  présente  à  nous  sous 
une  forme  qui  témoigne,  de  la  part  de  ceux 
qui  s'en  servent,  une  parfaite  connaissance  de 
sa  valeur  symbolique;  c'est  bien  l'Arbre  de 
la  Science,  éternel  en  sa  durée,  mais  qui  a 
besoin  d'une  nourriture  quotidienne  et  dont 
la  croissance  ne  cesse  jamais.  Envisagé  à  ce 
point  de  vue,  l'Arbre  est  non  seulement  un 
symbole  du  premier  jardin,  mais  de  la  science 
elle-même;  en  ce  cas,  il  est  des  mieux  appro- 
priés à  exprimer  un  retour  vers  la  sagesse  ro- 
mantique et  mystique,  à  la  manière  bonne- 
ment païenne  de  la  libre  nature,  conversion 


Etoffe  nnfniiiec 


M.    AKTHUR    SILVER. 


figure  assez  couramment  comme  motif  déco- 
ratif sur  la  faïence  blanche  et  bleue  de  Delft, 
qui  devint  populaire  comme  accessoire  à 
l'ameublement  de  style  anglo-flamand.  C'est 
ainsi  qu'un  grand  nombre  d'arbres  isolés  et 
raides  se  montrant  sur  les  plats  et  les  assiettes 
que  les  artistes,  il  y  a  quelques  années,  affection- 
naient pour  les  accrocher  à  leurs  murs,  on  a 
été  naturellement  amené  à  utiliser  cet  emblème 
comme  ornement. 

Souvent  l'arbre  se  voit  sur  ces  vieux  canevas 
que  les  bonnes  ménagères  d'autrefois  confiaient 
aux  doigts  de  leurs  jeunes  filles,  pour  leur 
apprendre  la  broderie.  Ici  le  végétal  se  pré- 
sente à  nos  yeux  comme  un  véritable  Arbre  de 
Vie,  entortillé  de  son  serpent  et  flanqué  du 
Père  Adam  et  delà  Mère  Eve,  qui,  chacun  de 
son  coté,  montent  la  garde  en  manière  de  sup-  pc  L^l, ^_ij,  1:^  (^  ^J:^  cQ m  VS/hlTE 
ports    héraldiques.   Sous    cet    aspect,    l'arbre  "  -^ 

tournissait  aux  jeunes  demoiselles  le  plus 
ancien  exemple  connu  de  la  vie  familiale,  si 
chère  au  sentiment  anglais.  Ce  groupe,  qui  se 
plaçait  d'ordinaire  au  milieu  du  canevas,  était 
souvent  accompagné  de  petits  arbres  bizarres 


Dessiné  et  gravé  sur  bois,  par  charles  ricketts. 

que  les  impressionnistes  et  l'école  du  plein  air 
regardaient,  d'ailleurs,  comme  amplement  suf- 
fisante. Gleeson  White. 


Fragment  de  la  décoration  du  Thcittre  Xational  de  Prague. 


M.    MIKOILASCH    ALESCU. 


L'Art   décoratif  en    Autriche-Hongrie 


LES    TCHEQUES 


'Autriche-Hongrie  est 
un  vaste  conglomérat 
de  nationalités  rivales 
sinon  adversaires,  de 
pays  diversement  si- 
non contradictoire- 
ment  caractérisés,  de 
cultures  historiques  et 
même  religieuses  non 
seulement  différentes, 
mais  çà  et  là  incom- 
patibles et  dont  on  a  malaisément  fait  le 
tour.  Un  étranger  peut  vivre  quatre  ans  à 
Vienne,  s'intéresser  à  toutes  les  manifesta- 
tions de  l'art  publiques  et  ne  savoir  en  somme 
que  fort  peu  de  choses  de  l'état  actuel  des 
Beaux-Arts  dans  toute  l'étendue  de  l'Empire, 
et  surtout  des  Arts-Décoratifs,  notoirement  les 
industriels  qui  ne  doivent  généralement  rien 
qu'à  l'initiative  privée  et  n'ont  guère  jusqu'ici 
forcé  les  portes  des  expositions. 

A  première  vue  deux  grands  groupes  se  des- 
sinent :  la  forte  majorité  slave  émiettée  en  poli- 
tique par  d'habiles  groupements  et  alliages, 
mais  faisant  à  elle  seule  tous  les  frais  d'origi- 
nalité de  la  culture  artistique  du  pays,  et  la 
minorité  allemande-hongroise  qui,  séparée  des 
éléments  slaves,  se  trouve  réduite  à  rien  et 
plus  ou  moins  soumise  aux  fluctuations  du 
goût  cosmopolite   et  aux  mots  d'ordre  partis 


de  Londres,  Paris  et  Munich,  encore  qu'elle  ne 
leur  obéisse  qu'avec  la  plus  vive  répugnance 
et  l'instinct  conservateur  le  plus  jaloux.  Aussi 
tandis  qu'il  existe  une  école  de  peinture  polo- 
naise, il  n'en  existe  pas  de  viennoise  ou  de 
hongroise;  à  Vienne  et  à  Budapest  tout  se  fait 
par  tentatives  isolées  que  personne  n'encou- 
rage, que  souvent  même  personne  n'aperçoit 
ou  au  contraire  par  protection  de  l'Etat  et  sous 
des  dehors  trop  officiels  pour  être  originaux. 
En  Bohème,  en  Moravie  l'instinct  décoratif  est 
tel  et  si  complètement  le  lot  du  peuple,  que 
sur  touslespointsdu  territoiretchèco-slovaque, 
c'est,  depuis  quelques  années,  une  floraison 
d'efforts  artistiques,  dont  l'apparition  à  Paris 
d'un  Mucha  par  exemple  n'est  qu'un  minime 
et  superficiel  indice.  Prague  offre  une  ving- 
taine de  jeunes  talents  du  même  ordre,  sans 
compter  les  artistes  qui  touchent  plus  profon- 
dément au  sentiment  populaire  et  plongent 
plus  avant  dans  la  fibre  patriotique  de  la 
nation  entière,  ceux  qu'il  faut  le  plus  étudier 
puisqu'ils  apportent  le  plus  de  nouveau  local 
à  l'art  universel,  au  lieu  que  d'apporter  l'art  du 
dehors  à  leur  pays:  ils  exporteront  un  jour  ou 
l'autre,  leurs  rivaux  au  contraire  importent. 

Nous  voudrions  essayer  de  faire  le  tour  de 
la  monarchie  austro-hongroise  en  signalant 
aussi  bien  les  efforts  isolés  que  les  tendances 
officielles  et  les  œuvres  qui  en  résultent,  les 


L'ciArt  décoratif  en   dÀutrichc-Honorie 


i8t 


efBorescences  d'art  produites  par  toute  une  menues  pâtisseries  et  les  œuts  de  Pâques, 
nation  que  celles  gernie'es  du  cœur  d'un  seul  Les  enfants  des  moindres  hameaux  aux 
individu  ou  largement  arrosées  des  faveurs  de      approches   de   Pâques   enluminent   de    motifs 


l'Ktat  :  la  restauration  ou  reconstruction  de 
cathédrales,  telles  que  celles  de  Funfkirchen  et 
de  Cassovie  en  Hongrie,  de  l'église  du  couron- 
nement à  Buda- 
pest, delacathé- 


sais  à  Vienne 
d'illustration 
décorative  de 
M.  Leffler,  de 
mosaïquesdeM. 
Veith,  de  bro- 
deries de  M"« 
M  a  n  k  i  e  \v  i  c  z , 
ou  que  à  Prague, 
les  naïfs  jeux  de 
cartes  de  Mikou- 
lasch  Alesch. 


gent  les  moindres    pièces 


identiques,  aux  couleurs  naturelles  ou  à  la  cire 
colorée,  les  aaifs  cuits;  les    femmes  en  char- 

de    leur   accoutre- 
ment, et  les  bro- 
^  deries  decesder- 

nières  sont  aussi 
remarquables 
par  l'harmonie 
bizarre  des  cou- 
leurs que  par  la 
perfectiondutra- 
vail.  Une  fête 
populaire  dans 
un  hameau  de 
Moravie  est  un 
spectaclecomme 
aucun  théâtre  , 
sauf  bien  enten- 
du le  théâtre  na- 
tional de  Pra- 
gue ,  dans  les 
opéras  de  Sme- 
tana  par  exem- 
ple, n'en  peut 
figurer  de  plus 
joli,  et  plus  le  ha- 
meau est  reculé 
plus  les  moin- 
dres détails  de 
l'ensemble  se- 
ront en  harmo- 
nie et  en  inti- 
mité les  uns  avec 
les  autres, depuis 
les  tabliers  bro 
dés  des  danseu- 
ses jusqu'aux 
murailles  enlu- 
minées des  chaumines,  jusqu'aux  clayonnages 
artistement  tressés  des  courtils.  Un  peintre  slo- 
vaque de  réel  mérite  s'est  fait  une  spécialité  de  ces 
sa  propre  main;  et  les  mêmes  ornements  qui  scènes  où  les  tristes  paysages  verts  sont  comme 
courent  depuis  des  siècles,  toujours  mêmes  de  fleuris  des  courtes  jupes  rouges,  des  manches 
style,  toujours  autres  de  détail,  sur  les  mu-  et  des  coiffes  blanches  brodées  des  femmes  et 
railles  blanchies,  les  armoires  et  les  bahuts,  des  superbes  manteaux  à  dalmatique  des 
sont  encore  ceux  que  depuis  le  même  temps  hommes;  il  a  nom  Jo:[ka  Uprka  et  quoique 
immémorial  les  femmes  prodiguent  sur  tout  provincial  a  une  bien  autre  valeur  que  Hans 
ce  que  leurs  mains  ont  à  toucher  dans  le  Schwaiger  et  Riimpler,  si  connus  à  Vienne 
ménage,  le  linge  de  table  et  de  corps,  la  literie,  et  à  Prague  et  qui  ont  raconté  les  mêmes 
les  vêtements,  les  services,  les  couverts  et  scènes, 
même  la   nourriture  :    les   gâteaux,    certaines  II  va  sans  dire  qu'un  peuple  aussi  foncière- 


Le    Bohême 

doit  passer  pre- 
mière. Ce  n'est 
pas  son  glorieux 
passé  qui  lui  en 
donne  ici  le 
droit,  mais  com- 
me nous  venons 
de  le  dire,  uni- 
quement le  fait  ^^^^^^''^ 
qu'elle  marche  à  ^ 

la  tête  du  mou- 
vement. Pas  de 
peuple  qui  ait 
plus  que  le 
Tchèque  l'in- 
stinct décoratif.  Dans  les  campagnes  le 
paysan  décore  tout,  sa  maison,  ses  meu- 
bles,  ouvragés   déjà    l'une  et  les   autres,    de 


Titre  de  livre. 


M.     MIKOULASCH    ALESCH. 


:82 


Art  et  Décoration 


ment,  aussi  instinctivement  artiste  ne  peut  pas 
cesser  de  l'être  dès  qu'il  entre  en  contact  avec 


l'art  universel;  souvent  les  campagnards  deve- 
nuscitadins, etpassant  de  l'école  buissonnièreà 
l'école  des  Beaux-Arts  de  Prague,  se  laisseront 
d'abord  complètement  dérouter  et  s'imagi- 
neront que  tout  l'art  consiste  à  marcher  sur 
les  traces  de  M.  Brozik...  Mais  en  général  ils 
se  retrouveront  eux-mêmes  à  la  première 
occasion.  Il  en  est  d'autres  même  qui  ne 
cessent  jamais  de  rester  entièrement  et  pure- 
ment tchèques  et  ce  sont  eux  qu'il  faut  étu- 
dier comme  transition  nécessaire  entre  l'art 
décoratif  national  et  l'art  décoratif  uni- 
versel. 

Le  type  actuel,  c'est  Mikoulascli  Alesch,  un 
têtu,  un  obstiné  tchèque  qui,  de  peur  de  perdre 
quelque  chose  de  la  saveur  du  terroir  et  de 
adoration  dont  il  est  l'objet  de  la  part  du 
peuple  de  Bohême,  refuse  d'apprendre  une 
seule  langue  étrangère,  de  mettre  les  pieds  à 
une  exposition.  C'est  une  sorte  de  Waher 
Crâne  ou  de  Grasset  instinctif,  incorrect 
parfois,  mais  plein  de  candeur,  de  verve  et 
de  sentiment;  c'est  une  sorte  de  poète  na- 
tional qui  applique  sa  poésie  à  la  décoration 
des  menus  objets  de  la  vie  ordinaire  :  calen- 
driers, éphémcrides,  jeux  de  cartes,  illustrations 


Illustration  pour  les  "  Chants  populaires  tchèques  ' 


M.    JOSEF    MANESCH, 


L'cArt    décoratif    en   cAutriche-Hongric 


i8j 


épiques  ou  satiriques,  caricatures,  sgrapjiites, 
ensembles  décoratifs,  meubles,  il  a  essayé  de 
tout,  s'est  éparpillé  au  jour  le  jour;  il  est  par- 
tout au  foyer  tchèque,  à  la  campagne  ou  à  la 
ville;  certaines  de  ses  satires  sont  les  chansons 
de  Béranger  de  la  population,  tandis  que  ses 
décorations  du  théâtre  national  de  Prague 
atteignent  au  stvle  le  plus  élevé;  et  l'on  dit  de 
lui  le  bonhomme  Alesch  comme  on  disait  le 
bonhomme  La  Fontaine.  Ses  moindres  croquis 
ont  une  vie  intense  et  un  accent  tellement  par- 
ticulier d'observation  juste,  qu'on  ne  peut  s'em- 


frappante.    Le    paravent    ci-joint    en     donne 
quelque  échantillon. 

Un  type  non  moins  national,  mais  de  culture 
générale  plus  élevée,  avait  été  zeJosef  Manesch, 
beaucoup  antérieur  à  Alesch  et  qui  fut  le  fon- 
dateur du  mouvement  artistique  tchèque. 
Romantique  passionné  et  peintre  vigoureux,  il 
n'en  fut  pas  moins  un  artiste  tout  à  fait  supé- 
rieur pour  son  temps.  On  lui  doit  des  vitraux 
remarquables  et  le  cadran  de  l'horloge  de 
l'Hôtel  de  Ville  de  Prague  où  les  travaux  des 
douze  mois  et  les  douze  signes  du  zodiaque 


Paravent . 

pécher  de  leur  pardonner  certains  écarts  de 
crayon.  La  naïveté,  l'accent  local  et  le  patrio- 
tisme du  décorateur  de  livres  se  révèlent  dans 
la  feuille  de  titre  d'un  autre  des  ouvrages  con- 
sacrés à  l'exposition  de  Prague  de  iSgS,  paru 
chez  Otto,  et  dans  la  série  des  couvertures  de 
livres  tchèques  pour  l'éditeur  Vilimek.  Le 
décorateur  a  un  accent  héroïque  tout  autre  et 
fortement  médiéval  dont  le  tympan,  reproduit 
en  tête  de  cet  article,  faisant  partie  de  la  déco- 
ration du  théâtre  national,  peut  donner  une 
idée.  Couvrant  de  sgraphites  les  façades,  Alesch 
a  surtout  recours  aux  interminables  galeries  des 
héros  de  la  Bohême  qu'il  représente  au  trait 
d'une  façon  à  la  fois  rude,  sommaire  et  sty- 
lisée; les  frises  et  les  garnitures  sont  générale- 
ment basées  sur  un  héraldisme  assez  voisin  de 
celui  de  l'Allemagne,  mais  cependant  particu- 
larisé dans  un  sens  tchèque  d'une  façon  assez 


M.    MIKOULACH  ALESCH. 


entourent  l'écusson  de  la  ville,  le  tout  serti 
d'ornements  slaves.  Il  faut  se  hâter  de  repro- 
duire ce  beau  travail,  car  il  se  détériore  d'année 
en  année  sous  un  climat  et  dans  une  atmos- 
phère auxquels  aucune  œuvre  d'art  peinte  ne 
saurait  résister.  Et  si  l'on  considère  les  illus- 
trations d'un  caractère  slave  à  la  fois  barbare 
et  cependant  si  réfléjhidont  vers  iSS/  Manesch 
revêtait  une  édition  des  chants  populaires  de 
la  Bohême  dont  M.  Louis  Léger  a  donné  la 
traduction,  on  estbienforcé  de  saluer  en  lui  un 
précurseur.  C'est  de  lui  directement  que  la  sau- 
vagerie héroïque  du  bonhomme  Alesch  s'ins- 
pirera. Au  reste,  tout  ce  qui  se  fait  d'art  en 
Bohême  lui  doit  quelque  chose  ;  il  a  fondé  une 
société  qui,  à  sa  mort,  prit  son  nom,  et  qui 
accomplit  par  ses  seules  ressources  des  œuvres 
artistiques  nationales,  telles  que  la  publica- 
tion   d'une    anthologie    des   œuvres    d'AIesch 


i84 


Art  et   Décoration 


ou     que    la    jeune    revue    Volné    Smcry    où      contemporaine,    MM. 
s'essayent  tous  les  jeunes  talents  de  la  Bohême      xacek,  Priessler,  etc. 

Ceux-là  ont 


U'.     K.   MascU,    Klii- 


es  yeux  très  ouverts 
du  coté  de  ce  qui  se  passe  à  Munich 
où  Franz  Stuck  s'impose  de  plus 
en  plus,  et  à  Paris.  Voici  déjà  quel- 
ques années  que,  de  cette  dernière 
capitale,  M.  Hyiiaïs  leur  a  rapporté 
la  bonne  parole  de  clarté  et  les  élé- 
gantes formules  de  Paul  Baudry, 
dont  à  \'ienne  un  autre  slave,  Haiis 
C(T«()n,  devait  se  souvenir  à  coté  de 
Makart,  dont  on  n'a  pas  assez  re- 
marqué que  l'art  n'est  encore  qu'un 
alourdissement  du  dessin  et  de  la 
couleur  de  Baudry.  Le  grand  ri- 
deau du  théâtre  national  de  Hvnaïs 
est  une  couvre  qui  porte  bien  sa 
date,  et  dont  l'encadrement  d'en- 
tants, tenant  les  armoiries  des  prin- 
cipales villes  de  Bohème,  est  peut- 
être  encore  plus  heureux  que  la  com- 
position même.  Ces  dernières  an- 
nées, cet  artiste  a  exécuté  quelques 
portraits  hors  ligne  (surtout  celui 
du  prince  Lobkowitz)  et  qui  révè- 
lent un  Hynaïs  tout  autre  que  celui 
qu'on  connaît  généralement  à  Pa- 
ris. Mais  ce  n'est  pas  ici  le  lieu 
pour  en  parler  comme  il  convient. 
Hynaïs,  une  seule  fois,  fît  œuvre 
d'artiste  national  avec  cette  affiche 
pour  l'exposition  de  Prague  de 
895,  tout  entière  composée  d'élé- 
ments locaux  et  dont  la  déplorable 
reproduction,  dans  l'une  des  der- 
nières   livraisons    des    Maîtres    de 


r  Ji:^^ 


Illimti-Jtidn  paur  les  "  Chants  populaires  tclidqiics  ' 


M.    JOSEF    MANESCH. 


L'Art  décoratif  en  Aiitriche-T^ong^rie 


i8 


l'affiche,  est  considérce  par  ceux  qui  ont  vu 
les  premiers  originaux  —  car  déjà  à  Prague  il  a 
été  abusé  du  tirage,  ■ —  comme  une  véritable 
trahison.  A  côté  de  Hynaïs,  un  idéologue 
d'un  dessin  très  serré,  M.  Max  Pinicr, 
est    le     représentant     de    tendances    quelque 


que  le  plus  imprévu,  et  sait  avec  la  plus 
minime  fleurette  donner  à  tout  un  espace  l'air 
bien  rempli.  Presque  rien  et  c'est  charmant. 

Dans  une  ville  comme  Prague,  il  est  diffi- 
cile à  l'architecture  de  s'écarter  déjà  des  tra- 
ditions du   passé  et  des  silhouettes  aiguës  et 


peu  germanisées.  Il  apprendra  à  ses  élèves,  à  historiées  de  rigueur  pour  conserver  a  une 
côté  d'un  excellent  dessin,  à  penser  davantage  telle  ville  son  aspect  caractéristique.  Prague 
qu'à  peindre,  et  cependant  il  a  au  plus  haut  est  donc  toujours  la  ville  aux  cent  tours;  et  ce- 
degré  le  sentiment  décoratif.  Si  l'on  pouvait  pendant  là  comme  ailleurs  les  démolitions  vont 
faire  abstraction  delà  couleur,  certaines  de  ses  leur  train.  Sans  parler  pour  le  moment  de  la 
compositions  seraient  des  modèles  du  plus  restauration  et  de  l'achèvement  de  Saint-Vit, 
grand  style.  Le  terrain  est  donc  tout  à  fait  mûr  une   œuvre   aussi    considérable  que   l'achève- 


cn  Bohème  pour 
la  combinaison 
des  influences  de 
PuvisdeChavan- 
nes  et  de  Grasset 
avec  les  traditions 
nationales.  A  dé- 
faut des  grands 
maîtres  français, 
Walter  Crâne  lui 
a  été  révélé,  il  v  a 
deux  ans,  par  une 
exposition  de  son 
œuvre  original  à 
peu  près  au  com- 
plet; mais  beau- 
coup d'entre  les 
jeunes  tchèques 
ne   l'avaient    pas 

attendue  pour  tenter,    selon    leur  sentiment, 
des    recherches    décoratives    intéressantes,   et 


Lj  Xativitc. 


ment  de  la  cathé- 
drale non  pas  de 
Cologne,  mais  au 
moins  d'Ulm,  ni 
de  la  restauration 
de  la  Tour  aux 
poudres,  ce  qui 
se  reconstruit  ne 
diffère  en  général 
pas  sensiblement, 
et  c'est  bien  dom- 
mage, de  ce  qui 
se  fait  à  Vienne  et 
dont  nous  parle- 
rons dans  notre 
article  sur  l'Autri- 
che proprement 
dite.  On  n'en  peut 
certes  pas  dire 
autant  de  la  sculpture,  et  je  crois  qu'après 
Paris    et    Bruxelles,    il    n'y   a    pas    de    ville 


M.    STANMSLAS  SUCHAKDA. 


d'autant  plus  qu'ils  étaient  favorisés   par  des  où  la  sculpture   monumentale   ait   fait  mieux 

éditeurs  d'une   rare  intelligence  et    d'un  bon  qu'à  Prague.  Le  nouveau  pont  Palacky  — •  la 

goût,  auquel  leurs  voisins  de  Vienne  et  Leipzig  tradition   des  ponts    peuplés    de    statues    est 

sont  tout  à  fait  réfractaires  :  MM.  Topic,  Vili-  de  rigueur  à  Prague  et  dans  toute  la  Bohême, 

mek,   Otto,   etc.  M.   Emile   Oliva    produisait  depuis  l'édification  du   fameux  pont   Charles 

pour  la  maison  Topic  des  affiches  aussi  har-  qui    fut   pendant  longtemps  le  plus  beau  de 

dies  et  aussi  bien  réussies  que  les  meilleures  l'Europe  —  flanqué  de  ses  quatre  groupes  co- 

anglaises  ou  américaines,  enfin  inventait  une  lossaux  de  statues  représentant  les   légendes 

centaine  de  reliures  à  très   bon  marché,  mais  fondamentales  de  l'histoire  tchèque,  fait  grand 

si   charmantes,  que  quelques-unes  gisant  sur  honneur  au  sculpteur  Myslbeck,  un  statuaire 

ma   table    un  soir    où    le    statuaire   Van   der  qui  laisse  bien  loin  derrière  lui  tout  ce  que  l'Au- 

Stappen,  de  passage  à  Vienne,  vint  me  voir,  son  triche-Hongrie  avait  vu  jusqu'à  ce  jour,  même 

premier  mot  fut,  en  les  apercevant,  de  s'écrier  :  le  défunt  Tilgner,  son  rival  et  ami,  dont  nous 

«  Le  mouvement  gagne  1  le  mouvement  gagne,  retrouverons  partout    la    trace   à  Vienne.  On 

cela  me  fait  plaisir  !  »...  Rien  de  plus  simple  que  doit  à  M.  Myslbeck,  à  Vienne  aussi  bien  qu'a 

ces   reliures    :    un    objet    menu   approprié  au  Prague,  une  foule  d'autres  statues;  mais  point 

titre,  une  fleurette,  ou  tous  les  deux,  jetés  sur  d'aussi  colossales  et  d'une  telle  splendeur,  sauf 

un  fond  monochrome  avec  cet  instinct  japo-  toutefois  le  monument  funéraire  du  prince  de 

nais  qui  place  le  motif  en  quelque  angle,  juste  Schwarzemherg,  cardinal  archevêque  de  Pra- 

au  point  le  mieux  en  situation,  en  même  temps  gue,   dont   certains    sculpteurs  étrangers  ont 

24 


i86 


Art  et  Décoration 


avoue  que  c'était  l'une  des  plus  grandes  œuvres  slave  aussi  bien  aux  tentatives  anglaises  et  frau- 
de notre  temps.  Mais  dans  le  domaine  de  la  çaises  de  style  nouveau  qu'aux  traditions  mé- 
sculpture  comme  dans  celui  de  la  peinture,  il  dicvales  reprises  avec  succès,  ces  dernières  an- 
faut  faire  une  place  à  part  à  l'œuvre  d'artistes  nées,  par  l'Allemagne  et  la  Suisse  des  Bœcklin, 
non  moins  estimables  qu'un  Myslbeck  ou  un  des  Sandreuter,  des  Thoma,  des  Stuck  et  des 
Hynaïs,  mais  qui,  à  l'exemple  des  Manesch  et  Sattler.  Nous  nous  sommes  attachés  à  ne  pas 
Alesch  se  réfugient  avec  opiniâtreté  dans  les  bourrer  de  noms  propres  hirsutes  ces  lignes, 
données  locales  et  cherchent  non  point  à  in-  mais  nous  devons  à  la  vérité  d'ajouter  qu'il 
troduire  l'art  en  Bohême,  mais  la  Bohême  dans  s'en  pourrait  bien  citer,  sans  ramasser  aucune 
l'art.  M.  Stanislas  Siicharda  en  est  un  bel  médiocrité,  une  centaine  à  grouper  autour  de 
exemple.  Certainement,  rien  de  plus  grande-  ceux  qui  ont  fait  le  sujet  de  cet  article.  C'est 
ment  composé,  de  plus  poétiquement  humain  beaucoup  pour  un  petit  peuple  d'à  peine  trois 
que  sa  transposition  à  la  tchèque  de  la  Nativité      millions  d'habitants,  en  comptant  la  Moravie 

et  le  territoire  slo- 
vaque, et  sans 
compter  les  Alle- 
mands qui  mar- 
chent avec  ceux  de 
Munich  et  surtout 
de  Dresde,  bien 
plus  même  qu'avec 
les  Autrichiens  de 
Vienne.  Et  encore 
une  fois,  nous  ne 
trouverons  pas 
dans  toute  la  mo- 
narchie (même  en 
Pologne  qui  vient 
immédiatement  à 
la  suite  de  la  Bo- 
hême pour  l'inté- 
rêt artistique),  une 
populationdecette 
vitalité. 

Mais   n'en  est-il 


ou  même  le  ^lamt- 
Esprit  est  simulé 
par  un  de  ces  petits 
oiseaux  de  bois, 
aux  ailes  et  à  la 
queue  entaillées 
en  éventail,  com- 
me il  s'en  vend  à 
toutes  les  foires 
du  pays  Bohême, 
où  saint  Joseph 
est  un  ménétrier 
—  tous  les  tchè- 
ques le  sont  —  à 
ropanka,etdontla 
première  pensée 
est  de  jouer  à  l'en- 
fant la  plus  belle 
mélodie  de  ce  ré- 
pertoire, où  l'on 
trouverait  le  germe 
des  œuvres  gran- 
diosesdeSmetana, 

Dvojak  et  Fibich.  Le  berceau  même  est  un  de 
ces  meubles  que  les  paysans  fabriquent  de- 
puis un  temps  immémorial  et  dont  je  parlais 
en  commençant.  Ici  l'on  surprend  réellement 
sur  le  fait  l'art  populaire  en  sa  transmutation 


Cadran  de  l'horloge  de  l'Hôtel  de   Ville 
de  Prague, 


M.    JOSEF   MANESCH. 

pas  toujours  ainsi: 
dans  une  confédération  d'éléments  non  homo- 
gènes, n'a-t-on  pas  toujours  vu  l'art, la  littérature 
et  la  musique  se  porter,  comme  en  compensa- 
tion, du  côté  des  sacrifiés?  La  lutte  de  tous  les 
jours  pour  l'affirmation  d'une  nationalité 
en  art  universel...  La  maquette  pour  la  scène      engendre  toutes    les    vaillances    de    pensée. 


contraire,  la  mort  de  l'enfant,  malgré  la  beauté 
du  manteau  slovaque,  nous  paraît  moins  bien 
jaillie  spontanément  du  cœur  de  l'artiste;  pour- 
quoi faire,  de  l'idée  de  donner  un  pendant  à  la 
première,  une  nécessité? 


toutes  les  hardiesses  de  forme,  aussi  bien  en 
art  qu'en  débats  parlementaires.  Les  peuples 
heureux  n'ont  pas  d'histoire,  je  ne  sais  s'ils 
ont  de  l'art  vivant;  en  Autriche-Hongrie  on 
pourrait  croire  que  non,  vu  que  l'art  y  fleurit 


Comme  on   le  voit  par   ce  coup  d'œil   sur  en  raison  directe  de  leurs  plaintes;  l'activité 

l'art  décoratif  tchèque,  il  s'agit  d'un  réveil  de  chercheuse   dans   tous  les  domaines  y  parait 

nationalité  apprêtant  des  éléments  locaux  tout  le  propre  des  mauvaises  têtes  \  l'art  officiel  au 

nouveaux  à  l'inspiration  humaine  de  partout,  contraire  se  retranche  dans  les  formules  an- 

et  pouvant   amener  la  naissance  d'une   école  ciennes. 

toute  spéciale  qui  mêlerait  le  goût  ornemental  .                                        Willi.\m  Ritter. 


La    Plante    et    ses    Applications     Ornementales 


¥¥ 


Il  appartient  bien  à  cette  Revue  de  se  réjouir 
de  toutes  les  aides  qu'elle  peut  rencontrer  dans 
la  tâche  d'enseignement  et  de  propagande 
qu'elle  a  entreprise  en  faveur  d'un  art  raisonné 
et  pratique  , 
capable  de 
s'insinuer  à 
toutes  les 
places  de  no- 
tre  foyer. 
Aussi  ne  de- 
vons -  nous 
pas  manquer 
de  signaler  le 
beau  recueil 
dont  la  publi- 
cation, com- 
mencée il  y  a 
un  an  par  fas- 
cicules, vient 
d'être  termi- 
née, et  dont  le 
titre  dit  bien 
déjà  toute 
l'importance: 
La  Plante  et 
ses  Applica  - 
litms  orne  - 
m  en  ta  l  e s  . 
L'ouvrage  a 
été  entrepris 
sous  la  direc- 
tiondeM. Eu- 
gène Grasset, 
et  par  ses  élè- 
ves. On  con- 
naît déjà  le 
principe  de 
décorationde 
M.  Grasset, 
ce    retour    à 


Le  Chardon  (ctudc). 


ici  le  lieu  de  dire  que  la  composition  de  ces 
plantes  est  due  à  MM.  Verneuil,  Schlumber- 
ger,  Bourgeot,  M"*^^^  Marc  Mangin,  Milesi  et 
Poidevin,  et  à  M'i'^' Anna  Martin,  Hervegh  et 

Marcelle 
Gaudin  ,  en 
décernant  à 
chacun  la 
part  d'éloges 
qui  lui  re- 
vient dans  cet 
imposant  en- 
semble de 
soixante  - 
douze  plan- 
ches colo- 
riées, qui  res- 
tera pour  les 
industriels  et 
pourceuxqui 
s'intéressent 
aux  arts  ap- 
pliqués u  n 
utile  recueil 
d'exemples  et 
de  modèles. 
Je  regrette  de 
ne  pouvoir 
dire  ici  au- 
tant que  je  le 
V  o  u  d  r  a  i  s, 
combien  il 
faut  féliciter 
aussi  l'édi- 
teur, qui  est 
le  nôtre,  M. 
Emile  Lévy, 
d'en  avoir  as- 
suré la  publi- 
cation avec 
un  soin  irré- 


l'étude  directe  de  la  nature  pour  y  trouver  prochable,  en  sorte  que  le  tirage  garde  fidèle- 
une  compréhension  nouvelle  des  motifs  orne-  ment  l'accord  de  tons  cherché  dans  l'aquarelle 
mentaux;  une  telle  œuvre  est  le  fruit  naturel  originale. 

des  travaux   quotidiens    de    l'atelier,    que    le  C'est  un  problème  bien  intéressant,  en  effet, 

maître  dirige   et  stimule   avec  une  ardeur   si  que  celui  du  rôle  de  l'élément  floral  dans  la 

convaincue  et  si  communicative.  Et   puisque  décoration;  et  à  part  quelques  cas  où  la  com- 

les  auteurs  se  dissimulent  modestement   sous  binaison  seule  de  lignes  et  de  courbes  harmo- 

le  patronage  de  leur  maiirc,  je  crois  que  c'est  nieuses  peut  suffire,  la  série  d'exemples  laissés 


i88 


Art  et  Décoration 


par  tous  les  artistes  en  tout  temps  indique  soucieux  de  renouveler  les  ressources  de 
assez  que  le  décorateur  en  revient  toujours  à  la  décoration,  et  M.  Grasset  a  bien  raison 
l'obsession  de  la  plante.  11  ne  pourrait  guère  d'en  faire  la  première  partie  de  sa  doctrine, 
en  être  autrement,  et  chaque  lois  que  nous  Dans  l'ouvrage  qui  donne  matière  à  ces 
cherchons  le  dessin  d'un  motif  d'ornement,  réflexions,  chaque  plante  appliquée  à  l'or- 
nement est  d'a- 


nousnesaurions 
assimiler  que 
les  inflexions 
que  nous  a  ap- 
prises le  specta- 
cle de  la  nature. 
Bien  plus,  c'est 
dans  la  nature 
même  que  nous 
avons  trouvé  les 
lois  de  toute 
construction  et 
le  principe  de 
tout  agencement 
de  formes,  et 
nos  imagina- 
tionslesplusfan- 
taisistes  se  rè- 
glent sans  cesse 
sur  les  mouve- 
mentssivariéset 
si  imprévus  des 
branches  et  des 
feuilles,  ou  sur 
l'assemblage  des 
pétales  d'une 
fleur.  Il  serait 
donc  assez  vain 
de  chercher  à 
déguiser  notre 
inspiration,  et 
de  vouloir  la  dé- 
pouiller de  tous 
les  éléments  na- 
turels qui  l'ont 


La  Capucine  [applications]. 


bord  scrupuleu- 
sement étudiée 
en  une  planche 
spéciale,  sous 
tous  les  aspects 
d'où  l'allure  dé- 
corative de  la 
plante  elle- 
même  et  le  style 
propre  à  sa  dis- 
position natu- 
relle peuvent  se 
dégager.  Mais  il 
ne  faudrait  pas 
se  contenter  de 
ce  travail,  et 
contraindre  le 
métier  à  rendre 
l'observation 
immédiate  de  la 
nature.  Ce  ne 
serait  pas  là  de 
la  décoration , 
où  il  ne  s'agit 
pas  en  général  de 
peinture  ou  de 
modelage,  mais 
de  matières 
spéciales  ayant 
leur  technique 
particulière  et 
entraînant  des 
exigences  de 
contours    et   de 


suscitée;  sans  compter  qu'un  système  de  déco-  structure.  Et  en  dehors  même  de   la  question 

ration  qui  voudrait  constamment  s'abstraire  de  de   technique,  tout  art    décoratif  commande 

lanatureetdéconcerternoshabitudes  devision,  encore  le  sens  de  la  règle  et  de  l'ordonnance, 

en  offrant  à  nos  yeux  des  silhouettes  et  des  ara-  une  sorte  de  géométrisation  et  de  stylisation 

besques  où  nous  ne  saurions  rien  reconnaître  du  sujet  choisi.   L'étude  attentive  sur  nature 

de  connu,  risquerait  fort,  je  le  crains,   de  fati-  permettra  à  l'artiste  d'interpréter  la  plante  sans 

guer  vite  nos  regards  et  d'exaspérer  nos  nerfs.  en  faire  disparaître  le   caractère  propre  et  les 

Mais  il  importe  cependant  de  ne  pas  répéter  mouvements  habituels  :  il  en  découvrira,  au 

éternellement   sous  des  aspects  identiques  les  contraire,    le    principe,   et  sera   ainsi   capable 

éléments  qui  ont  été  une  fois  trouvés,  et  de  ne  d'en  tirer  un  parti  plus  direct  à  la  fois  et  plus 

pas   rééditer   à   travers    les    siècles   la   feuille  ornemental.    Car    s'il    ne    faut    pas     s'aban- 

d'acanthe,     le    trèfle,    la    fleur    de    lis    ou    la  donner  à  la  copie   de  la  nature,  il  ne  faut  pas 

fleur  de  lotus.    Pour  cela,  l'étude  personnelle  non  plus  tirer  de  la  fleur  un  pur  schéma  qui 

de    la    nature    est     indispensable     à    l'artiste  n'en    garde  que    les  lois    essentielles    d'agen- 


La  Plante  et  ses  Applications  Ornementales 


189 


cernent,  en  sorte  qu'on  ne  sache  distinguer  si      l'art   ornemental   une  coloration  plus  vive  et 
un   motif  provient  de  la  rose  ou  du  dahlia.      moinsmonotone;onen  peut  voirlàde  trèsagréa- 


J'ai  déjà  eu 
l'occasion  de 
dire  ici  même 
combien  im- 
porte fort  Jus- 
tement pour 
M.  Grasset 
l'appropria- 
tion du  décor 
à  la  matière 
travaillée. Ses 
leçons  n'ont 
pasétévaincs: 
les  planches 
de  ce  recueil 
abondent  en 
ingénieuses 
trouvailles. 
L'iris,  le  né- 
nuphar, le  cy- 
clamen, d'au- 
tres plantes 
encore,  des 
plus  humble; 
et  des  moins 


L'j   Mugiitl  (applications). 


bles  exem- 
ples. Cette 
franchise  de 
couleurs,  qui 
convient  en 
particulier  à 
la  céramique, 
ne  saurait 
pourtant  s'ap- 
pliquer aussi 
bien  aux  étof- 
fes et  aux  pa- 
piers de  ten- 
tures, qui 
doivent  être 
assez  intéres- 
sants de  tein- 
tesetdedessin 
pour  meu- 
bler par  eux- 
mêmes  nos 
i  nté rieurs  , 
mais  qui  sont 
destinés  aussi 
à  faire  un  fond 


usitéesjusqu'icipourrornementation  ont  donné  discret  aux  tableaux  et  aux  gravures  que  l'on  y 

naissance  à  des  motifs  tout  à  fait  heureux,  d'une  suspendra,  et  qui  par  suite  ne  doivent  point  en 

application  fort  entendue  et  extrêmement  va-  atténuer  la  valeur  par  leurpropre  violence.  Or, 

riée,  si  l'on  songe  que  l'on  trouve  dans  cet  ou-  il  y  a  peut-être,  dans  certains  des  modèles  de 

vrage  des  modèles  de  papiers  peints,  d'étoffes,  tentures   qui    nous    sont    proposés,   une   trop 

de  céramique,  de  ferronnerie,  de  bois  sculpté,  grande  puissance  de  couleur, 

de  tapisserie,  de  cuir  repoussé,  de   dentelles,  La  réduction  en  noir  de  trois  planches  pourra 

de   vitraux    et  de   sculpture   architecturale  en  déjà  permettre  d'apprécier  tout  ce  que  ce  bel  et 

pierre.  utile  ouvrage  a  nécessité  de  travail  et  de  recher- 


M.  Grasset  a  raison  de  vouloir  ramener  dans      ches. 


Gustave  Soulier. 


NOTRE    CONCOURS    D'AOUT 

UN    VITRAIL    DAPPARTEMENT 

Un  art  trop  peu  pratiqué  par  les  modernes  moufle,    sans     aucune    adjonction     d'émaux, 

est  celui  duVitrail.  Nous  y   reviendrons  sou-  Pourceconcours,lewo///dedécorseraindiqué 

vent  dans  nos  programmes  de  concours.  Rien  etconsisteradansremploidu/ic7i'0f,avecou  sans 

n  est  plus  charmant  que  les   reflets  poétiques  autres  ornements,  mais  en  excluant  la  figure, 

versés  par  une  verrière  dans  nos  appartements.  Cette  verrière  destinée  aune   fenêtre   ordi- 

et  c'est  une  fenêtre  de  ce  genre  que  nous  pro-  naire  de  chambre  à  coucher  sera  aquarellée  à 

posons   aux    concurrents.   Les    Panneaux    de  l'échelle  du  dixième.  Il  sera  en  outre  donné  un 

vitraux  seront  simplement  montés  à  charnières  morceau  du  carton,  grandeur  d'exécution   et 

par-dessus  les  grandes  vitres  dont  on  garnit  les  présentant  le    motif  le  plus    important  de  la 

châssis,  de  manière  à  pouvoir  laisser  pénétrer  composition, 

la  lumière  ordinaire  si  on  le  désire.  Il  sera  accordé  trois  prix  :  le  i^rde  100  fr.,  le 

Ces  panneaux  seront  composés    de    verres  2'->  de  5o  fr.,le  3=  de  25  fr.  Les  projets  devront 

colorés  dans  leur  épaisseur,  réunis  par  des  être  envoyés  le  3  i  août  au  plus  tarda  la  Librai- 

plombs    et    redessinés    en    grisaille    cuite   au  rie  Centrale  des  Beaux-Arts,  1 3,  rue  Lafayette. 


Concours   pour  un   Bandeau  de  Cheminée 


Qu'est-ce  qu'un  bandeau  de  cheminée? 

—  C'est  une  bande  d'étoffe  de  20  à  ?o  centi- 
mètres de  largeur,  le  plus  souvent  clouée  au 
bord  d'une  planche  recouverte  elle-même 
d'un  tissu  identique.  La  planche  se  pose  sur  la 
tablette  de  la  cheminée  et,  dépassant  celle-ci^ 
affecte  ordinairement  des  contours  plus  ou 
moins  ondulés,  que  suit  naturellement  le  ban- 
deau proprement  dit,  garni  au  bas  d'une 
frange  ou,  aussi,  découpé  en  lambrequin. 

Ilest  facile  de  comprendre  que  ces  bandeaux 
n'ont  d'autre  but  que  de  cacher  le  marbre  de 


et  la  décadence  du  mobilier  n'a  pu  que  s'en 
accélérer. 

Ces  considérations  mises  à  part,  il  a  néan- 
moins paru  intéressant  à  la  direction  de  la 
revue  de  donner  en  programme  de  concours 
un  objet  qui,  bien  que  peu  logique  dans  son 
principe,  répond  nettement  à  une  fantaisie  de 
notre  temps. 

Nous  remercions  les  concurrents  du  grand 
nombre  d'intéressants  dessins  envoyés,  et 
leur  témoignons  notre  regret  de  ne  pouvoir 
en     récompenser    un     plus    grand     nombre. 


Projet  de  M  "  Bhtnche 
Lausanne   (;"  prix)  (détail). 

la  clieminée,  dont  la  frise 
est  souvent  très  artistement  tra 
vaillée.  On  est  en  droit  de  se  de- 
mander d'oij  provient  cette  horreur  du  marbre 
apparent;  c'est  sans  doute  de  ce  goût  des  fan- 
freluches mis  à  la  mode  par  les  tapissiers  qui, 
s'ils  le  pouvaient,  garniraient  d'étoffe  jusqu'au 
dessous  des  tables. 

Lorsqu'un  architecte  a  étudié  un  intérieur, 
qu'il  en  a  combiné  les  lignes  et  les  ornements, 
il  est  indubitable  qu'on  détruit  son  œuvre  par 
cette  chiffonnade  universelle.  D'ailleurs,  on 
prohibe  aussi  pour  la  même  raison  la  vue  du 
bois  des  meubles,  autant  que  cela  peut  se  faire, 


Le  jury  a  cru 
devoir  distinguer  particu- 
lièrement le  projet  de  Ai"^  Blanche 
Lausanne  et  lui  a  attribué  le  premier  prix  pour 
l'aspect  distingué  et  sobre  de  sa  composition, 
tenant  surtout  au  coloris  et  à  une  bonne  en- 
tente des  valeurs.  On  peut  critiquer  cependant 
bon  nombre  de  mouvements  inharmonique- 
ment  désordonnés,  tels  que  celui  de  la  feuille 
trop  verticale  au  centre  du  détail  en  grand,  un 
découpage  d'un  dessin  un  peu  indécis  et  mou 


Concours  pour  un  'Bandeau  de  Cliewinéé 


191 


et  la  valeur  des  feuilles  trop  claire.  Le  centre  peu  grands  d'échelle  et  ont  pour  efi'et  de   ré- 

méme  du  bandeau  devrait  avoir  un  motif  mieux  duire  à   rien    ces   quatre    petits    bonshommes 

étudie".  trop    semblables   eux-mêmes   entre  eux.    Les 

Je  suis  obligé  de  constater  que  tous  les  jurys  ornements    latéraux  sont  tracés,   malgré   bien 


Projet  de  M.  Leduc  {2'  prix). 

du  monde  se  laisseront  toujours  volontiers  se-  le  défaut  d'unité  de  départ  de  ces  rinceaux; 

duire    par  une  bonne  entente  du  coloris.   De  ils  ont  aussi  le  tort  de  ne  pas  bien  se  relier  au 

bons    dessins    perdent    toutes    leurs    qualités  motif  central.  La  couleur  en  général  est  bonne, 

faute  d'être  harmonieux  et  fins  de  couleur.  Du  mais  celle  des  flammes  forme  un  hors-d'œuvre 

gros  coloris  dur  et   brutal,  on  en  trouve  tant  un  peu  trop  à  part  du  reste  de  la  composition, 

qu'on  en  veut;  mais  les  nuances  harmonieuse-  qui  est  très  bien  exécutée. 


Projet  de  M.  Gaston  Alibert  (3°  prix). 

ment  discrètes  sont  charmeuses  et  irrésistibles.  Le  projet  de  M.  Gaston  Alibert  qui  a  obtenu 

M.  Leduc,  auteur  du  deuxième  prix,  nous  le  troisième  prix,  est  d'un  très  joli  arrangement, 

donne  un  bandeau   un  peu   grand  pour  <•  un  II  eût  mérité  un  rang  bien  supérieur  sans  le 

Petit    Salon   »    comme    le  demandait  le  pro-  fâcheux  médaillon  central  formé  par  un  cercle 

gramme.  Sa  cheminée  d'un  mètre  soixante  de  qui  se  marque  trop  durement  sur  l'ensemble, 

largeur  diminuerait  singulièrement  le   «  Petit  Les  ornements,  sur   les  côtés,  sont  très  bien 

Salon  >■.  Nous  pourrions  nous  contenter  d'un  disposés;  il  suffisait  d'en  former  aussi  le  motif 


mètre  vingt  en  grand  maximum  et  supprimer 
ainsi  sans  grand  regret  toute  sa  partie  centrale. 
Les  soleils,  sur  lesquels  les  petites  ombres 
sont  assises,  sans  doute  pour  se  rafraîchir  de 
l'ardeur  du  feu  rouge  et  or,  me  paraissent  un 


Projet  de  M.   Victor  Lliiicr  (r  mention). 

du  milieu  pour  avoir  une  très  bonne  compo- 
sition, au  lieu  d'y  mettre  une  figure  peu  en 
harmonie  avec  le  but  poursuivi,  et  d'un  des- 
sin plutôt  inférieur  à  celui  des  ornements. 
On  peut  remarquer  que,  très  souvent,  d'excel- 


■  92 


Art  et  Décoration 


lents  dessins  sont  gâtés  par  Tintroduction  de  fi-  ne  convenait  pas  bien  au  sujet,  et  selon  nous, 

gures  aussi  médiocres  qu'intempestives.  Nous  mieux  valait,  dans  un  cas  de  ce  genre,  le  sup- 

ne saurions  trop  engager  les  concurrents  futurs  primer;    mais    M.  Emile  Boutin    est   un    de 

à  les  laisser  de  côté  le  plus  possible,  à  moins  ceux  qui  peuvent  nous  donner  bien  mieux. 


Projet  de  M.  Linile  Uviitin.  (Dtt.Til)  O"  nicntujn). 


qu'elles  ne  constituent  le  programme  du  pro- 
blème à  résoudre. 

Autre  chose.  Est-ce  bien  de  la  tapisserie  que 
ces  tons  clairs  et  frais,  ces  roses,  ces  violets 
pâles,  ces  bleus  faïence  et  ces  blancs?  —  A 
coup  sûr,  cette  harmonie  exécutée  en  laine  se- 
rait bien  fugitive.  M.  Gaston  Alibert  est  un 
dessinateur  habile  que  nous  retrouverons  cer- 
tainement au  premier  rang. 

C'est  parce  que  ce  bandeau  de  cheminée 
rappelle  plutôt  par  sa  couleur  la  faïence  que 
l'étoffe  que  le  projet  ae  M.  Boutin  n'obtient 
que  la  i'''-  mention. 

La  composition  en  est  excellente,  bien  qu'un 
peu  serrée,  et  la  petite  bordure  de  fleurs  de  face 
lui  donne  quelque  froideur,  qu'accentue  encore 
lecoloris.  Sansdouteiiu'cxcciiiL'eL-n  appliLation 


Le  concours  de  M.  Victor  Lhuer  n'a  obtenu 
que  la  2«  mention,  parce  que  le  contour  géné- 
ral du  lambrequin  a  paru  à  la  commission 
mou  et  banal.  C'est  d'autant  plus  regrettable, 
que  la  composition  est  très  convenable  et  habi- 
lement exécutée.  De  plus,  la  couleur  a  été  en 
général  réprouvée;  ce  fond  mauve,  avec  ces 
feuillages  verts  et  contours  jaune  clair,  ne  pro- 
duit pas  une  heureuse  harmonie. 

Je  le  répète  encore,  la  couleur  agit  sur  le 
sentiment  avec  une  grande  force;  la  composi- 
tion et  le  dessin  charment  surtout  l'intelligence  ! 

La  y  mention  est  obtenue  par  M.  Gabriel 
Thibault,  pour  un  dessin  qui  ne  produit  que 
peu  d'effet.  Le  travail  du  fond  donne  de  l'unité 
à  la  composition  et  comble  des  vides  qui,  sans 
cela,    seraient  bien   pauvres  de    formes.    Les 


Projet  de  M     Victor  Limer.  {2'  mention). 


de  soie  et  broderie,  la  composition  gagnerait 
immensément;  mais  aussi  quel  travail  !  Toutes 
les  fleurs  seraient  fatalement  en  broderie  blan- 
che sur  soie  gris-clair,  ce  qui  entraîne  la  brode- 
rie des  bordures.  Ici  encore  le  motif  de  milieu 


indications  de  pierreries,  serties  dans  des  bâtes 
rectangulaires,  n'ont  pas  rencontré  d'approba- 
tion, et  la  couleur  est  un  peu  trop  sommaire. 

Dans  son  ensemble  le  concours  est  très  en- 
courageant. E.  Grasset 


Imp.  de  VaugirarJ,  G.  Je  Malherbe  &  Cie,  i52.  rue  de  Vaupirard,  Paris. 


EMILE  LÉVY,  Éditeur-gérant 


PAPIER     DE     GARDE 


Projet  de  M.  Joanny  Coqiiillat 

II"  prix) 


Art  et  Décoration 


¥^ç 


Quelques   Mots   sur  l'Exposition  de   Céramique 


>'  éprouve  quelque  em- 
barras à  parler  encore 
de  céramique  au  lende- 
main des  salons  dans 
lesquels  cet  art  était  très 
honorablement  repré- 
senté. Mais  l'intention 
qui  a  guidé  ceux  qui  ont 
organisé'  cette  exposi- 
tion est  trop  louable  pour  que  la  manifestation 
qu'ils  ont  provoquée  soit  passée  sous  silence. 
Frappés  sans  doute  de  l'épanouissement  de 
la  céramique  moderne,  qui,  à  de  nombreux 
points  de  vue  est  en  progrès,  frappés  surtout 
de  la  supériorité  des  résultats  obtenus,  grâce 
à  de  longues  et  courageuses  tentatives,  cou- 
ronnées d'un  succès  plus  certain  que  maint 
effort  tenté  de  notre  temps  pour  régénérer 
d'autres  branches  de  l'art  décoratif,  ils  n'ont 
pas  craint  de  provoquer  une  manifestation 
nouvelle  tout  proche  de  cette  exposition  de 
1900  pour  laquelle  on  nous  promet  des  mer- 
veilles. Cette  exposition,  un  peu  improvisée, 
ne  pouvait  être  complète;  en  fair,  elle  ne  l'est 
ni  au  point  de  vue  rétrospectif,  ni  au  point  de 
vue  moderne,  le  seul  dont  je  veuille  dire 
quelques  mots  ici.  Mais  telle  qu'elle  est  ce- 
pendant, elle  est  fort  intéressante,  contient 
plus  d'un  enseignement  et  prête  à  plus  d'une 
remarque. 

Qu'on  ne  s'attende  point  à  trouver  ici  un 
compte  rendu  de  cette  exposition  sur  la- 
quelle il  faudrait  écrire  de  longues  pages; 
je  voudrais  seulement  signaler  quelques 
œuvres  qui  m'ont  paru  caractéristiques,  si- 
non de  l'exposition  même,  du  moins  de 
notre  époque.  J'en  omettrai  d'importantes, 
j'en  suis  sûr, et  j'en  demande  pardon  d'avance 
à  tous  ceux  que  J'oublierai.  Ils  peuvent  me 
pardonner,  car  aucune  de  mes  omissions 
n'est  de  parti  pris.  Mais,  que  voulez-vous? 
Je  suis  bien  obligé  de  parler  de  ceux  qui 
font  du  nouveau,  aux  dépens  de  ceux;  qui  nous 
chantent  un  air  déjà  trop  connu. 


Deux  établissements  avant  un  caractère  offi- 
ciel, d'âge  et  de  renommée  fort  différents,  ont 
exposé  au  Champ-de-Mars  :  Sèvres  et  Co- 
penhague. Les  porcelaines  dures  de  Copenha- 
gue furent,  à  l'exposition  de  1889,  une  sorte  de 
révélation;  tout  le  monde  voulut  posséder 
quelque  échantillon  de  ces  charmants  bibelots 
au  décor  bleu,  gris  ou  violacé  appliqué  d'une 
façon  magistrale  sur  une  admirable  matière. 
Paysages  ou  animaux,  personnages  ou  simples 
plantes,    délicatement    tracés    sur    l'adorable 


I'jsl'  porcelaine  [Copenliat^nc). 


M      Ml>1^TENSES, 


gemme,  inscrits   au    fond  de   quelque  plat  ou 
d'une  assiette,  ou  épousant  la  forme  harmo- 

I 


Art  et  Décoration 


nicuse  de  quoique  vase,  tout  cela, depuis  i88(). 


Vase  porcelaine  {Copenhague). 


M-    LlSllERG. 


est  devenu,  en  quelque  sorte,  classique;  et  la 
porcelaine  de  Copenhague  sera  une  des  belles 
pages  de  l'histoire  céramique  du  xix»  siècle.  On 
oublie  trop,  en  face  de  ces  objets  d'étagère,  les 
créations  plus  pratiques,  les  services  de  table 
qui,  eux  aussi,  sont  tout  à  fait  des  œuvres  re- 
commandablcs.  Il  est  évident  que  dans  cet  en- 
semble d'une  harmonie  parfaite,  il  y  a  une  trou- 
vaille, un  accord  complet  que  je  serais  désolé 
de  voir  troubler  par  de  soi-disants  perfection- 
nements que  je  prévois,  que  je  vois  poindre 
déjà  à  l'horizon.  Je  sais  bien  que  des  esprits 
chagrins  diront  que  la  manufacture  de  Copen- 
hague joue  toujours  le  même  air;  qu'elle  ne 
sort  ni  du  gris,  ni  du  bleu,  ni  du  violet.  Tant 
mieux,  l'air  est  joli,  pourquoi  en  chercher  un 
autre  qui  nous  bouleverserait  toute  cette  har- 
monie; car,  dès  lors, la  technique, lachimie  im- 
placable entrerait  en  scène  et  nous  gâterait 
toute    cette   vision    artistique,    d'une    finesse 


extrême,  d'une  incomparable  saveur  pour  les 
délicats,  .\cceptons  Copenhague  comme 
d'autres  aiment  la  porcelaine  de  Saxe 
mais,  pour  Dieu,  qu'on  ne  me  change 
ni  les  beaux  vases  où  serpentent  de  dé- 
licats feuillages,  ni  les  petits  poissons  si 
reluisants,  qu'on  les  dirait  sortant  de 
l'eau.  «  Ne  forçons  point  notre  talent...  »; 
tout  l'art  réside  dans  ce  vieil  axiome. 

La  courtoisie  me  forçait  à  parler  de 
Copenhague:  les  artistes  français  ne  trou- 
veront point  mauvais  que  je  dise  mainte- 
nant, avant  de  parler  d'eux,  quelques  mots 
de  notre  Manufacture  nationale,  à  la- 
quelle, en  somme,  —  on  l'oublie  trop  sou- 
vent—  ils  doivent  beaucoup,  au  point  de 
vue  technique  surtout,  .le  n'ai  point  l'in- 
tention, d'ailleurs,  de  m'étendre  longue- 
ment sur  l'Exposition  de  Sèvres.  J'ima- 
gine que  ses  vitrines,  en  1900,  nous 
montreront  des  efforts  bien  autrement 
significatifs.  Comme  toute  manufacture 
nationale,  en  France,  Sèvres  se  trouve 
dans  une  position  difficile;  il  a  un  passé 
et  surtout  une  réputation  écrasante.  Mais, 
si  on  remet  les  choses  au  point,  si  on  par- 
court le  Musée  de  la  Manufacture,  dans 
lequel  se  trouve  un  très  grand  nombre  d'é- 
chantillons des  œuvres  produites  dans 
notre  siècle,  on  peut  s'assurer,  facilement 
combien,  au  fond,  la  Manufacture  s'est 
tenue  au  courant  de  la  mode  de  tel  ou  tel 
moment  ;  ce  n'est  pas  que.  par  instant, cett 


Bol  de  grand  feu  sur  courerte  {Serres),      m.  laîserub. 
■constatation  soit,  au  point  de  vue  artistique,  très 


Quelques  Mots  sur  l'Exposition  Je  Céramique 


1 


consolante;  mais  cela  prouve  au  moins  que  la      doit  être  assez  content  du  résultat.  Non  seu- 
Manufacture  n'a  pas  été  aussi  arriérée  qu'on  le      lement  la  Manufacture  expose  des  œuvres  qui 
dit  parfois.  Pour  tout  ce  qui 
est  technique,  elle  a  presque 


toujours  été  à  la  tête  du 
mouvement  céramique,  et 
ce  n'est  pas  sa  faute,  si  le  ni- 
veau de  l'art  industriel  a  par- 
fois baissé  de  plusieurs  de- 
grés. II  n'en  est  pas  moins 
vrai  que  la  Manufacture  a 
rendu,  dans  ce  siècle,  de 
signalés  services  à  l'art 
céramique,  et  qu'on  doit 
beaucoup  aux  savantes  et  pa- 
tientes, autant  qu'obscures 
recherches,  de  ses  labora- 
toires. On  l'oublie  trop  sou- 
vent, même  parmi  les  céra- 
mistes de  profession,  qui 
devraient  être  les  derniers 
à  manifester  une  pareille 
ingratitude. 

Cet  hommage  rendu  aux 
incontestables  services, 
je  le  répète,  qu'a  rendus 
la   Manufacture  de  Sèvres, 


Farcclanie  (Cnfcnliai^iie). 


rentrent  dans  ses  tradi- 
tions anciennes, mais  encore 
de  très  nombreux  essais, 
tels  que  ses  pièces  de  por- 
celaine dure, à  couverte  cal- 
caire, à  décor  au  grand  feu 
de  couvertes  juxtaposées; 
des  porcelaines  tendres  dé- 
corées d'émaux  cloisonnés 
par  M.  Thesmar,  ou  d'émaux 
cernés  d'or  par  M.  Four- 
nier;  des  grès  ou  des  pâtes  de 
verre.  Je  ne  puis  appré- 
cier, en  ces  noies  rapides, 
ni  les  formes,  ni  le  décor, 
auxquels  —  la  perfection 
n'étant  point  de  ce  monde, — 
on  trouverait  peut  être  quel- 
ques reproches  à  faire,  no- 
tamment pour  les  pièces  à 
décor  givré,  qui  peuvent 
constituer,  au  point  de  vue 
chimique,  une  conquête, 
mais  qui  donnent  à  une  ad- 


mirable matière,  l'aspect  du 
je  serai  plus  librepourdiremon  avis  sur  l'expo-      zinc  verni.  Tout  ce  que  je  tiens  à  constater  ici 
sition   actuelle.    Elle  témoigne    de    beaucoup      c'est  qu 
d'efforts,  c'est  incontes- 
table, efforts  qu'on  peut 


juger  diversement,  sui- 
vant l'idée  qu'on  se  fait 
de  ce  que  doit  être  la 
Manufacture.  Si  ce  doit 
être  un  endroit  où  l'on  ne 
créera  que  des  produits 
parfaits  —  eties  produits 
du  xviii"  siècle,  pour 
leur  époque ,  avaient 
cette  qualité — je  ne  crois 
pas  que,  présentement, 
ce  résultat  soit  atteint; 
si,  au  contraire,  on  com- 
prend la  Manufacture 
Nationale  —  et  c'est  l'o- 
pinion qui  semble  do- 
miner aujourd'hui  — 
comme  un  laboratoire 
où  doivent  se  créer  des 


Plat  porcelaine  {Cofeiiluii:;uc).      m.   saini-lssing 


Li  Manufacture  de  Sèvres  n  est  point 
stationnaire  ;  elle  bou- 
ge, elle  marche  et  j'ima- 
gine qu'elle  est  encore 
destinée  à  rendre  de  très 
grands  services  à  la 
céramique.  Mesera-t-il 
permis  de  formuler  une 
très  humble  requête  : 
depuis  quelque  temps 
on  s'est  très  heureuse- 
ment remis  à  la  fabrica- 
tion d'un  certain  nom- 
bre d'adorables  biscuits, 
dont  les  modèles,  datant 
du  xviii"  siècle,  avaient 
été  trop  longtemps 
laissés  dans  l'ombre  ; 
pourquoi,  par  la  même 
occasion,  ne  repren- 
drait-on pas,  pour  la  fa- 
brication courante  des 


procédés  de  décoration  nouveaux,  s'essayer  des  pièces  de  porcelaine,  quelques  modèles  delà 

découvertes  récentes,  ou  être  remises  en  pra-  même  époque  qui  remplaceraient,  avec  avan- 

lique,  des  conquêtes  déjà  anciennes  de  la  chi-  tage,  certaines  notables  horreurs  qui  datent,  des 

mie,   j'imagine  que   le  juge   le    plus   prévenu  règnes  de  Louis  XVIII  ou   de  Louis-Philippe? 


An  et  Décoration 


Il  n'est  pas   dcfcndii  de  l'aire  du  nouveau,  loin 


Porcelaine  {Copenhairue). 

de  là;  mais  il  n'est  pas  défendu 
non  plus,  de  refaire  quelques 
porcelaines  qui  rappellent  le 
temps  de  la  Pompadour  ou 
de  M™o  Du  Barry.  C'était  le 
bon  temps,  pour  la  porcelaine 
de  Sèvres,  du  moins. 

Puisque  je  dis  un  mot  de  la 
porcelaine,  je  ne  voudrais  pas 
la  quitter,  sans  signaler  les 
travaux  de  M.  Peyrusson,  de 
Limoges,  et  ses  essais  de 
décoration  de  porcelaine  dure 
au  feu  de  four;  les  échantil- 
lons qu'il  expose,  faits  dans  la 
fabrique  Boisbertrand  et 
Theillon,  à  Limoges,  ne  sont 
pas  tous  très  concluants  :  un 
certain  nombre  de  couleurs 
obtenues   sont    très    lourdes 


assez  variée  et  il  y  a'ih.  une  tentative.  une']évo- 
lution  dans  la  fabrication  delà  porcelaine,  qui 
portera,  sans  doute,  un  jour,  ses  fruits,  malgré 
l'augmentation,  légère  d'ailleurs,  du  prix  de 
revient  des  produits,  ainsi  fabriqués,  sur  les 
prix  ordinaires. 

On  retrouve  ici  beaucoup  d'artistes  que  l'on 
a  déjà  eu  l'occasion  de  nommer  au  Champ  de 
Mars  :  depuis  ^L  Lerche,  qui,  décidément, 
abuse  un  peu  du  serpent  dans  la  décoration  et 
a  transformé  la  couleuvre  de  Palissy  en  un  boa, 
qu'accompagnent  un  tas  de  monstruosités  qui 
font  beaucoup  de  tort  à  quelques  tonalités  heu- 
reuses; jusqu'aux  émailleurs, en  passant  par  les 
verriers  et  les  artistes  en  grès,  et  les  inévitables 
tabricantsde  reflets  métalliques.  A  proposdeces 
derniers,  je  me  bornerai  à  faire  une  remarque 
que  j'ai  déjà  faite,  je  crois,  c'est  qu'on  ne  sait 
plus  du  tout  ce  qu'ils  fabriquent,  ni  au  juste 
quel  effet  ils  veulent  produire  :  c'est  un  chaos 
de  reflets  qui  s'éclairent  mal  sur  despièces  dont 
la  forme  est  mal  choisie;  ou  bien,  ils  appliquent 
sur  toute  la  surface  de  la  pièce  des  teintes  mor- 
dorées ou  violacées,  qui  enlèvent  absolument 
au  monument,  son  caractère  céramique  :  imiter 
du  bronze  à  la  perfection,  cela  me  parait  un 
résultat  qui   n'est  pas   autrement  souhaitable. 

Comme  dans  toutes  nos  expositions,  ici 
c'est  le  grès  qui,  surtout,  a  attiré  les  recher- 
ches des  céramistes  ;  et  je  le  répète  encore, 
ces  recherches  me  paraissent  avoir  été  dans 
une  très  large  mesure  couronnées  de  succès  : 
Delaherche  ,     Lachenal  ,    Rigot ,    Dalpeyrat, 


Cachc-fOt  porcelaine,  décoration  en  courertes  colorées  juxtaposées  (Sèvres) 

PRDJET  DE  m""   llUtiL'REAU  EXF.CITIUN   PAR   M.    JAR[1E1.. 


de  tons;  mais,  néanmoins,  la   palette  est  déjà      Muller,  Milet,  d'autres   encore,  exposent  une 


Oifclqucs  Mots  sur  r Exposition  Je   Ccrainiqiu 


S 


t'oule    de  vases,    de 
mcnts céramiques,  d 


sculptures  ou    de  revèic- 
anslesqucls  il  va  beaucoup 


par  des  lions  de  grès,  me  semblent  d'un  goût 
dc-testable  et  je  souhaite  vivement  qu'ils  ne 
fassent  pas  école  :  parce  que  le  style  empire, 
d'abdrd,  qui  n'est  que  la  caricature  du  style 
Louis  XVI,  constitue  un  fort  mauvais  modèle, 
un  mauvais  pastiche  de  l'antiquité  classique,  à 
laquelle  il  serait  plus  simple  de  recourir  direc- 
tement; puis,  parce  que  la  céramique,  malgré 
tout  son  mérite,  ne  me  parait  pas  destinée,  par 
nature,  à  occuper  cette  place  dans  le  mobilier. 
Ici  encore  nous  retrouvons  une  cheminée  en 
grès,  très  simple  d'ailleurs,  dont  les  montants  et 
le  linteau  sont  décorés  au  moven  de  deux 
tiges  végétales;  elle  a  évidemment  demandé 
moins  d'efforts  que  la  cheminée  exposée  par 
M.  Bigot,  mais  elle  est  cependant  plus  pra- 
tique. Pratique  aussi,  un  modèle  déporte-para- 
pluie en  grès,  décoré  de  feuillages  et  de  baies 
de  gui.  Voilà  des  œuvres,  sans  grosses  préten- 
tions artistiques,  à  la  création  desquelles  on 
ne    peut  qu'applaudir.   Constatons  enfin,  une 


l  LTSt'  coitlettrs  ttc  ^ranct  feu  suf  tuttrc'}  it 

(Sévi'eS)  M.    LASSKRRE. 

à  prendre  et  à  apprendre.  Bien  que  la  matière 
employée  soit  la  même,  grâce  à  cette  réunion 
nombreuse  de  spécimens,  on  perçoit  mieux  le 
style  et  lestendances  de  chacun,  qu'onnepeutle 
faire  au  Salon.  Tel  artiste  préfère  des  tons  vigou- 
reux et  profonds,  tel  autre  aimera  mieux  les 
nuances  claires  et  fines,  rappelant  l'écorce  de 
certains  arbres,  les  nuances  bleutées  et  comme 
givrées.  Bref,  le  stvle  de  chacun  se  reconnaît,  et 
c'est  de  bon  augure.  Déplus  en  plus,  du  reste, le 
grès  tient  à  prendre  place  dans  l'architecture  : 
chez  Bigot,  ce  ne  sont  que  plaques  de  revête- 
ment ou  frises  lavées  de  bleu,  de  vert  ou  de 
gris,  ou  bien  encore  des  cheminées  décorées  de 
hauts-reliefs.  J'aime  moins  cette  dernière  mani- 
festation de  l'art  du  grès,  que  je  trouve  exa- 
gérée, et  d'une  architecture  qui  s'accordera 
assez  mal  avec  une  décoration  intérieure  rai- 
sonnable. Je  n'aime  point  non  plus  les  meu- 
bles exposés  par  M.  Muller;  cette  banquette  fois  de  plus,  que  l'application  du  grès  à  la 
ou  ce  fauteuil  de  style   néo-empire,  supportés      sculpture,  au  groupe,   à   la    figure,  au    buste, 


\'asc  cnstiil  maiD'c.  coiii'crtc  brune  et  rose.    >i.  léveillh. 


ô 


Art  et  Décoration 


tend  à  devenir  trcsgcncrale  :  beaucoup  de  céra- 
mistes en  exposent.  Ne  nous  en  plaignons  pas. 
car,  en  dehors  de  quelques  œuvres,  par  trop 
svmbolistcs  et  franchement  médiocres,  qu'il 
est  regrettable  de 
voir  reproduire,  le 
grès  tend  à  répandre 
des  œuvres  de  sculp- 
ture très  charman- 
tes, auxquelles  des 
tons  roussis,  bleuâ- 
tres ou  verdàircs  , 
donnent  un  charme 
de  plus. 

Peu  de  choses  à  si- 
gnaler dans  la  faïence 
proprement  dite,  et 
n'était  que  certains 
plats  ou  vases  de 
grès  exposés  par 
Dam  mousse  rappel- 
lent par  leurs  bran- 
chages, leurs  tiges  de 
fleurs  éclatantes,  les 
gaietés  qu'on  aime- 
rait à  voir  traduites 
en  faïence,  on  pour- 
rait croire  que  le  cé- 
ramiste moderne  a 
oublié  complète- 
ment un  genre  de 
décoration  dont  il 
tira,  autrefois,  de 
beaux  effets,  et  qui 
lui  permettra  de 
créer  des  merveilles, 
le  jour  où  il  voudra 
le  remettre  en  hon- 
neur. Je  sais  bien 
qu'à  l'Exposition  fi- 
gurent un  certain 
nombre  d'ccuvres  en 
faïence  :    mais  pour 


Coruct  couleurs  de 
(Sèvres). 


Galle,  Reyen  lui  ont  fait  faire  des  progrès 
énormes  ;  et  je  ne  doute  point  que  ces  (ouvres  ne 
soient,  au  siècle  prochain,  estimées  au  même 
degré  que   les   œuvres  d'un    passé,   déjà    bien 

lointain.  Ce  sont  de 
véritables  merveilles 
qu'ils  nous  mon- 
trent, et  leurs  cris- 
taux à  plusieurs  cou- 
ches, ou  simplement 
teintés  dans  la  masse, 
sont  des  morceaux 
tout  à  fait  délicats, 
quilaissent,  loinder- 
rière  eux,  les  misères 
de  la  verrerie  véni- 
tienne du  xvie  et  du 
xvn''  siècle,  ou  les 
pauvretés  décorati- 
ves, créées  en  Bohê- 
me, .le  ne  vois  guère 
que  les  gemmes  et 
les  verreries  anti- 
ques, puis  les  somp- 
i  u o s i  t é s  de  l'art 
arabe  et  de  l'art  vé- 
nitien de  la  prime 
Renaissance,  qui 
puissent  être  compa- 
rées aux  produits  de 
la  verrerie  moderne. 
Rien  n'y  manque,  ni 
les  difficultés  sans 
nombre  vaincues,  ni 
le  goût  dans  le  décor 
de  cette  belle  ma- 
tière. A  force  d'avoir 
vu,  depuis  quelques 
années,  ces  produits 
parfaits,  on  les  ou- 
blie trop,  on  les  passe 
volontiers  sous  si- 
lence,  comme    s'ils 


i-iiiui  fcti  sur  couverte 

M.   GEBLEUX. 


parfaites  que  soient  quelques-unes  d'entre 
elles,  il  n'y  a  rien  là,  qui  ne  soit  connu  depuis 
longtemps  :  et  la  faïence,  traitée  d'une  façon 
absolument  nouvelle  et  moderne,  est  encore  à 
naître  chez  nous. 

Si  la  céramique  est  l'un  des  arts  qui  mon- 
trent un  progrès  incontestable,  sur  ce  qu'on 
faisait  chez  nous,  il  y  a  quelque  vingt-cinq 
ans,  la  verrerie  a  subi,  également,  des  trans- 
formations, qu'à  une  époque,  relativement 
récente,  on  n'aurait  pas  soupçonnées.  Leveillé, 


n'étaient  pas,  en  réalité,  un  des  plus  beaux 
fleurons  des  arts  appliqués  de  cette  fin  du 
xix°  siècle.  Il  y  a  là  une  grande  injustice,  car, 
pour  obtenir  les  beaux  résultats  qu'il  nous  est 
donné  aujourd'hui  de  contempler,  l'eflbrt  a  été 
considérable;  et  c'est  vraiment  mal,  de  ne  point 
adresser  d'éloges  à  toute  une  branche  si  intéres- 
sante de  l'art,  sous  le  prétexte  qu'elle  va  bien. 
Cela  me  fait  toujours  penser  à  ces  charités 
dévoyées  qui,  de  notre  temps,  s'appliquent 
plutôt  au  soulagement  momentané  de  monstres 


Quc'hjiics  Mots  sur  l'Exposition   Je  (\'rannqm 


/ 


nés  non  viables,  qu'au  relèvement  d'êtres  sains 
qui  pourraient  rendre,  à  la  société,  de  véritables 


Porte-parapluies  en  grès. 


EMILE    MVLLER. 


services.  Sans  doute,  les  branches  de  l'indus- 
trie artistique  qui  ne  sont  pas  encore  au 
point,  méritent  toute  notre 
sollicitude,  mais  ce  n'est  pas 
une  raison,  pour  marchander 
les  encouraj^ements  à  celles 
qui,  après  maints  efforts,  ont 
atteint  le  but,  le  relèvement 
de  la  fabrication  et  son  entrée 
dans  une  voie  tout  à  fait  nou- 
velle, propre  à  faire  honneur 
à  notre  époque.  C'est,  pour 
ma  part,  avec  un  grand  inté- 
rêt que  je  me  suis  arrêté  de- 
vant les  vitrines  de  Leveillé 
où  scintillent  les  vases  de 
cristal,  gravés  à  plusieurs 
couches,  les  cristaux  fumés 
ou  gravés,  ou  ces  vases,  ou 
les  paillettes  d'or,  noyées  dans 
la  masse,  se  marient  à  des 
tons  roses,  qui  font  penser 
aux  nuages  teintés  par  une  fraîche  aurore  ou 
un  beau  coucher  du  soleil.  Les  formes,  pour 
être   simples,   sont  généralement    bonnes.   Et 


ces  mêmes  éloges,  je  les  adresserai  à  Reyen, 
dans  la  vitrine  duquel  nous  trouvons  des  vases 
et  des  coupes,  où  des  plantes  s'enlèvent  en 
teintes  foncées,  sur  des  fonds  teintés  de  bleu  et 
de  brun,  d'une  exquise  harmonie.  Dans  cette 
vitrine,  on  voit  des  pièces  montées  en  bronze, 
.le  regrette  de  n'en  pas  voir  davantage;  il  est 
évident  que  ces  morceaux  précieux  appellent 
l'art  de  l'orfèvre,  et  les  traditions  de  l'art  fran- 
çais sont  loin  de  répugner  à  ce  mariage,  pro- 
fitable aux  uns  et  aux  autres.  Qu'on  se  rap- 
pelle ce  que  les  artistes  du  xvnr  siècle,  par  le 
même  procédé,  ont  su  faire  de  ces  vases  de 
porcelaine  de  Chine,  bien  souvent  d'une  fai- 
blesse notoire  au  point  de  vue  décoratif.  Notre 
époque  peut  produire,  dans  un  autre  style, 
bien  entendu,  des  merveilles  tout  à  fait  compa- 
rables aux  céladons,  montés  par  un  Caffiéri 
ou  un  Gouthière. 

J'ai  eu  l'occasion  de  dire,  ailleurs,  tout  le  bien 
que  je  pense  des  émailleurs  modernes,  qui, 
selon  moi,  n'ont  rien  à  envier  aux  émailleurs 
anciens,  qui  sont  l'une  des  gloires  de  l'art 
français.  Des  mêmes  procédés,  de  la  même 
technique,  ils  ont  tiré  des  effets  différents; 
tant  mieux,  car  cela  prouve  que  cet  art,  ané- 
mique chez  nous,  dès  le  commencement  du 
wiiiî  siècle,  était  susceptible  d'une  évolution 
complète  et  de  recommencer  une  seconde  vie, 
non  moins  brillante  que  la  première.  Nous 
n'en  avons,  à  l'Exposition  de  céramique,  qu'un 


Clieminée  en  ^rès. 


EMILE    MVLLER. 


nombre  d'échantillons  fort  restreint,  ce  qui 
est  regrettable,  puisque  l'Exposition,  de  par 
son  titre,  comprenait  tous  les  arts  du  feu.  Mais 


8 


Art  et  Décoration 


des  échantillons,  tels  que  ceux  411'exposcni 
Grandhomme  avec  sa  Merife  an  coussin 
vert,  d'après  Solari,  montrent  à  quel  point 
nos  émaillcurs  mo- 
dernes sont  maîtres  de 
la  technique;  Georges- 
.iean,  avec  son  Saint 
Georges,  d'après  Vit- 
tore  Carpaccio,  ses 
vases  à  fond  sombre 
ou  à  fond  blanc,  sur 
lequel  s'enlèvent  des 
feuillages  ou  des 
fleurs,  aux  couleurs 
vives  ,  cernés  d'un 
trait  d'or  imitant 
le  travail  du  cloison- 
nage, montre  encore 
une  grande  maîtrise, 
un  sens  très  vif  de  la 
décoration  émaillée, 
l'alliance  des  tons 
chauds  du  métal  et 
des  émaux  aux  teintes 
chatoyantes .  Quand 
un  art  compte  de  tels 
artistes,  pour  ne  nom- 
mer que  ceux-là,  puis- 
que ceux-là,  seuls,  ont 
exposé,  on  ne  peut 
vraiment  dire  qu'il  est 
bien  malade. 

Thesmar  n'a  point 
exposé,  et  [ele  regrette, 
parce  qu'il  représente 
à  un  degré  tout  à  fait 


Wisc  ciiuiux  cloisonnes  sur  paie  tendre,      m.  Lt  koseï. 


éminent,  non  seulement  l'art  de  l'émaillerie  du 
xix»  siècle,  mais  aussi  l'alliance  de  l'émail  avec 
la  céramique.  Ses  applications  d'émaux  cloi- 
sonnés, sur  la  porcelaine  tendre,  n'ont  pas  dit 
encore  leur  dernier  mot  ;  et  de  la  pièce,  sortie 
de  ses  mains,  qui  figure  dans  l'Exposition  offi- 
cielle de  la  Manufacture  de  Sevrés,  il  faut  rap- 


procher les  objets  exposés  par  M.  Le  Roscy. 
où,  à  coté  de  verres  à  deux  couches,  gravés,  de 
la    plus   exquise  technique,   se    trouvent  aussi 

LUI  certain  nombre  de 
porcelaines  tendres  , 
rehaussées  de  cloisons 
d'or,  sertissant  des 
images  ou  des  plantes, 
aux  tons  brillants  et 
délicats  à  la  fois. 

Le  même  artiste  nous 
montre  d'autres  pièces 
de  porcelaine,  de  style 
Louis  XVI,  d'un  goût 
parfait,  que  quelques- 
uns'  blâmeront,  sans 
doute,  parce  qu'elles 
évoquent  le  souvenir 
d'un  passé  artistique 
écrasant,  mais  que  je 
saluerai  pourtant  au 
passage,  comme  un 
point  de  comparaison 
entre  une  époque 
où  l'art  français  sut 
acquérir  une  gloire 
incomparable  et  un 
avenir,  qui  n'est  peut- 
être  pas  aussi  noir 
qu'on  le  croit  généra- 
lement, si  du  moins 
l'artiste  français  veut 
se  borner  à  faire  de 
l'art,  et  non  pas  de  l'in- 
dustrie. Dans  l'art,  s'il 
s'en  veut  donner  la 
peine,  il  ne  trouvera  point,  pour  l'instant,  tout 
au  moins,  de  rivaux;  dans  l'industrie,  pour 
des  causes  que  tout  le  inonde  devine  et  qu'il 
serait  trop  long  d'exposer  ici,  il  est  écrasé 
d'avance.  C'est  un  sort  auquel  il  faut,  des 
maintenant,  se  résigner. 

EmH.E    MoLINIIiU. 


Stiiiris  porcelaine  {Serres). 


M      C.ARllEl. 


Dans  une  vaste  plaine,  mollement  ondulée, 
où  quelques  bouquets  de  bois  survivent  seuls 
de  l'immense  forêt  qui,  du  temps  des  Romains, 
couvrait,  de  ses  ombrages  sacrés,  le  sol  de  la 
Hollande,  se  groupent,  des  deux  côtés  d'une 
modeste  rivière,  les  coquettes  maisons  du  petit 
village  d'Hilversum. 

Il  y  a  vingt  ans  à  peine,  ce  village  n'était 
qu'une  retraite  ignorée,  perdue  dans  la  lande 
du  <(  Gooi  ».  Entièrement  séparé  du  monde 
civilisé,  il  restait  inconnu  aux  gens  des  grandes 
villes.  Mais,  depuis  la  construction  du  chemin 
de  fer  de  l'Est,  qui  va  d'Amsterdam  à  Utrecht, 
et  l'établissement  du  canal  jGooische  Voort  , 
qui  mène  directement  d'Amsterdam  à  Hilver- 
sum,  la  localité  a  changé  d'aspect.  Une  fois 
retirés  des  affaires,  les  boutiquiers  d'Amster- 
dam y  sont  venus  installer  confortablement 
leurs  pénates.  Autour  du  novau  désolé  de 
l'ancienne  bourgade,  où  une  vieille  église  dresse 
sa  façade  insignifiante  sur  le  «  Brink  »,  des 
quartiers  nouveaux  se  sont  formés,  coupés  de 
vastes  avenues  qui  toutes  rayonnent  du  centre, 
et  que  bordent  de  luxueuses  villas,  construites 
dans  tous  les  styles. 

Entourées  de  jardins,  de  petits  parcs, dont  les 
tutaies,  fort  heureusement  pour  les  yeux,  en- 
sevelissent, sous  le  manteau  éternellement  frais 
de  leur  feuillée,  les  arrangements  prétentieux 
autant  qu'artificiels  des  bourgeois,  ces  villas, 
groupées  en  désordre,  donnent,  au  village,  un 
aspect  délicieusement  propret.  Le  calme  absolu 
qui  y  règne  en  fait  un  lieu  de  repos  vraiment 
unique,  que  les  marchands  de  salaisons  n'ap- 


précient pas   seuls,  et   qui    plait   aux   artistes 
comme  aux  poètes. 

Dans  le  voisinage,  les  beaux  sites  abondent 
et  des  routes  admirablement  entretenues,  bor- 
dées   de  quatre   rangs  d'arbres,  y  conduisent. 


Ex-lihris. 


Les  bicyclistes  n'v  foisonnent  pas  comme  dans 
la  banlieue  de  Paris  et  le  paysage  garde, encore 
intactes,  sa  noblesse  et  sa  majesté. 

Un  des  plus  jolis  coins  d'alentour  est  celui 


lO 


Art  et  Décoration 


N 


de  la  t'orct  de  Spaandcrswond.    On  y  va  par 

la  route  haute  de  Narden,  bordée,  elle  aussi, 

de    villas   que    protègent,  non  des   murailles, 

mais    des    grilles,    et    parmi    lesquelles    une, 

surtout,    se  distingue   par  la  vue  absolument 

unique    dont 

elle  jouit  sur 

la   vallée    du 

chemin    de 

fer,  et  sur  la 

landedeLaar- 

den. 

«  Iris -Vil - 
la  »  ,  d " a i  1  - 
leurs,  n'est 
pas  une  habi- 
tation comme 
les  autres. 
Nulle  part 
vous  n'avez 
vu  jardin  ni 
basse-cour 
entretenu  s 
avec  un  soin 
plus  parfaite! 
remplis  d'es- 
pèces plus  ra- 
res .  Basse  - 
cour  et  jar- 
din, en  effet, 
constituent, 
pour  le  pein- 
tre Van  Hoy- 
tema,  qui  ha- 
bite, avec  sa 
charmante 
femme,  la  vil- 
la,comme  un 
musée  \  \  ■ 
vant  dans  le- 
quel il  recrute 
chaque  jour, 
des  modèles, 
cmplumcsou 
lleuris,  pour 
les   belles   pages   décoratives   qu'il    compose. 

Devant  la  maison,  le  jardin  est  rempli  d'ar- 
bustes de  toutes  sortes,  de  plantes  grimpantes 
dont  les  enroulements  délicats,  les  tiges  robus- 
tes ou  grêles,  aux  lignes  sinueuses,  dessinent 
des  arabesques  fantaisistes  oii  l'artiste,  le  plus 
souvent,  prend  l'idée,  soit  d'un  cncadremeni, 
soit  d'un  motif  de  détail. 

Derrière  la  maison,  dans  de  grandes  cages. 


D 


NIA 


ET 


:WERI 


?^ETH.A-rRANS(C0£NENfJ 
[0)'ALPHONS,©iEPENBROCI<L.°» 
_   W^gERLAGE«ÂNDRÉJOLL£S- 
}^^f< N  (KalE F  •>  (n!"J" (^  AV  E R/AAN  ' 

g"j#glERENSDElN)AANj'»f'«AMKERSMir- 


OPtERiCHT  yANUARÎ   IQ^S"  ° 

BEVATTE  PLATENEN  PÛRTRETTEN 
OPSTEENGETEEKEND    DOOR.  : 

]7ANWTH"I^U5TiCUip-|AUER] 
J}tJ-l}^AVEWAAN  JanToûROPo 
AnTOON -/H^OLKENBOER-M  °i  • 
yAN^ONyNENBURG^VANlîiJoyTfnA 

tO-PER-  JAAKC^ANG^- 

BIJ   ALLE  BOEKMANDEL^KtN 
EN     POSTKANTOREN   • 
OITCiAVE    VAN    : 

CyA-VAN  Go^G^H  • 


EEN  ALCE/AEENWEEK6LAD 


Couvcrtuic  foiiy  L\  ro'uc  Iicl\iunijjjnc  iic  ■'  Je  Kiunick 


d'une  propreté  méticuleuse,  dans  de  petits 
parcs  entourés  de  treillages,  dans  des  volières 
spacieuses,  ou  même  en  liberté,  gazouille,  ca- 
queté et  s'agite,  tout  un  monde  de  volatiles  et 
d'oiseaux, qui  vivent  dans  les  meilleurs  termes 

entre  eux  et 
avec  la  mai- 
ircssede  mai- 
son, chargée 
de  leur  en- 
tretien. Les 
poules,  les 
oies,  les  ca- 
nardssont  les 
commensaux 
habituels  de 
l'artiste.  La 
pie,  la  cor- 
neille, les  fai- 
s  a  n  s  sont 
plus  indépen- 
dants, mais 
non  moins 
lamiliers.  Un 
petit  coq  fa- 
rouche, aux 
allures  de 
pionrevèche, 
régente,  avec 
humeurtoute 
la  bande.  Une 
voit  son  auto- 
rité contestée 
que  par  un 
\' ieux  caca- 
toès vêtu  de 
blanc,  et  par 
deux  petits 
perroquets, 
au  plumage 
ébourifféd'un 
beau  vert. 

Danslecoin 
le  plus  om- 
bragé, le  plus 
sombre,  deux  hiboux,  perchés  côte  à  côte,  sur 
une  branche,  assistent  pensifs  aux  ébats  de  ces 
bruvants  et  sonores  personnages.  Comme  des 
moines  retirés  du  monde,  ils  s'engouffrent  mé- 
lancoliques, silencieux,  dans  leur  froc  brun 
foncé, tacheté  de  noir  et  leur  paupière  s'abaisse, 
ennuyée,  sur  leur  gros  œil  rond  et  vitreux. 

Tels  sont  lesmodèles    du  peintre.  Quand  ils 
iTC  lui  suffisent  pas,  il  s'en  va  au  jardin  zoolo- 


Théo    Van    'Hoytcma 


1 1 


gique   de  la  ville   étudier  les  espèces  qui    lui  vation  minutieuse,  Van   Hoytema  se  soit  tait, 

manquent.   Il  v  croque  vivement  le  profil  des  dans  l'illustration  du  livre,  et  dans  lacomposi- 

t;raves  marabouts,  il  v  enlève,  d'un  trait  ner-  tion   décorative,  une  grande  place,  parmi   les 

veux,  la   silhouette  des  formidables   rapaces,  artistes  hollandais  de  ce  temps-ci. 

aux  ailes  démesurées,  au  bec  crochu  et  tran-  C'est  par  le  livre   qu'il  a  commencé.  Apres 

chant,  aux  serres  accérées.  s'être  inspiré  d'abord  des  Anglais,    de   Waltcr 

D'autre   fois,    c'est    en    pleins  champs  qu'il  Crâne,   entre  autres,  et  de    Randolphe  Calde- 


:•. 


p. 


^s! 


FiRMA   FPxANS  BUFFA    ^    ZONEN^ 


KALVEKSTRAAT     A/^STEKDAA\ 


ITENTOOfMSTELLING 
VAMTEE[<vENiNGCN 

DOOPs  Th.VANHOVTtMA- 17  N0V=-I7DEC  1896 

1 


Afjichc  fouy  une  cxpasitinii  de  dessins 


opère,  observant,  dans  leur  vol,  le  hanneton,  la 
libellule  légère,  la  sauterelle,  épiant,  dans  leurs 
corps  à  corps  furieux,  les  insectes,  à  moins 
qu'il  ne  se  blottisse,  en  forêt,  dans  quelque 
coin  paisible  et  retiré  d'oi^i,  retenant  son 
souffle,  il  assiste  aux  gambades  des  lièvres, 
aux  conciliabules  tumultueux  des  lapins. 

Dans  la  lande,  ce  sont  d'autres  amis  qu'il  va 
voir,  tiges  frêles  et  volumineux  champignons, 
alouettes  jascuses,  merles  gais,  les  fleurs,  les 
mousses,  les  gazons.  Tout  ce  qui  respire,  tout 
ce  qui  vit  est,  pour  lui,  matière  à  étude. 

On  ne  s'étonnera  pas,  qu'avec  cette  ardeur, 
au  travail,  cette  conscience,  ce  goût  d'obser- 


cott,  après  avoir  demandé  aux  Japonais  le 
secret  de  leur  art  si  original  et  si  libre,  il  s'est 
fait,  de  bonne  heure,  en  modifiant,  suivant  son 
sentiment  personnel,  les  éléments  empruntés  à 
droite  et  à  gauche,  une  manière  profondément 
personnelle,  et  dont  la  nature  seule,  interpré- 
tée avec  une  indépendance  absolue,  traduite 
avec  un  humour  tout  spécial,  fait  les  frais. 

Il  obtint  ses  premiers  succès  en  illustrant 
des  légendes  enfantines,  parmi  lesquelles  le 
Vilain  petit  Canard  d'Andersen.  Il  y  avait  mis 
des  qualités  de  dessin  et  de  sentiment  si 
curieuses  et  si  raffinées,  qu'on  en  rafl"ola  du 
coup.    On  ne  raffola  pas  moins  du  Bonheur 


Ji<i>iiicm'  Je  Ifibiinx 

TA    MIT 


Bonheur  de  hiboux  " 

LE   JOUR 


14 


Art    et    Décoration 


de  Hiboux,    Cl    Comment  les  oiseaux  eurent  Ruffa,    un  des   critiques    néerlandais   les  plus 

un  roihn  valut,  dans  le  public,  comme  dans  le  spirituels: 

monde  artistique,  des  sympathies  précieuses,  «  M.  Van"  Hoytema  me  fait  penser  parfois  à 

dont  l'élan  ne  s'est  jamais,  depuis,  ralenti.  un  gnome,  parfois   à   une  vieille  demoiselle. 

C'est  qu'il  n'a  pas  cessé,  depuis,  de  produire.  Les  fleurs  et  les  oiseaux,  les  rameaux 'et  les 

et    dans   une    note   toujours  aussi  fantaisiste,  feuilles,  les  papillons  et  les  scarabées,    il   les 

mais  non  dépourvue  de  stvle.  Il  s'est  essayé,  voit,  comme  les  veux  étranges  des  nains  |_doi- 


A/ASXEf^DA/A. 


Cviircituic  de  Cat.TloL'IlC. 


d'ailleurs,  dans  tous  les  genres,  et.  dans  tous 
les  genres,  il  s'est  montré  supérieur  :  ses  litho- 
graphies, ses  eaux-fortes,  ses  pastels,  ses  aqua- 
relles et  ses  peintures  à  l'd'uf  jouissent  d'une 
réputation  méritée  ;  une  faveur  croissante  les 
accueille,  quand  il  les  expose,  chaque  année, 
dans  les  petit  s  salons  qui  se  sont  ouverts  sur  tous 
les  points  de  la  Hollande.  Voici  comment  le 
caractérisait,  l'an  dernier,  à  l'époque  où  une 
exposition  d'ensemble  de  ses  œuvres  venait  de 
s'organiser   à   Amsterdam,    dans     la     galerie 


vent  les  voir,  dans  le  détail  le  plus  compliqué 
de  leur  structure,  il  perçoit  jusqu'aux  modu- 
lations, les  plus  insensibles,  des  couleurs  dont 
lésa  revêtus,  avec  profusion,  la  nature. 

"  Au  pied  des  arbres  géants,  leschampignons 
lui  paraissent  des  coussins  d'un  rouge  vif,  d'un 
blanc  éclatant,  d'un  vert  sombre,  et  les  pla- 
ques impercti'ptibles  de  mousse  qui  piquent  de 
leur  velours  les  écorces,  lui  font  l'effet  de  fo- 
rêts vierges  où  des  multitudes  d'insectes  s'agi- 
ten't  et  dorment,  vivent  et  meurent,  aussi  nom- 


i6 


Art  et   Dccoraîion 


brcux,  aussi  pressés  que  les  hommes  dans  ces 
rourmilièrcs  qui  s'appellent  les  grandes  villes. 

.<  Je  m'imai^ine.  parfois  aussi,  voir  en  lui 
une  vieille  lille,  au  cieur  ingénu,  au  cœur  d'or, 
dont  la  vie  s'est  écoulée  solitaire,  loin  du 
monde,  et  qui  se  console  de  n'avoir  pu  créer 
une  famille,  en  aimant  les  enfants  des  autres. 
Elle  improvise  pour  eux 
des  histoires  féeriques, 
des  contes  merveilleux. 
L'afl'ection  qu'elle  leur 
prodigue  est  si  grande, 
qu'elle  déborde  sur  les 
animaux.  Ses  poules, 
en  caquetant,  viennent 
picorer  dans  sa  main. 
Quand  elle  sort,  les  ca- 
nards la  suivent,  car  ils 
savent  qu'elle  a  des  miet- 
tes de  pain  prêtes  pour 
eux.  Les  hiboux  qui  ne 
peuvent  supporter  les 
clartés  du  jour  lui  font 
peine,  et  sa  pitié  s'étend 
même  sur  eux.  Elle  ad- 
mire le  plumage  des 
paons,  elle  retient  son 
souffle,  en  passant,  pour 
ne  pas  faire  peur  au 
lézard  qui  se  chauffe 
sur  un  mur,  au  soleil, 
—  et  tous  ces  êtres 
qu'elleaime,ellea  tenté, 
pour  mieux  les  com- 
prendre, de  les  dessiner 
d'après  nature,  un  à  un. 
Rentrée  chez  elle,  elle 
les  dessine  encore  de  mé- 
moire et,cettefois,enles 

reproduisant,  elletranspose.  A  l'imitation  litté-  de  deux  cacatoès,  et,  pour  unir  entre  eux  ces 
raie,  elle  ajoute  un  je  ne  sais  quoi,  fait  de  son  deux  pôles  dans  le  cadre  rectangulaire  du  bris- 
cœur  et  de  son  imagination  tout  ensemble,  etle  toi,  c'est  un  semis  de  chrysanthèmes  dont  les 
résultat  de  ce  travail  instinctif  est  un  charme.»      longs  pétales  tubulaires  font  assaut  de  courbes 

On  ne  peut  mieux  définir,  il  me  semble,  tout      savantes, avec latourtedeplumescitronarborée, 
ce  qui  fait  à  Van  Hoytema  une  personnalité  si       en  guise  de  cimier,  par  les  oiseaux  des  Iles.  Ail- 


Ex-Ubris. 


C'est  une  spécialité  moins  bruyante,  moins 
distinguée  en  apparence  que  bien  d'autres, 
mais  elle  se  relève,  chez  Van  Hoytema,  d'un 
art  si  exquis  et  si  fin,  qu'elle  vaut  amplement 
toutes  ces  autres,  et  le  révc,  qu'elle  réalise, 
est  unique. 

Un  simple  coup  d'œil  sur  les  pages  que  nous 
reproduisons,  vous  per- 
mettra aisément  d'en 
juger. 

Voyez  les  deux  hors- 
texte  que  nous  repro- 
duisons d'après  son 
Bonheur  de  Hiboux  ; 
la  composition  n'en  est- 
elle  pas  délicieuse,  et  ne 
trouvez-vous  pas  une 
intense  poésie  dans  ce 
paysage  lugubre,  si  bien 
fait  pour  s'accommoder 
avec  le  caractère  misan- 
thropique  du  hibou, 
comme  dans  ce  paysage 
matinal,  radieux  et  clair, 
en  harmonie  parfaite 
avec  l'éclatante  parure 
qu'un  paon  à  plumes 
blanches  déploie,  et  qui 
fait  fuir,  effaré,  l'oiseau 
de  nuit?  Et  quel  joli 
sens  décoratif  dans  tout 
cela!  Quelle  richesse, 
aussi,  de  couleur!  Avec 
quelle  habileté  l'artiste  a 
ménagé  les  oppositions 
du  blanc  et  du  noir! 

Ailleurs,  dans  une 
carte  d'invitation,  c'est 
le  vis-à-vis  somptueux 


sympathique  et  si  fiera.  C'est  à  force  d'aimer 
la  Nature  qu'il  l'a  vue,  d'une  façon,  à  la  fois,  si 
poétique  et  si  vraie,  si  minutieusement  étudiée 
et  si  large.  Il  observe,  il  écoute,  et  la  Nature, 
émue  de  ce  respect,  lui  raconte,  comme  dans 
un  murmure,  une  multitude  de  légendes  qu'il 
transcrit,  pour  la  plus  grande  joie  de  ces  petits 
enfants  que  sont  les  hommes. 


leurs  encore,  un  faisan  et  un  paon,  affrontés, 
se  toisent  du  regard  avant  d'en  venir  aux  coups 
de  bec.  Dans  tout  cela,  aucune  préoccupa- 
tion de  symétrie,  d'équilibre  des  masses  ;  c'est 
le  domaine  de  la  fantaisie,  mais  d'une  fantaisie 
toujours  artistique,  toujours  spirituelle,  jamais 
échevelée. 

BULLIÎIÎ. 


UN    MAITRE    AFFICHISTE 

STEINLEN 


lNs  un  livre  extrêmement 
curieux,  où  se  trouvent 
dcH nies, avec  une  parfaite 
justesse,  les  lois  psycho- 
logiques du  symbolisme, 
philosophe  italien 
Guillaume  F  e  r  r  e  r  o , 
élève  de  Lombroso,  a 
le  bien  singulière  décou- 
en  ce  qui  concerne  la  ré- 
clame illustrée.  Puisque  aucun 
art  n'est  plus  réellement  vi- 
vant et  plus  moderne  que 
celui  de  l'affiche, je  ne  veux 
point,  en  vous  présentant 
un  des  maîtres  du  genre, 
laisser  passer  l'occasion  de 
répandre  cette  théorie  origi- 
nale, assurément  peu  connue 
en  France. 

A  l'époque  où  la  race 
humaine  parlait  un  langage 
universel,  la  piclographic 
—  ou  représentation  des 
idées  par  l'image  —  était  la 
seule  écriture  connue.  (Jn 
eut  ensuite  l'idéogramme 
(une  pictographie  perfec- 
tionnée), puis  l'écriture 
alphabétique.  Mais  celle-ci 
ne  réussissant  qu'à  bien 
évoquer  des  idées  abstraites, 
la  pictographie  ne  devait 
point  disparaître  de  nos  ci- 
vilisations. Depuis  quelques 
années  même,  elle  remporte 
ses  plus  éclatants  succès, 
car  la  réclame,  «  ce  mer 
veilleux  levier  des  foules  » 
que  notre  siècle  créa  pour 
ainsi  dire  de  toutes  pièces, 
a  réveillé,  dans  le  peuple,  le 
goût  de  l'image.  Les  jour- 
naux, revues,  livres  et  ma- 
gazines illustrés,  qui,  de  nos 
jours,  envahissent  les  maisons  par  millions, 
nous  révèlent  avec  évidence  cette  résurrection 
de  l'écriture  pictographique.  C'est   que  l'illus- 


tration/ii/f  vo/V  les  choses,  montre  des  figures 
nettes,  très  vives,  sans  que  le  cerveau  soit 
contraint  à  un  travail  pénible,  car  il  suffit  de 
regarder,  de  diriger  l'œil,  pour  recevoir  immé- 
diatement la  sensation.  L'écriture  de  nos  pères 
préhistoriques,  la  pictographie  transformée  en 
»  publicité  par  l'image  »,  est  donc  restée  pour 
la  foule,  le  plus  accessible  des  symboles  intel- 
lectuels! 

J'avoue  qu'avant  de  lire  l'ouvrage  de  M.  Fer- 
rero,    je    ne    me   doutais   guère,   qu'entre   un 


Afjiclic  foiiy  le  luit  stérilisé. 

idéogramme  égyptien  et  un  placard  illustré,  il 
n'y  avait  aucune  différence  essentielle.  La 
philosophie  complique  bien  les  choses.  Assu- 

3 


iB 


Art  et  Décoration 


rémeni,  la  pensée  n'a  point  de  ces  détours,  en  tites  «  botti<.eIlicnnes  »  de  Grasset,  les  scènes 

contemplant   les   ailichcs   collées    à    tous    les  populaires  de  Steinlen,  les  Sarah  b\-zaniines 

coins  de  Paris;  mais  notre  plaisir  artistique  et  ou  tlorentines  de  Mucha,  les  portraits  ironi- 

méme  notre  prolit  matériel  ne  sont  pas  moins  quement  expressifs  de  Toulouse-Lautrec,  les 

appréciables  pour  cela.  Devant  les  hautes  pa-  satires  sociales  d'Ibels,  nous  levons  les  yeux, 

lissades  qui  s'élèvent  au  milieu  de  Paris  pour  amusés  par  ces    reflets   fidèles    et   vivants   de 

nous    cacher    quelque    mvstéricux   travail   de  l'existence  moderne,  et  ravis  par  la  chatovante 


'-%)■ 


.}  • --^r 


>\^, 


.* 


35eêmt 


Coiivci  turc  d'un  album  Je  chansom:. 


démolition  ou  de  reconstruction,  nous  ne 
songeons  plus,  par  exemple,  à  nous  plaindre, 
ni  de  l'encombrement  inaccoutumé  des  fiacres, 
ni  même  de  la  lenteur  des  travaux...  L'inau- 
guration du  nouvel  Opéra-Comique  peut  bien 
être  retardée  encore  de  quelques  années;  per- 
sonne n'en  prendra  souci.  La  place  Boïeldieu 
est  convertie  en  une  exposition  permanente, 
où  l'on  ne  se  lasse  pas  d'admirer  les  composi- 
tions de  nos  maîtres  affichistes.  De  la  cimaise 
aux  frises  de  ce  salon  en  plein  vent,  s'étalent 
des  œuvres  charmantes,  dans  lesquelles 
semblent  se  réfugier  toute  l'originalité  de  l'art 
contemporain.  Et  ainsi,  dans  cent  endroits 
de  Paris,  partout  où  nous  rencontrons  les 
fringan'.es  Montmartroises  de  Chéret,  les  pe- 


symphonic  de  couleurs  qui  éclaire  la  grisaille 
monotone  de  nos  murs. 

Non  seulement  le  placard  illustré  fournira 
plus  tard  des  documents  précieux  pour  l'his- 
toire des  mceurs  et  des  indus'ries  parisiennes, 
mais  il  plaidera  mieux  en  faveur  de  nos  goûts 
esthétiques  que  toute  la  peinture  de  notre 
temps.  L'affiche  française,  en  particulier,  est 
incontestablement  une  des  créations  les  plus 
gracieuses  de  l'art  xix"  siècle;  ellesupporte  vic- 
torieusement toutes  les  comparaisous  que  l'on 
voudrait  établir  avec  les  lithographies  de  ce 
genre  publiées  à  l'étranger.  Un  artiste  fran- 
çais eut  même  le  mérite  de  donner,le  premier, 
à  l'estampe  murale  un  caractère  artistique;  et 
l'on  sait  combien  de  talents  originaux  se  sont 


Un  Maître  Affichiste 


19 


révélés  depuis  Chéret,  dans   cette  branche    si  à   nous   renseigner  sur  la  psychologie   de  ses 

vivace  de   l'art  détoratif.  Entre  tous  les   aftî-  personnages.  Ainsi  faisait  Jean  Steen,  ce  Mo- 

chistes  qui    jouissent  de  la  vogue  du   public,  Hère  de  la  peinture  ;  ainsi  fit  Daumier,  ce  mer- 
Steinlen  se  dis- 


lement  par  la 
vigueur  et  la  jus- 
tesse de  son  des- 
sin, la  sobriété 
puissante  de  son 
coloris,  l'allure 
largement  orne- 
mentale de  ses 
compositions 
—  toutes  quali- 
tés qui  ne  révè- 
lent en  somme 
qu'une  très 
grande  habileté 
technique,  — 
mais  encore  par 
la  beauté  socio- 
logique de  son 
art.  Il  n'est  pas 
uniquement  le 
peintre  d'une  so- 
ciété     détermi- 


picbeiO) 


LAME 


Afjiclie  colossale  "  La  Kue  ' 


née;  dans  les  tvpes  populaires  qu'il  a  choisis, 
il  a  découvert  ces  traits  généraux,  ces  nuances 
psvchiques  qui  identifient  entre  eux  tous  les 
hommes.  Il  a  noté  les  causes  et  les  effets  de  la 
passion,  qui  sont  identiques  dans  toutes  les 
classes  sociales.  Comédiste  sincère  et  ingé- 
nieux,  il    n'a    pas    seulement     rassemblé     en 


veilleux  notateur  des  ridicules  modernes.  Issu 
d'une  telle  lignée,  M.  Steinlen  mérite  donc 
une  place  spéciale  parmi  les  créateurs  d'au- 
jourd'hui; c'est  pourquoi  nous  avons  tenu  à 
le  présenter  aux  lecteurs  de  cette  revue,  avant 
d'autres  lithographes  plus  célèbres  peut-être, 
mais  dont  le  talent  n'a  point  à  nos  yeux  une 
signification  à  la  fois  aussi  pré- 
cise et  aussi  générale. 


M.  Steinlen  est  né  à  Lausanne 
en  novembre  iSSq.  «  Enfant, 
j'adorais  les  bêtes,  a-t-il  raconté 
naguère.  Je  gaspillais  d'entières 
matinées  à  écouter  les  ramiers 
qui   font  glou-glou  dans  les  fu- 


taies. Je  rapportais  au  logis  des 
lézards,  des  couleuvres,  des 
chouettes,  et  ma  préoccupation 
favorite  fut  l'élevage  en  grand 
des  chenilles.  Entre  temps,  j'en- 
combrais de  caricatures  toutes  les 
groupes  pittoresques  ses  modèles  de  prédilec-  marges  de  mes  livres.  Durant  trois  ans,  je  pre- 
tion;  il  leur  a  distribué  à  chacun  un  rôle  dans  parai  mon  baccalauréat;  mais  en  1879,  je  rom- 
les  petits  drames  de  sa  façon.  Et  par  la  vérité  pis  avec  les  saines  traditions  et  m'en  fus  à 
expressive  des  phvsionomies,  il  a  même  réussi      Mulhouse,  chez  un  oncle  calé.  J'y  restai  près 


Etude  de   chat. 


20 


Art  et  'Décoration 


de  deux  ans.  à  dessinailler,  et  c'est  vers  la  fin  tout  de  suite  un  grand  succès.  Puis  vinrent  d'a- 

de  i88i    que  j'arrivai  à    Paris  avec   24  francs  musantes  fantaisies,  rEnfant  et  la  Tartine,  le 

dans  ma  poche  I...  »  Petit clmtetlebout  de  cigare J'Horrible  fin  d'un 

Ceux  qui  prétendent  que  l'iiomme,  dès  saten-  ;Lio/woH)-oz/i,'t', d'une  jolie  notecaricaturale, mais 

dre  enfance,  possède  le  germe  de  ses  qualités  et  qui  ne  révélaient  encore  rien  d'essentiel  sur  le 

de  ses  défauts  futurs,  trouveraient  dans  cette  dé-  talent  du  jeune  dessinateur.  Enfin  M.  Steinlen 

claration  très  naïve  de  M.  Steinlen  une  preuve  fit    la   connaissance   du   chansonnier   Bruant, 

frappante  à  l'appui  de  leur  théorie.  Deux  traits  Grâce  à  cette  rencontre,  l'artiste  allait  conqué- 
morauxcarac- 
térisent,en  ef 


fet  ,  l'indivi  - 
dualité  de 
l'artiste:  un 
amour  illimi- 
té d'indépen- 
dance et  une 
tendresse  ins- 
tinctive pour 
les  bêtes,  une 
decestendres- 
ses  maladives 
comme  le 
grand  Scho- 
penhauer  en 
éprouvait,  et 
qui  semble  dé- 
cidément une 
des  marques 
disti  ncti  ves 
desgrands  ob- 
servateurs . 
Or,  voyez  la 
résultante  lo- 
gique de  ce 
double  ins- 
tinct :  M . 
Steinlen  est 
tout  d'abord 
un  animalier 
remarquable; 
secondement, 
son  désir   ef- 


Affiche  pour  le  "Coupable"  de  François  Coppàe. 


rir  définitive- 
ment son  ori- 
ginalité. C'est 
au  Chat  noir 
égalementque 
M.  Steinlenfit 
la  connaissan- 
ce de  Bruant. 
La  collabora- 
tion du  poète 
populaire  et 
du  jeune  des- 
sinateur allait 
être  féconde. 
Tous  deux,  au 
cours  de  leurs 
i  n  s  t  r  u  c i i  ves 
prome  nades 
dans  les  coins 
les  plus  popu- 
leux de  Paris, 
recueilli  ren  t 
une  foule  de 
d  o  c  u  m  e  n  t  s 
inédits,  d'un 
pittoresque 
achevé.  Les  il- 
lustrations du 
Mirliton  ,  le 
journal  de 
Bruant,  nous 
fournissent  en 
effet  les  pre- 
mières indica- 


fréné  de  liberté  le  mène  tout  droit,  en  arrivant  à 
Paris,  dans  les  milieux  d'artistes  originaux,  voire 
même  un  peu  bohèmes.  A  Montmartre,  immé- 
diatement il  entre  en  contact  avec  les  popula- 
tions  excentriques,    et   voilà    que   lentement, 


lions  sérieuses  sur  la  personnalité  de  M.  Stein- 
len. Dès  ce  moment,  l'ancien  dessinateur  du 
C/;a/»o/r  devient  le  portraitiste  fidèle  et  attentif 
des  humbles  artisans  et  des  déclassés;  il  ne 
transcrit  pas  seulement  des  scènes  épisodiques. 


presque  fatalement,  il  devient  le  peintre  du  bas  il  construit  de  véritables  romans,  fait  vivre  au- 
pavé  parisien,  comme  Bruant  en  est  le  poète.  tour  de  ses  personnages  typiques  la  foule 
Présenté  parWillette,  M  Steinlen  débuta  au  innombrable  des  malheureux  et  des  «  hors  la 
Chat  noir  en  i883,  la  même  année  que  Caran  loi  »,  enfin  trouve  pour  sa  galerie  naturaliste, 
d'Ache,  Henri  Pille  et  Henri  Rivière.  Ses  cro-  le  décor  exact,  intimement  approprié  aux  êtres 
quisd'animaux:chiens, rats, pies,  coqsetchats,  mis  en  scène.  Le  talent  que  M.  Antoine  dé- 
publiés par  le  journal  de  R.  Salis,  obtinrent  ployait  au  Théâtre-Libre,  M.  Steinlen  le  rêvé- 


Un  Maître  Affichiste 


21 


lait  à  son  tour  dans  l'ordonnance  de  ses 
compositions,  et.  à  partir  de  cette  époque, 
que  ce  soit  dans  les  illustrations  du  G:l  Blas 
oudanscelles  du  Chamiard,\c  XùXciuAu.  dessi- 
nateur, dirigé  enfin  dans  sa  voie  naturelle,  se 
développe  avec  une  entière  liberté. 

Ce  n'est  point  sans  intention  que  j'ai  rappelé 
le  nom  de  M.  Antoine.   L'œuvre  de  M.  Stein- 
len compte  parmi    les  manifestations  les  plus 
caractéristiques 
de     la    récente 
^1  poussée  »  na- 
turaliste.    Sans 
les    Soirées    de 
Médan,       nous 
n'aurions  eu  ni 
.\I.  Jules  Jouy, 
ni    Bruant,     ni 
Steinlen,      ni 
Ibels,    ni    Tou- 
louse -  Lautrec, 
ni    M.     Ancey. 
Une  correspon- 
dance       très 
étroite,  et  assez 
facile    à  discer- 
ner, existe  entre 
ces  artistes,  ces 
chansonniers  et 
ces  auteurs  dra- 
matiques,   éga- 
lement sollicités 
parla  transcrip- 
tion   directe   et 
brutale     de    la 
vie.  Mais  ce  qui 
place     Steinlen 
au-dessus  de  la 
plupart    de    ses 
émules,    c'est 
que,  tout  en  restant  fidèle  au  principe  inspira- 
teur de  l'art  réaliste,  il  a,  si  je  puis  dire,  éclairé 
ses  modèles  à  l'intérieur  ;  il  leur  a  prêté  une 
àme,  les  a  idéalisés  à  sa  manière  ;  et  c'est  pour- 
quoi ils  s'animent  de  la  superbe  et  durable  vie 
de  l'art. 

Totalement  dépourvu  d'éducation  clas- 
sique, mais  guidé  par  un  instinct  puissant  et 
conservant  avec  une  sûreté  infaillible  la  vision 
de  ses  modèles,  Steinlen  trouva  tout  de  suite 
\a  forme  qui  convenait  à  sa  création.  Ses  ani- 
maux d'abord,  puis  ses  rôdeurs,  ses  camelots, 
ses  escarpes,  ses  ivrognes,  ses  habitués  famé- 
liques du  banc  gratuit,  ses  «  gigolettes  »,  ses 


Etude  de  Coqs  (lithographie). 


trottin's,  ses  marmots  barbouillés  et  crasseux, 
toute  cette  «  figuration  »  bizarre  et  interlope 
des  boulevards  extérieurs,  est  présentée  par 
lui,  avec  une  vivacité  et  une  justesse  de  traits 
extraordinaires.  Dans  ses  illustrations  du  Gil 
Blas,  il  ne  se  sert  que  de  deux  teintes:  le  noir 
et  le  rouge, ce  qui  ne  l'empêche  pas  d'obtenir 
des  effets  très  \ariés,  particulièrement  dans 
ses  pavsages.  Qu'il  montre  les  routes  silen- 
cieuses de  la 
banlieue,  les 
«  fortifs  »  s'éloi- 
gnant  en  zigzag 
jusqu'aux  hori- 
zons brumeux, 
les  talus  jaunis- 
sants des  fau- 
bourgs où  se 
dispersent  les 
chétifs  arbustes, 
les  murailles 
noirâtres  des 
quartiers  indus- 
triels, toujours 
il  trouve  dans 
son  interpréta- 
tion, sinon  la 
note  exacte,  du 

moins  des 
nuances  sugges- 
tives qui  évo- 
quent la  réalité 
entière.  Souvent 
le  soleil  cou- 
chant illumine 
de  sa  pourpre 
opulente  ces  dé- 
cors de  misère 
et  de  rude  la- 
beur. C'est  alors 
un  éclaboussement  joyeux  de  lumière  rouge  ; 
les  toits  rutilent,  les  cheminées  se  tondent 
dans  le  ciel  cuivré,  toute  la  tristesse  du  site 
soutTreteux  s'évanouit  dans  la  splendeur  glo- 
rieuse de  l'astre  au  déclin... 

Néanmoins,  les  illustrations  du  Gil  Blas  qui 
nous  informent  si  amplement  [sur  la  portée 
sociologique  de  l'œuvre  de  Steinlen,  ne  don- 
nent qu'une  idée  incomplète  de  la  puissante 
exécution  de  l'artiste.  Le  dessinateur  et  le 
peintre  se  révèle  tout  entier  dans  les  affiches 
et  les  placards  décoratifs,  en  même  temps  du 
restequele psychologue, le  dramatiste  et«  l'ami 
des  bêtes  »,  dont  nous  parlions  plus  haut.  Il 


Art  et  Décoration 


suffirait,  au  besoin,  pour  connaître  Steinlen  à 
fond,  de  n'étudier  que  l'œuvre  de  l'affichiste. 
Est-il  bien  nécessaire  de  vous  détailler  encore 
ces  compositions  si  connues  et  admirées  de- 
puis longtemps,  le  Lait  pur  stérilisé  où  l'on 
voit  un  bébé  rouge,  resplendissant  de  santé,  vider 
goulûment  un  bol  de  lait,  tandis  que  trois  chats, 
frémissants  de  gourmandise,  suivent  avec  une 
attention  extraor 
dinaire  le  moin- 
dre de  ses  mouve 
ments  ;  Mot  lui  et 
Doria,  scène  réa- 
liste à  deux  per- 
sonnages —  un 
pale  VOYOU  de- 
mandant du  feu  à 
un  gentleman  im- 
passible • —  qui  se 
déroule  à  l'heure 
del'absinthcsous 
la  lumière  trou- 
ble des  réverbè- 
res ;C05'5efj30Z(/e5 
ait  perchoir,  une 
admirable  litho- 
graphie murale, 
chef-d'œuvre  d'es- 
prit et  d'observa- 
tion, car  Jamais 
aucun  pein  re  n'a 
réussi  à  donner 
aux  animaux  de 
basse-cour,  une 
«  physionomie  •< 
aussi  juste.  Si 
Hondecœter  re- 
venait en  ce  mon- 
de, il  serait  jaloux 
des  poules  de 
Steinlen. 

La  dernière  affiche  de  l'artiste  a  été  compo- 
sée pour  le  roman  de  M.  Coppée  :  Le  Cou- 
pable.\]n  vagabond,  le  front  barré  d'un  sourcil 
volontaire  et  dur,  les  yeux  haineux,  la  bouche 
mauvaise,  est  assis  au  bord  d'une  route  soli- 
taire; dans  le  lointain,  la  ville  noire  et  fu- 
meuse où  le  jeune  bandit  sans  doute  vient  de 
commettre  son  crime.  L'œuvre  est  des  plus  em- 
poignantes. Mais  la  grande  estampe  murale  La 
Rue,  exécutée  récemment  pour  l'éditeur  Ver- 
neau,  la  dépasse  encore  comme  exécution  et 
comme  caractère.  L'œuvre  entier  de  Steinlen  y 
reparait,  résumé  en  une  synthèse  superbe.  Le 


En  attendant',  (lithrigraphie'. 


trottin,  le  camelot,  l'artisan  du  pavé, le  «  vieux 
marcheur  »  sont  fixés  désormais  en  des  traits 
immuables.  La  Rue  est  une  composition  sans 
analogue  et  sans  précédent;  aucune  production 
graphique  ne  défendra  mieux  devant  l'avenir 
l'artdémocratiquedecesvingtdernières  années. 
Il  me  reste,  en  terminant  cet  article,  à  expri- 
mer un  regret.  Certes,  le  talent  de  M.  Steinlen 

a  trouvé  une  ap- 
plication     excel- 
lente  dans  l'affi- 
che.   Mais    ces 
'   fresques  de  pa- 
pier   »    sont    vite 
enlevées    de   nos 
yeux,  et  les  chcfs- 
d'téuvre  de  Stein- 
len doivent  fata- 
lement   disparaî- 
tre au  bout  d'un 
court     laps    de 
temps,  sous  d'au- 
\'-'h.    très  placardssou- 
vent  sans  intérêt. 
Pourquoi  un  débi- 
tant, un  hôtelier, 
un     restaurateur 
avisé,     ne     com- 
manderait-il   pas 
à  Steinlen  la  dé- 
coration   de    son 
établissement  ? 
Cela  nous  chan- 
gerait    un      peu 
des      Gambrinus 
chevauchant    des 
oudres,    et    des 
gnomes       char- 
gés    d'immenses 
bocks,   que     l'on 
voit    dans    nos 
brasseries  germanisées.  On  se  représente  aisé- 
ment la  frise  vivante  et  pittoresque  qu'exécu- 
terait le  jeune  maître;  en  plein  Paris,  sans  se 
déranger,  on  verrait  défiler    autour  de  soi  les 
spécimens  les   plus  curieux  et    les  plus  amu- 
sants de  notre  population.  L'étranger,  en  cinq 
minutes,  serait  renseigné    sur   l'ethnographie 
parisienne;    et  le  «  musée    Steinlen»,   faisant 
vis-à-vis  au  «  musée  Forain»,  donnerait  au  bou- 
levard, qui  en  a  bien  besoin,  le  cachet  d'origi- 
nalité   et  d'art  que,   seul,  peut  lui   donner  le 
peintre  de  La  Rue. 

H.  Fiérens-Gevaert. 


ILSEE,  PRINCESSE  DE  TRIPOLI 


'apparition  d'un  beau  li- 
vre, préparé  et  présenté 
avec  un  véritable  souci 
d'art,  est  chose  rare 
parmi  nous,  et  son  or- 
nementation nécessite, 
chez  le  décorateur  qui 
s'y  dévoue,  de  trop  sé- 
rieuses qualités  et  de 
trup  abundantes  ressources  d'imagination, 
pour  que  cette  Revue  ne  lui  accorde  pas  un  vif 
intérêt.  Le  volume  que  vient  de  publier  le  li- 
braire de  rEdition  d'Art,  M.  H  .  Piazza,  est  par- 
ticulièrement digne  que  l'on  s'attarde  à  en  tour- 
ner les  pages.  Autour  d'un  conte  de  M.  Ro- 
bert de  Fiers,  Usée,  Princesse  de  Tripoli, 
M.  Mucha  a  composé  une  nombreuse  suite  de 
dessins  aquarelles,  encadrant  le  texte,  où  appa- 
raît sous  une  face  nouvelle  le  talent  original 
dont  il  avait  déjà  fait  preuve.  Nous  pouvons 
même  dire  qu'il  y  trouve  matière  à  plus  de 
variété  et  à  plus  de  développements,  et  M.  Mu- 
cha s'est  dès  maintenant  assuré  une  place  au 
premier  rang   de  nos  décorateurs. 

On  ne  peut  que  se  réjouir  de  voir  ainsi  défi- 
nitivement consacrée  la  réputation  que 
M.  Mucha  s'est  acquise  en  quelques  années  à 
peine  ;  car  cette  fois,  le  succès  ne  s'est  pas 
trompé  d'adresse.  Notre  attention  a  été,  pour 
la  première  fois  attirée   vers    cet   artiste    par 


l'affiche  qui  annonçait  les  représentations  de 
Gismonda;  avec  un  dessin  ferme  et  correct, 
l'artiste  y  faisait  preuve,  dans  les  souvenirs 
bvzantins  habilement  transfigurés,  d'une  éru- 
dition sans  encombre,  et  aussi  d'un  goût  sur 
d'arrangement  et  d'un  sentiment  très  personnel 
de  la  décoration,  qui  frappa  tout  de  suite  les 
regards.  Il  est  à  croire  que  M.  Mucha  restera 
encore  longtemps,  pour  une  notable  partie  du 
public,  uu  peintre  d'affiches;  mais  je  ne  vois 
rien  là  qui  soit  fait  pour  le  désobliger.  Dans 
ses  limites  restreintes  et  en  comptant  avec  les 
eft'ets  assez  généraux  auxquels  contraignent 
les  nécessités  de  la  vision  en  plein  air,  l'affiche 
donne  matière  à  un  art  véritable,  qui  a  ses  lois 
et  ses  procédés  spéciaux  et  nous  voyons  assez 
d'ébauches  incohérentes  pour  nous  assurer 
que  tout  le  monde  n'est  pas  qualifié  pour  y 
réussir. 

D'ailleurs,  la  série  d'affiches  qui  suivit  celle 
de  Gismonda  mérite  bien,  en  effet,  de  gagner 
à  M.  Mucha  une  renommée  particulière. 
M""^  Sarah  Bernhardt  ne  s'y  est  pas  trompée, 
et  c'est  à  ce  talent  qu'elle  a  confié  le  soin  de 
narrer  tous  ses  succès  en  des  compositions 
murales  où  sa  propre  silhouette  se  campe  et 
s'agrémente  de  façons  diverses,  selon  le  cos- 
tume de  ses  rôles.  Le  format  allongé  reste  tou- 
jours le  même,  si  bien  que  ces  affiches  acquiè- 
rent pour  les  amateurs  l'intérêt  d'une  véritable 


24 


Art  et  Décoration 


«  suite  »  de  planches  en  couleurs,  successive-  son  épanouissement  complet,  devait  nécessai- 
ment  enricliie  des  illustrations  de  la  Dame  aux  rcmcnt  aboutir  à  rembellissenient  d'un  livre 
Camélias,  de LoreUyaccio  et  de  la  Samaritaine.  entier,  capable  de  donner  cours  à  la  libre  ima- 
A  coté  de  cette  importante  série,  parurent  gination  d'un  ornemaniste.  Car  c'est  là,  sans 
encore  des  affichies  de  petites  expositions,  des  aucun  doute,  que  réside  l'application  la  plus 
couvertures  de  revues  ou  des  estampes  décora-      riche  et   la  plus  diverse  du  dessin  décoiatif: 

il  faut  bien  son  • 
ger  au  véritable 
souffle  d'inspi- 
ration qu'il  est 
indispensablede 
posséder,  pour 
ne  pas  succom- 
ber en  route.  Il 
s'agit,  en  effet, 
de  suivre  un 
récit  page  à  pa- 
ge :  et  non  pas 
seulement  de  le 
transcrire  en 
images  visibles, 
mais  d'improvi- 
ser, pour  ainsi 
dire,  dans  les 
marges,  une  tra- 
me continue 
d'accompagne- 
ment, un  inta- 
rissable tissu  de 
broderies  qui 
commentent  les 
péripéties  du 
texte  avec  un 
accent  person- 
nel, qui  en  dé- 
gagent des  sor- 
tes de  signes 
imasinatifs     et 


tives,  où  s  affir- 
mait le  même 
art,  fait  d'une 
recherche  ser- 
rée de  dessin  et 
d'une  ingé- 
nieuse inven- 
tion d'attitudes 
et  de  motifs 
ornementaux. 
La  manière  de 
M.  Mucha  sem- 
blait toujours  se 
reconnaître  et  se 
définir  particu- 
lièrement dans 
l'interprétation 
des  chevelures  , 
qu'il  fait  se  dé- 
rouler en  min- 
ces filets,  pareil- 
les à  des  fumées 
d'encens,  ou  qui 
frisent  en  plu- 
mes de  coq,  ou 
s'éparpillent 
comme  des  pé- 
tales de  chry- 
santhèmes. 11 

n'en   fallait    pas 

'']!see  ",  encadrement  de  pase. 
davantage    pour 

démontrer   que  M.  Mucha  possédait  un  style  symboliques,     des     thèmes 

bien  à  lui,  conscient   et    voulu,  et    pour  faire  comme  mélodiques.  Il  importe  aussi  de  varier 

aussitôt  surgir  des  imitateurs,  ce   qui  n'a  pas  sans      cesse     l'accommodation    du    sujet,    la 

tardé.  nature  dos   ornements   et   le   cours  même  de 

Une  exposition  récente  à   la  Bodinière,  où  l'imagination;  ce  serait  ici  un  défaut  irrémis- 

M.  Mucha  groupait  déjà  ses  premières  œuvres,  sible  que  la  monotonie  et  l'indififérence,  et  cette 

nous  montrait  un  ensemble  de  compositions  sorte    d'habitude  paresseuse    du    crayon,  qui 

destinées  à  illustrer  \cs  Scènes  et  Épisodes  de  conduit  l'artiste   à  tracer   d'instinct  tous  les 


l'Histoire  d'Allemagne,  de  M.  Charles  Sci- 
gnobos;  c'étaient  là  des  tableaux  d'histoire  ré- 
duits, où  il  ne  pouvait  guère  rester  du  décora- 
teur que  la  faculté  de  mise  en  scène.  Mais  plus 
qu'ailleurs  s'y  pouvaient  révéler  la  variété  et  la 
solidité  d'une  instruction  documentaire. 
'  Après  ces  différentes  études  de  panneaux  dé- 
coratifs et  cette  figuration   de  scènes  histori 


encadrements  suivant  une  formule  identique. 
A  chaque  pas,  doit  s'éveiller  une  surprise  sous 
les  doigts  du  lecteur. 

Il  est  assurément  permis  de  regretter  que  cet 
art,  digne  de  passionner  les  esprits,  ne  trouve 
pas  une  réalisation  plus  fréquente;  mais  il  faut 
bien  dire  aussi  que  toute  la  faute  n'en  est  pas 
à  la  réserve  des  éditeurs,  et  que  beaucoup  d'ar- 


ques,  le  talent  de  M.   Mucha,  pour  parvenir  à      tistes  ne  se  sentent  pas  le  cœur  d'affronter  une 


Usée,  princesse  de  Tripoli 


■^ 


œuvre  aussi  complexe  et  aussi  touffue.  A  parler 
franchement,  je  ne  vois  depuis  des  années,  à 
part  quelques  plaquettes  hors  commerce,  que 
deux  volumes  qui  aient  été  exécutés  en  France 
dans  celte  donnée  de  décoration  suivie  :  ce  sont 
les  Quatre  fils  Aymou,  où  s'est  si  généreu- 
sement dépensé 
le  talent  de  M .  ^ 
Eugène  Grasset, 
et  VEvangile  de 
r Enfanee  de 
Notre-Seigiieur, 
quenous  devons 
à  M  .  Carlos 
S  c  h  w  a  b  e ,  Et 
voici  qui  vient 
juste  à  point 
contirmer  l'opi- 
nion que  j'avan- 
çais tout  à  l'heu- 
resur  les  hautes 
qualitésqu'exige 
un  tel  travail, 
car  M.  Grasset 
et  M.  Schwabe 
sont  actuel- 
lement, sans 
contredit,  les 
premiers  de  nos 
décorateurs,  et 
M.Mucha  prend 
aujourd'hui  pla- 
ce avec  eux. 

Mais  alors 
même  qu'on  ne 
puisse  réclamer 
trop  souvent  de 
pareils  ouvrages,  et  en  reconnaissant  que  les 
volumes  de  luxe  ne  pourront  Jamais  être  de 
production  courante,  on  ne  peut  trop  souhaiter 
de  voir  chez  nous  l'art  du  livre  prendre 
une  place  plus  considérable,  en  regard  des 
tentatives  incessantes  des  éditeurs  anglais 
et  allemands.  Avouons  en  passant  que  notre 
public  n'est  pas  difficile  à  contenter,  et  que  les 
livres  même  de  consommation  journalière,  si 
l'on  peut  ainsi  dire,  les  romans  que  l'on  froisse 
fiévreusement  au  bord  d'une  table,  ou  que  l'on 
empile  dans  ses  bagages  au  moment  des  dé- 
parts, pourraient  se  présenter  à  nous  sous  un 
appareil  moins  négligé.  L'infirmité  de  notre 
mouvement  décoratif  tout  entier,  c'est  de  s'at- 
taquer aux  recherches  de  détails,  aux  raffine- 
ments accessoires,  et    non  point  du   premier 


'■■  Usée  ",  encadrement  de  page. 


coup  aux  réformes  fondamentales.  C'est  ainsi 
qu'en  ces  derniers  temps,  la  reliure  a  séduit 
nombre  d'artistes  très  avisés,  que  je  n'aurai 
garde  de  décourager;  mais  n'oublions  pas  que 
toutes  les  parties  diverses  de  l'imprimerie,  la 
fonte  des  caractères,  la  tvpographie,  la  fabri- 
cation même  du 
papier,  récla- 
ment des  soins 
plus  éclairés. 
Remarquons 
aussi  que  le  ré- 
gime du  collège 
nous  a  trop  for- 
tement marqués, 
et  qu'à  peine  un 
livreapparaît-il, 
on  s'empresse  de 
l'interner  dans 
une  '<  Bibliothè- 
que »  o  u  u  n  e 
«  Collection  »,  et 
de  le  revêtir  de 
l'uniforme  de  la 
maison.  Quand 
donc  appren- 
drons-nous à 
respecter  l'indi- 
vidualité du  li- 
vre, et  à  lui  don- 
ner l'habit  qui 
se  prête  à  son 
caractèreetàson 
allure? 

Il  convient 
d'autant  mieux 
d'apprécier  hau- 
tement l'exemple  que  donne  de  ce  respect 
l'œuvre  réalisée  par  VEdition  d'Art.  Tous  les 
détails  de  rexécution  ont  été  l'objet  du  choix 
le  plus  attentif,et  il  ne  faut  pas  oublier  de  men- 
tionner spécialement,  parmi  les  raretés  de  ce 
beau  livre,  la  branche  de  lis  incisée  en  fili- 
grane sur  la  feuille  de  garde,  par  M.  Alexandre 
Charpentier. 

Le  récit  des  aventures  mi-chevaleresques, 
mi-orientales  du  troubadour  Jaufré  Rudel  et 
d'Usée,  princesse  de  Tripoli,  offrait  à  tous  les 
développements  que  pouvait  rêver  M.  Mucha 
un  canevas  merveilleusement  souple  et  assorti. 
L'artiste,  se  sentant  ainsi  autorisé  à  tous  les 
caprices  de  sa  fantaisie,  a  usé  avec  beaucoup 
d'aisance  de  l'horizon  libre  qui  lui  était  ouvert. 
Les  héros  du  conte,  ou  des  figures  de  person- 

4 


26 


Art  et  Décoration 


nages  abstraits,  prennent  place  dans  ces  enca- 
drements; mais  M.  Mucha  les  isole  ou  les 
assemble  sans  se  départir  jamais  du  style  qui 
convient  à  la  continuité  ornementale  de  son 
œuvre,  et  ces  compositions  sont  conçues  dans 
un  goût  qui  procède  parfois  du  vitrail,  et  plus 
généralement  de  la  tapisserie.  Mais  la  décora- 
tion du  livre  comprend  aussi  des  abréviations 
de  paysages,  très  vivement  notés  dans  leur 
mouvement  essentiel,  et  dont  M.  Mucha 
excelle  à  révéler  le  caractère  pathétique;  puis, 
le  grouillement  le  plus  imprévu  et  le  plus 
curieusement  ordonné  des  formes  d'animaux 
et  de  plantes.  Et  ces  éléments  divers  s'unis- 
sent, se  juxtaposent,  interprétés  avec  un  sens 
de  l'ornement,  aussi  éveillé  qu'il  puisse  être. 
C'est  à  peine  si  l'on  peut  relever,  de  temps  en 
temps,  un  effort  d'imagination  un  peu  trop 
tourmenté  et  bizarre,  ce  qu'il  était  difficile 
d'éviter  dans  cette  tension  constante  des  facultés 
inventives.  La  couleur  est  toujours  fort  agréa- 
ble, très  délicatement  appliquée,  et  ne  verse 
sur  la  page  aucune  tache  lourde  et  obsédante; 
l'harmonie  est  partout  très  heureusement  sou- 
tenue. 

Je  ne  veux  pas  clore  ces  notes  sans  appeler, 
surtout,  l'attention  sur  les  enlacements  graphi- 
ques qui  sont,   chez    M.  Mucha,  un  procédé 


constant  de  décoration.  Non  seulement  les 
formes  existantes  lui  paraissent  capables  de 
donner  naissance  à  un  ornement,  mais  il  estime 
que  les  lignes  pures,  habilement  assouplies  et 
combinées, ont  aussi  unsiyle.  Delà,  ces  courbes 
qui  s'embrouillent  et  se  nouent  comme  les 
vrilles  de  la  vigne.  M.  Mucha  apprécie  fort  jus- 
tement les  moyens  de  rornen>entation  en  ne 
dédaignant  pas  l'exemple  des  grimoires  que 
nous  ont  laissés  les  arts  arabes  et  persans;  de 
là  même,  me  semble  venir  le  cachet  le  plus  per- 
sonnel de  ses  œuvres,  car  je  ne  me  suis  guère 
aperçu  que  ni  M.  Grasset,  ni  M.  Schwabe 
fissent  usage  de  l'arabesque. 

Les  lecteurs  sauront  assurément  gré  à  notre 
Revue  d'avoir  relevé  pour  eux,  dans  cette  œuvre 
importante,  quelques  exemples  divers  d'arran- 
gements décoratifs,  dont  le  paysage,  la  flore, 
la  faune  et  les  lignes  sinueuses  donnent  le 
thème,  et  aussi  ce  médaillon  de  femme,  où 
M.  Mucha  s'est  souvenu  des  coiffures  et  des 
joyaux  affectionnés  par  Mme  Sarah  Bernhardt. 
Pour  notre  part,  nous  devons  remercier 
M.  Mucha  et  son  éditeur  d'avoir  donné  ici 
prétexte  à  ces  réflexions  sur  l'ornement  du 
livre,  qui  ne  peuvent  se  terminer  pour  eux  que 
par  un  large  tribut  d'éloges. 

Gustave  Soulier. 


NOS    CONCOURS 


^w^ 


I.  —  Porte-Allumcttcs 

Qu'on  ne  vienne  pas  dire  que  le  programme 
était  de  peu  d'intérêt  pour  justifier,  cette  fois-ci, 
la  maigreur  des  résultats  de  notre  concours, 
car  tous  les  sujets  peuvent  prêter  à  l'ingénio- 
sité de  l'inventeur.  La  principale  condition 
estdercstcrdans 
le  programme  et 
de  ne  jamais 
chercher  à  le 
dépasser  sous 
le  prétexte  d'é- 
tonner, de  ren- 
verser son  pu- 
blic. Je  ne  sau- 
rais trop  le 
redire  à  tous  les 
artistes  qui 
créent  des  ob- 
jets ornés:  faites- 
les  comme  si 
c'était  pour 
vous!  Tant  pis 
pour  ceux  dont 
le  goût  n'est 
pas  suffisam- 
ment formé 
sans  emprunter 
celui  d'autrui. 

Les  concur- 
rents étaient  ce- 
pendant nom- 
breux et  pleins 
de  bonne  vo- 
lonté; plusieurs 
d'entre  eux 
avaient  envoyé 
des  objets  en 
nature  ou  mo- 
delés en  cire,  terre  ou  plâtre.  Disons  tout 
de  suite  que  la  commission  d'examen  n'a  pas 
cru  devoir  distinguer  particulièrement  un  de 
ces  derniers  malgré  des  mérites  relatifs  ;  beau- 
coup de  ces  objets  étaient  peu  pratiques.  Il  en 
a  été  de  même  des  projets  dessinés,  presque 
tous  trop  compliqués,  trop  cherchés  et  insuffi- 
samment trouvés.  Les  uns  trop  petits,  d'une 
ornementation  inutilement  fignolée  et  destinée 
a  disparaître  sous  les  salissures  inévitables  de 


Porte-Allumettes  [i"  Prix). 


l'usage;  d'autres,  au  contraire,  énormes  monu- 
ments en  bois,  faïence  ou  métal,  avec  décou- 
pures des  plus  bizarres  ou  d'une  importance 
disproportionnée  avec  l'échelle  d'un  tel  objet. 
On  peut  dire  que  le  seul  projet  vraiment 
artistique  et  pratique  à  la  fois  est  celui  de 
M.  Diifrciw,  qui  a  obtenu  le  r"''  prix.  Le  petit 

meuble  est  très 
simple;  pas  de 
découpures  sau- 
g  renues.  La 
composition  est 
de  la  meilleure 
donnée  orne- 
mentale, c'est- 
à-dire  nécessité 
constructive 
simple  et  motifs 
ornés  peu  nom- 
breux et  riches; 
le  simple  faisant 
valoir  le  riche. 
Grâce  à  cet 
excellent  prin- 
cipe, nous  n'a- 
vons que  des 
éloges  à  don- 
ner à  ce  pre- 
mier prix.  La 
seule  critique  à 
y  faire  serait 
la  ténuité  des 
consoles  delata- 
blettc,  qui  relè- 
veraient plutôt 
du  métal  que 
du  bois.  Mais  les 
agrafes,  formées 
de  capricornes 
de  bronze,  sont 
de  la  meilleure  invention,  ainsi  que  le  réci- 
pient de  même  métal  destiné  aux  allumettes 
et  orné  de  chauves-souris. 

Le  28  prix  a  été  donné  au  projet  de  AI.  Bou- 
lin à  cause  de  la  simplicité  de  sa  composition, 
peut-être  même  un  peu  trop  simple;  mais 
où,  en  tous  cas,  ne  se  trouve  d'inutile,  et  ne 
correspondant  pas  immédiatement  à  la  fonc- 
tion, que  le  cercle  de  bois,  un  peu  grand  sans 
raison.  La  décoration  en  est  un  peu  pauvrette; 


M.  DUFBESE. 


28 


Art  et  Décoration 


ses  fleurs  de  diclytra  sont  peu  riches  d'aspect  et 
un  peu  tropclaircsdecoulcur.Mais  l'ensemble 


Porte-Allumettes  ;!■'  Prix) 


M.   lîUUTIN. 


est  sobre,  facile  à  fabriquer  et  surtout  sans 
prétention. 

La  Commission  a  cru  devoir  donner  le 
?'■  prix  a  M.  Levé i\i,  maigri}  un  certain  abus  du 
bois  découpé  et  une  évidente  fragilité  de  l'objet, 
parce  que  son  dessin  est  bien  exécuté  et  assez 
élégant  d'aspect.  L'attache  du  godet  de  céra- 
mique est  insuffisante  et  précaire,  et  ce  réci- 
pient lui-même  s'applique  très  mal,  étant  rond, 
à  l'espèce  de  palette  ajourée  qui  forme  le  fond. 
Il  serait  difficile  de  dire  comment  seraient 
gravés  les  ornements  indiqués  sur  les  parties 
plates. 

Au  résumé,  beaucoup  de  bonne  volonté  de  la 
part  des  concurrents  et  peu  de  résultats. 

//.  —  Papier  de  garde. 

Autant  le  précédent  concours  a  été  peu  satis- 
faisant, le  premier  prix  mis  à  part,  autant 
celui-ci  a  été  brillant.  La  Commission  a  vive- 
ment regretté  de  ne  pas  avoir  à  sa  disposition 
un  grand  nombre  de  récompenses  à  décerner, 
peut-être  serait-elle  allée  à  la  douzaine.  Mais 
les  programmes  sont  formels,  et  il  faut  tenir 
compte  aussi  de  la  difficulté  plus  ou  moins 
grande  de  les  remplir.  Sans  cela,  tel  concours 
ne  mériterait  qu'un  seul  prix  alors  que  tel 
autre  en  exigerait  dix. 


En  effet,  on  peut  sans  hésiter  prédire  aux 
programmes  ayant  pour  but  un  objet  en  relief, 
un  résultat  piteux  relativement  à  ceux  qui  s'ap- 
pliquent à  des  compositions  planes.  Serait-ce 
à  croire  que  l'intelligence  à  deux  dimensions 
est  plus  facile  à  rencontrer  que  celle  à  trois? 

Je  n'en  crois  rien;  ce  doit  être  un  résultat 
des  méthodes  d'enseignement,  dans  lesquelles 
l'exercice  en  relief  ne  tient  qu'une  place  infime. 
Ainsi,  sur  trente  jeunes  gens  composant  et 
exécutant  bien  les  ornements  en  surface,  on 
en  trouve  à  peine  trois  qui  composent  en 
relief  de  façon  passable. 

Peut-être  est-ce  à  ces  causes  qu'il  faut  attri- 
buer le  grand  nombre  de  -bons  dessins  du  pré- 
sent concours. 

Cependant,  malgré  la  précision  des  pro- 
grammes, on  est  étonné  de  voir  autant  d'ar- 
tistes en  sortir  d'une  manière  flagrante.  Est-ce 
mauvaise  habitude  de  compter  un  programme 
comme  quantité  négligeable?  Est-ce  désir  de 
surpasser  les  concurrents  qui  s'y  seront   ren- 


Portc-AIlumettes  {3'  Prix  .  m.  levird 

fermés?— Lecalculseraitmauvaisdans  les  deux 
cas,  et  la  Commission  d'examen  remettra  tou- 
jours les  choses  à  leur  place.  11  vaut  mieux 
penser  que  c'est  inattention  ou  manque  de 
clarté  de  l'énoncé. 


i7{jjs  Concours 


29 


Quoi  qu'il  en  soit,  il  a  fallu  d'abord  faire 
deux  classes  de  projets  :  ceux  qui  étaient  dans 
le  programme  et  ceux  qui  n'en  avaient  tenu 
qu'un  compte  partiel.  Il  aurait  été  possible 
d'en  constituer  une  troisième,  formée  de  ceux 
qui  n'avaient  pas  compris  du  tout  et  qui  ont 
cru  qu'il  s'agissait  de  la  couverture  du  volume. 
Ceux-là  ont  été 
écartés  du  con- 
cours, malgré  le 
mérite  de  cer- 
tains dessins. 

Les  trois  prix 
disponibles  ont 
été  décernés  à 
des  composi- 
tions rentrant 
exactementdans 
les  conditions 
voulues,  c'est-à- 
dire  pouvant 
s'imprimer  en 
une  seule  cou- 
leur. 

Les  lecteurs 
pourront  se  ren- 
dre compte  du 
i''"prix,  accordé 
au  projet  de  M. 
Joanny  Coqiiil- 
lat,  puisqu'il  est 
reproduit  gran- 
deur d'exécu- 
tion dans  le  nu- 
méro. Il  y  a  peu 
de  reproches  à 
faire  à  ce  dessin, 
sobrement  et 
clairement  com- 
posé: il  produit 
un  effet  assez  ri 

che,gràceàuneintelligente  disposition  des  par- 
ties claires  et  foncées  franchement  écrites,  et 
aussi  à  ce  que, entre  les  motifs, les  fonds  sont  tra- 
vaillés finement.  Peut-être  les  cercles  d'étoiles 
sont-ils  un  peu  clairs  et  auraient-ils  eu  besoin 
d'un  rien  qui  adoucit  un  peu  le  passage  des 
ronds  avec  le  fond. 

Le  projet  de  M.  Laboureur  se  sépare  nette- 
ment des  autres  par  une  disposition  toute  diffé- 
rente; il  a  obtenu  le  2«  prix.  L'idée  en  est  des 
plus  gracieuses  ;  ces  montants  de  roses  avec 
les  monogrammes  très  simples,  entre  deux, 
sont  d'un  charmant  etfet. 


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Pafier  de  garde  (-2'  Prixl. 


La  composition  de  M.  Pillard, qmi'ah  l'objet 
du  3-  prix,  méritait  peut-être  mieux,  par  l'ingé- 
niosité de  l'arrangement  et  le  style  du  dessin. 
L'échelle  en  a  été  trouvée  un  peu  grande  et 
reti'et  quelque  peu  dur.  Cependant,  le  tracé  est 
irréprochable  et  l'idée  des  monogrammes  en 
ondes,  entre   les    cygnes,  est   une   jolie    idée. 

M.  Pillard  a,  en 
quelque  sorte, 
enfreint  le  pro- 
gramme par 
l'adjonction 
d'un  ex  -  libris 
qui  n'était  pas 
demandé.  Nous 
ne  nous  en  plai- 
gnons qu'à  moi- 
tié, car  il  est 
charmant. 

La  1^8  men- 
tion est  donnée 
à  M.  Marc  Bas- 
tard  pour  un 
très  joli  arran- 
gement d'anco- 
lies  avec  des 
monogrammes 
d'un  beau  carac- 
tère. Seulement, 
ce  dessin  com- 
porte deux  im- 
pressions, ce 
qui  n'est  pas  le 
cas  de  la  2'^ 
mention  attri- 
buée à  M.  Lom- 
bard, qui  s'en 
est  tenu  au 
programme.  Sa 
.  composition, 
presque  uniquement  au  trait,  est  d'un  carac- 
tère quelque  peu  ancien,  mais  bien  approprié 
à  un  papier  de  garde.  Il  est  regrettable  que, 
pour  le  bon  effet,  M.  Lombard  n'en  ait  pas 
fait  quelques  centimètres  carrés  de  plus. 

M  '  Labourjau  nous  donne  une  page  de  gra- 
cieux muguets, qui  serait  bien  meilleure  si  la 
feuille  était  travaillée  de  façon  à  laisser  les 
fieurs  un  peu  plus  en  évidence,  et  qui  a  obtenu 
la  .3'^  mention. 

La  4«  mention,  exécutée  par  M.  Paycn,  est 


M.    LABOUREUR. 


30 


An   et  Décoration 


'fé^^  ^/^^|%«f  ^c?^^l/1T.5 


i(=  Prix. 


M.    PILLARD, 


Mention. 


M.    LOMBARD. 


5'  Mention. 


M"°    LABOURIAU. 


j"  Mention. 


M.    BASTARD. 


NOS    CONCOURS. 


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ij\\}s  Concours 


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d'un  arrangement  très  ingénieux,  bien  qu'un      trop  lourdes  et  d'autres  trop  fines,  viennent 
peu  froid  à  cause  des  lignes  droites. 

M.  Mangeant  nous  envoie  un  papier  de 
garde  dont  la  composition  exigeait  une  couleur 
de  plus  et  elle  en  comporte  déjà  une  de  trop, 
ce  qui  fait  qu'il  n'obtient  que  la  y-  mention. 

La  6«  mention  est  attribuée  au  projet  de 
M.  Riom,  d'un   élégant  dessin,  mais   dont  les 


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Papier.de  garde\{4'  Mention).  M.  payen. 

monogrammes  ont  été  trouvés  trop  importants, 
surtout  le  D  qui  laisse  un  vide  tirant  l'œil. 

De  M.  Marc  Bastard,  encore  un  ensemble 
un  peu  maigre  bien  qu'élégant;  deux  couleurs 
en  trop  et  j'-  mention. 

U  ne  intéressante  composition  de  M.  Z)«rri7n?, 
d'un  arrangement  très  heureux,  mais  qui  aurait 
gagné  à  ce  que  les  papillons  eussent  été  d'un 
dessin  un  peu  plus  correct  avec  une  couleur 
de  rnoins;  et  enfin,  le  projet  de  M.  Dufrêne, 
bien  composé  mais  avec,  à  la  fois,  des  parties 


Papier  de  garde  (?'  Mention). 


M.     MANGEANT. 


Papier  de  garde  {!>'  Mention). 


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Papier  de  garde  (()'  Mention). 


M.   DUFKENE. 


clore  une  liste  que  nous  aurions  eu  plaisir  à 

E.  Grasset. 


allonger  encore. 


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Art   et   Décoration 


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Papier  de  garde  [y'  Mention).  m.  m.  bastard. 


M.    DIRRANT. 


NOTRK    CONCOURS    DE    SEPTEMBRE 
us  CHEMIN   DE    TABLE    EN   BRODERIE 


Nous  mettons  au  concours,  pour  septembre, 
un  chemin  de  table  en  broderie. 

Ce  chemin  de  table  ne  devra  en  rien  ressem- 
bler, ni  pour  le  choix,  ni  pour  la  disposition 
des  motifs,  aux  articles  actuellement  dans  le 
commerce.  Il  se  composera,  non  d'une  bande 
rectangulaire  de  toile  ornée  d'une  broderie  en 
bordure,  mais  d'une  toile  ajourée  où  l'on 
rçservera  la  place  des  pièces  indispensables  du 
surtout  :  au  centre  une  corbeille,  à  chaque 
extrémité  un  candélabre  ou  un  bout  de  table, 
et  de  chaque  côté,  entre  la  corbeille  et  le  bout 
de  table,  deux  compotiers  ou  deux  coupes. 
Le  dessin  que  constitueront  les  ajours  courra 
entre  les  diverses  pièces  et  les  reliera  dans  un 
ensemble  harmonieux,  l'une  à  l'autre.  On  sera 
tenu,  dans  le  choix  du  motif,  de  s'inspirer 
directement  de  la  nature.  C'est  la  tendance 
heureuse  qui  domine,  non  seulement  dans 
l'orfèvrerie  nouvelle,  mais  dans  la  décoration 
du  verre  taillé  ou  de  la  porcelaine,  et  il  im- 
porte que  le  chemin  de  table  se  tienne  dans 
une  note  décorative  analogue.  Liberté  absolue 
pour  tout  le  reste,  mais  exclusion  formelle  de 
la  couleur. 


On  nous  enverra,  le  25  Septembre  au  plus 
tard,  le  détail  le  plus  important  à  grandeur 
d'exécution,  et  un  dessin  d'ensemble  assez 
grand  pour  perrnettre  d'embrasser  tous  les 
détails  d'un  coup  d'œil.  Trois  prix,  de  y5, 
de  5o  et  de  25  francs,  seront  donnés. 

PETITE    CORRESPONDANCE 

Nous  recevons  de  MM.  Daum  frères,  de 
Nancy,  la  lettre  suivante,  que  nous  nous  em- 
pressons d'insérer. 

«  Monsieur, 

«  Je  reçois  le  numéro  de  juin  de  votre  Revue, 
«  et  j'y  vois,  à  la  première  page,  attribuer  à 
«  notre  illustre  confrère  M.  Galle,  la  cruche 
«  de  verre,  décorée  d'orchidées,  dont  vous 
n  donnez  la  reproduction.  Il  y  a  là  une  erreur 
«  qui  ne  laisse  pas  d'être  flatteuse  pour  nous, 
«  mais  que,  par  respect  pour  M.  Galle,  nous 
«  nous  empressons  de  relever,  en  vous  priant 
«  de  la  rectifier  dans  votre  prochain  numéro.  » 

Voilà  qui  est  fait.  Il  ne  nous  reste  plus  qu'à 
présenter  nos  excuses  pour  cette  circonstance, 
à  l.a  fois  à  MM.  Daum  frères  et  à  M.  Galle. 


Imp.  de  A'augirarJ,  G.  de  Malherbe  &  cie,  iSi,  rue  de  VaugirarU,  Paris. 


lîMILE  LEVY,  UJiUur-géranl. 


1A1>ISSKRIE    DES     GOBICI.IXS 


Art  et  Décoration 


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La    Tapisserie   à   la    Manufacture    des    Gobelins 


A  Tapisserie,  comme 
le  Vitrail,  est  un  art 
français.  Ceux  pour 
qui  notre  art  com- 
mence à  l'institution 
des  Académies  sous 
Louis  XIV  ont  pris 
l'habitude  d'appeler 
flamandes  toutes  les 
tapisseries  antérieures  au  xvii"  siècle  :  cela 
dispense  de  toute  recherche  et  facilite  la  clas- 
sification. 

Aujourd'hui,  grâce  aux  progrès  de   l'éduca- 
tion artistique    et  surtout  à  la  précision  des 


venant  du  château  du  Verger,  en  Anjou;  et  la 
somptueuse  scène  de  bal  que  conserve  l'église 
de  Nantilly,  à  Saumur;  et  les  scènes  tirées  des 
romans  de  chevalerie  qui  sont  exposées  dans 
la  même  église;  et  les  tapisseries  de  Saint  Rémi 
de  Reims;  et  la  tapisserie  de  Saint-Saturnin, 
don  de  Jacques  de  Semblançay  à  une  église  de 
Tours;  et  la  tapisserie  de  la  Dame  à  la  licorne, 
acquise  par  le  musée  de  Cluny.  Un  volume  ne 
suffirait  pas  à  l'énumération  des  belles  œuvres 
françaises  que  le  hasard  des  ventes  a  dispersées 
dans  les  collections  publiques  ou  privées,  rnais 
qui  sont  en  majeure  partie  demeurées  en  France. 
Ce  qui  est  caractéristique  et  ce  qui  témoigne 


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Départ  de  Jcaiim  d  Arc  se  rendant  a  la  Coin-  de  Charles   17/. 
(En  cours  d'éxecution  ) 


J.-P.    LAlRiiNS. 


études  historiques,  nous  pouvons  restituer  à 
l'art  français  et  la  magnifique  série  de  l'Apo- 
calypse, exécutée  du  xiv°  au  xv°  siècle  pour  les 
ducs  d'Anjou,  Louis  I"''  et  Louis  II,  d'après  les 
miniatures  d'un  manuscrit  de  la  bibliothèque 
de  Charles  V,  par  le  tapissier  parisien  Nicolas 
Bataille;  et  la   tapisserie  dite  de  Rohan,  pro- 


en  faveur  de  l'origine  française  de  ces  tentures, 
qui  formaient  le  principal  décor  des  habita- 
tions princières  ou  seigneuriales,  c'est  l'inter- 
prétation décorative  conforme  aux  traditions 
de  l'art  français  qui  subordonne  au  travail  de 
la  laine  la  forme  et  le  modelé  des  figures,  des 
plantes  ou  des  ornements. 

5 


H 


Art  et   Décoration 


Si  le  point  de  tapisserie  se  prête  à  des  divi- 
sions beaucoup  plus  fines  que  le  cube  de  mo- 
saïque, il  exige  néanmoins,  comme  lui, des  sim- 
plifications qui  sont  d'ailleurs  indispensables 


^^.fM^'^ff. 


Dossier  de  fauteuil. 
(F,n  cours  J'exécutinn.) 


E.  MALOlbEL. 


à  l'effet  d'une  décoration  murale.  Non  seule- 
ment, comme  cela  a  lieu  pour  le  vitrail  ou  la 
mosaïque,  la  composition  destinée  au  décor 
d'une  surface  doit  éviter  les  successions  de 
plans  qui,  parles  lignes  fuyantes  de  la  perspec- 
tive, détruiraient  la  surface  à  décorer,  mais  le 
tapissier  qui  ne  peut,  comme  le  mosaïste,  en- 
velopper ses  formes  par  les  rangées  concen- 
triques des  cubes  de  verre,  qui  n'a  pas,  comme 
le  peintre  verrier,  la  ressource  d'un  contour 
opaque  sertissant  et  isolant  les  colorations 
translucides,  qui  ne  dispose  pour  l'assem- 
blage des  points  que  de  deux  directions  se 
coupant  à  angle  droit,  est,  plus  encore  que 
le  peintre  verrier  et  le  mosaïste,  tenu  à  des 
simplifications,  telles  que  le  passage  de  lignes 
d'ombre  dans  la  lumière,  pour  obtenir  le  mo- 
delé, et  pour  éviter  l'amollissement  des  formes 
par  l'abus  des  nuances.  Chaque  nuance  néces- 
site d'ailleurs  un  changement  de  laine,  et  la 
complication  qui  résulte,  pour  l'exécution,  de 
l'abus  des  nuances  n'est  point  compensée  par 
une  amélioration  de  l'effet. 

Lorsqu'on  étudie  suivant  l'ordre  chronolo- 
gique Icstapisseries  de  nos  fabriques  françaises, 
on  est  frappé  des  concordances  de  style  qui  se 
manifestent  du  xii"  au  .wr- siècle  dans  toutes  les 
œuvres  décoratives,  et  qui  attestent  l'extraor- 
dinaire unité  de  l'art  français.  On  pourrait 
comparer  quelques-unes  des  pièces  de  l'Apo- 


calypse d'Angers,  comportant  une  double  ran- 
gée de  sujets  sur  fonds  alternés  bleus  ou 
rouges,  aux  verrières  contemporaines  dont  les 
sujets  se  détachent  aussi  sur  des  fonds  unis, 
ou  bien  encore  aux  peintures  murales,  par 
exemple  à  celles  qu'on  exécutait  sur  le  même 
thème  dans  une  salle  attenant  au  cloître  des 
.lacobins  de  Toulouse.  Les  procédés  employés 
pour  le  modelé,  pour  le  tracé  des  ombres,  ont 
à  une  même  époque  des  analogies  singulières, 
et  ne  diffèrent  d'un  art  à  l'autre  que  par  les  par- 
ticularités de  la  technique.  Le  procédé  qui 
consiste  à  laisser  filer  des  traits  sombres  dans 
le  ton  clair  pour  obtenir  les  tons  intermédiaires, 
est  celui  qu'on  employait"  pour  les  vitraux  et 
même,  pour  la  peinture,  ainsi  que  je  l'ai 
constaté  lorsque  j'ai  mis  à  découvert  dans  une 
abside  de  l'église  de  Pontigné,  en  Anjou,  des 
fresques  du  xiif  siècle  représentant  des  scènes 
de  la  vie  de  la  Vierge.  C'est  le  procédé  qui  a 
subsisté  jusqu'au  xvi«  siècle  pour  les  minia- 
tures, où  de  fines  hachures  d'or  accusent  les 
lumières,  laissant  paraître  entre  elles  le  ton 
local. 

Ainsi  la  tapisserie  était  depuis  longtemps 
pratiquée  en  France  lorsque,  sous  le  ministère 
de  Colbert,  à  l'époque  où  l'Etat  substituait 
partout  sa  direction  à  l'initiative  privée,  le 
peintre  Lebrun  fut  chargé  d'organiser  une  ma- 
nufacture royale  de  tapisseries. 

Dès  le  milieu  du  xvi<-  siècle,  le  goût  qui,  en 


Siège  de  fauteuil. 

(iùi  fours  JfXL-cuIinn  ) 


E.  MALOISEL. 


peinture,  tendait  vers  le  tableau  et  que  propa- 
geaient dans  les  ateliers  les  gravures  de  Marc 
Antoine,  d'Albert  Diirer  et  des  petits  maîtres 
allemands,  avait  modifié  pour  le  vitrail  comme 


La  Tapisserie  à   la   Mann  facture  des  Gobelins 


M 


pour  la  tapisserie  la  composition  décorative. 
La  transformation  du  goût  fut  aussi  rapide  de 
i5oo  à  i55o  pour  toutes  les  œuvres  de  décora- 
tion que  pour 
Farchitecture 
dont  elles  re- 
lèvent. Ce  n'est 
pas  seulement 
le  décor  à  l'an- 
tique qui  dis- 
lingue, à  la  ca- 
tiicdrale  d'An- 
gers, la  tapis- 
serie de  Saint- 
Saturnin  de  la 
tapisserie  de  la 
Passion.  L'une 
est  composée 
à  la  façon  des 
l' r  e  s  q  u  e  s  de 
Benozzo  Goz- 
zoli  :  la  surface 
V  est  occupée 
par  les  person- 
nages du  pre- 
mier plan  et  la 
perspective  n'y 
est  employée 
que  pour  aider 
au  développe- 
ment et  à  l'iso- 
lement des  scè- 
nes. L'autre, 
c  om  pa  ra  ble 
aux  fresques  de 
Ghirlandajo, 
f  o  r  m  e  d  é  j  à 
un  véritable 
tableau  limité 
par  un  cadre 
architectural 
de  pilastres  et 
de  frises  à  rin- 
ceaux. 

Cette  dispo- 
sition de  ta- 
bleau encadré 
par  une  bor- 
dure se  main- 
tint, malgré  les  variations  de  style,  du  xvi«:  au 
xvu*^  siècle;  elle  était  encore  en  honneur 
lorsque  Lebrun  fut  chargé  d'installer  et  de 
diriger  la  nouvelle  manufacture. 

Tandis  que  le  vitrail,  dévoyé  par  l'emploi  des 


Le  yiiinnscrit. 

(1838) 


émaux  et  l'adaptation  des  gravures  à  des 
scènes  mal  composées,  était  délaissé  dès  le 
début  du  xvn«  siècle,  la  tapisserie,  conservant 

ses  traditions, 
se  développa 
sous  l'impul- 
sion de  Le- 
brun, conser- 
vant, ainsi 
qu'on  le  con- 
state au  revers 
des  tentures, 
les  belles  cou- 
leurs franches 
harmonieuse  - 
ment  grou- 
pées, et  ne 
s'écartant  pas, 
dans  l'exécu- 
tion, des  sim- 
plifications de 
forme  et  de 
m  o  d  e  1  é  qui 
sont  indispen- 
sables à  toute 
décoration  ré- 
sultant du  tra- 
vail de  la  laine. 
Ces  traditions 
se  maintinrent 
pendant  tout  le 
cours  du  wm" 
siècle  :  les  ta- 
pisseries exé- 
cutées sur  les 
cartons  de 
Boucher  en 
témoignent  en- 
core. 

C'est  seule- 
ment au  début 
de  ce  siècle,  au 
moment  où 
l'enseignement 
de  l'art,  ten- 
dant de  plus  en 
plus  à  une  étu- 
de abstraite  de 
formes  ,  pros- 
crivait tout  ce  qui  touche  aux  études 
techniques,  tout  ce  qui  tend  à  varier  la  forme 
par  les  qualités  de  la  matière,  que  la  tapisse- 
rie, comme  la  céramique,  comme  tous  les 
arts  de  la  décoration,  s'écarte  de  ses  glorieuses 


F.    EHRMANN. 


} 


6 


Art  et  Décoration 


traditions.  Dans  cette  période,  il  semble  que 
la  tapisserie  n'ait  d'autre  but  que  la  reproduc- 
tion en  laine,  c'est  à-dire  avec  une  matière  qui 
s'v  prèle  mal,  de  toutes  les  nuances  d'un 
tableau.  On  obtient  ainsi  a  grands  frais  une 
très  médiocre  copie,  et  si  le  tapissier,  à  force 
de  nuances,  arrive  à  donner  l'illusion  d'une 
peinture,  il  semble  que  le  but  soit  atteint. 

Si  par  hasard,  comme  Viollet-Le-Duc  tenta 
de  le  faire,  un  artiste  entreprend  de  critiquer 


et  maintenant    par    la    supériorité    même   de 
l'exécution  le  prestige  de  la  Manufacture. 

Sous  la  direction  de  Darcel,  des  peintres 
éminents,  Galland  et  F.  Erhmann,  préparés 
par  de  fortes  éludes  à  la  composition  décora- 
tive, que  l'un  d'eux  enseigna  d'ailleurs  à  l'Ecole 
des  Beaux-Arts,  préludèrent,  par  d'intéres- 
sants essais,  à  la  rénovation  des  modèles,  en 
composant  spécialement  pour  des  emplace- 
ments déterminés  des  cartons  étudiés  dans  un 


Dessus  de  Porte.  —  L'Automne  et  I Hiver.  ealdry. 
(i863) 

un  enseignement   déplorable,    qui    tend    à   la  sens    vraiment    décoratif,   quoique   composés 

déchéance  de  tous  les  arts  de  la  décoration,  on  encore  comme   des  tableaux.   M.  Erhmann  a 

crie    à    «    la    profanation    par    l'industrie  du  commencé,  pour  la  Bibliothèque  nationale, une 

temple  de  l'Art  »,  et  c'est  seulement  après  un  intéressante    série  de  sujets  allégoriques  que 

demi-siècle  d'erreurs  qu'on  commence  à  com-  complétera   la   grande   composition,    symbo- 

prendrc  l'intérêt  d'un  enseignement  artistique  lisant  les  Arts,  les  Lettres  et  les  Sciences  à  la 

s'appliquant    à   toutes   les   œuvres    et    tenant  Renaissance,  exposée,  cette  année,  au  Salon  des 

compte,  aussi   bien   pour  la  composition  que  Champs-Elysées. 

pour   le    dessin,   de  simplifications   qui    sont  Galland,  le  décorateur  ingénieux  qui  a  laissé, 

l'essence  même  de  l'art  et  comme  la  marque  outre  ses  plafonds,  tant  d'intéressantes  études 

du  génie  humain.  analysant,  suivant  la  méthode  inaugurée  par 

La  Manufacture  des  Gobelins  a  eu  le  rare  Viollet-Le-Duc  et  Ruprich  Robert,    la  feuille, 

mérite,  grâce  à  son    organisation   patriarcale,  le  bouton  ou  la  fleur,  et  faisant  de  ces  analyses 

de  conserver,  même   dans    cette    période  de  les  plus  charmantes  applications  décoratives, 

décadence,  de  merveilleux   ouvriers  connais-  ne  paraît  pas  s'être  rendu  exactement  compte 

sant  à  fond  tous  les  secrets  de  leur    métier,  dçs    exigences    d'un   canon   de    tapisserie  au 

améliorant  toujours  les  modèles  insuffisants  point  de  vue  de  la  précision  du  contour.  Cher- 


La   Tapisserie  à  la  Manufacture  des  Gohelins 


}7 


cheur  infatigable,  n'hésitant  pas  à  repeindre 
entièrement,  comme  il  le  fit  pour  sa  fresque  du 
Panthéon,  une  œuvre  presque  achevée  s'il  la 
jugeait  encore  imparfaite,  Galland  laissait 
souvent  indécis  des  contours  ou  des  modelés 
qu'il  étudiaitpassionnément,  et  cette  indécision 
même,  intraduisible  en  tapisserie,  ne  peut 
aboutir  qu'à  des  mollesses  déformes,  nuisibles 
à  l'effet  décoratif. 
Il  n'v  a  point  de  décoration  sans   contours 


ration  n'avait  point  produit  des  œuvres  très 
remarquables. 

C'est  toujours  la  conséquence  du  défaut 
d'enseignement  qui  reléguait  au  dernier  plan 
la  composition  décorative,  comme  si  le  seul 
but  de  la  peinture  et  de  la  sculpture  était 
l'exécution  d'une  figure  nue  ou  drapée. 

Depuis  quelques  années,  sous  la  direction 
de  M.  Guiffrey,  la  Manufacture  des  Gobelins 
est  résolument  entrée  dans  une  voie  de  progrès. 


Dessus  de  Porte.  —  Le  Prtntemfs  et 

(iiso!.;) 

nettement  définis,  parce  que  la  traduction  d'une 
forme,  quelle  qu'elle  soit  dans  une  matière 
quelconque,  nécessite  une  interprétation  pré- 
cise, facilement  saisissable  et  bien  adaptée  à  la 
destination  de  l'œuvre.  On  ne  peut  pas  plus 
innover  en  laissant  la  forme  indécise  qu'en  ne 
tenant  pas  compte  des  qualités  propres  à  chaque 
matière.  La  forme  est,  en  somme,  l'expression 
de  l'idée,  et  comment  l'idée  serait-elle  claire  si 
la  forme  est  indéfinie  ? 

Paul  Baudry,  le  merveilleux  décorateur  du 
foyer  de  l'Opéra,  avait  fait  pour  les  Gobelins 
les  figures  de  cartons  qui  ont  été  en  partie  dé- 
truits dans  les  incendies  de  la  Commune  avec 
les  tapisseries  destinées  au  Palais  de  l'Elysée  ; 
les  ornements  et  lesfleursde  ces  cartons  étaient 
faits  par  plusieurs   artistes,  et  cette  collabo- 


lEté. 


Le  nouveau  directeur,  qui  connaît  bien  les 
tapisseries  françaises,  a  su  réveiller  le  goût 
pour  la  simplicité  de  forme  et  de  modelé  qui 
est  l'une  des  qualités  maîtresses  des  œuvres 
anciennes.  Il  a  su  convaincre  M.  Jean-Paul 
Laurens,  et  dès  le  premier  essai,  les  habiles 
ouvriers  des  Gobelins  se  révélaient  les  conti- 
nuateurs des  maîtres  ouvriers,  leurs  ancêtres, 
reprenant  sans  effort  les  traditions  qui  sem- 
blaient perdues. 

L'exécution  en  tapisserie  du  panneau  exécuté 
d'après  le  carton  de  M.  Laurens,  et  dont 
nous  donnons  une  reproduction  en  couleur, 
est  due  à  M.  Emile  Maloisel,  l'habile  sous-chef 
de  l'atelier  de  haute  lisse. 

Après  cet  essai  concluant,  a  été  mise  sur  le 
métier  une  grande  composition  de  M.  Laurens 


J8 


Art  et  Décoration 


représentant  les  «  apprêtsd'unTournoi  »,etdes- 
tince  à  la  salle  publique  des  Archives  nationales. 
Ce  sera  certainement  une  des  œuvres  les  plus 
intéressantes  qu"aura  produites  depuis  long- 
temps la  Ma- 
n  u  facture . 
Nous  y  re- 
trou \erons 

les   tons 
francs  et  har- 

m  o  n  i  e  u  X 
qu'ont  tou- 
jours eus  les 
t  apisseries 
françaises,  et 
qui  ne  s'at- 
ténuent qu'a- 
vec le  temps. 
Si  nous 
avions  la  ma- 
lencontreuse 
idée  de  cher- 
cher l'harmo- 
nie dans  la 
décoloration, 
dereproduire 
les  tons  pas- 
sés des  tapis- 
seriesancien- 
nes,cestapis- 
series  neuves 

auraient  , 


ans,  perdu 
toute  couleur 
et  par  consé- 
q  u  e  n  t  tout 
intérêt. 

Grâce  à  l'i- 
nitiative de 
M.  Guiffrey, 
deux  autres 
œuvres  d'une 
importance  capitale 
métier:     l'une     de 


Uit  tjyis  .s.iriiiineyic  your  le  palais  de  i  Elysée. 

^En  cours  d'exécution.) 


marines  aux  étincellements  de  pierreries,  mar- 
quera dans  l'histoire  de  la  Manufacture  des 
Gobelins.  Bien  que  l'exécution  soit  à  peine 
commencée,  les  parties  faites  ont   tout    l'éclat 

du  modèle  : 
les  tapissiers 
semblent  se 
jouer  dcdifti- 
cultés  qui  se- 
raient insur- 
montables si 
le  peintre  n'a- 
vait affirmé  et 
précisé  par  le 
dessin  et  la 
couleur  les 
moindres  dé- 
tails de  son 
œuvre. 

Les  œuvres 
Je  M.  Roche- 
Q-rosse,  telles 

o 

que  la  mort 
d'Astyanax,le 
festin  de  Bal- 
thasar.lamort 
de  César  ou 
le  Chevalier 
aux  fleurs,  le 

désignaient 
suffisamment 
au  choix  de 
M.  l'Admi- 
nistrateurdes 
Gobelins.  Le 
sujet  qu'il 
avaitàtraiter, 
la  France  en 
Afrique,  a  été 

l'occasion 
d'une  compo- 
sition trèsori- 
ginale.    L'ar- 


ont  ete  mises  sur  le 
M .  Gustave  Moreau , 
l'autrede  M.  Rochegrosse.  M.  Gustave  Mo- 
reau n'est  pas  de  ceux  qui  recherchent  le 
succès  facile  dans  les  expositions;  il  ne  livre 
pas  volontiers  ses  œuvres,  mais  on  peut  dire 
que  chacune  d'elles,  par  sa  poésie  pénétrante, 
reflète  la  haute  pensée  d'un  maitre  qui  n'a 
jamais  rien  sacrifié  à  la'  mode.  La  tapisserie 
qui  représente  «  le  poète  et  la  sirène  »  au  fond 
des  eaux,  au   milieu  d'une  flore  et  d'une  faune 


tiste  a  symbolisé  la  France,  dans  son  œuvre  de 
civilisation,  s'avançant  la  main  tendue  devant  un 
groupe  de  soldats  dont  l'uniforme  clair  s'enlève 
sur  un  ciel  de  feu.  Au  premier  plan  à  gauche, 
sont  des  Africains,  dont  la  peau  brune  à  reflets 
bleus  donne  une  coloration  très  puissante, 
s'harmonisant  avec  le  ton  sombre  de  la  robe 
aux  larges  plis  de  la  France.  M.  Rochegrosse  a 
très  habilement  lie  la  bordure  au  sujet,  en  com- 
posant cette  bordure  de  magnifiques  plantes 
tropicales  entremêlées  d'animaux.   La  tapisse- 


■SI 
■Q  3 


40 


Art  et  Décoration 


rie  très  harmonieuse  tirera  son  effet  de  la  jux- 
taposition de  tons  francs  enfermes  dans  des 
contours  très  précis. 

C'est  par  des  qualités  différentes  que  se  dis- 
tinguera la  tapisserie  de  M.  Albert  Maignan 
représentant  Apollon  et  Daphné.  L'artiste  a 
su  rajeunir  un  ancien  sujet  dans  une  composi- 
tion simple,  soutenue  par  des  tons  chauds  et 
brillants.    Un   autre  panneau,  destiné  au  Tri- 


Le  Toucher.     ,  baudry. 

(r8<i8)  Pour  le  palais  de  rÉlysce. 

bunal  de  Commerce  et  représeniant  la  «  Jus- 
tice consulaire  »,  n'est  pas  moins  intéressant 
par  la  forme  et  la  couleur  que  par  le  choix  des 


attributs  qui  révèle  le  goût  de  l'artiste  et  de 
Térudii. 

Une  œuvre  considérable,  représentant  la 
«  Mission  de  Jeanne  d'Arc», est  entreprise  de- 
puis l'année  dernière  d'après  les  compositions 
de  M.  Jean-Paul  Laurens.  Par  la  simplicité 
des  scènes,  par  le  style  des  figures,  par  l'har- 
monieuse vigueur  des  tons,  la  tapisserie  de 
«  Jeanne  d'Arc  »  se  rapprochera  des  belles  ta- 
pisseries françaises  de  nos  cathédrales.  Ceux 
qui  contestent  l'existence  d'un  style  à  notre 
époque  ne  manqueront  pas  de  critiquer 
l'œuvre  comme  entachée  d'archéologie.  Il  faut 
cependant  admettre  que  la  convention  du  cos- 
tume historique  s'applique  à  toutes  les  œuvres, 
à  la  tapisserie  comme  à  la  peinture  et  à  la  sculp- 
ture, et  je  ne  pense  pas  qu'on  puisse  aujour- 
d'hui représenter  Jeanne  d'Arc  en  costume  mo- 
derne à  la  tête  d'un  peloton  de  cuirassiers.  Je 
ne  vois  pas  non  plus  les  personnages  d'un 
tournoi  en  costume  de  jockeys,  et  je  n'ai  ja- 
mais cru  que  la  caractéristique  d'une  œuvre 
moderne  fut  le  costume  moderne. 

Je  ne  puis  donc  faire  un  crime  à  M.  Leloir 
d'avoir  utilisé  les  modes  et  les  ornements  du 
siècle  dernier  pour  sa  gracieuse  composition 
du  «  Roman  au  xvin'"  siècle  ».  Il  en  est  de 
même  de  la  suite  de  tapisseries  exécutée 
d'après  les  cartons  de  M.  Joseph  Blanc  pour  la 
décoration  d'une  ancienne  salle  au  Palais  de 
Justice  de  Rennes.  Le  peintre  était  tenu  d'ac- 
corder sa  composition,  pour  l'échelle  et  le 
caractère  des  figures  aussi  bien  que  pour  les 
colorations,  avec  le  plafond  et  l'ornemen- 
tation générale  de  la  salle.  Il  est  certain  que 
les  tapisseries  de  AL  Blanc  feront  en  place  un 
excellent  effet. 

M.  Guiffrey  a  eu  le  rare  mérite  de  trouver 
des  artistes  dont  le  talent  pût  se  plier  aux  exi- 
gences d'une  décoration  en  tapisserie.  La  tache 
était  d'autant  plus  difficile  que  la  composition 
décorative  est  depuis  trop  longtemps  négligée, 
et  que  trop  souvent  le  peintre  s'imagine  avoir 
fini  son  œuvre  lorsqu'il  a  dessiné  ses  figures, 
abandonnant  à  des  décorateurs  de  profession 
la  partie  la  plus  intéressante  de  son  œuvre,  celle 
où  pourrait  le  mieux  s'accuser  sa  personnalité. 

Bien  rares  sont  les  artistes  qui,  comme 
M.  Olivier  Merson  ou  M.  Grasset,  ont  su 
faire  œuvre  d'art  avec  le  décor  d'un  livre  ou 
d'un  tapis,  ne  dédaignant  rien  de  ce  qui,  dans 
toute  manifestation  de  la  pensée,  peut  se  prê- 
ter à  une  expression  artistique.  Aussi  M.  l'Ad- 
ministrateur des  Gobelins  n'a  eu  garde  d'où- 


La  Tapisserie  a  la    Manufacture  des  GoheJins 


41 


blier  MM.  Merson  et  Grasset,  et  ce  sera  jour 
de  fête  à  la  Manufacture  que  celui  où  seront 
reçus  les  cartons    qui  leur  sont   commandés. 

La  fabrication  des  tapis  dits 
de  «  Savonnerie  »,  c'est-à-dire 
des  tapis  de  haute  laine  dont 
la  composition  ne  peut  guère 
comporter  la  figure,  mais  ad- 
met toutes  les  combinaisons 
linéaires,  toutes  les  adapta- 
tions de  la  flore  et  de  la  faune, 
n'a  point  encore  donné,  à  mon 
avis,  les  résultats  qu'on  est  en 
droit  d'attendre.  Les  décora- 
teurs de  profession,  qui  oni 
jusqu'ici  fourni  les  dessins  des 
tapis,  font  de  la  flore  des  appli- 
cations banales,  dépourvues 
de  caractère,  simulant  par  le 
modelé  et  les  ombres,  des  re- 
liefs inquiétants  pour  un  tapis 
sur  lequel  on  marche. 

On  abuse  aussi,  dans  les 
cartons  des  tapis,  de  l'harmo- 
nie trop  facile  des  tons  neu- 
tres ;  on  n'ose  pas  aborder  les 
colorations  puissantes  ,  le 
rouge,  le  jaune  orangé,  le 
blanc,  le  brun  noir  ou  le  bleu 
foncé,  qui  donnent  tant  de 
prix  aux  tapis  persans.  Et  ce- 
pendant, le  muséede  la  Manu- 
factureestriche  entapisorien- 
taux  qui  sont  des  modèles  de 
composition  et  de  couleur.  Il 
n'est  pas  question  d'en  copier 
les  formes,  mais  ils  peuvent 
suggérer,  dans  des  contours 
absolument  modernes,  l'idée 
de  taches  de  couleur  harmo- 
nieusement et  savamment  dis- 
tribuées. 

Sans  doute  les  compositions 
de  M.  Libert  qui  sont  aujour- 
d'hui sur  le  métier,  fourniront 
des  tapis  agréables  de  dessin  et  de  couleur,  mais 
ne  différant  que  par  la  perfection  de  l'exécution 
de  ceux  qu'on  produit  dans  l'industrie.  D'ailleurs, 
une  œuvre  n'a  de  caractère  qu'à  la  condition 
d'être  faite  pour  une  place,  d'avoir  une  destina- 
tion qui  détermine  le  choix  des  ornements,  leur 
échelle,  la  valeur  des  colorations.  Une  œuvre 
sans  destination  est  nécessairement  banale. 

Frappé    de    ces    inconvénients,    j'avais   de- 


mandé qu'un  tapis  fût  donné  comme  sujet  de 
concours  de  composition  décorative  aux  élèves 
architectes  de  l'Ecole  des  Beaux-Arts,    et^  le 


AfoUon  et  D, 
(Kn  cours  d'exéc 


liUon.) 


.\.    MAIGNAN". 


"  tapis  pour  la  Cour  de  Cassation  »,  sujet  du 
concours  Rougevin,  a  été  l'occasion  décompo- 
sitions originales. 

La  décoration  d'un  tapis  relève,  en  effet,  de 
l'architecture,  et  notre  Ecole  a  forme  d'assezbril- 
lants  élèves,  pour  que  nous  puissions  y  recruter 
quelques  artistes  capables  de  faire  sur  un  pro- 
gramme précis  le  carton  d'un  tapis  de  Savonnerie. 

D'une  manière  générale,  pour  les  tapisseries 

6 


42 


Art  et  Décoration 


de  haute  lisse  comme  pour  les  tapis,   je  crois  nant    les    valeurs    des    colorations   devraient 

inutile  que  le  peintre  fournisse  une   peinture  suffire.    On  gagnerait  ainsi    du    temps    et    on 

achevée  comme  un  tableau,  qui  l'entraîne  for-  faciliterait  l'exécution  de  modèles  dont  l'inter- 

ccment  à  exagérer  les  nuances,  et  qui  restreint  prctationcn  tapisserie  n'exige  nullement  l'exé- 

beaucoup  trop  l'initiative  du  tapissier.  Autant  cution  complète  d'un  tableau. 

le  dessin  doit  être  d'une  précision  absolue,  au-  Ce  sont  là   des  progrés  qui    seront    réalisés 


La  conquête  de  t  Afrique. 
(Kn  cours  d'exéculiun.; 

tant  la  couleurdoitêtre  localisée  par  tonsfrancs 
dans  des  contours  précis,  en  évitant  les  nuances 
de  modelé  qui  nuisent  à  l'effet  décoratif. 

Si  l'exagération  des  nuances  est  critiquable 
dans  le  carton  que  doit  copier  le  tapissier,  elle 
est  inexplic.ible  dans  l'esquisse  à  échelle 
réduite  et  ne  peut  donner  qu'une  idée  fausse 
aux  membres  du  Conseil  de  perfectionnement 
auxquels  l'esquisse  est  soumise.  On  pourrait 
considérablement  réduire  ces  travaux  prépara- 
toires, destinés  à  être  interprétés  par  des 
artistes  tels  que  les  ouvriers  de  la  Manufac- 
ture. Un  dessin  précis  de  même  grandeur  que 
le  tapis  et  une  aquarelle  à  échelle  réduite  don- 


aisément.  Ce  qu'il  importait  de  faire  connaître 
à  une  époque  oîi  l'on  critique  volontiers  l'in- 
tervention de  l'État  dans  le  domaine  des  arts, 
c'est  la  merveilleuse  organisation  d'une  Manu- 
facture, véritable  pépinière  d'ouvriers  artistes, 
où  il  a  suffi  de  quatre  années  d'une  direction 
intelligente  et  dévouée  pour  reprendre  la  tra- 
dition interrompue  des  tapisseries  françaises, 
créer  des  modèles,  simplifier  l'exécution  et 
donner  à  cette  phalange  d'artistes,  d'ouvriers 
et  d'apprentis  une  impulsion  qui  assurera  à  la 
fabrication  française  une  incontestable  préé- 
minence :  nous  en  aurons  la  preuve  en  ii)(io. 

Lucien  Magne. 


Conclusion   sur  la   Peinture  aux   Salons 


i:s  deux  Salons  sont  que  vont  disparaître  les  loeaux  où  Ton  se  diri- 
t'ermés  depuis  bien-  geait  par  habitude.  Essayer  de  formuler  une 
tôt  deux  mois,  mais  conclusion  après  tout  ce  débordement  de  pein- 
la  sisnitication  véri-  ture,  de'gager  une  morale  des  divergences  qui  se 
sont  révélées  dans  le  goût  et  la  recherche,  c'est 
là  une  tcàche  fort  attirante  ;  et  aussi  bien,  puisque 
Ton  m'y  convie,  le  tenterai-je  volontiers. 
Pour   cela,   il    est    nécessaire    d'en    revenir 


table     ne    s'en    pré- 
cise que  mieux  pour 


nous    :     le    moment 
nous    invite    à    nous 


laisser   aller  à   quel-      sans  cesse  aux  lois  générales  de  la  peinture 
ques  réflexions  d'ensemble  sur  les  tendances      à    ses    moyens    d'expression    et    à    sa    desti- 


d'art  qui  se  sont  manifestées,  ou  sur  les  idées 
qui  doivent  de  plus  en  plus  présider  à  toute 
conception  artistique.  Notre  souvenir  se  re- 
porte maintenant  aux  œuvres  qui  nous  ont  paru 
le   plus    significatives  ;    quelques    noms    s'im- 


nation,  d'autant  mieux  que  cette  destination 
change  suivant  les  époques,  et  que  les  mêmes 
édifices  ne  s'ouvrent  pas  toujours  aussi 
généreusement  à  la  décoration  picturale.  Au 
xiv'  siècle,  on  peut  dire  que  le  tableau  n'exis- 


posent  encore  à  notre  mémoire,  après  tout  ce  tait  guère,  et  que  la  peinture  était  presque  exclu- 

que  l'on  a  déjà  dit  :  et  sans  doute,  toute  cette  sivement    murale;    au    xve    siècle,   ce   furent 

longue  suite  de  Salons  annuels  ne  doit   pas,  surtout     les     églises     qui     fournissaient    aux 

pour  être  vraiment  profitable,  s'écouler  et  s'éva-  peintres  de  vastes  surfaces  à  couvrir;  aux  siè- 

nouir  dans  le  passé  et  dans  le  vide,  sans  donner  clés   suivants,  la  peinture  pénètre   déplus  en 

prise  à  quelques  remarques  fixes,  qui  en  conser-  plus   dans   les    palais    et    les    villas.     Aujour- 

vent  les  traces  successives.  Ce  n'est  pas  assez  d'hui,  l'art   ne  reçoit  plus  que  rarement  une 

de  distinguer  les  Salons  et  de  les  dater  par  le  aussi  large  hospitalité,  et  la  grande  décoration 

nom  du  peintre  auquel  est  échue  la  Médaille  n'a  pas  souvent  l'occasion  de  se  donner  libre 

d'Honneur,  comme  l'année  sportique  se  dési-  jeu.  Nous  avons  eu  le  Panthéon;  nous  avons 

gne  par  le  gagnant  du  Grand-Prix  :  c'est  en  surtout  maintenant  la  Nouvelle   Sorbonne   et 

quelque   sorte  le  bilan  de  l'art  qu'il  faudrait  l'Hôtel  de    Ville,    qui    ont    fait    une    grande 

pouvoir  établir  tous  les  ans;  et  cette  fois-ci,  il  consommation  de  décorateurs,  et  auxquels  il 

semble  que  nous  soyons  appelé  à  cet  examen  sera,  souhaitons-le,  beaucoup   pardonné.    Le 

par  une    solennité  particulière,  et  qu'une  pé-  Sacré-Cœur  ne  semble   pas  bouger   pour  le 

riode  d'expositions  s'achève,  en  même  temps  moment,  et  ne  songe  pas  sans  doute  à  ramener 


44 


Art  et  Décoration 


les  beaux  jours  de  Santa  Maria  Noveila.  De 
temps  en  temps,  quelque  mairie  tient  à  faire 
peindre  une  noce  de  banlieue  dans  sa  salle  des 
mariages;  et  c'est  à  peu  près  tout.  La  grande 
peinture  décorative,  qui  fournissait  autrefois 
toute  la  matière  de 
l'art,  ne  doit  donc 
former  aujourd'hui 
qu'une  part  minime 
des  œuvres  peintes. 
Et  cependant ,  un 
grand  nombre  d'ar- 
tistes s'obstinent,  si- 
non à  la  peinture  pu- 
rement murale,  du 
moins  à  de  vastes 
compositions  allégo- 
riques ,  historiques 
ou  légendaires,  qui 
ne  sauraient  trouver 
place  sous  tous  les 
plafonds.  Quand 
l'auteur  n'a  pas  visé 
ainsi  une  récom- 
pense marquante,  il 
s'efforce  d'obtenir  l'a- 
chat de  son  tableau 
par  l'Etat ,  regardé 
toujours  par  les  ar- 
tistes comme  le  ga- 
rant et  l'acquéreur 
naturel  des  fortes  di- 
mensions. Si  le  pein- 
tre aboutit  dans  ses 
intrigues,  sa  toile  va 
alors  compléter,  non 
pas  l'ornement  d'un 
palais  national,  mais 
un  panneau  de  salle 
de  Musée;  or,  l'on 
s'habitue  trop  à  regarder  les  Musées  comme 
l'unique  et  le  plus  digne  réceptable  de  toute 
œuvre  d'art.  Si  les  démarches  échouent,  le 
tableau  regagne  le  seul  domicile  qui  consente 
à  le  recevoir,  le  fond  de  l'atelier,  d'où  il  ne  sor- 
tira probablement  plus. 

C'est  à  la  Bibliothèque  de  la  nouvelle  Sor- 
bonne  qu'est  réservé  le  plafond  de  M.  Dubufe; 
sachons-lui  tout  au  moins  gré  de  nous  donner 
texte  à  quelques  réflexions  sur  la  légitimité  du 
genre.  Les  discussions  que  l'on  voit  se  repro- 
duire, chaque  année,  sur  la  peinture  plafon- 
nante ou  non  plafonnante,  me  paraissent,  en 
déliniiive,  assez  oiseuses  ;  et  peut-être  serait-il 


Panneau  décoratif. 


temps  de  convenir,  en  toute  franchise,  qu'une 
peinture  de  plafond  est  toujours  fort  désa- 
gréable à  regarder.  Il  faut  reconnaître,  sans 
parti  pris,  dans  cette  invention  de  l'art,  une 
immense   erreur,   à   laquelle  les  plus  grands 

décorateurs  ont  pu 
se  laisser  entraîner, 
mais  que  les  nou- 
veaux édifices  offi- 
ciels ont  grand  tort, 
je  crois,  de  perpé- 
tuer. Seule,  la  Sixii- 
ne  est  capable  d'a- 
néanti r,  dans  l'ébran- 
icment  prodigieux  de 
toutes  les  puissances 
du  génie,  cette  faute 
originelle  de  la 
conception  pictu- 
rale ;  dirai-je  même 
que  l'on  peut  voir 
dans  les  poses  dou- 
loureuses de  pos- 
sédé auxquelles  nous 
force  le  spectacle  de 
cette  voûte,  une  pré- 
paration significa- 
tive, une  sorte  d'in- 
troduction au  mys- 
tère qui  va  s'accom- 
plir en  nous  sous  la 
terrifiante  domina- 
tion de  l'iêuvre  sur- 
humaine ? 

C'est  du  moins  une 
œuvre  de  grand  style, 
et  de  véritable  portée 
décorative,  que  le' 
carton  de  Puvis  de 
Chavannes,  conçu 
pour  une  destination  bien  déterminée. 

Voilà  déjà  bien  des  années  que  la  première 
partie  de  l'histoire  de  Sainte  Geneviève,  peinte 
au  Panthéon,  avait  contribué  à  établir  définiti- 
vement l'universelle  renommée  du  Maître.  Le 
crayon  nous  donne  déjà  une  haute  idée  de  ce 
que  sera  cette  nouvelle  suite  de  trois  panneaux. 
M.  Puvis  de  Chavannes  a  acquis  encore  avec 
le  temps  une  composition  plus  pleine  et  plus 
nourrie,  si  l'on  peut  ainsi  dire;  l'ordonnance 
des  groupes  y  est  devenue  plus  condensée,  tout 
en  restant  d'une  ligne  simple  et  imposante.  La 
procession  qui  sort  de  la  ville  et  s'avance  au 
devant  de  la   sainte,    les  débardeurs    qui  dc- 


BOIKINE. 


Conclusion  sur  la  Teinture  aux  Salons 


45 


chargent  les  barques  de  ravitaillement,  les  mu- 
railles mêmes  de  Paris,  tout  cela  se  trouve  très 
fermement  situé  et 
établi,  et  nous  com- 
munique une  très 
grande  impression. 
On  a  déjà  parlé  ici 
de  la  robuste  pein- 
ture de  M.  Jean- 
Paul  Laurens,  qui 
témoigne  aussi  sû- 
rement d'une  maî- 
trise sans  cesse  re- 
nouvelée. Mais  il 
ne  faut  pas  omettre 
la  frise  composée 
par  M.  Victor 
Prouvé  pour  la 
mairie  d'Issy,  La 
Me,  d'un  arrange- 
ment très  souple  et 
d'une  jolie  qualité 
de  couleur,  avec 
cette  ronde  d'en- 
fants qui  monte  à 
droite  de  la  berge, 
et  le  groupe  noble 
et  triomphant,  au 
centre,  de  la  mère 
et  du  nourrisson, 
tandis  que  se  dé- 
roule dans  le  fond 
un  de  ces  paysages 
attendrissants  des 
bords  de  la  Seine, 
à  la  fin  d'une  belle 
journée  d'été.  Mais 
pourquoi  faut- il 
que  dans  les  coins 
s'imposent  des  cou- 
ples vulgaires,  qui 
accusent  trop  un 
lieu  et  une  date  à 
cette  souriante  ap- 
parition de  la  vie. 
et  qui  nous  rap- 
pellent que  c'est 
aux  Moulineaux 
que  nous  sommes? 
Immédiatement 
s'évoquent  pour 

nous  des  odeurs  de  guinguettes  et  les  silhouet- 
tes propres  aux  environs  des/or/ifo  :  voilà  qui 
n'est  plus  de  la  décoration. 


Eve. 


Il  faut   bien  dire  aussi    un   mot    du    grand 
tableau  de  M.  Henri  Martin,  Vers  l'Abîme  dont 

le  sujet  symbolique 
et  les  proportions, 
et  aussi  le  parti  pris 
des  grandes  lignes 
du  paysage,  font, en 
quelque  manière , 
une  œuvre  décora- 
tive. Reconnais- 
sons d'abord  que 
l'idée  en  semble 
beaucoup  plus 
claire  qu'on  ne  l'a 
voulu  voir  en  géné- 
ral ;  le  grand  défaut, 
c'est  que  l'exécu- 
tion en  reste  encore 
trop  aride  et  trop 
frénétique,  le  mo- 
delé trop  uniforme 
encore  dans  les 
figures  et  les  ter- 
rains, bien  qu'on  y 
distingue  cepen- 
dant plus  de  soli- 
dité et  de  cohésion 
que  par  le  passé. 
Pour  s'imposer 
dans  la  totalité  de 
cette  large  surface, 
il  faudrait  à  l'œu- 
vre un  accord  plus 
soutenu  et  moins 
heurté  des  formes 
et  des  colorations, 
venant  discipliner 
et  assouplir  les  qua- 
lités d'àpreté  et  de 
vigueur  qu'il  faut  y 
remarquer. 

Voilà  à  peu  près 
les    seules    œuvres 
des  Salons  que  l'on 
puisse  classer  dans 
la    grande  décora- 
tion, en  élargissant 
même  la  significa- 
tion immédiate  de 
ce  mot.  Mais  si  la 
peinture    murale 
ne  trouve  plus  à  s'employer  fréquemment,  est- 
ce  à  dire  qu'il  n'y  ait  plus  à  faire  œuvre  de 
décorateur?  Au  contraire,  dirai-je;  mais  nous 


LEVY-DHURMEK. 


46 


Art  et  Décoration 


devons  comprendre  autrement  la  peinture  dé-  gager  dans  cette  voie   longtemps  négligée  de 

corative.  L'artiste  doit  songer  à  élaborer  autre  l'art.    Bien  d'autres  artistes  ont  droit  à  notre 

chose  dans  son  atelier  que  de  grands  tableaux  considération   et  cherchent,  avec  eux,  à  nous 

de   galeries,  sans   préoccupation    de    jour   ou  toucher  par  des  tigures  qui  prennent  dans  le 

d'entourage.  Ce  sont  les  tableaux  de  chevalet  site  et  la  posture  où  elles  nous  apparaissent,  ou 

qui  devront  procéder  de  l'art  ornemental;  car  dans  l'action  à  laquelle  elles  participent,  une 

c'est  à  toute  oeuvre  d'art  qu'il  appartient  d'être  signification  humaine  et  allégorique,  qu'il  faut 

décorative;  et  il  s'agit  de  concevoir  une  pcin-  prendre  garde  toutefois  de  compliquer  d'inten- 


Plafoiui  fow  la  Soibonnc. 

ture  d'intérieur,  pour  ainsi  dire,  qui  prendra 
toute  sa  valeur  sous  l'éclairage  assombri  et  dans 
la  retraite  intime  de  nos  appartements,  .le  pré- 
vois d'autres  occasions  de  revenir  plus  tard  sur 
ce  que  l'on  pourrait  entendre  par  le  caractère 
décoratif  de  la  peinture;  on  comprend  en  tout 
cas  que  les  préoccupations  de  plein  air  et  de 
relief  ne  devront  pas  dominer  les  'efforts  de 
l'artiste,  et  qu'il  y  faut  chercher  par  dessus 
tout  le  style,  l'arrangement,  la  ligne  et  l'har- 
monie, en  même  temps  que  l'intensité  expres- 
sive du  sujet.  On  a  déjà  relevé  ici  le  mérite 
des  compositions  de  MM.  René  Ménard  et 
Aman-Jean,  qui  ont  été  des  premiers  à  s'en- 


tions  par  trop  littéraires.  Là  réside  en  effet  le 
grand  écueil,  et  les  peintres  du  plus  haut  mé- 
rite ne  l'ont  pas  toujours  évité.  Parmi  les 
artistes  dont  les  Salons  de  cette  année  ont 
laissé  en  nous  le  souvenir,  il  convient  de  rap- 
peler au  moins  aux  Champs-Elysées  MM.  Fan- 
lin-Latour  —  bien  que  les  formes  souples  et 
balancées  paraissent  devenir  sur  ses  toiles  trop 
inconsistantes  —  Raphaël  Collin,  Albert  Lau- 
rens,  Bellery-Desfontaines.  On  n'a  pas  oublié 
sans  doute  l'Eve,  de  M.  Lévy-Dhurmer,  appa- 
rue dans  un  radieux  enchantement,  et  que 
nous  reproduisons  ici.  Nous  ne  saurions  trop 
en   relever    la  ligne    élégante,  et  cette  ordon- 


Conclusion  sur  la  Peinture  aux  Salons 


47 


nance  savante,  serrée  et  harmonique,  qui  est 
bien,  dans  toutes  les  œuvres  du  peintre,  la 
marque  d'un  esprit  pénétré  du  vrai  sentiment 
décoratif.  Il  faut  noter  au  Champ-de-Mars,  les 
savoureuses  peintures  de  MM.  Ary  Renan,  Lu- 
cien Monod,  Lecmpnels,deMii''  Rœders- 
tcin;  les  colorations  puissantes 
et  fastueuses  de  M.  La  Tou- 
che, qui  devrait  se  résou 
dre  à  mieux  ordonner 
et  définir  ses  riches- 
ses, et  celles  de 
M.Brangwvn.qui 
restent  malheu- 
reusement trop 
un  échantillon- 
nage de  beaux 
tons  assourdis. 
Et  M.  Botkine 
a  tiré  de  très  heu- 
reux effets  de  la 
franche  donnée 
de  simplification 
selon  laquelle  il 
a  interprété  quel- 
ques figures  de 
femmes. 

Le  portrait  lui- 
même    saura    se 
plier    au    senti- 
ment    décoratif, 
et   la  physionomie 
du  modèle   se  révc- 
leraainsi  bien  pluspro 
fondement,  car  tout  sera 
disposé    dans    le    tableau 
pour  la  mieux  formuler,  et  on 
la     pénétrera     plus     à    loisir 
dans  la  chambre  où  elle  vien- 
dra prendre  place  en  silence. 

La  belle  exposition  des  Portraits  de  femmes 
et  d'enfants  nous  a  permis  de  voir  bien  des 
modèles  de  ces  visages,  présentés  dans  une 
pose  qui  serve  à  les  définir,  sans  troubler 
l'allure  tranquille  que  doivent  garder  ces 
figures  muettes.  L'école  anglaise  du  siècle  der- 
nier a  spécialement  compris  ce  prestige  de 
l'arrangement  et  du  style;  mais  nous  n'avons 
pas  à  en  être  jaloux,  car  il  est  facile  de  s'aviser 
de  tout  ce  que  les  peintres  anglais  ont  décou- 
vert chez  nous,  et  emprunté  en  particulier  à 
notre  Greuze. 

Cette  conception  du  portrait  nous  transporte 
bien  loin  de  la  recherche  photographique,  qui 


Piirtrjît. 


fait  saillir  sur  la  toile  toutes  les  grimaces  carac- 
téristiques, toutes  les  rides,  toutes  les  flétris- 
sures que  le  peintre  tenace  a  observées  sur  le 
visage  de  son  modèle.  Il  n'y  a  pas  longtemps 
que  le  plus  bel  éloge  que  l'on  pensât  faire  à  un 
portrait,  c'était  cette  simple  exclamation: 
«  Comme  il  sort  du  cadre!    » 
Nous  croyons  au  contraire 
qu'un  portrait  ne  doit  pas 
s'avancer    à    l'impro- 
viste,  comme  un  in- 
trus; mais  que,  fixé 
à   la    muraille,    il 
doit     rester    en- 
foncé   dans    son 
cadre,    s'allier   à 
la    trame    de    la 
tenture,    tout  en 
surgissant,  peu  à 
peu,   semble-t-il, 
quand   nos  yeux 
se  poseront  lon- 
guement sur  lui. 
Il  ne  suffît  pas 
non  plus  que  le 
portrait     révèle 
chez  l'artiste  une 
habileté     singu- 
lière, la  connais- 
sance   de    toutes 
les  ruses  du  mé- 
tier, si  loin  qu'elle 
soit    poussée,  et  la 
oie  dépeindre,  d'éta- 
ler de    beaux     tons    de 
chairs  ou  d'éi(}ft'es,oud'en- 
.- ver  avec  au  tant  d'aisance  que 
d'éclat  une  tête  sur  un  fond.  Ce 
sont    là   des    qualités  qu'il    ne 
faut    pas     mépriser,     pourvu 
qu'elles  soient  modérées   par  d'autres  soucis; 
ce  n'est  pas  assez   d'être    un    peintre    pour  se 
faire  l'analyste  et  l'historien  d'une  physiono- 
mie, il   faut  être  aussi  un  penseur. 

Enfin,  nous  reviendrons  aussi  de  ces  portraits 
à  grand  fracas,  qui  semblent  pétiller  dans  tous 
les  sens,  et  suffisent  à  désorganiser  à  eux  seuls 
toute  harmonie  entre  les  meubles  divers  d'un 
salon.  M.  Besnard  lui-même  semble  désabusé 
de  la  dangereuse  vanité  des  robes  couleur 
de  feu.  Et  nous  pouvons  ranger  dans  la  même 
classe  ces  portraits  comme  nous  en  connais- 
sons, où  les  détails  accessoires  —  les  pelisses, 
les  chapeaux  lustrés  et  les  complets  du  bon 


].    BLANCHE. 


48 


/In  et  Décoration 


faiseur,  ou  bien  les  cannes  de  camelote  — 
prennent  une  importance  outrageante  pour  la 
physionomie  humaine. 

Après  ces  réflexions,  il  serait  oiseux  de  dire 
quels  sont  les  talents  qui  nous  paraissent 
condamnables.  Il  suffit  de  citer  en  hâte,  parmi 
ceux  qui  tentent  de  nous  donner  des  portraits 
plus  recueillis,  plus  composés  et  plus  péné- 
trants, MM.  Blanche,  Dagnan-Bouveret,  Aman- 
Jean,  Lévy-Dhurmer,  René  Ménard,  Burnand, 


surtout  le  caractère  grandiose,  ample  et  serein, 
comme  le  fait  \T.  Harpignies,  soit  que  l'on  en 
veuille  manifester  la  majesté  écrasante  et  aride 
devant  l'infirmité  des  hommes,  suivant  la  ma- 
nière de  M.  Demont-Breton,  ou  soit  que  l'on 
tente  d'associer  de  plus  près  la  nature  à  nos 
souvenirs,  à  nos  angoisses  et  à  nos  regrets, 
comme  le  montrent  quelques  études  récentes 
de  M.  Helleu.  La  recherche  même  la  plus  sin- 
cère de  la  nature  peut   ne  pas  se  départir  du 


m 


Dcciii.iliuii 


l.i  Mairie  d  Issy  .Fragment). 


V.   PROUVE. 


de  la  Gandara,  Boutet  de  Monvel,  —  et  Bol- 
dini,  malgré  ses  exubérances  de  gestes. 

De  M.  Blanche,  nous  donnons  dans  ce  nu- 
méro le  Portrait  de  Af^e  la  Princesse  '" ,  qui, 
pour  n'avoir  pas  été  exposé  au  Salon,  n'en  est 
pas  moins  de  la  meilleure  façon  de  l'artiste. 
La  reproduction  permet  déjà  d'apprécier  cette 
sorte  de  plénitude  aisée  du  métier,  cette  dis- 
tinction d'allure,  cette  union  souple  et  ondu- 
leuse  de  la  Hgure  et  de  l'entourage,  qu'ont  si 

heureusementdéveloppés  les  modèles  de  l'école 
anglaise. 

Le  paysage  s'ennoblit  aussi  de  la  dignité 
d'une  recherche  décorative,  et  quelques  exem- 
ples que  nous  avons  sous  les  yeux  suffisent  à 
l'affirmer,  soit  que  l'on  s'efforce  d'en  exprimer 


sentiment  de  l'effet  et  de  l'ordonnance,  et  les 
tableaux  de  NL  Cazin  réussissent  bien  à  le 
prouver. 

Ces  aperçus  en  diront  assez,  je  le  pense,  et 
je  n'ai  pas  besoin  de  m'attarder  à  des  conclu- 
sions. Dans  toute  œuvre,  l'artiste  doit  avoir  à 
se  déterminer,  à  choisir,  à  agencer,  à  exprimer. 
Si  les  conditions  de  l'art  ne  cessent  d'évoluer 
avec  les  nécessités  de  l'existence  et  la  tournure 
des  esprits,  tout  artiste  véritable  doit  corn 
prendre  ces  conditions  telles  que  son  époque  les 
réclame,  et  se  reporter  d'ailleurs  aux  règles 
perpétuelles  de  l'art,  autour  desquelles  on  a 
peut-être  trop  longtemps  gambadé. 

Gustave  Soulier. 


Clicinnice  (Actail). 


L'ART   DOMESTIQUE   DE   M.   VALLGREN 

u  nombre  des  artistes  qui  une  élégance  de  formes  sveltes  et  affinées,  au 
ont  le  plus  le  sens  de  la  charme  d'une  imagination  mystique  et  senti- 
sculpture  moderne,  il 
faut  assurément  comptci' 
M.  Vallgren.  Dans  tout  ce 
qu'il  tente,  figure  d'expres- 
sion en  marbre,  en  bronze 

ou  en  pierre  teintée  selon  le   procédé  qu'il  a 

inauguré,  ou  même  dans  un  simple  buste,  il 

s'efforce  de   faire  œuvre  intime  et  décorative. 

Ces  visages  qui  s'accoudent  pensivement,  qui 

s'extasient  ou  s'apitoient  sous  la  révélation  de 

la  jeunesse   ou  du  deuil,   trouvent  bien   leur 

entourage    nécessaire    dans    les    appartements 

où  s'abrite  notre  vie  quotidienne.  Aussi  affec- 

tionne-t-il  particulièrement  les  statuettes  et  les 

groupes  de  dimensions  réduites,  qui  prennent 

sur  une  table  ou  sur  une  étagère  une  véritable 

valeur    de    bibelot.    On    connaît    de    lui    une 

série  d'Unies  cinéraires,  de  Pleureuses  et  de 

Maternités  (l'une    d'elles    est    au    Musée    du 

Luxembourg),  où  il  a  réussi  à  mettre  sur  les 

figurines  modelées  toute  la  prostration  et  tous 

les  soubresauts  de  la  douleur.  Il  choie  son 
I  œuvre  d'une  main  tendre  et  compatissante; 
1  il  l'habille  et  la  caresse,  pour  ainsi  dire,  d'ad- 
I  rnirables  patines,  laissant  tantôt  sur  le  bronze 
1  comme  un  reflet  de  flamme  vorace,  et  qui  se 

glacent   tantôt    en    reflets    mauves    ou    verts, 

comme  si  la  statuette  avait  séjourné  au  fond 

des  eaux. 
Dès  longtemps  aussi,  et  l'un  des  premiers, 

M.  Vallgren  s'est  appliqué  à  donner  à  d'humbles 

objets    usuels  tout  l'imprévu  et  la  séduction 

dune  œuvre  d'art.  Aux  Salons  du  Champ-de-       mentale,  grâce  à   laquelle  toute  pensée  prend 

Mars  ont  déjà  figuré  des  tentatives  très  diverses      aussitôt  figure.  Et  par  là  se  découvre,  à  vrai 

laites  dans  cette  voie.  L'artiste  s'y  reconnaît      dire,  le  tempérament    de  l'homme  du   Nord, 

toujours  à  certaines  inflexions  habituelles,  à      l'àme    du   Finlandais    qu'est    M.   Vallgren,    le 

7 


Miroir  à  main  (revers). 


50 


Art    et    Décoration 


cerveau  qui  a  été  nourri  de  légendes  dès  son 
origine,  et  qui  ne  cesse  de  s'entretenir  de  ses 
propres  songeries.  II  n'y  a  jamais,  dans  l'idée 
de  ses  œuvres,  aucun  symbole  obscur  et  péni- 
blement concerté;  c'est  au  contraire  la  vision 
naturelle  d'un  esprit  délicat  et  rêveur  qui  donne 
carrière  au  ciseau  ou  à  l'ébauchoir,  d'un  mou- 
vement aisé.  La  précieuse  vertu  des  pays  Scan- 
dinaves, ce  n'est  pas  tant  de  fournir  aux  carac- 
tères qu'ils  développent  le  trésor  héréditaire 
des  fables  antiques,  que 
de  former  des  âmes  lé- 
gendaires, qui  ne  s'ar- 
rêtent point  à  une 
mythologie  officielle, 
mais  aspirent  devant 
elles  le  libre  espace  où 
peuvent  éclore  pour 
chacun,  selon  l'incli- 
nation de  ses  songes 
coutumicrs,  les  irréelles 
figures  de  mythes  per- 
sonnels. C'est  ainsi  que 
l'on  parvient  rapide- 
ment à  relever  le  prin- 
cipe fondamental  et  le 
thème  générateur  dont 
s'inspire  toute  la  déco- 
ration de  M.  Vallgren. 
On  pourrait  dire  que 
toutes  ses  idées  déco- 
ratives se  ramènent  à 
l'assimilation  de  la  vie 
végétale  et  de  la  vie 
humaine.  Il  associe  les 
fleurs  au  sentiment  de 
la  joie  ou  de  la  souf- 
france; les  formes  de 
fleurs  s'apparient  pour 
lui  à  des  formes  de 
femmes  :  elles  fleuris- 
sent ensemble,  pour  ainsi  dire;  et  des  calices 
ouverts,  il  fait  surgir  des  sortes  de  Filles-Fleurs, 
qui  semblent  s'épanouir  elles-mêmes,  comme 
d'une  tige  que  formeraient  leurs  jambes  frêles, 
dans  le  mouvement  souple  et  rigide  de  leurs 
hanches  étroites  et  de  leur  buste  dressé.  C'est 
là  l'attitude  des  figures  de  femmes,  auréolées 
de  grandes  fleurs  de  soleils,  qui  forment  l'inté- 
ressant lustre  en  cuivre  que  l'artiste  exposait, 
il  y  a  deux  ans,  au  Champ-dc-Mars;  et  c'est 
à  peu  près  la  même  conception  que  l'on  retrouve 
dans  l'Applique-  de  bronze  dont  nous  donnons 
aussi  la  reproduction.  Mais,  cette  fois,  M.  Vall- 


Cotipe  {pièce  centrale  d'un  siittont  Je  table). 


gren  a  choisi  les  fleurs  d'arum,  dont  la  blan- 
cheur semble  répandre  elle-même  de  la  lumière, 
pour  y  placer  les  minces  ampoules  de  verre, 
imitant  l'épi  central,  où  s'allumera  le  fil  incan- 
descent. Des  feuilles  de  fléchières  soutiennent 
les  tiges,  et  la  sveltesse  de  ce  jeune  corps  se 
marie  bien  au  galbe  pur  et  élancé  des  fleurs 
qui  s'inclinent  au-dessus  de  lui  et  l'environne- 
ront de  clarté.  La  composition  est  ici  d'une 
simplicité  et  d'un  charme  accomplis. 

Ailleurs,  c'est  la  vie 
humaine  qui  se  penche 
sur  la  fleur  comme  sur 
un  miroir,  ou  comme 
sur  un  calice  où  l'on 
boirait  la  science,  et 
qui  semble  chercher, 
dans  cette  existence 
mystérieuseet  primitive 
qui  se  révèle,  le  secret 
de  sa  propre  destinée. 
Tel  est  le  motif  de  la 
Coupe  à  fruits  que  l'on 
trouve  encore  dans  ce 
numéro,  et  dont  on  re- 
marquera aisément  la 
ligne  exquise  et  non- 
chalante, et  la  grâce 
rêveuse,  fondant  la  robe 
de  la  femme  sur  la  tige 
de  nénuphar  qui  semble 
l'entraîner  dans  son 
ascension. 

On  peut  noter  la  pré- 
dilection de  l'artiste 
pour  les  fleurs  aqua- 
tiques, dont  les  mouve- 
ments paraissent  se  mo- 
deler sur  les  frissons 
mêmes  des  flots,  et  par- 
ticiper de  leurs  fluides 
ondulations.  Par  là  même,  elles  s'animent  à 
nos  yeux  d'une  vie  plus  fébrile  et  plus  subtile, 
plus  proche  de  cette  existence  immatérielle, 
toute  de  grâce  et  de  sentiment,  que  décèlent 
aussi  ces  formes  ténues  de  petites  I^lfes,  dont 
M.  Vallgren  peuple  ses  œuvres. 

Car  M.  Vallgren  est  avant  tout  sculpteur,  et 
il  le  reste  dans  toutes  sescomposiiions  :  presque 
toujours,  dans  les  objets  d'utilité  qu'il  conçoit, 
il  fait  appel  aux  personnages  pour  l'ornemen- 
tation; il  leur  fait  jouer  de  petits  drames  mys- 
térieux et  intimes,  des  sortes  d'allégories  de 
notre  vie  et  de  notre  pensée;  et  il  faut  bien  re- 


L'Art   domestique  de   M.    Fallgreii 


5 


connaître  là  la  puissante  et  savoureuse  origi-  se  dégagent  guère,  dans  leur  touchante  graci- 
nalité  de  cet  artiste.  Le  Salon  du  Champ-de-  litc,  que  des  corps  adolescents,  ne  saurait  nous 
Mars  nous  montrait,  il  y  a  quelques  années,  un  échapper  ;  mais  il  faut  dire  que  cet  art  serait 
surtout  de  table  en  argent,  composé  de  trois  d'une  dangereuse  école,  et  que  la  quintessence 
pièces,  qui  ne  laisse  pas  d'être  très  significatif  du  sujet,  ou  la  fuite  constante  de  l'arrange- 
etqui  découvre  singulièrement  la  tendance  de  ment  habituel  et  banal,  risqueraient  d'égarer 
cet  art.  Je  regrette  que  nous  n'ayons  pu  repro-  ceux  quivoudraients'y  essayer.  Regardczlc  pied 
duire  ici  que  la  pièce  centrale.  Le  thème  est  oblique  delà  coupe  à  fruits  dont  j'ai  parlé  plus 
emprunté  à  la  liosc  de  Noël,  et  ce  sont  aussi      haut  :  l'artiste  est  ici  servi  par  un  sentiment 

les  phases  de     ^ merveilleux 

hu-      ^^^^^^H^^^^^^^^^^^^^^B^H^^HH^^^H^HH 

de  la  mesure; 
mais  un 
peu  plus,  l'é- 
quilibre des 
lignes  serait 
compromis. 

Il  convient 
de  remarquer 
aussi  que 
l'emploi  des 
liguresmode- 
lées  en  reliel 
ne  saurait 
s'appliquer 
indifférem- 
ment à  la  dé- 
coration de 
toutes  les 
pièces  d'or- 
fèvrerie .  1 1 
s'adapte  fort 
bien  cepen- 
dant à  cette 
sorte  d'orfè- 
vrerie d'ap- 
parat à  la- 
quelle s'est 
appliqué  M. 
Vallgren,  et 
qui    estl  plus 

plus  ouverte,  et  sur  les  étamines  se  dresse  le  faite  pour  parer  la  table  que  pour  porter  des 
groupe  de  l'homme  et  de  la  femme,  qui  se  fruits  ou  des  gâteaux.  Il  n'y  a  ici  qu'à  louer 
tiennent  étroitement  embrassés.  Le  motif  de  la  l'ingéniosité  de  l'ornement,  qui  sait  rester 
troisième  pièce  est  la  Maternité  :  du  cœur  de  souple  et  sans  surcharge.  Mais  les  objets  plus 
la  fleur  s'élance  une  jeune  mère,  tenant  un  usuels,  tels  que  les  théières,  les  cafetières,  les 
poupon  dans  ses  bras.  Voilà  bien,  je  le  disais,  sucriers,  ou  autres  pièces  destinées  à  être 
qui  nous  aide  à  déterminer  la  personnalité  de  maniées,  doivent  être  cherchés  dans  une  don- 
ce  talent,  pressé  d'appuyer  sur  une  idée  la  née  plus  sobre,  et  plus  dépouillée,  pour  ainsi 
recherche  de  l'élément  ornemental,  et  cela  dire,  d'agrémentation  extérieure.  Je  ne  crois 
sans  violenter  l'inspiration,  en  se  livrant  à  la  pas  qu'il  soit  dans  la  voie  de  l'orfèvrerie  nou- 
tournure  native  de  l'esprit.  velle  de  se  proposer,  par  exemple,  pour  mo- 

Et  sans  doute  le  charme  subtil  et  fragile  de      dèles  les  aiguières  de  la  Renaissance,  si  grouil- 
ces  compositions  précieuses  et  mièvres,  oi.i  ne      lantes  de  formes  diverses,  animales    et   végé- 


1  a  vie 
maine  qui  se 
développent , 
en  même 
temps  que 
s'épanouit  le 
calice  de  la 
fleur. La  fleur 
elle-même 
s'évase  et  for- 
me une  sorte 
de  drageoir. 
Mais  tandis 
que  dans  la 
première  , 
une  figure 
légère  de 
f e m  m  e  se 
penche,  se  te- 
nant debout 
tout  au  bord 
des  pétales, 
dans  un  mou- 
vement ex- 
quis d'inno- 
cence et  de 
curiosité  ,  la 
seconde  cou- 
pe symbolise 
l'Amour  :  la 
fleur  est  déjà 


Cheminée. 


^2 


Art  et  Décoration 


taies,  accouplées  toujours  avec   une  noble  clé-  méro  un  Miroir  â  main,  que  M.  Vallgren  a 

gance,  maisciont  la  pompe  et  l'emphase  seraient  encadré  de    fleurs  de  pavots,  auxquelles   il  a 

peu  dans   le  caractère   de  notre  temps.  L'élé-  conservé  une  allure  rustique  et  sans  apprêt;  et 

ment    végétal  même  ne    doit,  me  semble-t-il,  sur  le  revers,  le  même  sentiment  naïf  nous  ravit 

prêter  ici  au  décorateur  qu'une  assistance  dis-  dans  cette  figure  de  fillette,  dessinée  d'un  relief 

crête,  et    ne   point  alourdir   les  formes  essen-  à  peine  sensible,  et  qui  tient  des  fleurs  avec  un 
ticlles  du  vase  sous  un 


modelé  trop  directe- 
ment emprunté  à  la 
nature.  Peut-être  est-il 
bon  de  signaler  là  en 
passant  une  tendance 
fâcheuse  que  parais- 
sent manifester  plu- 
sieurs tentatives  ré- 
centes, où  le  style  ne 
prend  pas  une  part  as- 
sez prédominante. 
C'est  dans  la  forme 
même  de  l'objet  que 
l'orfèvre  doit  trouver 
l'élément  capital  de 
l'élégance  et  de  la  sé- 
duction qu'il  sera  ca- 
pable de  réaliser;  c'est 
le  galbe  général  qui 
doit  le  préoccuper 
avant  tout,  et  déter- 
miner les  motifs  d'or- 
nement dont  il  le  re- 
haussera. M.  Vallgren 
lui-même  l'a  bien 
compris,  du  reste,  et 
l'on  connaît  de  lui  une 
Ecuelle  d'enfant,  avec 
sa  cuiller,  qui  ne  sont 
point,  malgré  leur  at- 
trait d'art,  des  bibelots 
de  vitrine,  mais  vrai- 
ment desobjets  de  mé- 


Applique. 


geste  simple  d'of- 
frande, évoquant  en 
nous  d'une  façon  char- 
mante et  lointaine  le 
ressouvenir  de  l'atti- 
tude orante  d'une  nielle 
byzantine.  J'avoue  que 
je  goûte  dans  ce  rappel 
atténué,  cette  sorte  de 
sous-entendu  où  l'ar- 
liste  et  l'amateur  se 
comprennent  à  demi 
mot,  un  plaisir  parti- 
culièrement délicat. 
N'y  a-t-il  pas,  en  effet, 
une  distinction  d'es- 
prit très  particulière, 
et  la  tînesse  d'un  talent 
très  libre  et  très  cul- 
tivé, dans  cette  adresse 
tout  instinctive  à  glis- 
ser dans  une  œuvre 
d'inspiration  très  mo- 
derne, et  même  très  lo- 
cale—  car  celte  tîllette 
a  bien  l'allure  et  le  cos- 
tume d'une  jeune  Sué- 
doise —  une  douceur 
voilée  d'archaïsme? 

Je  veux  appeler  aussi 
l'attention  sur  une  sé- 
rie d'objets  consacrés 
à  la  décoration  d'une 
porte.   Nous    n'avons 


nage, conçus  dans  une  forme  simple  et  aimable,  pu  mettre  ici  sous  les  veux  de  nos  lecteurs  que 

et  très  légèrement  ornés  de  reliefs  et  de  devises.  le  Heurtoir:  il  y  a  aussi  une  serrure,  une  clef  et 

L'orfèvrerie  n'est  d'ailleurs  pas  seule  à  sollici-  des  gonds,  qu'il  ne  faut  pas  en  séparer.  On 
ter  l'activité  de  M.  Vallgren,  et  de  cotés  bien  di-  doit  louer  spécialement  M.  Vallgren  de  n'avoir 
vers  il  s'est  senti  attiré  vers  les  recherches  d'art  pas  adapté  à  ces  objets  un  motif  quelconque  d'or- 
domestique.  Nous  avons  déjà  parlé  d'une  nement,  mais  d'avoir  cherché  à  pénétrer  plus 
applique  et  d'un  lustre  électrique,  dont  j'ai  dit  intimement  leur  signification  propre,  afin  de 
l'heureuse  invention  décorative,  faisant  déver.  les  embellir  selonleur  caractère  et  leurdestinée. 
ser  la  lumière  par  des  fleurs  de  tournesols  ;  il  N'est-ce  point  là,  d'ailleurs,  le  système  ordi- 
faut  pourtant  relever,  dans  la  composition  qui  naire  de  M.  Vallgren?  Nous  avons  vu  qu'au 
ne  manque  pas  de  grâce,  une  certaine  maigreur  sujet  de  son  lustre  et  de  son  applique,  il  avait 
de  tiges,  communiquant  à  l'ensemble  un  aspect  choisi  pour  thème  ornemental  des  fleurs  qui 
un  peu  vide  pour  ses  dimensions.  semblent  donner  de  la  lumière.  Ici,  c'est  toute 

On  trouvera  encore  reproduit  dans  ce  nu-  une  «  histoire  des  portes  »  qu'il  raconte,  pour 


L'Art  domestique  de  M.    V allier  en 


^ 


ainsi  dire  ;  il  prête  en  quelque  sorte  un  carac-      tiste  termine  en    ce  moment,   et  qui   restera,  à 
tère  muet  et  fatidique  aux  portes,  qui  mettent      coup  sûr,   parmi    ses    œuvres   décoratives  les 
tour  à  tour  une  communication  ou  un  obstacle      plus  considérables  et   les  plus  complètes,  par 
entre  l'abri  serein  et  chaud  du  foyer,  et  le  vent,      la  grâce  souple  et  ingénieuse  du  motit  orne- 
le  froidetles  ombres  du  dehors.  Des  fleurs  sau-      mental    qui    court   en   frise,   et   par   le    solide 
vages  ont  grimpé  à  l'abandon,  et  sous  le  judas      assemblage    des  parties.  Nous  retrouvons  ici 
quadrillé,  une  petite  flile,  avec  sa  natte  dans  le      le  thème  des  soleils  et  des  arums,  entre  les- 
dos,  se  suspend  en  suppliante,  comme  pour  im-      quels    s'enlacent    en    vivante     guirlande    des 
plorerasile,et  frappe  des  genoux  contre  la  porte:       formes    féeriques  de   femmes,    dont   la    robe, 
tel  est  le  sujet  du  heurtoir  de  bronze.  La  fillette      reliée    aux   tiges   et    aux  feuilles,     atteste    la 
elle-même  forme  le  marteau,  que  l'on  soulève      nature     à     demi     végétale  .     Cette     tantaisie 
par     le     bout 
de  la  robe  qui 
s'envole ,     ter- 
minée en  bou- 
ton   de    fleur. 
Le  mouvement 
est    sobre  et 
exactement  ap- 
proprié à  l'uti- 
litéde  lafigure, 
qui   reste    une 
trouvaille  déli- 
cieuse.    D'au- 
tres    motifs 
moins    impor- 
tants décorent 
les  autres  par- 
ties :  à  coté  du 
trou  de  la  ser- 
rure    se    tient 
une  enfant  qui 
pose  ses  doigts 
sur  ses  lèvres, 
comme  dans 
une  crainte  va- 
gue  et  mysté- 
rieuse ;  la  poi- 
gnée de  la  clef 
s'orne     d'un 
chien  abo3'ant, 
et    nous    voilà 
soudain  rame- 
nés au  cave  canem  des  seuils  antiques.  Pour      pierre  ,     s'impose     avec      une    vraie      gran- 
les  gonds  de   la   porte,    M.   Vallgren  a  heu-      deur.  Sur  les  chenets,  fondus  en   cuivre,   des 
reusement  songé  à  ajuster  îles  têtes  de  pavots,      soleils  encore  ont  été  nerveusement  modelés, 
rappelant  les   végétations  parasites    se  dessé-      par  touches  plus    rudes  ;  mais    les    fleurs    se 
chant   au   hasard  des  interstices.    On  le  voit,      tordent   et  s'affaissent   sur  leurs  tiges,  décré- 
c'est   bien  toute  une  légende  des  vieilles  mai-      pites  et   défaillantes,    comme  sous  la   chaleur 
sons  qui   a  surgi   sous   les   doigts   du    mode-      excessive  du  brasier. 

leur,   et  qui  éveille  en   nous  à   son    tour  les  II  ne  faut  pas  oublier  de  remarquer  les  colo- 

éternelles   hallucinations  du  vent  d'hiver.  rations  agréables  que  le  sculpteur  donne  à  cette 

A  l'ennoblissement  de  la  maison  se  rapporte      pierre  moelleuse,  par  la  pénétration  des  acides, 

encore  la  cheminée  en  pierre  teintée  que  l'ar-      et  qui,  en  même  temps  qu'elles  en  corrigent  la 


Lustre. 


ondule  en  un 
rythme  souple 
et  caressant, 
tandis  que 
sur  les  mon- 
tants de  la  che- 
minée ,  fran- 
chementtaillés 
dans  la  pierre 
et  laissant  au 
bloc  sa  struc- 
ture massive 
de  support,  des 
chardons  s'élè- 
vent, et  leurs 
fleurs  épi- 
neuses segrou- 
pent  pour  for- 
mer un  chapi- 
teau.Leslignes 
générales  res- 
tent d'une  sim- 
plicité rigide, 
n'enlevant  rien 
à  la  construc- 
tion de  son 
aspect  logique 
et  résistant;  le 
caractère  ar- 
chitectural, ac- 
cuséencorepar 
la  nudité  de  la 


54 


An  et  Décoration 


blancheur  froide,  lui  coinmuniqueni  le  lustre      l'art  appliqué  que  ses  heures  de  loisir  et  les 
émoussé  et  onctueux  d'une  belle  patine.  rognures  de  son  talent,  et  que  c'est  en  manière 

Ainsi  s'exerce  cet  an  attentif  et  nuancé,  dési-  de  délassement  des  travaux  sérieux  qu'il  s'amuse 
reux  de  toucher  par  un  charme  secret,  et  non  à  asservir  à  un  détail  pratique  ses  dextérités  de 
seulement  de  plaire  parla  vue  d'une  jolie  métier.  Je  voudrais,  au  contraire,  faire  entendre 
chose.  Et  ce  qui  donne  à  M.  Vallgren  son  que  M.  Vallgren  se  propose  sans  cesse  de  réa- 
individualité  caractéristique,  c'est  ce  mépris  liser  un  art  domestique,  et  que  c'est  par  cette 
du  décor  quelconque,  du  motifindifférent,  qui  direction  primordiale  de  son  talent  et  de  ses 
semble  prêt  à  se  plier  également  à  toute  forme  efforts  qu'il  occupe,  dans  notre  art  contem- 
et  à  toute  matière,  de  la  moulure  facile  qui  porain,  une  situation  considérable  et  tout  à  fait 
s'agence  d'elle-même,  sans  mordant,  sans  sur-  personnelle.  Il  ne  peut  même  pas  être  question 
prendre  jamais  par  un 
accent  vif  et  personnel  ; 
mais  toujours,  au  con- 
traire, on  discerne  chez 
lui  ce  talent  aiguisé  , 
prompt  à  saisir,  en  quel- 
que sorte,  la  vraisem- 
blance de  l'ornemeni. 
Toute  œuvre  décorative 
prête  au  développement 
d'un  thème  approprié. 
Il  faudrait  mettre  quel- 
que ménagement  à  l'é- 
loge, si  l'on  sentait  l'ar- 
tiste soucieux  de  ren- 
chérir sur  l'intention  et 
de  compliquer  le  sym- 
bole; mais  l'on  ne  sau 
rait  vraiment  observer 
dans  cet  art  intime  ni 
recherche,  ni  préten- 
tion. Tout  imitateur  en 
arriverait  à  peu  près  fa- 
talement à  l'obscurité 
ou  à  la  manière;  M.  Vall- 
gren nous  laisse  tou- 
jours, dans  ce  que  son 
art  peut  avoir  de  plus 
rare  etde  plus  expressif, 
une  impression  de  frai- 


Coupe. 


ici  d'art  industriel  ; 
M.  Vallgren  ne  cherche 
pas  à  produire  des  ob- 
jets purement  usuels, 
mais  l'embellissement 
de  notre  intérieur  le  sol- 
licite sans  relâche.  Il 
conçoit  véritablement 
ce  que  doit  être  l'art  de 
la  maison,  et  partout 
oii  son  art  peut  intégra- 
lement prendre  place 
dans  nos  demeures,  il 
s'eft'orce  de  l'y  intro- 
duire. J'ai  dit  que  le  mo- 
tif ornemental  n'était 
jamais  quelconque  chez 
M.  Vallgren;  il  faut  le 
dire  aussi  du  caractère 
d'ensemble  de  ses  ou- 
vrages. 11  suffit  d'ob- 
server la  cheminée  de 
pierre  que  j'ai  décrite 
tout  à  l'heure,  pour  se 
rendre  compte  qu'elle 
ne  sera  pas  à  sa  place 
dans  tout  logement.  On 
imagine  pour  elle  une 
sorte  de  hall,  qui  accu- 
serait plus  le  dessein  de 


cheur  et  de  na'iveté:  ses  ouvrages  nous  révè-  l'architecte  que  celui  du  tapissier,  et  où  l'on 

lent  un  sentiment  mélancolique  et  primesau-  retrouveraitla  mêmesévéritédetenue,  marquée 

tier;  et  a  vrai  dire,  la  grâce  de  ces  figurines  ne  par  la  franchise  de  lignes  de  l'édifice.  Il  en  est 

les  rend-elle  pas  un   peu   parentes,    avec   une  de  même  pour  les  autres  œuvres,  délibérément 

inspiration   bien   différente    et   très  moderne,  exécutées   suivant  un  caractère  bien  voulu  et 

des  terres  cuites  tanagréennes?  nettement  déterminé.  On  ne  voit  point  que  de 

Il   ne  faudrait  pas  croire  que   M.  Vallgren  tels  objets  puissent  se  répéter  à  de  nombreux 

ayant    un   vrai  tempérament   de  sculpteur    et  exemplaires;  ils  gardent  bien  le  caractère  de 

s  étant  fait  connaître  d'abord  comme  tel,  il  est  pièces  uniques  :  leur  originalité  même  semble 


nécessaire,  pour  acquérir  une  idée  exacte  de  sa 
nature  et  de  ses  qualités,  de  le  juger  sur  ses 
œuvres  purement  sculpturales.  On  s'imagi- 
nerait, bien  à  tort,  qu'il  n'accorde  aux  soucis  de 


en  interdire  la  reproduction,  car  l'objet  déjà 
vu  ailleurs  serait  trop  facilement  reconnais- 
sable.  C'est  ainsi  que  M.  Vallgren  s'est 
toujours   refusé,  par  exemple,  à  céder   à    un 


L'An  domestique  de  M.    VaUgrcn 


éditeur  le  droit  de  multiplier  ses  petits  bronzes, 
il  V  a  donc  autre  chose,  dans  l'exercice  de  ce 

talent,  que  des  tentatives  d'art  appliqué  :  il  y  a 

une  véritable  accommodation  de  la  statuaire  à 

nne  nouvelle  conception  de  cet  art.  Le   temps 

n'est  plus  des  grandes  figures  taillées  dans  le 

marbre    ou     coulées     en 

bronze;    c'est    la    figurine 

qui  doit  dominer.  Ce  n'est 

pas  une  raison  pour  voir 

là  un  signe  d'impuissance 

chez   les  artistes,  et  pour 

déplorer  que  l'on  ne  sache 

plus    imaginer    et     sentir 

qu'un  art  amoindri,  rape- 
tissé. Nous  serions  vrai- 
ment bien  à  plaindre,   et 

notre  vision  de  l'art  serait 

par  trop  restreinte,  si  les 

sculpteurs  ne  travaillaient 

que  pour  les  musées  et  les 

places  publiques.  Quant  à 

nos  intérieurs,  on  com- 
mence à  comprendre  qu'ils 
ne  doivent  pas  être  dis- 
posés   comme    une    salle 

d'exposition;  il  est  temps 

d'aménager  un  peu  chez 
nous,  et  d'y  mettre  plus 
d'ordre  et  d'intimité.  Pour 
orner  les  chambres,  on  en 
est  arrivé  à  l'encombre- 
ment, à  une  accumulation 
de  bibelots,  dont  on  ne  par- 
vient pas  toujours  à  allier, 
avec  l'entourage,  l'aspect 
étrange  ou  exotique.  De 
même  que  je  prônais,  pour 
tout  objet,  un  élément  de 
décoration  qui  soit  en  rap- 
port avec  son  rôle  et  sa  na- 
ture, rornementation 
même  de  notre  maison  gagnera  une  sorte  de 
lucidité  logique  à  lirer  son  développement  du 
confort  même  de  la  maison,  au  lieu  d'y  ajouter 
des  parures  extérieures  et  indépendantes.  De 
cette  entente  d'un  art  journalier  et  méthodique 
vient,  chez  M.  "Vallgren,  le  désir  d'approprier 
ses  statuettes  à  une  destination  spéciale.  N'ou- 
blions pas  aussi  que  le  plaisir  esthétique  ne  se 
contente  pas  de  la  satisfaction  des  yeux,  mais 
que  le  sens  du  toucher  y  a  sa  part.  Nous 
aimons  caresser  un  bibelot  de  prédilection, 
comme  pour  apprécier  mieux  les  délicatesses 


llciirtoir 


^5 

du  modelé  et  la  douceur  de  la  patine.  Sur  un 
objet  d'usage,  notre  main  se  posera  d'elle- 
même  en  même  temps  que  nos  regards,  et 
nous  nous  sentirons  invités  d'une  façon  plus 
fréquente  et  plus  directe  à  jouir  de  son  voisi- 
nage. C'est  bien  l'art  le  mieux  fait  pour  nous 
que  celui  qui  trouve  ainsi 
mille  chemins  pour  nous 
captiver,  et  auquel  nous  ne 
pouvons  rester  étrangers. 
Nous  ne  saurions  trop 
nous  féliciter  de  voir  des 
artistes  tels  que  M.  Vall- 
gren,  ou  M.  Dampt,  s'inté- 
resser d'une  façon  aussi 
effective  aux  progrès  de 
l'art  domestique.  Ils  ont 
prouvé  qu'ils  lui  pouvaient 
donner  une  forte  impul- 
sion. Il  importe  toute- 
fois qu'il  ne  veuille  pas 
prodiguer  en  toute  occa- 
sion toutes  les  ressources 
de  son  métier  d'origine, 
et  il  doit  s'interdire  l'abus 
du  plein  relief  et  des  formes 
trop  mouvementées  .  Les 
contours  nécessaires  de 
l'objet  à  décorer  ne  doi- 
vent jamais  être  embar- 
rassés et  comme  défigurés 
sous  la  profusion  des  orne- 
ments. Nous  avons  vu  ré- 
cemment des  sièges  bos- 
sues et  cahotés  de  façon 
fort  inconfortable  sur  des 
échines  tortueuses,  et  c'est 
sans  doute  là  une  des  voies 
les  plus  déplorables  où 
l'art  du  meuble  puisse 
,,  brun^^c.  s'aventurer  à  la   suite   de 

quelques  ébénistes  véni- 
tiens. Peut-être  même  les  objets  de  bronze 
exposés  cette  année  par  M.  Prouvé  étaient-ils 
déjà  d'un  esprit  un  peu  trop  fiévreux  et  tour- 
menté. M.  'Vallgren  me  semble  se  tenir  au  point 
extrême  de  la  limite  légitime;  il  use  de  la  figure 
dans  l'ornement  avec  un  tact  merveilleux;  et  si 
ce  n'est  point  sans  trembler  que  l'on  attend  par- 
fois ses  essais  nouveaux,  il  y  a  une  joie  très  par- 
ticulière à  se  sentir  chaque  fois  rassuré,  et  à  sa- 
vourer la  fantaisie   et  l'enchantement   de   ses 


mventions. 


Gustave  Souluîr. 


NOUVEAUX  ESSAIS   D'AMEUBLEMENT 

M.  BELLERY-DESFONT AINES.  —  MM.  LOUIS  BIGAUX  ET  JOSEPH  LE  CŒUR 


M.  Bellery-Desfontaines  est  peintre.  L'un 
des  meilleurs  élèves  de  Jean-Paul  Laurens,  il 
collabore  aux  toiles  du  maître  comme  décora- 
teur-architecturiste.  Et,  personnellement,  il 
expose  aux  Champs-Elysées,  depuis  quelques 
années,  des  œu- 
vres très  distin- 
guées ,  à  ten  - 
dances  symbo- 
liques ,  telle 
Vllliision.  au 
dernier  Salon. 
Entre  deux  ta- 
bleaux, il  s'oc- 
cupe d'art  déco- 
ratif, préoccupé, 
lui  aussi,  de  for- 
mes nouvelles. 
C'est  un  cons- 
ciencieux. Il  ne 
se  contente  pas 
de  dessiner  un 
meuble,  il  en 
exécute  le  mo- 
dèle en  cire  et 
surveille  en- 
suite, de  très  près,  le  travail  de  reproduction. 

Dans  sa  récente  conférence  sur  l'art  nou 
veau,  M.  Grasset  a  reproché  avec  juste  raison, 
à  la  plupart  des  peintres  et  sculpteurs  qui 
s'essayent  dans  l'art  décoratif,  de  ne  s'être  pas 
adonnés  préalablement  à  l'étude  de  la  géomé- 
trie et  de  l'architecture,  qui,  seules,  peuvent 
donner  «  la  notion  et  le  sens  des  proportions  » 
'c'est-à-dire  «  le  sens  des  rapports  entre  les 
longueurs,  les  largeurs  et  les  épaisseurs  »j  et 
le  sens  constructif  ou  sens  de  l'équilibre  :  «  de 
l'équilibre  qui  est  une  condition  essentielle 
de  durée  ». 

M.  Bellery-Desfontaines,  a  étudié  la  géo- 
métrie et  l'architecture.  La  table  que  vous 
voyez  ici,   et  que  la  photographie  a   malheu- 


TjiMc. 


reusement  déformée,  m'a  paru  très  logique- 
ment construite.  C'est  une  table  de  travail 
en  noyer,  avec  dessus  carrelé  en  céramique. 
M.  Bellery-Desfontaines  l'a  voulue  très  simple. 
Comme  seuls  <>   agréments  »  décoratifs  :  sur 

les  tenons,  un 
délicat  enrou  - 
le  ment,  dont 
l'humble  feuille 
du  cresson  a 
fourni  le  thème; 
et  de  douces 
cannelures  aux 
incurvations  des 
pieds.  Elle  ne 
doit  son  élé- 
gance qu'aux 
éléments  qui 
concourent  à  sa 
solidité  :  à  ses 
arcs,  à  ses  te- 
nons ,  si  joli  - 
ment  «  accen- 
tués »,  et  sur- 
tout aux  gra- 
cieuses jam- 
bettes  fuselées  qui  viennent  renforcer  les 
cquerres. 

Je  trouve  moins  de  grâce,  je  l'avoue,  aux 
deux  autres  meubles,  mais  j'affirme  qu'ils  en 
ont  beaucoup  plus  que  ne  leur  en  a  prêté  la 
traîtresse  photographie  qui  déforme,  à  son 
gré,  tous  plans  et  toutes  lignes.  Ainsi,  les 
accoudoirs  du  canapé  ne  sont  pas  aussi  lourds 
qu'ils  en  ont  l'air.  Ils  le  sont  un  peu  trop, 
comme  tout  le  meuble,  du  reste.  Je  veux  dire 
que  M.  Bellerv-Desfontaines  n'a  point  voulu 
faire  là  un  meuble  élégant,  mais  un  meuble 
solide,  comme  doit  être  tout  bon  canapé,  ami 
de  nos  fatigues.  On  s'y  peut  laisser  tomber  de 
toutes  ses  forces,  et  j'ai  jugé  qu'on  y  est  tort 
à  l'aise. 


BELLERY-DESFONTAINES. 


Noiii'i'aiix    rssnis    d'Ameiihlemcut 


SI 


Il  est  en  noyer  clair,  et  tendu  d'un  velours 
où  s'impriment  en  vert,  sur  fond  crème,  des 
feuilles  de  châtaignier  stylisées.  Le  dossier 
inscrit  son  arc  dans  un  entablement  rectangu- 
laire à  amortissements,  entablement  >;  très  pri- 
mitif »,  de  chaque  côté  duquel  s'enlèvent  deux 
figures  symboliques.  Cette  disposition  ne 
s'adapte  pas  très  bien,  à  mon  sens,  au  corps  du 
meuble,  mais  l'auteur  tenait  à  lui  donner  un 
cadre  qui  fût  en 
harmonie  avec 
le  «  style  »  de 
son  armoire-bi- 
bliothèque dont 
les  deux  mon- 
tants, vous  le 
voyez,  sont  quel- 
que peu  «  gothi- 
ques ». 

La  forme  gé- 
nérale de  cette 
b  ibliothèque 
n'est  pas  banale. 
Et  M.  Bellery  a 
été  parfois  fort 
bien  inspiré 
dans  le  détail.  Il 
aimelesymbole, 
je  vous  l'ai  dit, 
et  vous  ne  dou- 
terez pas  qu'il 
n'ait  attaché  une 
signification  à 
ce  joli  motif  qui 
couronne  l'un  et 
l'autre  des  mon- 
tants. Le  sym- 
bole est  d'ail- 
leurs simple  et  charmant  de  ce  papillon  buti- 
nant cette  fleur...  Et  c'est  un  symbole  aussi, 
vous  le  devinez,  cette  branche  d'olivier  dont 
l'éventail  se  marie,  d'un  si  souple  mouvement 
aux  souples  courbes  des  appliques  latérales. 

Comme  la  table,  comme  le  canapé,  la 
bibliothèque  est  en  noyer  clair  et  bien  veiné, 
qu'aucun  brou  de  noix  ne  souille.  Le  corps 
principal  est  h  deux  vantaux  pleins  ornés  de 
charnières  en  cuivre  rouge  dont  le  motif  em- 
prunté au  lierre  est  très  gracieux.  Une  guir- 
lande de  lierre  finement  gravée  sur  l'un  des 
vantaux  grimpe  mollement  parmi  les  moires 
du  bois,  et  c'est  le  meilleur  ornement  de  ce 
■  meuble.  Pourquoi  faut-il  que  M.  Bellery-Des- 
fontaines,    avant   de    consulter  la   nature,  ait 


. 

_          j 

Vi^i 

,.^   -^^'^^^H 

p. 

Wi^^H| 

(l  ^ 

^^^0i 

^ 

Cana^-c. 


imaginé  une  si  lourde  formule  pour  les  pen- 
tures  du  soubassement.  Au  reste,  la  biblio- 
thèque est  bien  construite;  plus  solide  qu'élé- 
gante, oui,  mais  ce  n'est  pas  une  bibliothèque 
de  salon.  Je  note,  et  c'est  très  important, 
qu'elle  est  intérieurement  fort  bien  disposée 
et  très  logeable. 

En  somme,  ce  premier  essai  de  M.  Bellery- 
Desfontaines    est   des  plus  louables;    j'ai  vu, 

de  lui,  en  outre, 
de  très  intéres- 
sants projets  de 
chaises,  de  fau- 
teuils, de  tapis, 
de  coussins.  Et 
je  suis  persuadé 
qu'il  prendra  , 
dans  l'art  du 
mobilier,  une 
des  meilleures 
places. 

Voici  mainte- 
nant MM.  Le 
Cœur  et  Bi- 
gaux.  Ils  ont  ex- 
posé à  Bruxelles 
le  petit  salon 
que  vous  voyez 
reproduit  ici.  Et 
ils  sont,  je  crois, 
les  seuls  à  re- 
présenter chez 
nos  voisins,  l'art 
décoratif  fran- 
çais. 

M.   Le  Cœur 
est  l'auteur  des 
meubles,  M.  Bi- 
gaux  a   signé   la   décoration   générale. 

La  photographie  donne  une  idée  bien  in- 
complète de  cette  décoration.  Elle  a  diminué 
la  hauteur  de  la  pièce,  et  tout  en  nous  suppri- 
mant un  fort  joli  plafond,  elle  prête  une  im- 
portance exagérée  au  panneau  qui  surmonte  la 
cheminée  centrale.  Ce  panneau,  à  vrai  dire, 
n'est  venu  que  par  hasard  jouer  un  rôle  déco- 
ratif auquel  il  n'était  pas  destiné,  et  je  trouve, 
pour  ma  part,  qu'il  gène  l'ensemble.  Pris  à 
part,  il  est  des  plus  fins.  La  tehture  qui  tapisse 
le  mur  n'est  pas  moins  délicate  et  charmante, 
.'e  ne  connais  rien  de  plus  flatteur  pour  l'œil 
que  cette  bordure  de  tenture  si  finement 
stylisée,  et  dont  les  tons  violacés  s'harmo- 
nisent si  justement  avec  le  fond  jaune  verdàtre. 


BELLERY-DESFONTAmHS. 


S8 


Art   et   Décoration 


De  tous  les  meubles  de  M.  Le  Cœur,  c'est  la 
cheminée  que  je  préfère  avec  ses  jambages 
droits.  Les  formes  curvilignes  du  canapé  et 
de  la  console  eussent  réclamé,  je  crois,  un 
peu  plus  de  légèreté  dans  l'exécution.  Mais 
M.  Le  Cœur  est  menuisier  et  bon  menuisier 
avant  tout,  et 
nous  n'en 
sommes  pas 
moins  en  pré- 
sence d'une 
recherche  de 
nouvelles  for- 
mes très  inté- 
ressantes . 
(Les  deux  vi- 
trines degau- 
che,  dispo- 
séesenencor- 
bellement  ne 
manquent 
pas  de  galbe.) 
Tous  ces 
meubles  sont 
en  chêne,  en 
chêne  clair, 
rehaussé 
d'ornements 
de  bois  des 
îles.  Et  leur 
meilleure  ori- 
ginalité leur 
vient  préci- 
sément de 
l'emploi  très 
i  ntelligen  t 
que  M.  Le 
Cœur  a  su 
faire  de  ce 
bois  exotique 
dont  la  colo- 
ration rouge, 
très  chaude,  tranche  admirablement  sur  la 
blonde  lumière  du  chêne.  Le  lambris  mobile 
est  intérieurement  rehaussé  de  panneaux  du 
même  bois.  Kt  c'est  de  ce  bois  encore  que 
M.  Le  Cœur  s'est  servi  pour  réaliser  sur  le 
parquet  une  décoration  géométrique  qui  est 
d'excellent  effet.  Ce  petit  salon  est  donc  fort 
harmonieux,  et  l'exposition  d'un  ensemble 
aussi  complet  est  un  excellent  exemple  à 
suivre. 

M.  Le  Cœur,  non  plus  que  M.  Bellery-Des- 
fontaines   n'encourra,    j'aime    à  le  croire,   le 


Bibliothèque. 


BELLERY-DESFONTAINES. 


reproche  d'avoir  copié  des  modèles  de  meubles 
anglais.  C'est  un  reproche  qu'on  adresse  trop 
souvent  aux  artistes  français.  Qu'ils  se  soient 
quelquefoisinspirés  decesmodèles,  j'yconsens. 
Mais  ils  avaient  mieux  à  faire,  et  ils  ont 
fait  mieux,  car  lorsque  je  compare  les  ma- 
nifestations 
qui  se  sont 
produites 
chez  nous de-  , 
puis  quelque  1 
temps  dans 
Fart  du  mo- 
bilier avec  I 
celles  qui  ont 
eu  lieu  outre 
Manche,  je 
n'hésite  pas 
à  proclamer 
l'in  fé  ri  o  ri  té 
de  ces  derniè- 
res. La  ré- 
cente exposi- 
tion des  Arts 
and  Crafts 
n'était  point 
pour  me 
contredire,  ei 
les  meubles 
exposés  en  ce 
moment  à  la 
Royal  Al- 
bert Hall  ne 
font  que  me 
confirmer 
dans  une  opi- 
nion qui,  il 
faut  le  regret- 
ter, ne  man- 
querait pas 
d'étonner 
beaucoup  de 
Français.  Mais  quoi?  la  mode  est  au  meuble 
léger  importé  d'Angleterre,  et,  tant  que  celte 
maîtresse  impérieuse  dictera  leur  choix  à  tous 
ceux  qui  se  piquent  d'élégance,  il  n'y  a  pas  à 
espérer  réagir. 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que,  s'il  existe  dan^ 
toute  une  catégorie  de  fabricants  un  mouve- 
ment furieux  d'opposition  à  toute  tentative 
d'art  nouveau,  l'idée,  quand  même,  fait  son 
chemin.  Si  l'on  voit  des  bronziers  se  syndiquer 
pour  organiser  parmi  leurs  ouvriers,  parmi 
leurs  apprentis,  des  concours  de  garnitures  de 


Nouveaux  essais  d'ÂincithL'niciit 


59 


cheminées,  de  flambeaux,  de  candélabres  et  de  quis  de  meubles  d'où  l'on  avait  exclu  de  parti- 
bras  de  lumières  où  l'on  n'accepte  que  des  pris  toute  imitation,  même  lointaine,  d'art 
pastiches  d'art  anciens,  on  ne  voit  ni  le  même  ancien. 

entêtement,  ni  la  même  folie  de  réaction  chez  Et  ces  projets  ne  venaient  pas  d'un  quel- 
les grands  représentants  de  l'industrie  du  meu-  conque  des  artistes  dont  cette  revue,  à  plusieurs 
ble.  Ceux-là  même  qui,  par  la  nature  des  tra-  reprises,  a  signalé  les  efforts,  mais  de  grandes 
vaux   qu'ils  produisent,  sembleraient  au  prc-  entreprises    parisiennes    bien    connues    pour 


DcLui'^ilitiu  d  intc)-ictn\ 


Lt  CŒUR    El    blùAUX. 


niier  abord  les  ennemis-nés  de  toute  formule 
nouvelle,  ont  été  les  premiers  à  s'adjoindre 
des  collaborateurs  capables  de  créer  ces 
formules. 

J'étonnerais  certainement  bien  des  gens  si  je 
leur  disais  que,  dans  tel  château  de  province 
dont  le  propriétaire,  homme  de  goût,  vient  de 
brocanter,  pour  se  loger  à  neuf,  tout  un  ameu- 
blement second  Empire,  j'ai  vu  des  projets  de 
décoration  intérieure  qui  ne  le  cèdent  en  rien, 
pour  la  recherche  de  la  nouveauté,  aux  projets 
les  plus  hardis  du  Champ-de-Mars,  etdescro- 


s'être  bornées  jusqu'ici  à    d'admirables  mais 
stériles  copies  du  passé. 

Le  fait  est  concluant.  Croyez  bien,  en  effet, 
que  si,  dans  ces  grandes  maisons,  on  s'est 
décidé  à  tâter  de  l'art  nouveau,  ce  n'est  ni  par 
conviction,  ni  par  dilettantisme  :  c'est  par 
nécessité.  La  clientèle  a  demandé  autre  chose, 
—  on  sert  la  clientèle  —  et  vous  verrez  à  l'Expo- 
sition de  1900  si  les  plus  rétifs  de  nos  fabri- 
cants n'exposent  pas,  eux  aussi,  des  essais  mal 
venus  peut-être,  mais  loyaux,  de  style  neuf. 
Edouard  Sarradin. 


Bordure  en  mosaïque. 


M.    PAILLtR. 


L'Exposition  des   travaux   d'élèves  à  l'École  des  Arts  décoratifs 


HAQUE  année,  à  la  fin 
de  juillet,  l'École  na- 
tionale des  Ans  dé- 
coratifs ouvre  ses 
portes  au  public  et, 
dans  une  exposition 
forcément  restreinte, 
en  raison  de  Tcxi- 
guité  des  locaux,  met 
en  lumière  les  tra- 
vaux de  ses  nom- 
breux élèves. 

L'entrée  seule, 
dans  cette  cour  entourée  de  vieux  bâtiments, 
met  le  visiteur,  dès  le  premier  moment,  sous 
le  charme  d'une  poésie  particulière,  faite  à  la 
fois  de  traditions  et  de  souvenirs. 

Depuis  Louis  XV  qui,  il  y  a  près  d'un  siècle 
et  demi,  créa  cette  école,  sous  le  nom  d'Ecole 
royale  des  élèves  protégés,  pour  aider  à  l'édu- 
cation artistique  des  artisans  d'alors,  son  ori- 
gine et  son  but  ont  été  bien  souvent  oubliés. 
VioUet-le-Duc  y  a  pourtant  professé  longtemps. 
C'est  là,  dans  ce  cours  de  composition  d'orne- 
ment dont  il  inventa  le  litre  et  la  forme,  si  sou- 
vent repris  depuis,  qu'il  exposa  tout  d'abord 
ses  théories  libérales,  et  d'une  logique  si  sûre, 
de  l'étude  directe  de  la  nature  appliquée  à  la 
décoration. 

Son  successeur,  Ruprich-Robert,  suivit  la 
voie  tracée  par  le  maître.  Le  solide  et  savant 
ouvrage  dans  lequel  il  concentra  ses  idées,  la 
Flore  ornementale,  n'eut  en  France  qu'un  suc- 


cès relatif.  C'est  à  l'étranger  surtout  qu'on 
médita  les  leçons  qu'il  donnait.  L'Angleterre 
notamment  s'appropria  ses  théories  et  en 
obtint,  tout  en  restant  elle-même,  les  résultats 
qui  nous  ont  étonnés  depuis  vingtans. 

Les  traditions  qui  régnent  à  l'Ecole  ne  sont 
donc  pas,  à  l'encontre  de  bien  d'autres,  très 
gênantes.  Celle  de  Louis  XV  consistait  à 
imprégner  toutes  choses  d'une  note  d'art. 
Celle  de  Viollet-le-Duc   consistait  à  prendre 


Un  cache-pot  en  bronze. 


COMPOSITION  DE  LHUER. 


conseil  en  tout  de  la  nature.  Toutes  deux 
sont  encore  les  seules,  à  présent,  dont  s'inspire 
l'École,  dirigée  depuis  vingt  ans  par  un 
homme  d'idées  larges   et  d'un  goût  aussi  sur  ■ 


L'Exposiiiou  des  traraiix  d'élèves  à  l'École  des  Arts  décoratifs      6i 


qu'éclairé,  M.  Louvrier  de  Lajolais;  fière  des  s'attache  un  appareil  électrique  destiné  à  pro- 
élèves nombreux  qu'elle  a  formés,  et  dont  les  jeter  sur  la  table  sa  lumière.  Si  l'invention  de 
travaux,    dans    les    expositions   annuelles,    ne      ce   motif  accessoire  est  la  création  propre  de 


-"ï,. 


U*-'i.-| 


,x3»-^ 


**>-'--^'^--j 


\    «S£t-''--'>i^.: 


Une  table  de  travail. 


COMPOSITION    DEEOBICHON. 


constituent  pas  l'apport  le  plus  banal,  elle  M.  Robichon,  si  elle  ne  lui  a  été  suggérée  ni 
travaille  et  poursuit  sa  voie,  sans  se  préoccuper  par  un  des  articles  du  programme,  ni  par  une 
des  critiques.  \"ovons  les  résultats 
qu'elle  obtient. 

L'analyse  de  l'exposition  de  cette 
année,  dans  une  étude  aussi  courte, 
est  chose  difficile. 

Les  travaux  des  élèves  sont  variés 
autant  qu'ils  sont  nombreux.  Nous 
nousborneronsdoncà  présentera  nos 
lecteurs  les  reproductions  de  quel- 
ques-unes des  compositions  emprun- 
tées aux  différents  cours  de  l'école, 
et  qui  caractérisent  le  mieux,  à  notre 
sens,  les  tendances  de  l'enseignement 
qu'on  y  reçoit. 

Prenons-les,  si  vous  le  voulez  bien, 
une  à  une.  Nous  avons,  de  M.  Robi- 
chon, trois  compositions  impor- 
tantes, une  table  de  travail,  une 
grille  de  square  et  une  lampe  à 
pétrole. 

Très  sérieusement  étudiée,  la  première  se  collaboration  bienveillante,  elle  lui  fait  grand 
caractérise  par  l'adjonction  au  motif  principal,  honneur.  L'appareil,  en  lui-même,  n'a  rien  de 
sur    la    gauche,    d'un    panneau    vertical,    où      neuf,   mais  il    est  bien  compris.  Peut-être  la 


Une  grille  de  Square. 


COMrOSlIIOX    DE    EOBICHON. 


62 


Art  et  Décoration 


tulipe  électrique  ne  s'avance-t-elle  pas  suffi- 
samment au-dessus  du  plateau  de  la  table 
pour  répondre  à  toutes  les  exigences.  Elle  est 
encore  bien  éloignée  du  centre  où  séparpil- 
leront  les  feuillets  de  copie,  les  cahiers  ou  les 
livres  sous  l'œil  du  travailleur,  mais  elle  est 
bien  à  la  hauteur  voulue  et  son  inclinaison  est 
bien  faite  pour  propager,  dans  la  direction 
nécessaire,  les  ondes  lumineuses. 

Le  panneau,  bien  assis  sur  le  rayon  trans- 
versal où  s'aligneront  les  livres  courants,  relié 
aux  extrémités  de  ce  rayon  par  deux  croi- 
sillons très  simples,  mais  d'une  forme  élé- 
gamment incurvée,  échappe  à  toute  critique 
sérieuse.  Il  n'en  est  pas  de  même  de  la  table, 
dont  les  montants,  rétrécis  en  colonnettes 
légères,  n'ont  pas  la  solidité  voulue  pour 
porter  la  lourde  charge  des  tiroirs.  Telle  qu'elle 
est,  néanmoins,  l'œuvre  est  d'une  bonne  tenue, 
et  suffisamment  homogène.  Le  modèle  aussi 
des  ferrures  mérite  d'être  loué,  quoiqu'il  n'ait 
rien  de  personnel.  Mais  il  y  a  harmonie  entre 
les  ferrures  et  le  dessin  de  la  table. 

On  goûtera  moins  la  lampe  à  pétrole,  dont 
la  base  est  bien  établie,  mais  dont  l'ensemble 
est  lourd,  quoique  ingénieux.  Il  y  a  lieu  aussi 
de  regretter  la  découpure  par  trop  accentuée 
du  bouton  qui  commande  la  mèche,  et  pour 
lequel  la  forme  circulaire  est  de  rigueur.  Les 
doigts  qui  le  manieront  ne  doivent  être  ni 
accrochés  ni  blessés. 

On  a  déjà  vu  bien  souvent  le  motif  dont  s'est 
inspiré  M.  Robichon   pour  sa   grille,  dont  le 


détail,   d'ailleurs,  manque  de   netteté   dans  la 


Une  laïufc  à  yctfolc 


COMPOSITION    Di;      KolJli; 


partie  inférieure.   L'œuvre  est  assez  bien  com- 
prise, néanmoins,  pour  la  matière  employée. 


Ros.jcc  peinte. 


CoMI'OSl  ll'iN    Ijl-    I  h<;kas. 


Une  serviette  à  thé. 


COMPOSITION    DE     BOl'DOIS. 


L'Exposition  eus  travaux  d' élevés  a  l'Ecole  des  Arts  décoratifs        6j 


Les  compositions  dont  M.  Chadel  est  l'au- 
teur ne  sont  pas  moins  intéressantes  en  leur 


i'ii  cnlTret  en  marqueterie. 

genre  que  celles  de  M.  Rohichon.  Une  d'entre 
elles,  spécialement,  est  charmante  :  c'est  la 
face  d'un  coffret  de  marqueterie.  Rien  de  spi- 
rituel, de  Hn  et  de  gracieux  comme  cette  ronde 
menée  par  de  mignonnes  Parisiennes  autour 
d'un  petit  Cupidon  bien  embarrassé  pour  savoir 
à  laquelle  il  décochera  le  trait  vainqueur.  Les 
toilettes  dont  les  a  revêtues  le  jeune  artiste 
sont  du  jour;  on  pourra  sans  difficulté,  dans 
vingt  ans,  déterminer  la  date  à  laquelle  elles 
auront  été  composées,  mais  nulle  excentricité, 
au  fond,  ne  les  dépare.  Manches  à  gigots  et 
jupes  cloches  ont  été  stylisées  comme  les  pétales 
des  fleurs  qui  s'enroulent  sur  le  décor  classique 
d'arabesques  dans  lequel  la  scène  s'encadre. 
Excellent  aussi,  le  procédé  par  lequel  on  a 
séparé  de  la  composition  à  figures  la  composi- 
tion purement  ornementale.  A  la  bande  qui 
court  le  long  du  couvercle  s'oppose,  dans  la 
partie  supérieure  du  coffre,  une  bande  de  lar- 
geur identique  oii  le  trou  de  la  serrure  trouve 
sa  place.  Tout,  en  un  mot,  est  disposé  avec  un 
goût  raffiné  qui  n'exclut  ni  la  préoccupation 
du  but  à  poursuivre,  ni  celle  de  la  matière 
employée.  C'est  bien  d'une  mosaïque  de  bois 
qu'il  s'agit,  et  l'œuvre,  une  fois  exécutée,  serait 
complète. 

Dans  la  composition  qu'il  destine  à  servir  de 
couverture  à  la  Vaffiic  de  Métra,  M.  Chadel 
s'est  visiblement  inspiré  du  procédé  deMucha, 
qui  consiste  à  séparer  une  chevelure  en  une 
infinité  de  mèches  séparées  et  à  rouler  en 
sinueuses  volutes  ces  mèches.  Le  procédé  sem- 


blait ici  indiqué,  la  Vague  étant  personnifiée 
par  une  femme  dont  les  cheveux  figurent  ainsi 
parfaitement  le  caprice  on- 
duleux  du  flot.  L'encadre- 
ment est  formé  par  des 
algues  qui  se  relient  à  mer- 
veille aux  volutes  de  la  che- 
velure. Exécuté  en  cuir  re- 
poussé, rehaussé  decouleur, 
comme  le  superbe  panneau 
de  Prouvé  que  nous  avons 
reproduit  naguère  en  hors 
texte,lemotif  serait  du  meil- 
leur goût  et  de  l'eft'et  le 
plus  chatoyant. 

11  y  aurait  quelques  ré- 
serves à  faire  sur  le  panneau 
de  vitrail  composé  par  le 
même  élève.  Non  que  la 
composition  en  elle-même 
ne  soit  bonne.  Au  point  de 
vue  décoratif,  elle  est  joliment  comprise,  mais 
elle  semble   infiniment   mieux  indiquée   pour 


COMPOSITION   DE  CHADEL. 


Cvui-ei  tare  fuur  un  ntvrccau  de  niu:>ique. 

COMPOSITION   DE  M.    CHADEL. 

être  reproduite  en  couleur  sur  le  papier  que 
pour  être  reproduite  en  vitrail.  La  mise  en 
plomb  n'y  est  pas  suffisamment  indiquée. 


64 


Art  et  Décoration 


^*4 


*m^n 


^^mmmmtfmm^ifmt^mi^i^Ê^tt^ÊBm 


Une  bordure  en  mosaïque . 


COMPOSITION    DE   COSSARD. 


On  ne  peut  duccrner  que  des  éloges  au  mo-      sont  meublées  de  feuillages  d'une  façon   très 
dèle   de    cache-pot    en    bronze    présenté    par      satisfaisante.  Un  bon  point  surtout  à  la  façon 

dont  l'artiste  a  plié  la  tige 
du  muguet,  parsemée  de 
blanches  clochettes,  en 
courbes  sinueuses. 

Deux  projets  de  bor- 
dures, pour  finir,  tous 
deux  en  mosaïque.  Ni 
l'un  ni  l'autre  n'est  neuf. 
M.  Pailler  a  emprunté  le 
motif  de  la  sienne  à  la  dé- 
coration byzantine,  et  les 
géraniums  de  M.  Cossard 
me  rappellent  )e  ne  sais 
quoi  de  déjà  vu  ;  mais  les 
deux  projets,  le  premier 
surtout,  où  d'avance  tout 
le  travail  du  mosaïste  est 
indiqué,  sont  tout  prêts 
pour  l'exécution.  Réa- 
M.  Lhuer,  un  lauréat,  d'ailleurs,  de  nos  lises,  ils  feraient  bonne  figure, 
concours.  La  forme  du  vase  est  bien  appropriée  En  résumé,  ces  travaux  d'élèves  sont  d'une 

à  l'usage  auquel  on  le  destine,  et  je  sais  peu  de  moyenne  excellente,  et  on  n'y  trouve  pas  que 
réussites  aussi  heureuses  que 
le  motif  de  feuillages  qui  cons- 
titue la  panse  ajourée  du  cache- 
pot.  Il  est  large,  il  est  ferme,  il 
a  du  caractère  et  une  certaine 
noblesse,  et  les  ajours  y  sont 
ménagés  avec  infiniment 
d'adresse. 

La  composition  de  M.  Bou- 
dois  pour  une  serviette  à  thé  se- 
rait  irréprochable,   s'il  s'agis- 
sait  d'autre   chose   que   d'une 
serviette  à  thé.  Elle  est  ingé- 
nieusement  disposée,   et   pro- 
duirait,   une   fois  exécutée   en 
broderie,    un   excellent  effet  comme  couleur. 
Mais   pour  un   objet  d'usage  courant  comme 
celui-là,  grand  tout  au  plus  comme  un  mou- 
choir de  poche,  que  de  complications!  Ajou- 
tons   que    cette   serviette  doit  être    un    objet 
résistant  et  qu'elle  ne  le  serait   guère,   enca- 
drée comme  elle  l'est  dans  un  cercle  de  passe- 
menterie,    agrémenté    lui-même    de    glands. 
Avez-vous    songé,    M.    Boudois,   à    quel   prix 
reviendraient  de  telles  serviettes? 

La    rosace    peinte   de    M.    Legeas    ne    me 
déplaît    nullement.    Elle    sort   de    l'ordinaire, 
avec  le  double  triangle  où  s'encadre  le  cercle 
qui    rappelle   le    motif  ancien    de    la   rosace,      erjvois  :  le  25  octobre.  Trois  prix  :  un  de  cin- 
et  les  six  pointes  formées  par  le  double  triangle      quante  et  deux  de  vingt-cinq  francs. 


Un  panneau  de  vitrail. 


COMPOSITION    DE    CHADEL. 


des  promesses.  11  n'est  que  juste  d'en  reporter 
tout  l'honneur  à  l'Flcole  qui  a  formé  ces  jeunes 
talents.  Thiébault-Sisson. 

CONCOURS  D'OCTOBRE 
Deux  vignettes,  en  blanc  et  noir,  une  pour 
le  papier  à  lettres  de  la  revue,  et  une  pour 
l'enveloppe.  Chaque  vignette  doit  être  accom- 
pagnée de  la  mention  :  «  Art  et  Décoration, 
revuemensuelle  illustréed'art  moderne,  i  3,  rue 
Lafayette,  Paris  »,  et  former  un  tout  harmo- 
nieux avec  elle.  Toute  liberté  pour  la  forme  et 
la  disposition  des  lettres.  Limite  extrême  des 


Imp.  de  Vaugiiard,  G.  de  Malherbe  &  C',  ;52,  rue  de  Vaugirard,  Paris. 


EMILE  LEVY,  Editeur-gérant. 


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V) 


Art  et  Décoration 


^^ 


LE   BISCUIT   DE   SEVRES 


L  est  à  la  manufacture 
de  Sèvres,  au-dessus  du 
musée,  sous  les  com- 
bles, un  lieu  de  délices 
exquis  pour  les  artistes: 
c'est  le  musée  des  mo- 
dèles. Entre   ces    ran- 

==^__^      S*-'*^*     symétriques     de 

vieux  plâtres,  ombrés  par  le  temps  d'une 
poussière  qui  adoucit  leur  teinte  d'un  blanc 
cru,  que  d'heures  charmantes  à  passer  !  C'est 
un  siècle  et  demi  de  l'histoire  de  notre  art  ;  et 
quel  siècle  !  le  plus  agité,  le  plus  vivant,  le 
plus  changeant  qui  tut  jamais. 
Ici,  toutes  les  transformations  du 
Louis  XV,  toute  l'audace  de  ses 
courbes,  tout  le  délire  de  ses 
contorsions.  Là,  le  caprice  assagi 
durant  les  premières  années  du 
Louis  XVI,  puis  le  retour  à  la 
forme  droite,  d'abord  égayée  d'un 
peu  de  grâce,  enlaidie  peu  après 
par  l'abus  de  la  monotonie  recti- 
ligne,  pervertie  enfin,  sous  l'Em- 
pire, par  une  admiration  fanatique 
pour  une  antiquité  mal  comprise  et 
maussade.  Plus  loin,  le  Louis- 
Philippe  et  la  Restauration  luttent 
entre  eux  de  mauvais  goût,  de  pla- 
titude et  de  maigreur,  l'une  tou- 
jours fidèle  au  principe,  formulé 
par  Percier,  de  l'imitation  architec- 
turale dans  le  moindre  bibelot  de 
porcelaine,  l'autre  féru  de  roman- 
tisme et  entiché  du  gothique  trou- 
badour. Ailleurs,  le  Second  Empire 
et  les  premières  années  de  la  Répu- 
blique se  caractérisent  par  une  profusion  de 
petites  machines  compliquées,  surchargées,  à 
la  Carrier-Belleuse,  et  par  une  interminable 
série  de  ces  grands  vases  ovoïdes  dont  les 
larges  panses,  revêtues  de  frises  peintes,  attes- 


taient, en  même  temps  qu'une  habileté  dépla- 
cée, l'ignorance  absolue  de  l'art  décoratif  tout 
spécial  qui  convient  à  la  porcelaine. 

Et  parmi  toutes  ces  variétés  de  tasses  et  de 
soucoupes,  de  buires  et  de  Jardinières,  de  caba- 
rets, de  surtouts  de  table,  de  soupières,  de 
vases  décoratifs,  une  série  charmante  vous 
attire,  ci  finit  par  s'imposer,  quasi  seule,  à  une 
attention  qu'aucune  laideur  ne  rebutera. 

Quelque  appauvrie  qu'elle  soit,  en  effet,  par 
le  pillage  raisonné  qu'en  firent,  en  1870,  les 
Prussiens,  la  collection  des  modèles  authen- 
tiques   exécutés    par   nos    maîtres    légers    du 


La  f'ctc  des  j,n-aiids-f.iieiits  (xvm'  sièclt;). 

xvine  siècle  pour  être  reproduits  en  biscuit 
est  une  collection  unique  en  son  genre.  Elle 
n'existerait  pas,  qu'il  manquerait  un  chapitre 
essentiel  à  l'histoire  de  notre  art;  bien  des 
noms    tomberaient    dans    l'oubli,     bien    des 

9 


66 


Art  et  Décoration 


gloires   même   courraient    le    risque,    n  éiaiu 


La  Rosière  (xvin"  siècle). 

plus  appuyées  que  d'ieuvres  vaines,  de  tomber 
après  discussion  dans  une  déchéance  d'oii  le 
plus  indulgent  des  critiques  hésiterait  à  les 
tirer  dans  l'avenir. 

Les  premiers  de  ces  modèles  remontent  à 
1749.  La  manufacture  de  Sèvres  n'existait  pas 
encore,  car  sa  fondation  ne  remontequ'à  ijSô  ; 
mais  la  manufacture  de  Vincennes,  qui  l'avait 
précédée,  et  qui  était  aussi,  dans  une  certaine 
mesure,  une  manufacture  royale — puisque 
Louis  XVla  commanditait  pour  un  tiers  —  avait 
été  fondée  en  1740,  et  elle  avait  entrepris  la 
fabrication  du  biscuit  dès  que  son  succès  s'é- 
tait affirmé  pour  le  reste.  Elle  ne  produisit  pas 
toutefois  le  biscuit  d'une  façon  continue. 
Même  en  tenant  compte  du  peu  de  soin  qu'ap- 
portaient à  la  conservation  de  leurs  modèles 
les  gens  du  dernier  siècle,  même  en  doublant, 
par  conséquent,  ou  en  triplant  le  chiffre  des 
sujets  antérieurs  à  1750  qui  figurent  dans  la 
collection  actuelle,  on  ne  trouverait  pas,  de 
1749  à  1/56,  plus  d'un  motif  nouveau  par 
année;  mais  déjà  ces  motifs  se  recommandent 
par  une  entente  parfaite  des  exigences  aux- 
quelles un  ouvrage  de  ce  genre   doit  répondre. 

Le  biscuit  est  une   matière  d'un  blanc  pur, 


faite  d'un  kaolin  de  premier  choix,  et  dont  la 
cuisson  accentue  davantage  encore 
la  blancheur.  L'artiste  qui  fournit 
le  modèle,  en  terre  cuite  ou  en  cire, 
sur  lequel  on  prendra  un  moule 
destiné  à  la  production  mécanique 
des  objets,  reste  libre  de  donner  à 
son  œuvre  toutes  les  finesses  qu'il 
lui  plait,  puisque  la  matière  ne  sera 
revêtue,  ni  de  l'engobe,  ni  de  la 
couverte  feldspathique  dont  la 
porcelaine  ordinaire  s'habille  et  qui 
en  empâtent  les  reliefs.  Liberté  en- 
tière, d'autre. part,  dans  la  compo- 
sition, où  le  pittoresque  peut  entrer 
à  haute  dose,  où  la  scène,  sans  in- 
convénient, peut  être  à  plusieurs 
personnages,  puisque  le  modèle 
n'est  jamais  moulé  tout  d'une  pièce. 
On  divise,  en  etïet,  en  autant  de 
morceaux  qu'il  est  nécessaire,  et 
l'on^  réunit  après  la  cuisson  ces 
morceaux  dont  le  répareur  effacera 
ensuite  les  bavures. 

A  ces  libertés  s'opposent  un  cer- 
tain nombre  d'entraves.  De  par  la 
matière  même  dont  il   est   fait,  le 
biscuit  se  renfermera,  de  toute  né- 
cessité, dans  les  limites  restreintes  du   bibelot. 


Madame  Royale,  fille  Je  Louis  .V17.     pajou. 

Sans  se  borner,  comme  les  produits   du  vieux 
Saxe,  aux  dimensions  exiguésde  l'objet  d'éta- 


Le  Biscuit  de  Serres 


67 


3,hrc,  il  ne  dépassera  pas,  en  hauteur,  de  28  à  s'était  contenté,  comme  on  le  fait  aujourd'hui, 
?ocentimètres,  surtout  s'il  se  réduit  à  une  fit^ure  de  réduire,  pour  la  reproduction  en  biscuit,  les 
unique  et  si  le  motif  traité  est  un  nu,  —  car  il      belles  oeuvres  des  contemporains,  le  mal  aurait 

été  moins  sensible  ;  mais  la  laideur  des  œuvres 
reproduites,  sous  la  Restauration  et  sous  Louis- 
l'hilippe,  est  sans  nom.  Certes,  on  ne  peut 
s'empêcher  de  rire  quand  on  voit,  sous  le  Pre- 
mier Empire,  les  artistes  se  mettre  à  la  torture 
pour  créer  des  conceptions  aussi  fâcheuses  que 
la  tasse  à  bouillon  de  Marie-Louise,  une  tasse 
figurée  par  un  casque  orné  d'une  énorme  che- 
nille et  que  deux  Amours  enguirlandent  de 
roses.  Le  motif  est  d'une  intarissable  gaieté; 
mais  l'exécution,  malgré  tout,  a  de  la  tenue, 
tandis  que  la  Jeanne  d'Are  et  le  beau  Diinois  de 
Rrachard,  la  première  coiffée  d'une  toque  à 
plumes,  le  second  d'un  casque  à  multiples 
panaches,  sont  le  comble  du  grotesque.  L'ab- 
surdité du  harnachement  s'y  complète  d'une 
exécution  prétentieuse  autant  que  lourde.  C'est 
l'ouvrage  d'un  Joseph  Prudhomme  en  délire. 


Surtout  Louis  XV.  —  Cliasseur.  oudry. 

est  indispensable  qu'il  se  garde  de  singer.'la 
statuaire.  Les  effets  de  modelé  dans  les  chairs, 
qui  conviennent  au  marbre,  sont  interdits,  par 
définition  même,  au  biscuit  ;  car  le  statuaire 
achève  lui-même  son  marbre,  tandis  que  le 
dernier  coup,  celui  qui  donne  à  l'objet  son 
caractère  et  son  véritable  aspect  artistique,  est 
donné  au  biscuit  par  un  répareur  qui  peut  être 
une  mazette  et  qui  dénaturera,  neuf  fois  sur 
dix,  le  modèle,  s'il  s'agit  d'un  nu  de  dimension. 
Ce  sont  là  les  règles  du  genre  qu'un  peu  de 
bon  sens  suffit  à  tracer.  On  n'y  a  pas  toujours 
obéi.  C'est  pitié,  dans  la  collection  des  modèles 
de  ce  siècle,  de  voir  la  lamentable  série  de 
bustes  officiels,  de  5o  à  60  centimètres  de  haut, 
commandés,  depuis  la  Restauration  jusqu'à  la 
fin  du  Second  Empire,  aux  représentants  les 
plus  misérables  de  notre  école  de  sculpture. 
La  tendance  a  été  d'ailleurs  manifeste,  dès  le 
Premier  Empire,  à  confondre  le  biscuit  avec  esprit  et  finesse.  Non  seulement  l'art  dépensé 
les  autres  travaux  du  sculpteur.  Encore,  si  l'on      dans  ces  compositions,  toutes  charmantes,  esi 


Surtout  Louis  X  V.  —  Sonneur  de  trompe     oudky. 
\u  xvui«  siècle,  au  contraire,  tout  est  grâce, 


68 


Art  et  Décoration 


autrement  raffiné  que  celui  des  modèles  de 
ce  siècle,  mais  les  sujets  traités  sont  admi- 
rablement adaptés  à  la  matière  dont  ils  se- 
ront fabriqués. 
Les  artistes 
pourtant,  au  dé- 
but, sont  desim- 
plescmployésde 
la  manufacture. 
Ni  Falconet,  ni 
Caffiéri,  ni  Pi- 
galle,  qui  plus 
tard  ne  croiront 
pas  déroger  en 
modelant,  pour 
cettedcstination 
spéciale  du  bis- 
cuit, de  gracieu- 
ses fi  gur  i  n  e  s 
pour  cheminées 
oupour  surtouts 
de  table  et  des 
statuettes  déco- 
rativesdegrands 
hommes,    n'ont 

été  appelés,  dans  les  commencements,  à 
collaborer  à  cette  brillante  éclosion.  Ce  sont 
d'obscurs  artisans  qui  ont  modelé  à  Vincennes, 
d'après  les  dessus  de  portes  de  Boucher,  la 
délicieuse  série  d'enfants  nus  qui  figure  à  la 
fin  de  cet  article  ;  et  le  merveilleux  surtout  de 
table  dont  le  Président  de  la  République  vient 
de  porter  en  Russie  une  reproduction  est 
l'œuvre  des  mêmes  anonymes.  Là  encore,  la 
pensée  première  n'est  pas  d'eux.  La  tradition 
veutqu'Oudry  soii  l'auteur  de  la  composition. 


Surtout  Louis  AT.  —  Citasse  au  cerf 


donnons  de  toutes  ces  pièces  pour  se  rendre 
compte  que  l'exécution  des  modèles,  même 
avec  les  indications  fournies   par   un    maître. 

était  une  entre- 
prise singulière 
ment  périlleuse. 
Elle  a  réussi  à 
ceux  qui  l'ont 
tentée. 

Ce  surtout  est 
formé  de  sept 
pièces.  Dans  le 
motif  central  , 
une  meute  force 
un  cerf.  D'un 
coup  de  ses  so- 
lides andouil- 
1ers,  la  bête  a 
jeté  bas  trois  sur 
cinq  des  limiers 
qui  la  serrent  de 
plus  près,  mais 
les  survivants  ne 
la  lâchent  pas  et, 
tandis  que  l'un 
d'eux,  par  derrière,  lui  enfonce  ses  crocs 
dans  la  cuisse,  l'autre,  encore  plus  hardi,  va 
s'élancer  à  sa  gorge.  L'ensemble  est  vivant, 
animé,  disposé  à  ravir  et  délicieux  de  cou- 
leur. On  ne  peut  s'empêcher,  il  est  vrai,  de 
constater  que  le  cerf  est  bien  petit  pour  des 
chiens  aussi  gros.  Suivant  la  coutume  du 
siècle,  on  en  a  pris  à  son  aise  avec  les  indica- 
tions de  la  nature.  Pour  conserver  au  motit 
l'élégance  dont  on  s'est  fait  une  loi  primordiale, 
on  a  supprimé  les  caractéristiques  de  la  force  et 


Chasse  au  loup. 


Chasse  au  satiglie 


et  qu'il  en  ait  dessiné  pour  la  manufacture  les  accentué  de  parti-pris  la  finesse.  Il  en  est  résulté 
motils.  .Niais  il  suffira  à  nos  lecteurs  de  jeter  moins  un  cerf  qu'un  délicieux  à  peu  prèsdeccrt, 
un  coup  d'œil  sur  les  reproductions  qtie  nous      un  pur  joujou  de  la  Forêt-Noire  en  biscuit. 


J 


Le  Biscuit   Je  Serres 


69 


Les  deux  motifs  secondaires,   la  CImsse   an 
loup,   la  Chasse  au  sanglier,  qui    flanquent  le 


Siirto'it  Louis  XV. 


Valet  de  chiens. 


motif  principal,  prêtent  moins  à  la  critique  au 
point  de  vue  de  Texactitude  dans  les  formes.  Ils 
ne  sont  ni  moins  pittoresques,  ni  moins  heu- 
reusement composés. 

Mais  où  le  xvuie  siècle  triomphe,  où  il 
déborde  d'entrain,  de  vivacité  spirituelle  et 
légère,  de  justesse  et  de  grâce  expressive,  où  sa 
merveilleuse  entente  des  nécessités  décoratives 
s'affirme,  c'est  dans  les  figures  détachées  qui 
accompagnent  les  groupes  d'animaux.  Voyez 
l'homme  au  fusil,  le  valet  de  chiens,  les  deux 
sonneurs  de  trompe.  Aucun  d'eux  qui  ne  se 
relie  directement  à  l'action,  tout  en  gardant 
comme  pièce  séparée  son  charme  propre.  Je  ne 
voudrais  certainement  pas  déprécier  le  surtout 
récemment  exécuté  pour  la  manufacture,  sur  ce 
même  sujet  de  la  Chasse,  par  un  jeune  anima- 
lier, M.  Gardet,  qui,  à  plusieurs  reprises  déjà, 
s'est  affirmé  à  nos  Salons  annuels  comme  un 
maître,  mais  ses  figurines  de  chasseurs  a 
pied  sont  bien  loin,  pour  la  vérité  de  l'allure, 
l'entente  du  pittoresque  et  surtout  le  sens  déco 
ratif,  des  modèles  du  siècle  passé.  Les  figures 
montées,  FAmaione  et  le  Piqueur,  otîrent  déjà 
un  intérêt  plus  vif,  la  première  surtout,  dont  le 
cheval,  sautant  un  obstacle,  et  les  chiens,  lancés 
au  galop,  donnent  une  animation  réelle  à  la 
scène. 


.Mais  quelles  bases  étroites  pour  des  motifs 
aussi  compliqués!  L'artiste  n'eût  pas  dû  perdre 
de  vue  que  ces  objets,  destinés  à  la  décoration 
d'Line  table,  doivent  être  soustraits  à  tout  heurt 
provenant  des  compotiers  ou  des  menus  objets 
de  l'entourage.  11  eût  été,  partant,  nécessaire 
d'en  élargir  la  base,  à  la  fois  pour  les  asseoir 
solidementetpour  préserver  de  tout  choc  leurs 
multiples  saillies.  La  reproduction  que  nous 
donnons  dos  deux  pièces  nous  fournit  une 
preuve  décisive  à  l'appui  de  nos  réflexions. 
Quelque  récente  que  soit  la  fabrication  du  sur- 
tout, des  accidents,  déjà,  s'y  sont  produits,  et 
l'un  des  chiens  du  piqueur  a  été  victime,  à 
la  patte,  d'une  fracture  dont  les  traces  sont 
visibles. 

Par  contre,  l'artiste  moderne  se  relève  dans 
le  détail  de  l'exécution.  En  ce  qui  concerne  sur- 
tout les  animaux,  il  témoigne  d'une  supériorité 
éclatante.  Il  atteint  même  au  style  dans  ses 
deux  groupes  de  chiens  et  dans  le  Cerf  forcé 
par  les  chiens  qui  est  le  motif  central  du  sur- 
tout. Si  nous  sommes  contraint  de  lui  repro- 
cher, dans  cette  dernière  pièce,  une  erreur  ana- 
logue à  celle  des  figurines  à  cheval,  s'il  est  à 
regretter  que  les  andouillers  saillants  de  l'ani- 
mal soient  destinés  à  éprouver  le  même  sort 
que  la  patte  dont  nous  parlions  tout  à  l'heure, 


Surtout  Louis  XV.  —  Piqueur  et  chiens. 

il  n'en  faut  pas  moins  reconnaître  que  la  scène 
est  traitée  avec  une  incomparable  vigueur.  Elle 


-o 


Art  et  Décoration 


fait  preuve,  en  même  temps  que  d'un  savoir 
étonnant,  d'une  vérité  dans  le  mouvement  et 
d'une  exactitude  dans  l'observation  qui  en  font 
un  véritable  chef  d'œuvre.  Joignez-y  qu'elle 
est  dramatisée  à  ravir  et  concentrée  avec 
une  superbe  vigueur.  Par  là,  elle  rachète  élo- 
quemment  ce  qui  manque,  à  d'autres  points 
de  vue,  à  la  conception  par  trop  naturaliste 
de  ce  siècle. 
Ce  surtout 
m'a  mené  bien 
loin.  J'avais 
rêvé,  dans  cette 
courte  étude, 
d'appeler  l'at- 
tention sur  bien 
d'autres  chose 
encore.  J'aurais 
voulu  conter  par 
le  menu,  avec 
tous  les  déve- 
loppements 
qu'elle  com- 
porte, l'histoire 
du  biscuit  au 
xvnr'siècle;  j'au- 
rais aimé  à  le 
montrer,  dans  la 
variété  infinie 
de  ses  sujets,  se 
réglant  d'année 
en  année  sur  la 
mode,  et  des  pas- 
torales imitées 
de  Boucher  pas- 
sant, avec  La 
Rué,  à  ces  mo- 
nographies pit- 
toresques qui 

s'appellent  la  Lanterne  nuif^iqiic,  les  Mar- 
chandes de  poisson,  la  Marchande  de  fleurs, 
les  Alangeiirs  de  raisin,  la  Toilette.  Il  est 
interdit,  malheureusement,  d'insister.  Dans 
l'espace  mesuré  qui  me  reste,  c'est  à  peine  si 
j'ai  le  temps  d'esquisser,  dans  un  rapide  cro- 
quis, la  physionomie  des  phases  successives  de 
la  fabrication,  de  mentionner  l'hommage  rendu 
par  Leriche  aux  célébrités  du  théâtre,  entre 
autres  à  Mlle  Contât,  qu'il  a  immortalisée  sous 
la  figure  de  Thalie.  L'actualité  est  la  spécia- 
lité, d'ailleurs,  de  Leriche.  Il  excelle  à  croquer 
d'un  trait  juste,  en  précises  et  lestes  figurines, 
tantôt  les  érangers  de  passage,  comme  l'aven- 
turier, par  exemple,  qui  se  fil  passer  à  Paris, 


Surtout  de  M.  Gaidet. 


pour  le  Fils  du  Grand  Moi^al.  tantôt  les  types 
de  Jocrisses  dont  s'égaveni,à  la  foire  Saint-Lau- 
rent, le  monde  de  la  Cour  et  celui  de  la  Ville. 
Puis,  c'est  F"alconet,  c'est  Pigalle,  avec  les 
délicieux  petits  nus  et  les  gracieuses  figurines 
d'enfants  qu'ils  modèlent  pour  la  cheminée  des 
boudoirs;  c'est  Pajou,  avec  ses  inimitables 
portraits  des  Enfants  de  France,  d'une  grâce  si 

pénétrante  et  si 
fraîche,  et  sur- 
tout avec  cette 
exquise  mer- 
veille bien 
connue  sous  le 
nom  de  Marie- 
.\ntoinette  et  le 
Dauphin  1781  j. 
Rien  ne  se 
fait  plus,  désor- 
mais, qu'à  l'an- 
tique. On  usera 
et  on  abusera 
du  nu  à  l'avenir. 
La  reine  elle- 
même,  dans  le 
petit  groupe  de 
Pajou  que  je 
viens  de  men- 
tionner, et  que 
nous  reprodui- 
sons,  n'a-t-elle 

pas  donné 
l'exemple,  que 
nous  trouve- 
rions mainte- 
nant immo- 
deste, de  se  faire 
Am.Tyone  sautant  vn  obstacle.  représenter    de- 

mi-nue? 
L'amour  gai,  pimpant,  à  fleur  de  peau,  si 
joliment  caractérisé,  vers  17(10,  parle  Baiser 
donné  ei  le  Baiser  rendu,  fait  place  au  pastiche 
banal  des  camées  et  des  médailles  antiques, 
aux  Cupidons  allégoriques  et  rondelets  dont 
Boizot,  un  délicat  pourtant,  nous  assassine 
dans  son  .Amour  réminileur.  aiguisant  une 
flèche,  dans  son  interminable  série  des  .\mours 
menaçant  s,  dépités,  triomphants,  même  dans  un 
Nid  d'Amours  ingénument  ridicule,  et  le  tout 
sera  encore  dépassé  aux  approches  de  la  Révo- 
lution, par  le  mélange  à  la  mode,  un  mé- 
lange oi.1  le  pathétique,  le  sentimental  et  le 
patriotique  se  fondent  dans  un  pathos  décla- 
matoire et  navrant. 


Le  Biscuit  de-  SèiTcs 


7 


I 


Si  l'on  voit  par  hasard  encore  de  l'esprit,  c'est 
de  l'esprit  si  alamhiqué,  si  apprêté,  qu'il  alour- 
dit et  vulgarise  tout  ce  qu'il  touche.  'Vous  faites- 
vous  une  idée  de 
VInsoinnie  fissu- 
rée par  une  jolie 
femme,   rejetant 
d'une    main    fé- 
brile les  couver- 
tures de  son   lit 
pour    chercher, 
sous  sa  chemise 
entr'ouvene,    la 
puce  importune 
qui  la  mord? 

De  pittoresque 
plus  ombre.  Le 
sentimentalisme 
courant  l'a  gâté. 
Au  lieu  des  pi- 
quantes petites 
scènes  où  excel- 
la i  t  La  R il e , 
on  ne  voit  plus 
que  la  trans- 
cription aggravée  des  scènes  larmoyantes 
qui  ont  fait  la  fortune  de  Greuze,  des  pères 
paralytiques,  des  fils  et  des  filles  coupables, 
ou  des  scènes  déjà  empreintes  de  ce  ci- 
visme et  de  cette  Intmanitairerie  e.xaltés  dont 
le  parallélisme  avec  les  égorgements  de  la  Ter- 
reur est  d'une  observation  si  curieuse  dans 
l'histoire.  A  peine,  une  fois  encore,  en  17SS, 
trouvera-t-nn    une    composition  qui    rappelle, 


Surtout  Louis  XV.  —  Cerf  aux  prises  avee  les  ehwus.       ovdky 


dans  le  détail,  d'aller  de  pair  avecles  charmants 
bibelots  d'autrefois. 

Le  glas  de  l'ancien  régime  a  sonné.  Lugete, 

Venercs.  Ce  ne 
sont  plus  que 
triangles  égali- 
taires  suspendus 
par  de  trop  vi- 
sibles Génies 
au-dessus  de 
Fraternités  dra- 
pées chaste- 
ment. C'est  le 
déclin,  c'est  la 
mort  du  biscuit. 
En  vain  Boizot 
et  Clodion  s'é- 
vertuent à  adap- 
ter aux  idées 
nouvelles  leur 
talent,  ils  ne  re- 
trouvent plus 
l'équivalent,  le 
premier  de  sa 
Dubarry  et  de 
sa  Marie-Antoinette,  le  second  de  ses  bas-re- 
liefs et  de  ses  Nymphes.  En  dépit  du  concours 
apporté  par  des  maîtres,  sous  le  Premier 
Empire,  sous  la  Restauration,  sous  la  Monar- 
chie de  Juillet,  à  la  manufacture  royale,  rien  ne 
se  fera  plus  désormais  que  d'odieux.  Le  second 
Empire  pourtant,  malgrél'ignominie  des  inven- 
tionsqu'ilessayepourfaireneuf,  malgré  l'extra- 
vagance   de    ses   pâtes   bronzées   ou   bleutées, 


Surtout  de  M.  Gardet.  —  Groupe  de  cliicns. 


Surtout  de  M.  Gardet.  —  Groupe  de  chiens. 


dans  les  scènes  de  genre,  l'aisance  et  la  grâce  enrichira  la  collection  des  modèles  d'une  pièce 
disparues,  un  Couronnement  de  la  Rosière  qui  exceptionnelle,  magistrale,  avec  VEnfant  au  lé- 
serait digne,  en  dépit  de  quelques  exagérations      vrier  portraitdu  Prince  impérial), de  Carpeaux. 


Art   et   Di'coration 


Il  y  a  progrès  de  nos  jours.  S'il  paraii  inutile 
de  reproduire,  comme  on  l'a  lait,  en  biscuit, 
le  Guerrier  ou  la  Maternité  de  Paul  Dubois, 
ou  la  Vierge  au  lis,  de  Delaplanche,  on  a  c-té, 
croyons-nous,  heureusement  inspiré  en  repro- 


GLincusc.  M.  Hoi'ssiN. 

duisantces  œuvres  charmantes  qui  s'appellent 
la  Moissonneuse,  de  Houssin,  la  Chanson,  de 
Félix  Charpentier,  la  Léda,  de  Suchetet,  la 
Catherine  II,  de  Deloye,  La  plaine  et  le  Ruis- 
seau, de  Larche.  Mais  le  mieux  est  encore  de 
recourir  à  la  commande  directe. 

On  me  dira,  comme  on  me  l'a  déjà  répondu, 
que  le  budget  de  la  manul'aciure  est  limité. 
qu'onarriveiout  juste  à  jomdre  les  deux  bouts, 
et  que  l'argent,  par  conséquent,  fait  défaut 
pour  permettre  à  la  direction,  chaque  année, 
de  commander  une  demi-douzaine  de  modèles. 
La  réponse  ne  me  paraît  qu'à  demi  concluante. 
Les  frais  de  réduction  de  statues  qui  n'ont  pas 
été  faites,  en  vue  d'une  reproduction,  en  bis- 
cuit, coûtent  aussi  cher  à  eux  seuls  qu'un  mo- 
dèle commandé  à  un  artiste  de  talent,  et,  pour 
le  même  prix  qu'un  morceau  commandé  à  des 
maîtres,  on  obtiendrait  aisément  dix  morceaux 
commandés  à  des  jeunes  en  pleine  possession 
déjà  de  leur  talent,  mais  dont  la  notoriété  n'est 
pas  faite. 

Pour  quiconque   suit  de  près  les  Salons,  il 


est  certain  qu  on  trouverait  aisément  une  tren- 
taine de  ces  jeunes,  capables  d'inventer  des 
motifs  charmants,  pittoresques,  traités  selon 
l'esthétique  du  genre. 

On  V  gagnerait  doublement.  D'une  part,  en 
étendant  la  production,  en  variant  les  modèles, 
en  les  imprégnant  d'un  esprit  plus  moderne, 
on  augmenterait  dans  des  proportions  très 
sensibles  le  chitl're  de  la  vente.  D'autre  part, 
on  répandrait  parmi  les  artistes  le  goût  d'un 
art  moins  encombrant,  moins  inutile,  par 
suite,  que  celui   qui  foisonne  aux  Salons. 

Les  bons  modèles  ne  leur  manqueraient  pas 
pour  bien  faire.  Outre  le  surtout  de  Gardet, 
qui  renferme,  comme  nous  l'avons  dit,  des 
jiarties  vraiment  magistrales,  on  leur  mettrait 
sous  les  veux  les  morceaux  déjà  terminés  du 
surtout  que  la  direction  des  Beaux-.A.rts  com- 
manda, voilà  deux  ans  et  demi,  à  M.  Frémiet, 
et  qui  constituera  pour  la  manufacture,  à 
l'Exposition  de  1900,  un  attrait  exceptionnel. 
Dans  l'atelier  du  maître,  où  j'ai  vu  l'œuvre  en 
train,  j'ai  pu  m'en  rendre  compte.  Comme 
dans  le  surtout  Louis  XV,  comme  dans  le  sur- 
tout Gardet,  le  motif  traité  est  la  Chasse.  Mais 
cette  fois  la  conception  est  tout  autre.  .A.vec  la 
iinesse  habituelle  de  son  goût,  M.  Frémiet  l'a 
variée  au  possible  en  y  introduisant  l'allégorie, 
en  y  reproduisant  l'image  de  la  chasse  à  toutes 
les  époques  de  l'histoire,  et  sous  les  climats 
les  plus  ditiérents. 

La  chasse  à  l'ours,  entre  autres,  est  une  pure 
merveille.  Campée  avec  une  incomparable 
noblesse,  sur  un  char  de  bois  aux  roues 
pleines  traîné  par  un  attelage  de  rennes,  une 
Minerve  Scandinave  y  préside.  C'est  en  même 
temps  une  scène  préhistorique  de  l'érudition 
la  plus  consciencieuse  et  tout  un  poème  de 
grâce,  d'ingéniosité  et  de  délicatesse.  Nous  au- 
rions voulu  pouvoir  le  reproduire,  mais  des 
règlements  draconiens  s'y  opposent.  On  ne 
connaîtra  par  aucune  reproduction  cette 
conception  délicieuse  avant  l'Exposition  de 
1900.  Trop  heureuse  d'avoir  à  montrer  un 
chef-d'œuvre  d'une  allure  aussi  Hère,  la  manu- 
facture tient  à  garder  entière  la  surprise  au  pu- 
blic qui  verra  dans  leur  ensemble  ses  travaux. 
Nous  ne  saurions  lui  en  faire  un  crime  :  nous 
le  regrettons,  pour  nos  lecteurs,  amèrement. 
.Jamais  l'an  si  français  du  biscuit  n'aura  pro- 
duit morceau  plus  achevé  dans  sa  grâce  et  plus 
exquis  dans  sa  légère  minutie. 

Thucballt-Sisson. 


oTRE  jbut  dans  ces 
notes  rapides,  est 
surtout  d'étudier 
les  ressources 
principales  que 
peuvent  apporter 
à  la  décoration 
des  intérieurs 
les  travaux  exécutés  par  la  femme  à  ses 
heures   de  loisir. 

Ces  ressources  sont  précieuses,  et  plus  que 
nous  ne  saurions  le  dire.  Ce  sont  ces  travaux, 
en  effet,  qui,  exécutés  d'après  un  plan  conçu  et 
mûri  longuement,  peuvent  donner  à  l'aspect 
de  nos  demeures  un  caractère  artistique  et 
essentiellement  personnel,  ce  dont  les  tapis- 
siers sont  incapables,  à  quelque  prix  que  ce  soit. 
Ce  sont  ces  travaux  surtout  qui  peuvent 
largement  contribuer  à  faire  entrer  chez  nous 
cet  art  nouveau  que  l'on  réclame  tant,  que  cha- 
cun désire,  et  qui,  si  difticilement,  remplace 
les  décorations  surannées  dont  le  commerce 
nous  a  trop  longtemps  abreuvés;  et  il  nous 
faut,  dès  lors,  substituer  de  nouvelles  œuvres 
à  ces  antiquités,  qui  soient  plus  en  harmonie 
avec  nos  goûts,  notre  époque  et  nos  besoins. 
On  voit  par  là  quelle  énorme  portée  morale 
peut  avoir  sur  l'avenir  artistique  de  notre 
époque  cette  collaboration  féminine. 

Qui,  plus  que  la  femme,  est  à  même  de  favo- 
riser et  d'accomplir  cette  évolution?  N'est-ce 
pas  à  elle  que  revient  le  soin  d'orner  nos 
demeures?  C'est  donc  elle  qui,  par  ces  travaux 
d'un  goût  nouveau  et  tout  moderne,  intro- 
duira chez  nous  cet  élément  qui  va  rajeunir  et 
revivifier  l'arrangement  intérieur  et  la  décora- 
tion de  nos  appartements.  Ce  sera  le  point  de 


départ,  le  début.  Peu  à  peu  viendront  des  ré- 
formes plus  importantes  qui  porteront  le  renou- 
veau parmi  les  éléments  essentiels  de  notre 
ameublement. 

De  nombreuses  tentatives  sont  faites;  mais, 
sinon  stériles,  du  moins  restent-elles  peu  éten- 
dues, le  prix  élevé  de  ces  œuvres  uniques  étant 
hors  des  ressources  de  la  plupart. 

Mais,  au  lieu  d'une  réforme  radicale  presque 


Ecran  :  Pavot  d'aprcs  une  estampe  japonaise. 

toujours  impossible,  pourquoi  ne  pas  préparer 
peu    à    peu    celle-ci  ?  ^Les    travaux    féminins 

10 


74 


Art    et    Décoration 


seraient  en  ceci  d'un  secours  inappréciable. 
Qui  empêche,  au  lieu  de  cette  bande  de  tapis- 
serie de  style  Louis  Xl\'  ou  Louis  W  que  nous 
connaissons 
tous  ,  qui 
empêche  de 
composer,  de 
chercher, d'a- 
cheter même 
un  modèle 
[car  on  en 
peut  trouver) 
répondant  à 
nos  goûts 
plus  moder- 
nes? Certes, 
pour  le  com- 
poser ou  le 
choisir,  ce 
modèle,  cer- 
tains efforts 
s'imposent. 

Ce    n'  es  t 

,  _,  .  Cuiissin.  Arbouses. 

plus,  en  effet, 

le  motif  courant  classique,  consacré  et  adopté 

et  qui  a  presque  force  de  loi.  Là,  aucun  précé- 


posé  son  intérieur  d'éléments  dont  on  puises 
regarder  les  détails,  sans  avoir  l'ennui  de 
les  retrouver  au  hasard  des  visites  ou  des  voya- 
ges, comme 
cela  est  iné- 
vitable avec 
ce  dont  nous 
croyons  d  e- 
%•  o  i  r  nous 
contenter! 

Nous  ne 
nous  occupe- 
rons donc  ici 
que  des 
moyens  dé- 
coratifs ren- 
trant bien 
dans  les  fa- 
cultés d'exé- 
cution cou- 
ran  te,  tra- 
vaux dont 
toutes      les 

E.  COLIY.  - 

femmes  sont 
capables  en  général.  Nous  éloignerons,  de 
parti   pris,   toute  question   de  meubles   et  de 


Siège  et  dossier  four  une  l'i2ii,]iielte. 


M.-r.   VERSEflL. 


dent;  seul  le  goût  est  maitre  et  se  trouve  sans      tentures,   dont   l'exécution    exige   des   spécia- 
auire  appui  que  lui-même.  listes  et  de  coûteuses  dépenses.  Nous  ne  ver- 

Mais  aussi,  quelle  satisfaction  d'avoir  com-      rons  que  les  travaux  bien  féminins  et  essaie- 


La   Dccoratiou    lutrricurc   et    les    Travaux  Féminins 


7) 


de     les    renouveler, 
nous   adresser   à   la 


rons   de   les  rajeunir    et 
Nous  ne   voulons   pas 
femme  qui,  jeune 
tille,  a  suivi  assi- 
dûment les  cours 
d'art      décoratif . 
Celle-là   n'a    nul- 
lement besoin  de 
nos     conseils     et 
peut     facilement 
concevoir  et  exé- 
cuter toutes  cho- 
ses   à    sa    conve- 
nance; mais  noiif 
parlons  à  la  fem- 
me    qui,      sans 
connaissances  ar- 
tistiques    spécia 
les,   a    cependant 
le     désir     de     se 
composer  un  inté- 
rieur  confortable 
et  conforme  à  son 
esthétique  . 

Nous  diviserons 
les  travaux  fémi- 
nins en  trois  caté- 
gories: i"La  tapis- 
serie, ■!'>  la  brode- 
rie et  3"  les  appli- 
cations   d'étoffes. 

Nous  laissons  volontairement   de   coté    les 
dentelles,  peintures  diverses,  pvrogravure,  etc., 


Écran. 


familière  à  chacun,  et  étendre   ainsi  le  cercle 
des  ressources  dont  nous   aurons  à  disposer. 

Déjà,  du  reste,  ces 
trois  procédés 
nous  permettront 
de  varier  nos  mo- 
tifs à  l'infini,  et 
d'adapter  à  cha- 
que sujet  le  genre 
d'exécution  qui 
lui  convient. 

D'autre  part , 
deux  cas  princi- 
pauxseprésentent 
à  nous  :  i»  Nous 
avons  à  décorer 
entièrement  à  no- 
tre convenance 
une  pièce  quel- 
conque :  salon, 
boudoir,  salle  à 
manger  ou  cham- 
bre à  coucher;  i" 
nous  voulons 
simplement,  par 
l'adjonction  d'ob- 
jets nouveaux, 
rajeunir  et  modi- 
fier l'aspect  d'une 
pièce  déjà  dé- 
corée. 
Le  premier  cas,  de  beaucoup  le  plus  intéres- 
sant, nous  laisse  le   champ  absolument  libre. 


RIPPL-RONAI. 


iiwmm. 


^  i  (  <  .  ;  •        . 


'rnmiimm 


M. -p.   V£RSEU1L. 


Bande.  Pavots. 

de  pratique  moins  courante;  nous   pourrons  Là,  les  couleurs,  les  éléments  divers  sont  à 

cependant  plus   tard   en   rendre  la    technique      notre  disposition  sans  autre  nécessité  que  celle 


/' 


Art   et   Dàcoraîion 


de  les  bien  harmoniser  entre  eux  et  de  faire  un 
ensemble  plaisant  et  agréable. 

Pour  le  second    cas,    le    choix    raisonné  du 


J\1,IIU.IU     iJeCLII-atif.  RANSON. 

motif  s'impose,  de  même  que  celui  de  la  colo- 
ration, qui  ne  doit  pas  déséquilibrer  un  ensemble 
déjà  composé.  Que  de  fois  ne  se  préoccupe- 
t-on  pas  assez  de  cela,  s'atta- 
chant  seulement  à  la  séduc- 
tion du  motif  ou  de  la  cou- 
leur pour  eux-mêmes? 

Dans  ce  cas  donc,  les  conseil  s 
autres  que  ceux-ci  seraient  inu- 
tiles, le  choix  devant  forcé- 
ment varier  avec  chaque  cas 
particulier.  Aussi  bien,  pour- 
ra-t-on  en  trouver  les  éléments 
dans  l'étude  que  nous  allons 
rapidement  faire  de  la  compo- 
sition complète  d'une  pièce. 

Comme  nous  le  disions  plus 
haut,  on  ne  doit  partir  qu'après 
avoir  conçu  un  plan  formant 
le  squelette,  la  partie  ferme  re- 
lianttouslesélémentsde  la  dé- 
coration. Ceplancomprendra 
deux  résolutions  distinctes:  la  recherche  du  mo- 
tif général  et  l'harmonie  de  coloration  de  la  pièce. 
Quoique,  le  plus  souvent,  on  s'en  soucie 
peu  et  que  le  bariolage  et  la  confusion  soient, 
sinon    recherchés,  du  moins  tolérés,  nous  ne 


pouvons  ici  accepter  cette   manière  de  voir. 

Si  une  harmonie  doit  être  créée  dans  chaque 
pièce  d'une  demeure,  une  dominante  doit 
également  exister  aussi  bien  dans  la  colora- 
tion que  dans  les  éléments  constitutifs  des 
motifs  décoratifs.  Donc,  deux  décisions  à 
prendre;  quel  élément  constituera  le  thème 
ornemental  :  végétal,  animal,  ornement? 

Ensuite,  quelle  harmonie  allons-nous  créer? 
bleu  et  jaune,  vert  et  orangé  ou  tout  autre? 

Ici,  legoùt  personnel  est  juge  souverain  et  la 
liberté  la  plus  complète  nous  est  laissée;  les 
couleurs  employées  en  art  décoratif  étant  avant 
tout  conventionnelles,  nous  devons  surtout 
chercher  l'harmonie,  quitte  à  faire  des  roses 
bleues  ou  des  lis  rouges. 

Une  fois  ces  deux  points  acquis,  seule  la  beso- 
gne matérielle  reste  à  faire;  c'est-à-dire  recher- 
che et  tracé  des  motifs,  et  exécution  de  ceux-ci. 

Pour  le  tracé,  écartant  le  cas  par  trop  parti- 
culier où  l'exécutant  est  son  propre  dessinateur, 
on  trouvera  des  maisons  spéciales  qui  se  char- 
geront de  ce  soin;  et,  si  nous  ne  voulons  pas 
nous  faire  composer  des  motifs  inédits  (moyen 
bien  préférable  et  dont  les  frais  pourtant  sont 
minimes  pour  une  œuvre  d'ensemble  assez 
considérable),  ces  maisons  possèdent,  en  pro- 
pre, des  motifs  nouveaux  encore  peu  répandus 
et  que  nous  pourrons  exécuter  dans  telle 
gamme  qu'il  nous  plaira.  On  se  croit  trop  sou- 


Bande .  Cyclamens. 


-p.    VERNEUII.. 


vent  forcé  de  suivre  à  la  lettre  les  indications 
fournies  avec  le  canevas;  des  modifications  de 
couleurs,  faites  avec  goût,  introduiront  un  peu 
de  personnalité  dans  ce  motif  que  l'on  pourra 
ainsi  modifier  à  sa  guise. 


Que  de  fois  avons-nous  vu  des  femmes  simples  pavots.  La  plante  y  est  exécutée  entiè- 
passer  des  années  à  exécuter  laborieusement  rement  au  point  carré.  Mais  pour  v  introduire 
des  décorations  complètes  de  salons,  par  de  la  variété,  un  autre  point  a  été  choisi  pour 
exemple,  comprenant  la  couverture  de  nom-  le  fond,  un  troisième  pour  les  filets.  En  outre, 
breuses  chaises,  de  coussins,  de  canapés,  des  l'ouvrage  terminé,  le  trait  est  venu  rectifier  les 
bordures  de  portières,  de  rideaux,  et  plus  formes,  les  cerner,  les  détailler;  faire  les  den- 
encore?  et  reproduisant  à  l'infini  un  dessin  telures  des  feuilles,  par  exemple, 
banal,  pris  au  hasard  d'un  journal  de  modes  L'etfet   ainsi   produit  est  incontestablement 

ou  de  l'étalage  d'un  magasin  de 
nouveautés;  dessin  encore  dé- 
formé par  l'application  du  point 
carré,  qui  seul  semble  avoir  le 
privilège  de  séduire  pour  l'exé- 
cution des  tapisseries.  Nous  ne 
reparlerons  pas  du  motif,  mais 
certes,  nous  devons  nous  occu- 
per des  points  qui  sont  nom- 
breux, et  qui  bien  employés  per- 
mettent de  faire  des  œuvres 
beaucoup  plus  variées  et  plus 
intéressantes.  Nous  en  donnons 
ici  quelques  exemples. 

Si  même  on  veut,  pour  des 
raisons  quelconques,  employer 
l'immuable  point  carré,  pour- 
quoi ne  pas  dissimuler lesinévi- 
tables  brisures  du  dessin  sous 
un  trait,  cernant  les  formes,  les 
détaillant,  les  enrichissant  au 
besoin,  et  que  l'on  vient  rebro- 
der, une  fois  la  tapisserie  faite 
et  finie  par  les  movens  ordi- 
naires. 

On  n'aura  plus  ici  à  se  préoc- 
<^uper  du  canevas,  mais  bien  de 
la  pureté  de  la  forme  que  l'on 
pourra  ainsi  rétablir,  rendre  plus  harmonieuse, 
et  plus  souple 


Pavots.  Fragment  de  coussin. 


supérieur  et  le  résultat  plus  satisfaisant.  Mais, 
cependant ,    un    autre    point    nous    convien- 
Comme  exemple,   prenons   cette    bande  de      drait  mieux  encore  :  c'est  celui  qui,  dans  les 


/-s 


An  et  Décoration 


exemplesquenousdonnons,portelc  numéroll.  supprimant  ce  remplissage,  on  abrège  forte- 
On  peut  Texécuter  de  diftérentes  façons  :  ou  ment  l'exécution  tout  en  produisant  un  effet 
sur  canevas  ordinaire,  ou  sur  simple  toile.  différent  de  celui  que  nous  aurait  donné  l'exé- 
cution pleine  en  tapisserie.  Une  étoffe  quel- 
conque, drap,  soie,  ou  autre,  sert  de  support  à 
l'ornementation.  Celle-ci  est  calquée  sur  un 
canevas  fin,  que  l'on  applique  sur  l'étoffe;  on 
exécute  la  tapisserie  et,  une  fois  terminée,  on 
tire  les  fils  du  canevas. 

C'est  par  ce  dernier  moven  qu'ont  été  exé- 
cutés le  coussin  orné  de  pavots  de  M.  Couty, 
dont  nous  donnons  un  fragment,  et  la 
bande  de  cvclamens  autour  desquels  volent 
des  libellules.  Le  premier  de  ces  ouvrages 
montre  bien  la  disposition  du  canevas  sur 
l'étoffe.  Une  partie  des  fils  ont  été  tirés  sous  le 
motif  exécuté.  Le  fond  choisi  ici  était  la  soie; 
c'était  le  drap,  par  contre,  pour  les  cyclamens. 
Mais  par  ce  procédé,  on  produit  bien  plus  un 
effet  de  broderie  qu'un  effet  de  tapisserie;  et 
quoique  l'admettant,  pour  l'économie  considé- 
rable de  temps  qu'il  nous  apporte,  nous  pré- 
férons de  beaucoup  la  tapisserie  pleine,  pro- 
duisant un  effet  plus  lourd,  peut-être,  mais  à 
coup  sûr  présentant  un  bien  plus  grand  carac- 


Poiiits  de  Tapisserie. 


Dans  ce  dernier  cas,   l'exécution    en   est  plus 

difficile  et  une  certaine  habileté  est  nécessaire. 

Les  fils  du  canevas  ne  sont  plus  là  pour  guider 

le   travail,   assurer  la   régularité  du    point,  et      tère  d'unité.  Cette  observation  qui  s'applique 

l'inclinaison      uniforme     de 


ceux-ci.  Aussi,  quelque  soi- 
gné qu'il  soit,  un  travail  exé- 
cuté ainsi  présente-t-il  des 
défauts,  qui  pour  nous  ce- 
pendant deviennent  de  pré- 
cieuses qualités;  celte  irrégu- 
larité forcée  enlève  de  la  sé- 
cheresse, donne  plus  de  vie, 
fait  jouer  davantage  la  ma- 
tière. Il  ne  faudrait  cepen- 
dant pas  partir  de  ce  principe 
en  le  poussant  à  l'extrême,  et 
croirequ'une  exécuiionlàchée 
rendra  plus  intéressante  l'œu- 
vre exécutée  ;  il  faut  au 
contraire  chercher  à  appro- 
cher de  la  perfection  autant 
que  possible;  ce  qui  échap- 
pera à  notre  application  suf- 
fira amplement.  Le  plus  sou- 
vent, ce  point  s'exécute  avec 
une  laine  plus  fine  que  celle  employée  d'ordi- 
naire; aussi,  le  travail  est-il  long.  On  a  cher- 
ché à  y  remédier;  la  partie  la  moins  intéres- 
sante, mais  aussi  la  plus  longue  d'un  ouvrage 
quelconque,  n'est-elle  pas  presque  toujours  le 
remplissage  du  fond.  Pour  certainstravaux,  en 


Coussin.  Sorbier. 


E.  COl'TY. 


surtoutaux grandes  surfaces,  est  moins  absolue 
cependant  pour  les  petites,  pour  les  coussins 
par  exemple;  là,  on  peut  reprocher  un  peu  la 
lourdeur  de  la  tapisserie  pleine,  et  alors  le  fond 
apf5arent  peut  devenir  un  avantage. 

D'autres  exemples  de  ce  point,  mais  avec  le 


La     Tapisserie 


79 


fond  exécuté  en  tapisserie,  sont  le  panneau  t'or- 
mant  écran  de  M.  Rippl-Ronaï,  et  le  pavot 
exécuté  d'après  une  estampe  japonaise. 

M.  Rippl-Ronaï,  je  crois,  est  le  premier 
qui  nous  ait  montré,  dans  une  exposition,  un 
travail  exécuté  avec  ce  point. 

Ce  procédé  a  un  grand  avantage  :  celui  de 
permettre  de  suivre,  dans  ses  moindres  détails, 
le  dessin  à  reproduire;  c'est  une  grande  facilité 
qui  nous  est  ainsi  donnée,  et  qui  étend  singu- 
ièrement  nos  moyens  d'action,  surtout  pour 
es  ornements  à  petite  échelle,  qui  étaient  ou 
inexécutables,  ou  incompréhensibles  avec  le 
point  carré.  Et,  dans  tous  les  cas.  cela  nous 
permettra  de  reproduire,  dans  toutes  ses  fi- 
nesses de  lignes  et  de  formes,  le  modèle  que 
nous  aurons  composé  ou  choisi. 

La  faveur  revient  du  reste  à  la  tapisserie,  et 
dans  nos  expositions  annuelles,  il  ne  se  passe 
pas  d'année  sans  que  plusieurs  morceaux  de 
choix  sollicitent  notre  attention.  Plusieurs 
artistes  y  excellent  déjà,  sans  reparler  de 
M.  Rippl-Ronaï. 

Parmi  eux,  M.  Ranson  nous  donne  des 
choses  intéressantes.  Ses  panneaux  sont  le  plus 
souvent  exécutés  au  moyen  d'un  point  un  peu 


Bande  fuur  foitii'rc  ;  fragment. 


M. -p.   VELNELIL. 


8o 


Art  et  Décoration 


grossier,  mais  qui  ne  gène  pas  trop,  étant  donnée 
la  grande  dimension  de  ses  décorations.  Celles- 
ci,  dans  des  gammes  simples,  sont  de  compo- 


Pannt'Jiu.  ranson. 

sition  heureuse,  bien  que  l'abord  en  soit  rendu 
un  peu  redoutable  par  le  parti  pris  du  dessin. 

Mais  l'harmonie  de  la  coloration  compense 
ce  que  certains  peuvent  regarder  comme  des 
fautes. 

D'autres  encore  parmi  lesquels,  M.  J.  Flan- 
drin,  suivent  cette  voie  et  savent  y  donner  de 
beaux  effets  décoratifs. 

Mais  ce  sont  là,  souvent,  des  pièces  considé- 
rables. Nous  visons  moins  haut,  et  nous  nous 


contentons  d'orner  autour  de  nous  les  objets 
usuels,  déjà  assurés  de  faire  œuvre  ainsi  utile 
et  intéressante. 

Et  parmi  eux,  ceux  auxquels  nous  pour- 
rons appliquer  nos  décorations  modernes,  sont 
nombreux,  et  nous  n'aurons  que  l'embarras  du 
choix.  Grands  rideaux  et  portières,  lambre- 
quins, dessus  de  chaises,  de  fauteuils  ou  de  ca- 
napés, coussins  et  banquettes  pourront  tour  à 
tour  être  ornés;  sans  compter  les  paravents,  les 
écrans,  les  bandes  courant  autour  de  la  pièce, 
les  tentures  mêmes. 

Et  variant  l'aspect  par  les  procédés  divers, 
usant  des  applications  auprès  de  la  broderie, 
de  la  tapisserie  ensuite,  nous  parviendrons  à 
créer  un  ensemble  qui,  peu  à  peu,  nous  ache- 
minant vers  des  réformes  plus  considérables  et 
plus  radicales, moditierainsensiblement  le  style 
et  l'ordonnance  de  nos  intérieurs. 

La  tapisserie  est  de  tous  les  procédés  que 
nous  avons  à  notre  disposition  le  plus  ingrat, 
tant  à  cause  du  temps  qu'exige  l'exécution  du 
moindre  travail  que  de  l'aspect  un  peu  terne 
de  sa  matière. 

Nous  allons  au  contraire  avec  la  broderie  et 
les  applications,  avoir  à  notre  disposition  avec 
les  gammes  opulentes  des  soies  aux  teintes 
éclatantes  ou  atténuées,  les  tons  plus  sourds 
des  draps  et  jusqu'à  la  simplicité  des  cotons  et 
des  cretonnes.  Les  ressources  nous  sont  moins 
mesurées,  et  nous  tâcherons  d'en  tirer  parti. 


(A  suivre) 


M.  P.  Verneuil. 


Nous  devons  à  l'obligeance  de  M.  Henry, 
communication  d'un  certain  nombre  des  des- 
sins qui  ornent  cet  article. 

Nous  sommes  heureux  de  l'en  remercierici. 


BiTudt\  I.iseyinis 


M. -p.  VERNEUIL. 


NOTES    SUR    L'ETAIN 


(Premier  Artielel 


p$¥ 


Il  V  a  trente  ans,  personne  ne  se  serait  douté 
que  rétain  reviendrait  à  la  mode,  qu'il  pren- 


Mais,  de  ces  monuments  anciens,  je  ne  veux 
retenir  qu'un  point  de  l'histoire,  intéressant 
drait  place  à  côté  du  marbre,  de  la  pierre,  du  encore  aujourd'hui  pour  nos  artistes  :  il  s'agit 
bois  ou  du  bronze  parmi  les  matières  employées      de  la  technique  emplovée  pour  fabriquer  les 


pour  la  sculpture.  Et 
pourtant  que  de  che- 
min la  technique  de 
ce  métal  n'a-t-ellc  pas 
parcouru  en  un  petit 
nombre  d'années! 
Voilà  certes  un  argu- 
ment irréfutable  à  op- 
poser à  ceux  qui  pré- 
tendraient que  l'art 
moderne  piétine  sur 
place  et  ne  fait  nul  pro- 
grès ;  il  a  suffi  de  J'ef- 
fort  de  deux  ou  trois 
artistes  pour  donner 
en  peu  de  temps  une 
expansion  extraordi- 
naire à  une  branche 
des  arts  industriels 
qui,  trèscertainement, 
aux  époques  les  plus 
florissantes  n'eut  ja- 
mais plus  de  succès. 

Je  ne  veux  pas  le- 
faire  ici  l'histoire  de 
l'étain,  très  connue, 
dans  ses  grandes  lignes 
du  moins,  car  les  dé- 
tails en  sont  beaucoup 
plus  ignorés  qu'on  ne 
le  pense;  et  somme 
toute,  c'est  une  étude 
qu'il  faudra  recom- 
mencer dans  son  en- 
semble le  jour  où  des 
travaux  particuliers  , 
des  monographies  au- 
ront suffisamment  tait 
connaître  les  ateliers 
provinciaux  pour  per- 
mettre de  classer  les  œuvres  conservées  dans  permet  cependant,  employé  avec  habileté,  de 
les  musées.  Il  n'y  a  aucune  honte  à  l'avouer  :  très  jolis  effets  décoratifs,  et  surtout  peut 
aujourd'hui  nous  ne  savons  pas  encore  fort  ramener  les  artistes  à  faire  de  lajcofer/e  cf'e7a/M 
bien  distinguer  une  œuvre  française  d'un  étain  et  non  toujours  de  la  sculpture.  Enfin,  et  sans 
fabriqué  en  Allemagne  ou  en  Suisse.  vouloir  plus  longtemps  insister  sur  les  étains 

1 1 


Aiguière. 


(Musée  du  Luxembourg.) 


etains  :  les  uns,  et  ce 
sont  assurément  les 
plus  nombreux,  sont 
décorés  de  reliefs  ob- 
tenus par  la  fonte  dans 
des  moules  de  diffé- 
rente nature;  les  autres 
sont  ornés  de  dessins 
gravés  à  la  pointe, 
quelquefois  d'une  très 
grande  délicatesse,  le 
plus  souvent  assez 
grossiers  et  de  facture 
sommaire.  Les  pro- 
cédés mis  en  œuvre 
pour  produire  la  pre- 
mière série  de  ces 
étains  n'étant  pas  fort 
différents  de  ceux  qui 
ont  été  repris  aujour- 
d'hui, il  n'y  a  pas  lieu 
d'y  insister,  surtout 
dans  une  revue  telle 
que  celle-ci  qui  s'a- 
dresse surtout  à  des 
gens  pour  lesquels  ce 
côté  est  presque  tou- 
jours suffisamment 
connu.  Quant  aux 
étains  gravés,  je  ne 
vois  pas  que  de  véri- 
tables artistes  aient 
songé  à  les  faire  re- 
vivre :  c'est  une  lacune 
que  je  regrette;  j'es- 
père que  d'ici  à  peu 
elle  sera  comblée.  Si 
ce  procédé  de  fabrica- 
tion est  plus  limité 
dans    ses    moyens,  il 


8; 


Art  et  Décoration 


du  passé,  il  est  cependant  un  enseignement 
qu'on  en  peut  tirer  :  bon  nombre  des  monu- 
ments de  cette  époque  étaient  dorés  et  je  ne 
vois  pas  que  personne  ait  songé  à  appliquer 
l'or  sur  l'étain  :  cependant  du  mariage  de  ces 
deux  métaux  on  peut  tirer  de  très  bons  résul- 
tats. 

Ce  que  je  voudrais  en  ces  notes  rapides  sur 
les  étains  fabriqués  par  nos  contemporains, 
c'est  moins  faire  une  énumération  plus  ou 
moins  accompagnée  d'éloges  ou  de  critiques 
d'œuvres  que  nous  tous  avons  pu  examiner 
dans  les  expositions  et  que  les  gravures  insé- 
rées ici  suffisent 
àrappeleraulec- 
teur,  que  traiter 
un  point  délicat 
se  rapportant  à 
l'emploi  de  l'é- 
tain lui-même. 
La  question  me 
paraît  valoir  la 
peined'étreabor- 
dée,  car  elle  se 
rattache  à  la  di- 
rection générale 
que  prennent  les 
très  louables  ef- 
fortsfaitspardif- 
férents  artistes 
pourlerenouvel- 
lement,  la  régé- 
nération ,  peut- 
on  dire,  de  nos 
arts  décoratifs. 

J'ai  eu  mainte 
et  mainte  fois  Platecit  d'aiguière. 
l'occasion  d'ex- 
primer cet  avis,  que  nos  artistes  qui  s'occupent 
d'art  industriel  ne  sont  pas  assez  artisans  et 
que,  par  contre,  nos  artisans  ne  sont  pas  tou- 
jours assez  artistes  :  en  d'autres  termes,  ani- 
més, j'en  suis  certain,  des  meilleures  inten- 
tions, bien  souvent  peintres  et  sculpteurs  font 
des  eflorts  très  louables,  mais  qui  sont  à 
l'avance  frappés  de  stérilité,  parce  que  voulant 
créer  des  œuvres  d'art  industriel,  mais  non 
suffisamment  instruits  de  ses  besoins,  ils  pro- 
duisent des  morceaux  qui,  dès  leur  naissance, 
sont  des  bibelots  de  collection  ou  de  musée. 
D'autre  part,  les  artisans  tout  en  possédant 
une  éducation  artistique  assez  forte  ne  sont,  pas 
plus  qu'aux  dernierssièclcsdu  reste,  nullement 
des  créateurs;  mais,  à  la  différence  de  leurs 


Musée  du  Luxumboiirg: 


devanciers  auxquels  les  artistes  tendaient 
continuellement  la  perche,  qu'on  me  passe 
l'expression,  en  leur  fournissant  des  modèles, 
les  artisans  sont  aujourd'hui  presque  complè- 
tement dépourvus  de  ce  secours,  de  ces  modèles 
qui  restent  presque  entièrement  à  créer  pour 
notre  époque.  Les  plus  forts  s'en  tirent  en 
puisant  à  pleines  mains  dans  ce  vieil  arsenal 
démodé  que  leur  fournissent  les  œuvres  du 
passé;  rien  d'étonnant,  dès  lors,  que  le  plus 
grand  nombre  ne  produise  que  de  misérables 
pastiches  qui,  au  point  de  vue  de  la  chrono- 
loi;ie.  s'échelonnent  de  la  Renaissance  à  la  fin 

du  siècle  der- 
nier. Il  y  a  là 
un  écueil  dont 
on  aurait  tort  de 
se  dissimuler  le 
danger  ;  et  tant 
qu'il  subsistera, 
à  mon  avis,  la 
plupart  des  ef^ 
forts  qu'on  tente 
aujourd'hui  se- 
ront paralysés  ; 
sans  doute,  de 
temps  en  temps, 
nous  posséde- 
rons des  arti- 
sans qui  seront 
en  même  temps 
des  artistes  de 
talent;  mais  ce 
seront  toujours 
des  exceptions, 
des  isolés  au  mi- 
lieu d'imc  masse 
incapable  de 
soutenir  la  comparaison  avec  l'ensemble  ma- 
jestueux des  artisans  des  deux  derniers  siècles. 
Ceux-là  ne  dépassaient  certes  pas  en  habileté 
ceux  de  notre  époque;  mais  grâce  à  certains 
procédés  de  travail,  à  une  méthode  religieu- 
sement suivie,  l'ensemble  de  leur  œuvre  pré- 
sente une  cohésion,  manifeste  un  5(>^/e  que  nous 
cherchons  vainement  à  constituer.  C'est  que, 
si  le  milieu  social  a  pu  changer,  si  les  condi- 
tions de  la  production  ne  sont  plus  les  mêmes, 
il  est  pourtant  des  conditions  nécessaires  au 
développement  des  arts  industriels,  que  ni  le 
temps  ni  le  milieu  ne  sauraient  modifier,  qui 
appartiennent  à  toutes  les  époques  qui  ont  eu 
un  art  digne  de  ce  nom.  Cela  ne  saurait  tenir 
à  une  organisation  du   travail,  telle  que  celle 


BRATEAU. 


Notes  sur  J'Ëtain 


8; 


qui  pouvait  résulter  de  l'existence  de  corpora-  ceux  qui  les  font,  incapables  d'une  conception 

tiens  —  organisation  essentiellement  4phémère  artistique  un  peu  élevée,  n'ont  point  été  guidés 

et  plutôt  gênante  —  mais  à  une  méthode  de  par  les  modèles  que  les  artistes  auraient  du 

production  qui,  pour  les  arts  industriels,  est  de  leur  fournir.  Là  est,  au  fond,  tout  le  secret  de 

tous    les   temps.    Les    arts    industriels    d'une  celte  réunion  de  tous  les  arts  sans  qualificatif 


époque  sont  toujours 
le  reflet  et  l'applica- 
tion aux  usages  jour- 
naliers de  ce  qu'on 
a  appelé,  en  se  ser- 
vant d'une  expres- 
sion sans  doute  trop 
étroite,  mais  qui  se 
comprend  bien,  le 
grand  art  :  en  d'au- 
tres termes,  archi- 
tectes, sculpteurs  et 
peintres  doivent  être 
les  grands  fournis- 
seurs de  modèles 
qu'utilisent  les  arti  - 
sans  en  tenant  comp- 
te des  modifica- 
tions que  ces  modèles 
doivent  subir  sui- 
vant la  matière  en 
laquelle  ils  seront 
traduits  et  la  desti- 
nation de  l'objet  à 
décorer.  II  n'est  donc 
pas  absolument  né- 
cessaire que,  pour 
fournir  des  modèles 
aux  artisans,  les 
artistes  soient  arti- 
sans eux-mêmes  et 
connaissent  tous  les 
secrets  d'une  fabri- 
cation et  d'une 
technique  qui  varient 
à  l'infini.  Il  est  très 
rare,  à  n'importe 
quelle  époque,  que 
l'artiste    ait   été  lui-même  artisan 


Surinitî    iij    tdblC.  RAUIL    LARCHE. 

(Musée  du  Luxembourg.) 


;i  laquelle  nous  aspi- 
rons tous  sans  arri- 
ver à  l'opérer.  Le 
problème  n'est  pas, 
cependant,  aussi  dif- 
ficile que  celui  de 
1  a  q  u  a d  r  a  t  u r  e  du 
cercle  et  avec  un  peu 
de  bonne  volonté  on 
lui  donnerait  une  so- 
lution. 

Si  je  m'étends  aussi 
longuement  ici  sur 
ce  que  je  crois  être 
une  des  plaies  de 
notre  époque  au 
point  de  vue  artis- 
tique, c'est  que,  pré- 
cisément, quand  on 
considère  les  œuvres 
d'étain  créées  dans 
ces  quinze  dernières 
années,  sauf  de  rares 
exceptions,  on  est 
amené  à  se  deman- 
der quelle  ligne  de 
conduite  ont  suivie  les 
artistes  qui  les  ont 
exécutées.  Croient- 
ils  réellement  avoir 
labriqué  des  objets 
d'art  industriel?  ou 
bien  ont-ils  été  sé- 
duits par  une  matière 
nouvelle  pour  eux, 
trop  longtemps  mé- 
connue, et  ont-ils 
voulu     simplement 


il  est  rare  enrichir  le  domaine  de  la  sculpture  d'une  ma- 

aussi  que  l'artisan  ait  été  artiste,   du  moins,  tière   subjective   dont   les   tons    flattaient  leur 

SI  on  attribue  à  ce  terme  le   sens  de  créateur.  œil.  Aconsidérer  dansleurensemble  les  œuvres 

Ce  sont  des  vérités  qui  sont  très   méconnues  d'éiain,  je  le  répète,  —  il  y  a  heureusement  des 

aii)ourd'hui  :  d'où  il  résulte  que  la  fin  de  notre  exceptions  —  on  serait  tenté  de  le  croire.   On 

siècle  aura  vu  l'éclosion  d'un  très  grand  nombre  est   d'autant   plus   autorisé   à  avoir  une  telle 

a  œuvres  charmantes,  qu'on  range,  je  ne  sais  opinion,  que  nous  avons  vu  tout  récemment 

pourquoi,  parmi  les  ouvrages  d'art  appliqué  à  l'apogée    de    ce    développement   anormal  de 

industrie,  alors  qu'elles  ne   peuvent   figurer  i'art  de  l'étain  :  le  buste  en  étain  demeurera 

que  dans  des  vitrines;  et   une  foule  d'objets  comme    un    témoignage    de    l'oubli    bizarre 

industriels   tout   à    fait   horribles,   parce   que  dans  lequel  sont  parfois  tombés  les  artistes  de 


84 


Art   et   Décoration 


notre  époque,  méconnaissant  absolument  sait,  par  la  création  de  pots  de  toutes  formes 
la  destination  des  objets  et  l'emploi  des  et  de  toutes  grandeurs,  de  coupes,  de  gobelets, 
matières   mises  à  leur    disposition.  d'écuelles,  de  plats  ou  d'assiettes,  de  bouteilles 


Surtout  de  table. 


(ilusée  du  Liixombourfr 


KAOUI.   LARCIIE. 


A  dire  vrai,  si  cette  renaissance  de  l'art  de 
l'étain  a  produit  quelques  fort  jolies  choses, 
—  elles  suffisent  à  la  légitimer  —  il  faut  bien 
avouer  cependant  qu'au  point  de  vue  plus 
étroit  de  l'art  industriel,  elle  n'était  pas  abso- 
lument commandée  et  surtout  ne  pouvait 
prendre  une  très  grande  extension.  Et  cela 
pour  des  raisons  très  terre  à  terre.  L'emploi 
de  l'étain  —  dans  ses  applications  à  des  objets 
usuels  —  ne  répond  plus,  à  noire  époque,  à 
de  très  nombreux  besoins.  Il  en  était  tout 
autrement  autrefois  :  le  potier  d'étaiu  remplis- 


ou  de  bassins,  de  coffrets  ou  de  boîtes,  d'orne- 
ments d'église  même,  un  rôle  tout  à  fait  pré- 
pondérant; il  avait  autant  de  clients  que  le 
chaudronnier,  l'orfèvre  ou  le  faïencier.  Pour 
des  bibelots  tels  que  l'aiguière  ou  le  bassin  exé- 
cutés par  Nicolas  Briot  d'après  des  dessins  ou 
des  estampes  des  petits  maîtres  du  xvi'^  siècle, 
objets  qui  en  soi  n'avaient  aucune  destination 
pratique,  si  ce  n'est  la  décoration  des  dres- 
soirs, on  rencontre  cent  pièces ,  canettes, 
écuelles  ou  plats  qui  ont  réellement  servi. 
Jusqu'à  la  fin  du  siècle  dernier,  presqu'à  la  fin 


Notes  sur  l'Etain 


^S 


du  règne  de  Louis  XV  ou  environ  tout  au 
moins,  l'ctain  a  constitué,  pour  ceux  qui 
n'étaient  pas  assez  fortunés  pour  posséder  de 
l'orfèvrerie  d'argent,  une  vaisselle  d'un  usage 
courant  et  dont  les  formes,  en  France  n'étaient 
que  l'imitation  des 
œuvres  en  métal  pré- 
cieux. 

Le  potier  d'étain 
avait  donc  un  débou- 
ché assuré.  En  est-il 
de  même  aujourd'hui  ? 
je  ne  le  crois  pas.  Per- 
sonne ne  voudrait 
manger  dans  de  l'étain, 
et  en  somme  on  a  rai- 
son; c'est  un  métal  trop 
facilement  ox\dable, 
trop  malléable  pour 
être  d'un  usage  bien 
pratique,  et  l'argent 
ou  tout  au  moins  le 
métal  argenté  coûte 
trop  bon  marché  au- 
jourd'hui pour  ne  pas 
condamner  d'avance 
l'usage  d'une  matière 
peu  durable  et  peu 
appétissante.  Il  y  a 
là  une  évoluiion  que 
l'artisan  ne  saurait  mé- 
connaître; celui  qui 
veut  appliquer  un  dé- 
cor artistique  à  ces 
mêmes  objets  qu'on 
fabriquait  au  siècle 
dernier  en  étain,  doit 
concevoir  son  œuvre, 
non  pas  en  vue  de  son 
exécution  dans  ce  mé- 
tal, mais  de  son  exé- 
cution en  argent  ou  tout  au  moins  en  métal 
argenté,  ce  qui  est  tout  un. 

Mais,  me  dira-t-on,  ce  que  vous  venez  de 
dire  équivaut  à  déclarer  que  la  vaisselle  d'étain 
est  morte.  Mais  certainement,  elle  est  morte, 
pour  des  causes  tout  à  fait  indépendantes  de 
l'art,  et  nous  n'y  pouvons  rien  faire.  Et  au 
fond,  j'imagine  qu'aucun  de  ceux  qui  ont 
contribué  à  remettre  l'étain  à  la  mode,  que 
Brateau,  par  exemple,  qui  a  repris  avec  tant  de 
talent,  les  anciens  procédés  de  fabrication,  et  à 
ses  débuts,  a  surtout  créé  des  plats  et  des 
assiettes,  aucun  de  ceux-là,  bien  certainement. 


Surtout  de  t^ihlc. 

(Musée  du  Luxonibuuri,',) 


ne  s'est  imaginé  que  le  public  allait  délaisser 
la  porcelaine  ou  la  faïence  pour  garnir  sa  table 
d'étain.  Mais  Brateau  et  les  autres  se  sont  dit 
—  et  en  cela  ils  avaient  raison  —  qu'il  n'était 
pas  défendu,  à  l'imitation  d'un  Briot  ou 
d'un  Enderlein,dc  fa- 
briquer des  plats,  des 
assiettes  des  écuelles, 
des  aiguières,  des 
gobelets  de  jolie 
forme,  très  finement 
ornementés  d'après 
les  procédés  d'une 
technique  spéciale, 
appropriée  à  la  nature 
toute  particulière  du 
métal  ;  ces  pièces,  peu 
coûteuses  au  demeu- 
rant, prendraient  pla- 
ce sur  les  meubles  , 
qui,  dans  notre  orga- 
nisation moderne,  ont 
remplacé  les  dres- 
soirs, sans  pour  cela, 
du  reste,  avoir  la  pré- 
tention de  devenir  des 
bibelots  qu'on  abrite 
soigneusement  der  - 
rière  une  glace.  Ainsi 
entendue  la  renais- 
sance de  l'étain  était 
tout  à  fait  légitime  ; 
elle  nous  donnait  de 
très  jolies  œuvres  d'art 
en  un  métal  de  peu  de 
valeur,  partant,  facile- 
ment répandues  dans 
la  masse  du  public. 
Le  métal  étant  très 
mou  et  ne  pouvant  su- 
bir, après  la  fonte,  que 
des  retouches  insignifiantes  et  presque  toujours 
très  visibles,  les  artistes  des  derniers  siècles 
avaient  pensé  que,  sans  être  sec,  le  décor  de 
l'étain  devait  être,  dès  l'abord,  d'une  grande 
netteté;  assez  de  causes  extérieures  viendraient 
corriger  ce  que  les  reliefs  pourraient  avoir, 
en  sortant  du  moule,  de  trop  précis  et  de  trop 
arrêté.  C'était  parfaitement  juste,  et  c'est  dans 
ce  sentiment  que  furent  exécutéeslespremières 
œuvres  qui  signalèrent  vraiment  la  renaissance 
de  l'étain  ;  c'est  dans  ce  sentiment  que  tra- 
vaillent encore  quelques  artistes,  et  je  leur  en 
fais  mon  compliment.  Mais  je  dois  reconnaître. 


RAOUL    LARCHE. 


86 


Art  et  Décoration 


en    historien    véridique,   que    la    majorité    de  et  se  patine  même  très  rapidement.  Il  en  résul- 

ceux  qui  tripotent  Tétain  s'est  singulièrement  tera  que    toutes    ces  jolies   figures,  que    nous 

éloignée  de  ce  point   de  départ.    Et,  quel  que  voyons  aujourd'hui  se  dresser  gracieusement 

soit  d'ailleurs  le  mérite  des  œuvres   qu'ils  ont  au    flanc    de   quelque    aiguière,    ou    s'étendre 

produites, œuvressurlesquellesj'auraiàrevenir.  mollement  sur  une  feuille  ou  quelque  coquil- 


Cuqiiillc. 


-Musée  GiiUicra 


j'avoue  ne  pas  comprendre  pourquoi  la  plu- 
part de  ces  morceaux  sont  exécutés  en  étain 
plutôt  qu'en  une  autre  matière.  Ce  sont  des 
ouvrages  de  sculpture,  et  dès  lors,  suivant  les 
cas,  le  bronze  ou  l'argent  me  sembleraient 
plus  indiqués.  J'imagine  que  la  plupart  de 
ceux  qui  emploient  l'étain  pour  leurs  petites 
sculptures,  ont  été  séduits  par  les  tons  gris  du 
métal, évidemmentplus  agréables,  moins  froids 
que  les  tons  de  l'argent,  l'aspect  doux  et  très 
enveloppé  que  ces  tons  donnent  aux  formes. 
Tout  cela  serait  très  joli  si  cela  pouvait  durer  ; 
mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  l'étain,  quel  que 
soit  l'alliage  avec  lequel  on  le  marie,  se  patine 


lage,  avec  lesquels  elles  semblent  faire  corps, 
deviendront  des  choses  horriblement  tristes; 
car  si  le  bronze  prend  une  belle  patine  en  vieil- 
lissant, il  n'en  est  point  de  même  de  l'étain.  Le 
bronze,  manié  chaque  jour,  rien  que  par  le 
contact  des  mains,  acquiert  des  tons  admi- 
rables; l'étain  se  tache  et,  métal  très  malléable, 
si  on  le  nettoie,  surtout  quand  il  sert  à  traduire 
des  formes  délicates,  un  modelé  étudié,  s'use, 
s'arrondit  et  perd  tout  son  charme.  Tout  ce  que 
je  dis  ici,  je  le  dis  sans  parti  pris  et,  je  le  répète, 
sans  préjuger  de  la  valeur  des  œuvres  d'étam. 
dont  quelques-unes,  en  tant  que  sculptures,  sont 
très  remarquables.  Mais,  à  mon  avis,  ces  sculp- 


Notes  sur  J'Etain 


87 


turcs  ont  le  tort  de  ne  tenir  compte  ni  de  la  na- 
ture particulière  du  métal,  ni  de  la  destination 
des  objets  ainsi  produits.  Créer  un  surtout  de 
table  en  étain  —  la  chose  a  été  faite,  et  la  sculp- 
ture témoigne  de  beaucoup  de  talent  —  est  au 
point  de  vue  décoratif  un  non-sens.  Car  un 
surtout  de  table  doit  être  une  chose  brillante 
et  gaie,  et  la  note  dominante  de  l'étain  est  tou- 
jours sourde  et  un  tantinet  triste. 

Qu'est-ce  qui  a  donc  pu,  dans  l'étain,  séduire 
à  ce  point  les  artistes?  On  dirait  que  mentale- 
ment, peut-être  inconsciemment,  ils  ont  assi- 
milé la  souplesse  et  la  malléabilité  de  ce  beau 
métal  à  la  souplesse  de  la  cire;  ils  ont  pensé, 
sans  doute,  qu'une  matière  aussi  moelleuse 
d'aspect  traduirait,  mieux  que  toute  autre,  leur 
pensée  créée  en  cire  ou  en  terre.  Or,  si  on  va 
au  fond  des  choses,  l'étain  n'est  pas  une 
matière  si  souple  que  cela;  elle  est  plutôt  aigre 
au  toucher  et  plus  propre  à  reproduire  des 
formes  précises  et  même  un  peu  sèches  que 
des  formes  très  enveloppées.  En  sorte  que  les 
sculptures  en  étain  d'aujourd'hui  sont  des 
sculptures  en  cire  reproduites  en  étain  —  on 
eût  pu  tout  aussi  bien  les  reproduire  en  bronze  ; 
mais  dans  la  traduction  en  métal,  si  on  sent 
une  matière,  c'est  la  matière  dans  laquelle  a 
été  créé  le  modèle,  la  cire,  et  non  la  matière 
en  laquelle  le  modèle  a  été  traduit.  Or,  pour 
faire  une  oeuvre  parfaite,  si  une  sculpture  en 
bronze  ou  en  étain  doit  être  tout  d'abord,  pour 
des  raisons  techniques,  exécutée  en  cire  ou  en 
terre,  il  ne  faut  pas,  cependant,  qu'une  fois 
terminée,  on  puisse  dire  que  le  bronze  ou 
l'étain  ont  l'air  d'une  cire.  Je  sais  bien  qu'on 
s'en  tirera  en  jouant  sur  les  mots,  et  c'est  un 
petit  jeu  auquel  on  se  plait  trop  aujourd'hui  : 
on  dira  que  le  morceau  est  fondu  à  cire  perdue 
et  il  ne  manquera  point  de  gens  que  ces  mots 
subjugueront.  Fondu  à  cire  perdue  ou  non, 
un  bronze  ou  un  étain  doivent  toujours  être 
un  bronze  ou  un  étain  et  présenter  les  carac- 
tères propres  à  la  sculpture  en  bronze  ou  à  la 
sculpture  en  étain,  qui  ont  leurs  lois  tout 
comme  la  sculpture  en  cire  ou  en  bois.  Ces  lois 
sont  méconnues  aujourd'hui,  je  vous  l'accorde, 
mais  elles  n'en  subsistent  pas  moins.  La 
puissance  des  mots  est  telle  que,  grâce  à  elle, 
les  meilleures  intentions  peuvent  produire 
les  résultats  les  plus  déplorables.  Se  sou- 
vient-on, il  y  a  quelques  années,  des  polémi- 
ques qu'ont  soulevéesles  différents  procédés  de 
tonte,  et  le  triomphe  définitif  des  procédés  de 
tonte  à  cire  perdue  d'un  seul  morceau?  Par  un 


certain  côté,  les  sculpteurs  avaient  raison, 
puisqu'en  exigeant  qu'on  fondît  leurs  groupes 
et  leurs  figures  à  cire  perdue  d'un  seul  mor- 
ceau, ils  empêchaient  du  coup  les  monteurs  en 
bronze  d'estropier  et  de  défigurer  leurs 
œuvres;  mais  personne,  que  je  sache,  ne  leur 
a  fait  observer  que  rien  ne  les  forçait  à 
remettre  leurs  productions  entre  les  mains  de 
monteurs  et  d'ajusteurs  sans  talent.  Que  ne 
faisaient-ils  leurs  montages  et  leurs  ajustages 
eux-mêmes?  En  réalité,  c'est  que  ce  travail 
était  long,  difficile  et  que  beaucoup  de  sculp- 
teurs n'en  connaissaient  point  la  technique  spé- 
ciale et  ne  se  souciaient  point  d'en  faire 
l'apprentissage.  Autrefois,  les  sculpteurs  ne 
répugnaient  pas  à  ce  travail  minutieux  et 
ennuveux,  et,  tout  en  faisant  des  fontes  à  cire 
perdue,  ils  faisaient  des  bron\es  dont  toutes 
les  parties  étaient  revues  et  retouchées  par 
eux-mêmes  ou  par  leurs  élèves,  sous  leurs 
yeux.  Beaucoup  d'artistes  de  la  Renaissance 
n'ont  considéré  le  bronze  fondu  à  cire  perdue, 
au  sortir  de  la  fosse,  que  comme  une  ébauche 
qu'on  retravaillait  profondément,  exactement 
comme  s'il  se  fût  agi  d'un  marbre  ou  d'une 
pierre.  Ce  travail  de  nettoyage,  de  polissage, 
de  ciselure  donnait  plus  de  précieux  à  l'œuvre 
et,  sans  lui  faire  rien  perdre  de  sa  saveur  pre- 
mière, lui  enlevait  ce  caractère  de  cire  moulée 
en  métal  qu'on  parait  rechercher  aujourd'hui 
et  qui  gâte  beaucoup  de  beaux  bronzes  créés 
de  notre  temps.  Vouloir  retrouver  sur  le  métal 
le  coup  de  pouce  que  l'artiste  a  imprimé  sur  la 
cire,  c'est  un  enfantillage  qui  peut  tout  au 
plus  servir  à  contrôler  le  degré  de  conscience 
que  le  fondeur  a  apporté  à  l'exécution  de  son 
travail.  Mais  un  beau  bronze  comme  un  bel 
étain  ne  doivent  pas  être  simplement  le  mou- 
lage de  la  cire  :  un  bronze  ou  un  étain  doivent 
se  présenter  à  nous  avec  1er,  aspects  propres  à 
chacun  de  ces  métaux,  ou  bien  l'œuvre  n'est 
point  parfaite  et  indigne  de  prendre  place  à 
côté  des  chefs-d'œuvre  du  passé,  dans  les- 
quels le  métier,  trop  oublié  aujourd'hui  par  les 
artistes,  égalait  la  hauteur  de  la  conception. 
C'est  grâce  à  l'oubli  de  ces  principes  éternels 
que  beaucoup  de  nos  bronzes  ou  de  nos  étains 
ont  l'air  de  cire.  Les  snobs  trouvent  cela  char- 
mant parce  que  ce  sont  des  cires  perdues  et  que 
la  chose  est  à  la  mode;  mais,  si  on  va  au  fond 
des  choses,  on  découvre  sous  cette  façon  de 
procéder  beaucoup  de  paresse  et  cette  malheu- 
reuse tendance  de  notre  époque  à  se  contenter 
en   art,  d'à  peu  près,  parce  que  ce  qui  serait 


88 


Art   et   Décoration 


dcrtnitif  et  parfait  demanderait  trop  de  temps  on  arriverait  à  cette  conclusion  qu'il  est  bien 

et  trop  de  peine.  Ce  sont,  à  coup  sûr,  de  mau-  inutile  de  chercher  à  régénérer  l'art  appliqué 

vaisesdispositionspourtenterderégénérerrart.  à  l'industrie,  tous  ceux  qui  le  pratiquent  ayant 

D'aucuns  trouveront  sans  doute  que  je  suis  pour  le  moins  du  génie.  Il  ne  faut  point  décou- 

trop  sévère,  que  je  vois  trop  en  noir  une  situa-  rager  les  artistes,  mais  pour  Dieu  !  ne  les  acca- 

tion  qui,  au  demeurant,  n'est  pas  désespérée.  Je  blons  point  sous  les  fleurs  ;  c'est  le  plus  mau- 

serais  désolé  pour  ma  part  qu'on  prît  mal  ce  vais  service  qu'on    leur  puisse    rendre.    Si  je 

que  je  viens  de  dire  et  ce  que   je  crois  être  la  pouvais  supposer  que  tous  nos  artistes  coniem- 

vérité.     Peut-être,    rentrant    en    eux-mêmes,  porains  prissent  en   mauvaise  part   ce  que  je 

quelques    artistes    feront-ils    leur   protit    des  viens  de  dire,  je  n'hésiterais  pas  à  me  taire.  Je 

reproches   que   je   leur  adresse  ;  en   tout   cas  me  contenterais    de  signaler  les  qualités  des 

ma  littérature,  si  médiocre  qu'elle  soit,   aura  œuvres  me  paraissant  dignes  d'être  conservées, 

encore   une   moins    mauvaise    influence    que  oubliant  tout  à  fait  celles  qui  ne  montrent  que 

celle  qui  distille,  du  matin  au  soir,  la  louange  des  défauts.  Mais  c'est  précisément  parce  que 

sur  notre  art  contemporain.  Le  contentement  je  crois  qu'il  est  encore  beaucoup  d'artistes  sin- 

perpétuel,  l'admiration  du  moi  sont  de   mau-  cères,  aimant  leur  art  pour  lui-même,  dignes  de 

vais  conseillers.  Beaucoup  d'artistes  de  notre  leurs  devanciers  et  capables  de  progresser,  que 

époque,  partis   sous    une  heureuse   étoile,   se  je  me  hasarde  à  leur  découvrir  toute  ma  pensée, 

sont  arrêtés  en  chemin,  étouffés  sous  le  poids  Quelques-uns   penseront  que   je  me   trompe  ; 

des    couronnes;    au    lieu   de    progresser,    de  d'autres   m'approuveront;  mais  tous  peuvent 

chercher,    ils  se    sont    mis    à   rabâcher   sans  être  assurés  de  la  sincérité  du  jugement  que  je 

lasser  leurs  admirateurs.  Et  cette  admiration  viens  de  formuler. 

mutuelle  et  universelle,  qui  nous  tue  ou  nous  Cela  dit,  je  vais  examiner  quelques-unes  des 

atrophie,  s'est  étendue  des  arts  aux  arts  indus-  œuvres  d'étain  qui  ont  vu  le  jour  dans  ces  der- 

triels,  en  sorte  que  si  on  mettait  bout  à  bout  nières  années, 
tous  les  éloges  qui  ont  été  décernés  à  des  riens,  [A  suivre.]  Emile  Molinikr. 


Plat. 


(Musée  Galliera) 


J.   DZSBOIS. 


^^m^^^ 


Projet  de  décoration  en  sgyjjlito. 


A.      CRESPIN. 


L'Art  Décoratif  en   Belgique 

MM.  PAUL  HANKAR  et  ADOLPHE  CRESPIN 


ANKAR      ET       CrESPIN  ! 

Ces  deux  noms, uni  S 
dans  une  laborieuse 
et  féconde  collabo- 
ration, comme  ceux 
qui  les  portent  sont 
liés  par  une  frater- 
nelle amitié,  déco- 
rent d'une  signature 
collective   nombre    d'oeuvres    dans    lesquelles 
s'affirment  le   souci  d'un   art    neuf,    l'horreur 
■  des   redites   et 


ensemble,  et  les  voici  tous  deux,  après  l'âpre 
lutte  des  débuts,  arrivés  de  compagnie  au  port, 
vent  arrière  et  voiles  gonflées;  d'importants 
travaux  accomplis  par  eux  à  l'Exposition  inter- 
nationale de  Bruxelles,  spécialement  à  Ter- 
vueren  où,  par  un  audacieux  bouleversement 
des  usages  établis,  on  a  requis  le  talent  des 
artistes  au  lieu  de  réclamer  l'aide  des  tapissiers, 
les  ont  définitivement  classés  à  leur  rang.  Et 
le  grand  public,  qui  pouvait  les  ignorer  ou  ne 
voir  en  eux  que  d'ingénieux  chercheurs,  a  été 


de  la  banalité, 
le  désir,  fré- 
quemment réa- 
lisé, de  créer 
une  harmonie 
de  1  ignés  e t 
de  couleurs 
échappant  aux 
traditionnels 
canons  et  pour- 
tant séductrice. 
Les  deux  Ajax, 
convertis  aux 
pacifiques  tra- 
vaux de  l'ate- 
lier; Oreste 
architecte,  Py- 
lade  décora- 
teur, l'un  inspi- 
rant et  encou- 
rageantl'autre, 
celui-ci  appor- 
tant à  celui-là 
ses  conseils 
d'ami  sûr, prêta 
recevoir  à  son 

tour  les  précieux   avis   de    son    collaborateur. 
Depuis    bientôt    dix    ans,    ils     travaillent 


MA  SON     A.  KIGULT 


Boutique  à  Bruxelles. 


p.    H.\NKAE. 


forcé  de  reconnaître  que  ces  cerveaux  emplis 
de  chimères  étaient  capables  de  concevoir  sur 


90 


An  et  Décoration 


rameublemeni,  sur  roriiementation,  sur  la  Sans  méconnaître  l'inicrct  et  la  beauté  des 
décoration,  les  idées  les  plus  pratiques,  les  styles  d'autrefois,  il  s'est  dit  avec  raison  que 
plus  aisément  réalisables,  en  même  temps  ces  styles  trouvaient  leur  justification  et  leur 
qu'il  devait  confesser  le  singulier  attrait  du  raison  d'être  dans  les  ma'urs,  les  coutumes, 
style  nouveau  si 
exactementappro- 
prié  à  la  destina- 
tion des  locaux 
abandonnés  à  leur 


les  goûts  et  les 
usages  des  épo- 
ques auxquels 
ils  s'épanouirent 
et  qu'il  est  tout 
aussi  illogique 
de  bâtir  en  1897 
une  maison  de 
sivie  François  T' 
qu'il  est  absurde 
de  donner  à  une 
gare  de  chemin 
de  fer  l'aspect 
extérieur  d'une 
cathédrale  gothi- 
que. (Que  ceux 
que  ferait  sourire 
ce  rapprochement 
aillent  donc  voir 
à  Bruges  si  je  plai- 
santel  I  Dès  ses  dé- 
buts, en  1888  je 
pense,  il  affirma 
pratiquement  les 
principes  d'une 
architecture  ra- 
tionnelle, dégagée 
des  réminiscences 
de  périodes  abo- 
lies, conçue  dans 
l'unique  préoccu- 
pation de  la  desti- 
nation de  l'édifice 
et  des  nécessités 
de  la  construc- 
tion. Comme  dé- 
coration ,  beau- 
coup de  sobriété  : 
des  motifs  lantoi 
empruntésà  la  na- 
ture et  stylisés, 
les  idées  tantôt  purement  linéaires.  Aucune  dissimula- 
d'Hankar  sur  l'architecture  et  sur  la  décoration  tion  dans  la  bâtisse.  Les  matériaux  apparents, 
sont  decelles  que  les  maîtres  n'enseignent  pas,  honnêtement  montrés  sans  maquillage,  mais 
—  qu'ils  n'enseignaient  pas,  surtout,  à  l'époque  en  les  faisant  participer  à  l'ensemble  décoratif, 
si  proche,  et  qui  nous  parait  déjà  si  lointaine,  au  concert  de  tous  les  éléments  mis  en  œuvre. 
où  professaient  les  artistes  pour  qui  l'audace  La  maison  qu'il  se  construisit  à  lui-même, 

novatrice  consistait  à  reproduire  avec  lidéliié      rue  Defacqz,  à  Bruxelles,  offre  à  cet  égard  un 
les  édifices  de  la  Renaissance  flamande.  puissant  intérêt.  Tout  y  est  ordonné  selon  ces 

Hankar  s'est  fait  une  esthétique  personnelle.      principes,  avec  une  logique  et  une  simplicité 


Dans  cette  asso- 
ciation, Hankar 
est  l'architecte  , 
Crespin  le  déco- 
rateur. Le  pre- 
mier apprit  son 
métier  de  bàtis- 
seurchezBeyaert, 
l'un  des  architec- 
tes les  plus  émi- 
nents  de  la  Bel- 
gique, celui  qui 
libéra  l'art  de 
construire  des 
lourdes  pratiques 
qui  en  arrêtaient 
l'essor. 

Bâtisseur  ! .. . 
Hankar  s'intitule 
plus  volontiers 
«  démolisseur  », 
tant  il  met  d'éner- 
gie à  saper  les 
routines,  à  ren- 
verser les  préju- 
gés, à  abattre  les 
monuments  d'er- 
reurs, de  sottises, 
de  poncifs,  d'hé- 
résies artistiques 
élevés  par  l'igno- 
rance et  le  mau- 
vais goût.  Ce  que 
luidonnaBeyaert, 
ce  fut  une  solide 
éducation      professionnelle,      car 


Porte  de  magasin  à  Bruxelles. 


p.    HANKAR. 


L'Art  Décoratif  en  "Belgique 


91 


admirables.  L'originalité  de  la  façade,  le  dessin 
du  balcon  en  fer  forgé  qui  la  couronne,  l'élé- 
gance des  proportions,  l'absence  de  tout  orne- 
ment banal  la  signalent  aux  passants  qui  ne 
peuvent  manquer  de  se  dire  :  «  Voilà  la  mai- 
son d'un  artiste  ».  A  l'intérieur,  la  distribution 
des  appartements,  le  dispositif  des  dégage- 
ments et  pièces  accessoires,  l'aménagement 
des  jours,  tout  est  compris  et  réalisé  avec  une 
parfaite  entente  de  ce  que  doit  être  un  home 
confortable  et  gai.  A  cet  égard,  la  maison  de 


ment,  la  décoration  et  ramcubicment  de  toutes 
ses  parties. 

Chose  remarquable  —  la  Belgique  a  toutes 
les  témérités  — il  s'est  trouvé  des  propriétaires 
que  n'ont  point  effarouchés  ces  proclamations 
révolutionnaires.  Dans  le  lot  des  clients  de 
M.  Hani<ar,  quelques-uns  ont  autorisé  l'archi- 
tecte à  suivre  son  inspiration  personnelle,  tant 
dans  la  construction  que  dans  la  décoration 
intérieure.  D'autres  lui  ont  contîéle  soin  d'une 
installation,  d'un  mobilier  complet  de  maga- 


Viic   d'une   saille  de  l'Expositiun  coloniale  de  Tervueren. 


M.  Hankar  peut  être  comparée  à  la  maison, 
déjà  célèbre,  construite  par  \'ictor  Horta  pour 
M.  Tassel  et  dont  notre  éminent  confrère 
M.  Thiébault-Sisson  a  longuement  entretenu 
les  lecteurs  de  la  Revue  (i).  Les  tendances  de 
Paul  Hankar  sont,  en  effet,  analogues  à  celles 
de  son  ami  Horta.  Tous  deux,  ils  ont  le  même 
dédain  des  formules,  des  recettes,  des  modes 
conventionnels  de  construire  et  de  décorer. 
Novateurs,  ils  le  sont  au  même  titre,  chacun 
d'eux  poursuivant  avec  un  égal  acharnement 
l'expression  d'un  style  qui  échappe  aux 
influences  du  passé  et  relève  directement  de 
notre  époque.  L'un  et  l'autre,  ils  comprennent 
l'architecture  comme  la  synthèse  des  manifes- 
tations plastiques,  embrassant,  outre  le  bàti- 

I.  Voir  Art  et  Dicoratiou.  n«  1. 


sin.  Et  voici  que  surgissent,  peu  à  peu,  des 
maisons  qui  apparaissent  dans  les  rues  et  les 
avenues  de  Bruxelles  comme  des  fleurs  rares 
dont  l'éclat  et  la  beauté  tranchent  sur  la  bana- 
lité des  parterres.  On  s'arrête,  au  rond  point 
de  l'avenue  Louise,  devant  deux  façades  voi- 
sines dont  les  lignes  harmonieuses,  les  reliefs 
judicieux,  l'ornementation  de  bon  goût  sont 
un  régal  pour  les  yeux.  Rue  Lebeau,  dans  le 
quartier  neuf  érigé  sur  les  terrains  de  l'ancien 
Palais  de  Justice,  c'est  l'officine  d'un  pharma- 
cien avec  son  enseigne  allégorique,  sa  vitrine 
pittoresque,  ses  sgvaffiti  emblématiques,  la 
diversité  de  ses  trois  balcons  superposés,  qui 
requiert  l'attention.  L'élégante  rue  Royale 
devenue,  depuis  les  expropriations  de  la  Mon- 
tagne de  la  Cour,  une  artère  commerciale 
importante,  se  pare  d'une  vitrine  exquise,  celle 


r- 


Art  et  Décoration 


du  magasin  Niguet,  dont  nos  planches  donnent, 
mieux  que  toute  description,  une  idée  exacte. 
La  porte,  d'un  dessin  hardi  et  sur,  qui  combine 
si    adroitement    rélément    décoratif   avec  les 
exigences  d'une  clôture,   mérite,  à  elle    seule 
un  examen  approfondi.  Ailleurs,  dans   la  po- 
puleuse rue    de  l'Écuver,  c'est   l'élégance    de 
la  vitrine  de  la  maison  Claesen,  au  Carnaval  de 
Venise,  qui  ap- 
pelle   et    retient 
les    regards. 
M  .     Hankar    a 
dessiné     amou- 
reusement les 
moindresdétails 
de  cette  installa- 
tion,   l'une    des 
réalisations    les 
plus    complètes 
d'art  décoratif 
nouveau  aux- 
quelles il  nous 
ait     été     donné 
d'applaudir. 
Chaises,    comp- 
toirs,  armoires, 
bureau,  glace 
d'essayage  ,    vi- 
trine    d'exposi- 
tion, appareils 
d'éclairage,    co- 
pie   de    lettres  , 
porte  -  para  - 
pluies,  tapis,  fri- 
se    décorative, 
plafond,   tout    a 
été  conçu  selon 
un     plan    d'en- 
semble, avec  la 
préoccupation 
d'ennoblir  par  la  pureté  de  la  forme,  sans  su- 
perfluités  ornementales,  les  objets  usuels  néces- 
saires à  un  commerçant.   C'est  charmant,  ei, 
chose  rare,  ce  n'est  pas  anglais! 

Il  y  a  tout  à  espérer  de  cet  artiste  de  trente- 
huit  ans,  qui  apporte  dans  la  composition 
d'une  enseigne,  d'une  lanterne,  d'une  balus- 
trade en  fer  forgé  autant  de  soin  que  dans 
l'élaboration  d'une  épure  architecturale.  C'est 
ce  qui  l'a  fait  très  justement  désigner  par  l'Etat 
indépendant  du  Congo  pour  l'aménagement 
intérieur  de  la  salle  d'ethnographie  du  Palais 


Papier  peint. 


de  décor  dans  la  faune  et  la  flore  locales,  et 
jusque  dans  les  fétiches  des  nègres,  il  a  créé 
un  ensemble  pittoresque,  vivant,  personnel,  un 
peu  barbare  comme  il  convenait,  qui  a  mis  en 
évidence,  une  fois  de  plus,  l'ingéniosité  de  son 
esprit  et  la  fantaisie  de  son  imagination. 

Dans  la   plupart  des  œuvres   que  je   viens 
d'énumérer,  Adolphe  Crespina,de  sespinceaux 

habiles,  secondé 
M.  Hankar, com- 
plétant et  ache- 
vant le  travail 
do  son  ami. 

M .  C  r  e  s  p  i  n 
est,  lui  aussi,  un 
I'  jeune  »  et  un 
novateur.  Né  à 
Bruxelles,  de  pa- 
rents français,  il 
passa,  comme 
tout  le  monde, 
par  l'Académie 
qu'il  déserta 
bientôt  pour  fai- 
re une  sérieuse 
éducation  artis- 
tique chez  le  dé- 
corateur Janlet, 
artiste  détalent, 
voué,  comme 
tous  ceux  de  sa 
génération,  à  la 
Renaissance 
flamande,  mais 
qui  eut  le  bon 
goût  de  ne  pa'^ 
imposer  ses 
préférences  à 
ses  élèves  et 
s'appliqua  à 
leur  donner,  sur  la  décoration,  des  notions 
saines  et  un  enseignement  méthodique. 
Plus  tard,  il  passa  chez  Henri  Baes.  Des 
voyages  d'études  en  Espagne,  en  Italie,  en 
Angleterre,  un  séjour  prolongé  à  Pans 
éveillèrent  chez  lui  le  goût  des  harmonies 
chatoyantes,  des  rythmes  inédits.  Il  pratiqua, 
à  la  fois,  pendant  quelques  années,  l'art  de 
chevalet  et  la  peinture  décorative.  Tels  por- 
traits, tels  tableaux  d'intérieur  ou  d'acces- 
soires le  montrent  ingénieux  en  son  mcuer, 
dessinateur  consciencieux  et  coloriste  déhcai. 


A.   CRESPIN. 


intérieur  ae  la  saue  u  euiuuiJi  uj'iuc  un  i  ^\.i<xis      uv.c.^i..«..^ —  

colonial.  Ici  encore,  en  s'inspiram  du   milieu      L'influence  d'un  de  ses  parems,  paysagiste  a     ^ 
qu'il  voulait  évoquer,  en  cherchant  ses  motifs      mérite,  qui  avait  lutté  corps  a  corps  avec 


L'Art  Dec  or  at  if  en  'Bel  oi  que 


9] 


Chimère  sans 
arriver  à  la 
dompter  entiè- 
rement,Ie  déter- 
mina à  entrer 
résolument  dans 
la  voie  qui  de- 
vait le  mener  au 
but.  Après  dix 
années  de  tra- 
vail opiniâtre 
danslesquelles 
il  accumula  à 
profusion  les 
cartons  d'afti- 
ches,  les  pan- 
neaux décora- 
tifs, les  frises 
ornementales  , 
les  modèles  de 
papiers  peints, 
desgraffites,de 
tapis,  de  pla- 
fonds ,  même 
de  costumes  de 
théâtre,  —  le 
voici  en  bonne 
posture  parmi 
les  artistes  bel- 
ges du  décor, 
professeur  de 
composition 
ornementale  à 
l'école  de  des- 
sin de  Schaar- 
beek  etàl'école 
profession- 
nelle pour  jeu- 
nes filles  fon- 
dée parM.  Bis- 
schofFsheim, 
récompensé  du 
diplôme  d'hon- 
neur à  l'exposi- 
tion interna- 
tionale de 
Bruxelles. 

Il  fut,  je  crois, 
avec  Edouard 
D  u  y  k ,  mort 
prématuré- 
ment    il     V     a  Maison    de    M.    Hankar,    architecte,    à    Bruxelles. 

quelques  mois, 

le  premier  artiste  belge  qui  songeât  à  tenter  une      Mordus   du  désir   d'égaler 


incursion  dans 
le  domaine  de 
l'afliche.  alors 
exclusivement 
réservé  à  Jules 
Chéret,  et  qui 
valut  depuis  à 
bon  nombre  de 
nos  artistes  les 
succès  les  plus 
flatteurs.  Il  ris- 
qua en  18S7  (il 

V  a  dix  ans,  il 

V  a  un  siècle!) 
une  a  ifi  c  h  e 
pour  un  bal 
donné  par  la 
Presse  auThéâ- 
tre  de  la  Mon- 
naie. Qui  se 
souvient  de  cet 
essai,  et  quel 
est  le  malin 
collectionneur 
qui  en  possède 
un  exemplaire? 
Bientôtaprès,il 
imaginauneaf- 
fiche  pour  une 
exposition  d'a- 
griculture or- 
ganisée dans  la 
banlieue,  à  Cu- 
reghem.  Mais 
les  procédés 
de  reproduc- 
tion étaient  à 
cette  époque  si 
rudimentaires 
que  Crespin  et 
Duyk — je  crois 
bien  que  Duyk 
en  était  —  du- 
rent se  conten- 
ter d'une  litho- 
graphie  mo- 
nochrome , 
entièrement 
exécutée  par 
eux  sur  la  pier- 
re, à  l'impri- 
merie, et  tirée 
à     la     diable . 

les    maîtres    fran- 


94 


Art  et  Décoration 


çais,  les  deux  artistes  firent  tant  et  si  bien  que  peu 
à  peu  les  maisonsd'impression  perfectionnèrent 
leur  outillage.  Ils  composèrenten  teintes  plates 
la  jolie  affiche  du  Cortège  des  fleurs;,  celles  de 
VAlca^ar,  du  Cirque,  de  Nieuport-Bains,  de 
la/''t'r/);<?  Je  Spa,\\ns.î  autres,  trente  autres,  qui, 
reproduites  d'une  manière  satisfaisante,  épar- 
pillèrent sur  les  murs,  aux  devantures  des  ma- 
gasins,surlesco- 
lonnes  des  bou- 
levards, aux  gui- 
chets des  théâ- 
tres, la  joie  des 
couleurs  vives, 
le  régal  des  poly- 
chromies har  - 
monieuses. 

La  même  col- 
laboration valut 
à  M.  Malper- 
tuis.  directeur 
de  l'Alcazar  et 
du  Palais  d'Eté, 
pour  toutes  ses 
revues  de  fin 
d'année  et  ses 
ballets,  de  pim- 
pants et  pitto- 
resques costu- 
mes galamment 
troussés,  re- 
troussés et  dé- 
colletés. 

Concurrem- 
ment avec  ces 
délassements, 
M  .  Crespin 
poursuivait, tan- 
tôt seul,  le  plus 
souvent  en  col 
laboration  avec 
M  .  H  an  kar  , 
d'importants 
travaux  décora- 
tifs. C'est  lui  qui  créa  et  exécuta  la  décoration 
murale  des  magasins  Niguet  et  Claesen,  de  la 
pharmacie  Peeters  dont  il  est  question  ci-des- 
sus. La  composition  des  tapis,  des  frises,  des 
plafonds,  est  due  à  son  esprit  inventif.  C'est  lui 
aussi  qui  imaginale  dessin  des sgraffites utilisés 
parM.  H  an  kar  pour  ses  deux  maisons  de  l'avenue 
Louise.  Une  autre  de  ses  compositions,  exé- 
cutée par  le  même  procédé,  orne  la  façade  d'une 
maison  habitée  par  un  photographe.  Dan  s  toutes 


P.jpier  fcint. 


cesceuvres,M.  Crespin  interprète  quelque  motit 
fourni  parla  nature:  fleur,  feuille,  fruit,  ani- 
mal, dont  il  dégage  la  synthèse.  Et  de  la  répé- 
tition du  même  sujet,  combinée  avec  le  souci 
d'une  heureuse  harmonie  de  lignes  et  de  cou- 
leurs, il  fait  jaillir  une  ornementation  prime 
sautière,  élégante,  d'une  nouveauté  séduisante. 
C'est,  faut-il  le  rappeler,  le  retour  aux  procédés 

desgrandsdéco- 
rateurs  d'autre- 
fois ,  l'applica- 
tion des  princi- 
pes enseignés  et 
misenœuvrepar 
Eugène  Grasset 
en  France,  par 
f  e  u  William 
Morris  en  -An- 
gleterre, pour 
neciterquedeux 
maîtres.  Les  re- 
productions des 
modèles  de  pa- 
pier peint  :  Per- 
roquets, Con- 
fetti et  Serpen- 
tine, Poissons, 
qui  accompa- 
gnent cet  article, 
précisent  l'ex- 
posé de  l'esthé- 
tique décorative 
de  M.  Crespin. 
Tout  cela  pa- 
raît bien  simple. 
^L^is  que  d'ef- 
forts pour  faire 
comprendre  au 
public,  enlisé 
dans  les  routi- 
nes, ces  vérités 
élémentaires! 
Quelle  obstina- 
tion à  'combat- 
tre, quelles  résistances  à  vaincre!  Sans  compter 
la  lutte  intérieure;!  soutenir  contre  l'éducation 
reçue,  c.  Vous  n'imaginezpascequ'on  nousen- 
seignait,  me  disait  M.  Crespin.  Peindre  un  rin- 
ceau apparaissait  comme  quelque  chose  de  si 
compliqué,  de  si  effrayant,  que  les  leçons  consa- 
crées à  cet  élément  décoratif  ont  failli  me  dé- 
goûter à  tout  jamais  de  faire  de  l'art  1  " 

L'artiste  est  de  ceux  qui  ne  redoutent  ni  les 
difficultés,  ni  la   contradiction,   ni   l'hostilité. 


A.   CRESPIN. 


L'Art  Décoratif  en  T^elgiquc 


95 


Avec  une  confiance  inébranlable,  une  persé- 
vérance silencieuse,  il  est  arrivé  peu  à  peu  à 
ses  lins.  On  admet  sa  manière  de  voir,  on 
s'étonne  de  ne  pas  l'avoir  accueillie  plus  tôt. 
Et  des  commandes  officielles  lui  sont  faites, 
—  celle,  par  exemple,  qu'il  reçut  en  collabo- 
ration avec  Edouard  Duyk  :  la  décoration 
d'une  salle  au 
Palais  colonial 
de  Tervueren 
dont  j'ai  parlé 
à  propos  de  la 
participation 
de  l'architecte 
Hankar. 

Dans  ces  vas- 
tes toiles  qui 
évoquent  en  de 
caractéristiques 
panoramas  en- 
cadrés de  frises 
artistement 
composées  les 
sites  et  les  tribus 
du  Congo  ,  M. 
Crespinarévélé, 
en  même  temps 
que  son  habileté 
manuelle,  d'in- 
contestables 
dons  de  compo- 
sition. Paysage 
et  ligures  sont 
traités  large- 
ment, comme  il 
convient,  et  bien 
mis  en  place. 
Le  décorateur, 
cette  fois,  a  ap- 
pelé à  la  res- 
coussele  peintre 
■d'autrefois,  et 
l'un  et  l'autre 
ont  fort  bien 
■compris  et  exprimé  ce  qu'on  attendait  d'eux. 

Examinons  de  plus  près  quelques-uns  des 
papiers  peints  mentionnés  tout  à  l'heure,  et 
dont  nous  donnons  la  reproduction. 

Un  des  rôles  des  tentures  murales  consiste  à 
•animer  les  chambres,  à  détruire  le  sentiment  de 
•captivité  où  des  murailles  dressées  nues  devant 
nous  ne  manqueraient  pas  de  nous  enfermer. 

Elles  apportent,  dans  notre  intérieur,  un 
reflet  de  la  Nature,  non  point  une  imitation 


Papier  peint. 


vainement  illusoire  ouvrant  tout  à  coup  devant 
nos  veux  de  fausses  perspectives  de  campagne, 
mais  le  retour  de  sujets  harmonieusement 
agences,  capables  d'intéresser  notre  imagina- 
tion, et  empruntés  de  plus  ou  moins  près  au 
spectacle  de  l'Univers.  L'ordre  et  la  simplifi- 
cation V  sont  nécessaires,   car  il    ne   tant  pas 

oublier  que  nos 
demeures  sont 
des  lieux  de  re- 
traite et  de  quié- 
tude où  nous  de- 
vons trouver 
la  paix  indis- 
pensable à  notre 
repos  et  à  notre 
travail;  le  pa- 
pier de  nos  murs 
qui  suffirait,  par 
sa  seule  contem- 
plation, à  jeter 
le  désarroi  dans 
notre  esprit,  se- 
rait d'un  résul- 
tat déplorable. 
11  ne  faut  pas 
vouloir  trop  raf- 
finer ,  mais  je 
ne  crois  pas  exa- 
gérer en  remar- 
quant que  le  pa- 
pier sur  lequel 
nous  jetons  les 
yeux  dans  nos 
instants  de  ré- 
flexion doit  invi- 
ter de  lui-même 
nos  pensées  à  la 
netteté  et  au  cal- 
me .  Je  repous- 
serais bien  loin, 
pour  ma  part, 
un  papier  qui 
ferait  grouiller 
sans  relâche  autour  de  moi  tous  les  bas-londs 
de  la  mer,  ou  qui  se  parsèmerait  de  toutes  les 
fleurs  de  nos  parterres;  et  je  connais  des 
exemples  où  ces  exagérations  ne  sont  pas  loin 
d'avoir  été  commises. 

L'impression  de  tranquillité  est  d'autant  plus 
utile  à  un  motif  de  tenture  qu'il  doit,  pour 
ainsi  dire,  servir  de  support,  non  seulement 
aux  meubles,  mais  de  plus  près  encore  aux 
objets  d'art  qui   y   seront  appliqués.   C'est  le 


A.    CRESPIN. 


96 


An  et  Décoration 


second  rôle  de  la  tenture  murale.  On  ne  pour- 
rait pas  admettre  qu'un  tableau  se  superposât 
à  un  autre  tableau  :  le  rôle  du  papier  peint  est 
par  conséquent  un  rôle  de  discrétion,  et  par 
un  certain  coté  tout  négatif;  il  doit  ne  pas  em- 
barrasser la  vue,  ni  retenir  les  regards  au  détri- 
ment des  objets  qu'il  encadre.  Et  il  faut  bien 
se  rendre  compte  de  la  difficulté  très  grande 
qu'il  y  a  a  composer  ainsi  un  papier  peint,  qui 
soit  à  la  fois  intéressant  par  lui-même  et  se 
prête  à  cette  destinée  effacée  et  serviable  qui 
consiste  à  mettre  autre  chose  en  valeur.  Aussi 
la  critique  doit-elle  être  fort  pourvue  d'indul- 
gence en  cette  matière,  et  le  papier  peint  qui 
échappe  aux  reproches  est  peut-être  déjà  bien 
près  de  la  perfection. 

Disons  tout  de  suite  que  M.  Crespin  use  d'un 
très  heureux  choix  de  colorations,  sans  tapage, 
qui  répondent  bien  aux  conditions  du  genre.  Il 
emploie  de  vieux  tons  vert  et  brique,  sur  fond 
gris-vert,  dans  le  modèle  aux  perroquets;  le 
motif  des  poissons  comprend  des  mordorés  et 
des  bruns  rouges,  avec  les  ondes  ménagées  en 
blanc  sur  champ  bleu  très  lavé,  le  tout  étant 
saupoudré  d'or  éteint  en  crachis.  Ces  deux 
harmonies,  la  première  plus  puissante,  sont 
fort  bien  trouvées  ;  quant  aux  plumes  de  paon, 
elles  se  détachent  en  bistre  sur  le  fond  gris- 
rose  pointillé  de  blanc.  Je  ne  m'attarderai  pas 
à  reprocher  au  papier  décoré  de  poissons  les 
réminiscences  de  japonisme  qu'il  accuse  dans 


le  procédé  de  dessin.  Cela  ne  lui  ùte  guère  de 
son  mérite,  qu'assure  assez  l'entrelacement  des 
cordages,  des  poissons,  des  algues  et  des  ondes. 
Mais  la  réserve  commune  que  je  formulerai  à 
l'égard  de  ce  motif  et  'de  celui  des  perroquets, 
c'est  la  dimension  du  sujet,  qui  arrive  à  être 
très  absorbant  ;  les  cadres  que  l'on  suspendra 
sur  les  murs  ainsi  revêtus  risqueront  de  se 
perdre  sur  le  fond  qui,  je  le  crains,  ne  restera 
pas  à  son  plan.  Le  danger,  serait  moins  grand 
si  le  décor  s'absorbait  davantage  dans  le  champ; 
mais  dans  les  deux  exemples,  il  se  trouve  indi- 
qué d'une  silhouette  très  nette,  et  c'est  de  là, 
d'ailleurs,  que  ces  tentures  tirent  une  part  de 
leur  caractère.  Des  trois  modèles  que  nous 
reproduisons,  celui  où  s'entrecroisent  des  plu- 
mes de  paon,  avec  la  tonalité  modérée  que  j'ai 
indiquée  plus  haut,  est  sinon  le  plus  original 
d'invention  et  le  plus  agréablement  combiné^ 
du  moins  le  plus  heureux  de  résultat  ;  peut- 
être  y  souhaiterions-nous  un  ton  qui  en 
réchauffât  l'accord  tant  soit  peu  somnolent. 

Nous  avons  voulu  nous  exprimer  en  toute 
franchise  et  formuler  quelques  restrictions. 
C'est  par  là  seulement,  croyons-nous,  que 
l'œuvre  tentée  par  cette  revue  sera  tout  à  fait 
profitable.  Mais  affirmons  à  nouveau  le  vif 
intérêt  des  efforts  de  M.  Crespin  et  le  haut 
souci  d'art  qu'ils  manifestent. 

Octave  Maus  et  Gustave  Soulier 


¥¥$¥¥ 


CONCOURS  DE  NOVEMBRE 


Nous  donnons  comme  sujet, pourle  prochain 
concours,  un  berceau.  —  Ce  meuble  est  d'un 
usage  trop  universel  pour  que  nous  en  ayons  à 
énumérer  les  conditions  nécessaires.  Rappe- 
lons seulement  que  les  plus  récentes  doctrines 
médicales  se  prononcent  contre  le  mouvement 
dont  les  mères  avaient,  depuis  l'origine  des  âges, 
l'habitude  de  rythmer  nos  sommeils  enfantins. 
On  pourra  donc  concevoir  le  berceau  sous  une 
forme  stable,  et  sans  donner  de  jeu  aux  oscil- 
lations. Il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  non  plus 
les  préoccupations  pratiques,  auxquelles  nous 
faisons  toujours  appel,  et  l'on  devra  éviter  avec 


soin,  dans  la  structure  du  meuble,  les  angles 
auxquels  pourraient  se  heurter  l'enfant.  La 
matière  est  laissée  au  choix  de  l'artiste,  qui 
devra  s'abstenir  des  détails  de  sculpture  dont 
l'entretien  deviendrait  difficile. 

L'artiste  devra  fournir  deux  dessins,  un 
dessin  géométral  au  tiers  et  un  dessin  ci> 
perspective  au  cinquième  de  l'exécution. 

Trois  prix  seront  décernés,  de  loo,  de  5o 
et  de  2  5  francs. 

Les  dessins  devront  être  déposés  à  la  Li- 
brairie Centrale  des  Beaux-Arts,  le  25  no- 
vembre, au  plus  tard. 


Imp.  de  VaugirarJ,  G.  de  Malherbe  &  Cie,  1S2,  rue  de  N'au^irard,  Paris. 


E.MlLi;  LEVV,   Edileur-gérant. 


Art  et  Décoration 

NOTES    SUR    L'ÉTAIN 


f  Suite  et  fin) 


eus  disions  plus  haut 
que  la  renaissance  de 
l'art  de  l'étain  à  notre 
époque  ne  nous  pa- 
raissait pas  absolu- 
ment légitime.  L'exa- 
men d'un  très  grand 
nombre  d 'œuvre  s 
qui  ont  vu  le  jour 
dans  ces  dernières  années  me  parait  de  nature 
à  confirmer  cette  manière  de  voir.  Nous 
écarterons,  si  vous  le  voulez  bien,dèsrabord,  la 


ter.  Il  s'ensuit  que,  en  ces  questions,  pour  le 
moment  tout  au  moins,  le  métal  employé  est  de 
minime  importance.  Si  on  en  excepte  l'or,  qui 
conserve  sa  valeur,  qu'un  monument  soit 
d'étain,  de  bronze  ou  d'argent,  le  prix  qu'on  en 
Atma.ndcïa.en  espèces  ne  correspondra  toujours 
que  très  imparfaitement  à  sa  valeur  en  matière: 
partant  la  matière  n'est  rien,  l'art  est  tout.  Je 
ne  crois  pas  que  les  artistes  puissent  se  plain- 
dre de  cette  situation.  Donc  je  persiste  dans 
mon  opinion,  et  à  mon  avis  on  ne  saurait  trop 
le  répéter  :  la  renaissance  de  l'étain  est  injus- 


SaUères. 

question  de  la  valeur  du  métal  employé  :  en  un 
moment  où  le  prix  de  l'argent  est  tout  à  fait 
avili,  il  ne  peut  venir  à  l'esprit  de  personne 
l'idée  de  le  remplacer  par  un  autre  métal.  Or, 
presque  tous  les  monuments  d'étain  nouvel- 
lement créés  eussent  été  plus  beaux  exé- 
cutés en  argent.  D'ailleurs,  aucun  pour  ainsi 
dire  des  objets  d'art  enfantés  en  ce  moment  par 
des  artistes  voués  aux  arts  industriels  n'a  été 
répété  à  des  centaines  d'exemplaires  :  cet  état 
de  chose,  je  le  déplore,  mais  je  le  dois  consta- 


tifiée.  Ceux-là  mêmes  qui  s'y  appliquent  et  dont 
bon  nombre,  (ce  en  quoi  je  les  approuve  fort) 
sont  opposés  à  toute  réminiscence  de  l'art  du 
passé,  subissent  inconsciemment  l'influence  de 
ce  même  passé  qu'ils  voudraient  abolir  jusque 
dans  son  souvenir  ;  les  étains  d'un  Briot  ou 
d'un  Enderlein,  les  gobelets  ou  les  écuelles  du 
xvu"  et  du  xviiie  siècle,  créés  à  une  époque  où 
l'étain  tenait  son  rang  auprès  de  l'argenterie 
trop  chère  pour  les  petites  bourses,  hantent 
leur  cerveau.  Aujourd'hui,  il  ne  s'agit  plus  de 

1  3 


98 


Art  et  Décoration 


cela,  Cl  fabriquer  de  la  vaisselle  d'étain  desti- 
née aux  usages  journaliers,  chercher  à  la  faire 
adopter,  c'est  une  entreprise  aussi  déraison- 
nable que  d'essayer  de  faire  voyager  dans  des 
pataches  des  hommes  de  la  fin  du  xix^  siècle. 


Gobelet. 


BRATEA.U. 


Quel  est  l'amateur  qui,  ayant  acheté  une  écuelle 
à  Brateau  ou  à  Baffier,y  mangera  son  potage? 
Quel  est  celui  qui,  goûtant  un  vin  généreux,  ai- 
mera à  le  déguster  dans  un  métal  où  il  retrou- 
vera toujours  au  fond  de  son  gobelet  le  goût  du 
vin  bu  la  veille?  Non;  l'étain  est  un  métal  qui 
décidément  ne  mérite  pas  l'intérêt  qu"on  lui  a 
porté  dans  ces  dernières  années.  Il  a  donné 
lieu  à  de  curieuses  recherches  au  point  de  vue 
de  la  technique,  mais  j'estime  qu'il  serait  plus 
sage  de  s'en  tenir  là.  Si  quelques  curieux 
aiment  à  garnir  leurs  étagères  de  bibelots  en 
étain,  libre  à  eux  ;  mais  pourquoi  avoir  re- 
cours à  l'étain  pour  la  vaisselle  quand  on  a  à 
sa  disposition  un  métal  comme  l'argent  ou 
une  aussi  admirable  matière  que  la  porcelaine? 
Au  fond,  les  premières  créations  de  ceux 
auxquels  est  due  la  renaissance  de  cet  art  me 
donnent  raison  :  Brateau,  quand  il  créait  son 
beau  plateau  et  sa  belle  aiguière  de  style  Renais- 
sance, pensait  à  ces  pièces  qui,  au  xvie  siècle. 


ne  descendaient  jamais  des  dressoirs  qu'elles 
étaient  destinées  à  décorer;  il  ne  songeait  pas 
à  faire  un  monument  d'usage;  et  il  avait  raison, 
car  vraiment  je  ne  sais  à  quel  usage  bassin  et 
aiguière  serviraient  aujourd'hui.  Dans  cette 
pièce  où  des  figures  de  femmes  symbolisent 
les  arts  libéraux,  il  faut  louer  assurément  une 
impeccable  exécution  qui  égale  et  surpasse 
parfois  l'habileté  des  orfèvres  du  xvi"  siècle. 
Mais  j'avoue  que  la  partition  du  champ  du 
bassin,  obtenue  au  moyen  de  pilastres  ou  de  co- 
lonnettes,  svstème  qui  se  retrouve  sur  la  panse 
de  l'aiguière,  est  loin  de  valoir  la  partition  au 
moyen  de  cartouches  qu'a  adoptée  Briot.  .le 
sais  bien  que  Brateau  pourrait  m'objecter  que 
pareil  parti  pris  a  été  embrassé  par  maint  or 
fèvre  du  xvi'  siècle:  mais  tout  archéologue  que 
je  sois,  la  raison  me  paraîtrait  peu  valable  ; 
pourquoi  emprunter  aux  œuvres  du  passé 
précisément  leurs  petits  côtés,  leurs  faiblesses, 
les  points  où  on  sent  que  l'exécutant  a  eu  quelque 
mal  à  rassembler  et  à  former  un  tout  des 
détails  décoratifs  qui  lui  étaient  fournis  par  les 
livres  de  modèles  ?  Ces  réserves  faites,  je  ne 
vois  pas  de  difficulté  à  reconnaître  que  le 
galbe  de  son  aiguière  est  très  élégant  et  que 
l'anse  même,  formée  d'une  figure  de  la  Vérité  à 
laquelle  je  préférerais  une  anse  véritable,  est 
d'une  exécution  précieuse  qui  défie  la  critique. 
Ces  motifs  irrationnels,  ces  débauches  de  forme 
souvent  plus  amusantes  que  réellement  belles, 
nous  les  rencontrons  dans  des  œuvres  de  la 
Renaissance  que  nous  admirons.  Mais  n'ou- 
blions pas  que  nous  devons,  autant  que  taire 
se  peut  dans  une  vieille  civilisation,  être  ori- 
ginaux si  nous  voulons  être  vivants,  et  qu'au 
surplus,  dans  cette  admiration  des  teuvres  du 
passé,  entrent  pour  beaucoup  une  question  his- 
torique et  une  question  archéologique  qui 
n'ont  rien  à  faire  avec  l'art  proprement  dit. 
Que  les  archéologues  tombent  souvent  dans 
ce  travers,  qui  consiste  à  admirer  toute  œuvre 
qui  est  ancienne  ou  réputée  telle,  rien  de  mieux: 
question  de  profession  et  d'habitude.  Mais  que 
nos  artistes  modernes  aient  le  même  défaut,  ils 
seront  inexcusables  quand  ils  cherchent  à 
faire  œuvre  originale.  Si  nous  imitons  le  passé, 
prenons  bien  ses  qualités,  mais  gardons-nous 
de  ses  défauts.  Brateau,  j'en  suis  certain,  ne 
m'en  voudra  pas,  si  je  dis  que  son  bassin  et 
son  aiguière  sont  des  œuvres  très  importantes 
sans  doute,  pleines  de  qualités,  admirables  par 
la  conscience  de  l'exécution,  mais  inférieures 
par  la  conception   à  ce  qu'il   exécute  depuis, 


Notes  sur  l'Etain 


99 


m 


surtout  à  ces  ciainsqui    ne   font  plus  songer 
que  de   très  loin    aux   pièces   anciennes.    Un 
moment    il   a   été   attiré    par  l'art   allemand, 
et  le  résultat  de 
ce  goût  a  été  la 
création    d'une 
canette    que     je 
n'aime  pas  beau- 
coup,   je   le  dis 
franchement, 
car  sous  prétexte 
de  style    aile 
mand,   elle   cô- 
toie de  très  près 
un   style  gothi- 
que qui  fut  à  la 
modecheznous, 
il  y  a    quelque 
cinquante    ans. 
et  qui  est,  Dieu 
merci,  fort   ou- 
blié et  très  juste- 
ment, et  le  sera 
vraisemblable- 
ment     jusqu'au 
jour  où  quelque 
snob   le  remet 
tra  à  la   mode. 
Mieux  inspiré 
il  fut  très  certai- 
nement, le  jour 
où  il  modela  dé- 
licatement   une 
petite   salière 
dans  le  style  de 
la    Renaissance 
française,    dont 
l'architecture 
rappelle      ces 
énigmatiques 
faïences     aux- 
quelles   succes- 
sivement   ont 
été  imposés  les 


Viise. 


(iluséo  CT.ilIiér;i). 


nomslesplus divers.  Henri II, Dianede Poitiers, 
Oiron  ou  Saint  Porchaire  ont  eu  tour  à  tour 
Thonneur  d'avoir  protégé  ou  vu  fabriquer  ces  dé- 
licates pièces  de  céramique,  si  françaises  de  style 
et  detechnique.  Simple  réminiscence  du  reste, 
car  on  ne  trouverait  pas  dans  toute  la  série  deces 
charmantes  faïences  une  seule  pièce  dont  celle- 
ci  pût  passer  pour  être  la  copie  :  nulle  part  on 
ne  rencontre  ces  fines  cariatides  ailées,  qui 
semblent  empruntées  à  quelque  estampe  d'An- 


drouet  du  Cerceau,  ou  ces  petites  figurines 
qu'abritent  des  arcades  surbaissées  dans  le  style 
de  la   Renaissance  française.    Les   mascarons 

seuls,  qui  for- 
ment, à  la  base 
du  petit  monu- 
ment, de  vérita- 
bles patins,  sont 
bien  des  créa- 
tions du  potier 
qui  travailla  à 
l'époque  des 
derniers  princes 
de  la  maison  de 
Valois. 

Une     assiette 
aux   bords  con- 
tournés, suivant 
le    profil    qu'af- 
fectionna   chez 
nous     le     style 
rocaille,     mon- 
tre sur  son  marli 
toute   une   série 
de  divinités  ma- 
rines ,    néréïdes 
et     tritons     qui 
se  jouent  sur  les 
rt  0 1  s ,      tandis 
qu'au  milieu  de 
ce    cadre    char- 
mant s'épanouit 
lechiti'reduRoi, 
deux    L     entre- 
lacés   sur    un 
champ    fleurde- 
lisé. Mon  Dieu, 
je  sais  bien  que 
rien    là -dedans 
n'est  d'une  ori- 
ginalité     fla- 
grante, que   les 
néréïdes,    aux 
formes  nourries 


et  aux  minois  fripons,  sont  proches  parentes  des 
nymphes  peu  farouches  d'un  Clodion  ou  même 
d'un  Marin;  que  le  chiffre  de  Louis  XV  est  em- 
prunté presque  trait  pour  trait  à  une  compo- 
sition du  siècle  dernier;  mais,  néanmoins, 
l'arrangement  est  si  heureux,  le  style  si  déli- 
cat, que  je  ne  puis  m'empécher  de  louer  une 
pièce  dans  laquelle  quelques-uns  sans  doute 
trouveront  trop  de  réminiscences  du  passé.  Que 
si  ces  monumentsparaissaient  trop  pleins  d'art 


lOO 


Art  et  Décoration 


ancien  et  condamnables  à  ce  titre,  il  en  faudrait 
encore  retenir  une  notion  précieuse  pour 
connaître  le  tempérament  de  l'artiste  dont  la 
souplesse  a  su  à  la  fois  s'assimiler  le  style  de 
la  Renaissance  et  ce  je  ne  sais  quoi  de  captivant 
et  de  fut;itifqu'alestyle  français  du. wiii"  siècle. 
Mais  voici  une  série  d'œuvres  beaucoup 
plus  personnelles  et  pleines  de  charme,  une 
série  de  gobelets  dont  la  Revue  a  déjà  publié 
quelques  spécimens  et  dont  on  retrouvera  ici 
des  variantes.  Sur  des  galbes  très  simples  et 
d'ailleurs  très  bien  dessinés,  l'artiste  a  appli- 
■  que,  en  relief  généralement  peu  accentué,  une 
décoration  végétale  :  trèfle  en  fleurs,  épis  ou 
gui  dont  les  feuilles  grasses  et  lancéolées  alter- 
nent avec  les  baies  caractéristiques;  puis,  vers 
les  lèvres  du  vase,  sur  une  frise  circulaire,  se 
déroule  généralement  une  devise  qui  concourt 
elle-même  à  la  décoration.  Le  gobelet,  qu'il 
soit  légèrement  resserré  à  sa  base  pour  former 


Gobelet.  uuateau. 

un  rudiment  de  pied,  ou  qu'il  soit  coupé  car- 
rément, est  bien  en  main,  simple  de  forme  et 
agréable  au  toucher,  toutes  qualités  que 
requiert  tout  vase  à  boire.  Ce  rajeunissement 
du  gobelet,  de  la  timbale,  pour  l'appeler  par 


son  nom,  est  un  des  résultats  les  mieux  venus 
et  les  plus  heureux  des  efforts  de  Hrateau. 
.l'imagine  que  la  plupart  de  ces  pièces  feraient 
très  bonne  figure  en  argent  et  que,  de  ci 
de  là,  quelques  notes  d'or  réveilleraient  très 
heureusement  la  monotonie  du  métal,  'j  ne 
sais  si  ces  modèles  ont  été  exécutés  en  une 
autre  matière  qu'en  étain  ;  en  tout  cas,  c'est  un 
essai  à  tenter. 

Un  charmant  petit  pot  de  grès  ou  de  faïence, 
—  je  ne  sais  plus  lequel  au  juste,  mais  peu  im- 
porte —  a  reçu  de  la  main  de  l'artiste  une  mon- 
ture en  étain.  Passe  encore  pour  le  couvercle  et, 
dans  ce  cas,  l'emploi  de  ce-métal  n'a  rien  que  de 
très  légitime;  mais  le  cercle  très  ouvragé  qui 
entoure  le  pied,  pourquoi  le  faire  de  ce  métal 
qui,  par  son  oxydation  rapide,  ne  produira 
plusavec  lescouleurs  de  la  céramique  lesoppo- 
sitions  de  tons  qu'on  a  cherché  à  provoquer? 

Cet  exemple  montre  mieux  que  tout  autre, 
je  crois,  l'erreur  que  nous  commettons  en 
emplovant  un  métal  dépourvu  de  beaucoup  de 
qualités  qui  se  rencontrent,  au  contraire,  nom- 
breuses et  durables  en  d'autres  matières.  Les 
deux  salières  de  Brateau,  ces  corbeilles  soute- 
nues par  un  triton  et  une  sirène,  sont  infini- 
ment mieux  en  argent.  Et  en  l'espèce,  je  le 
répète,  qu'on  ne  me  vienne  point  objecter  le 
prix  de  ces  objets.  Ce  serait  là  une  raison 
puérile.  Sans  doute,  les  exemplaires  en  argent, 
qui  nécessitent  un  travail  assez  long  de  cise- 
lure, coûtent  plus  cher  que  les  exemplaires  en 
étain;  mais  nous  ne  considérons  ici  que  des 
objets  de  grand  luxe,  et,  dans  l'espèce,  le  prix 
est  chose  secondaire  :  l'essentiel  est  de  bien 
faire.  Et  ces  charmantes  figurines  ne  sont 
point  nées  pour  être  traduites  en  un  vil  métal. 

Comme  une  véritable  pièce  d'orfèvrerie  d'ar- 
gent, par  le  martelage  et  le  repoussage,  est 
fabriqué  un  plateau  circulaire,  très  simple  de 
profil,  dont  le  marli  est  décoré  de  perlesgrosses 
et  petites  alternant,  tandis  qu'au  fond,  autour 
d'un  ombilic  chargé  de  motifs  en  forme  de 
lettres  S,  s'étalent  des  godrons  disposés  en 
spirales.  Toute  simple  qu'elle  est,  cette  pièce 
dont  la  décoration  rappelle  certaines  orfè- 
vreries du  trésor  de  Mycénes,  me  parait  d'une 
conception  très  noble  et  d'une  exécution  très 
large.  C'est  de  plus  une  innovation  très 
heureuse  dans  l'art  de  l'étain  oij  la  minutie 
dans  l'exécution  tient  trop  souvent  plus  de 
place  que  de  raison.  Je  trouve  ce  monument 
beau,  non  pas  en  raison  des  souvenirs  archéolo- 
giques   qu'il   peut  éveiller  dans    mon    esprit. 


Fontaine  en  éiain. 


t.HAI<I'EN  1  11_R. 


Notes  sur  l'Etain 


lOl 


mais  parce  qu'il  témoigne  d'un  talent  robuste, 
capable  de  se  transformer  et  de  s'élever  au- 
dessus  de  l'ornière  des  traditions. 

Un  artiste,  travailleur  convaincu,  Baffier,  a 
été,  lui  aussi,  et  depuis  de  longues  années, 
tenté  par  l'étain.  Il  exposait,  il  y  a  plusieurs 
années  déjà,  un  groupe,  espèce  de  surtout  de 
table  ou  de  corbeille  soutenue  par  deux 
robustes  figures  de  paysannes.  Cette  création 
avait  incontestablement  des  qualités  sculptu- 
rales; mais  ses  formes  un  peu  massives  me 
parurent  peu  propres  au  but  que  poursuivait 
l'auteur.  Les  personnages  étaient  vraiment  trop 
solidement  charpentés  pour  prendre  place  sur 
une  table  au  milieu  des  cristaux,  et  d'une  foule 
de  choses  d'aspect  léger  et  un  peu  papillotant. 
Un  peu  plus  de  grâce  ne  messied  pas  en  sem- 
blable circonstance,  sans  que  pour  cela  on  soit 
tenu  de  tomber  dans  la  mièvrerie  et  le  manié- 
risme. Mais  voici  que  Baffier,  sans  renoncer 
à  son  projet  d'un  grand  surtout  de  table  qu'il 
exécutera,  je  l'espère,  quand  il  en  aura  le  loisir 
et  en  aura  la  commande  —  ce  que  je  lui  souhaite 
de  tout  mon  cœur  —  s'est  mis  à  fabriquer  des 


de    forme,    savantes   de   modelé,    empruntant 
leur  ualbc  à  des  fruits.  Ces  étains  réunissent 


Drageoir.  baffier. 

vases  et  des  coupes  en  étain.  Les  deux  pièces 
ici  reproduites,  drageoirs  ou  sucriers — la  dési- 
gnation importe  peu  —  sontdesœuvres  simples 


Sucrier.  baffier. 

les  conditions  nécessaires  pour  en  faire  des 
objets  d'usage  et  il  en  faut  être  très  reconnais- 
sant à  l'artiste.  C'est  une  bonne  leçon  qu'il 
donne  à  ceux  que  nous  créent  éternellement 
des  bibelots  de  vitrine.  Ainsi  compris,  sans 
que  j'aie  à  abdiquer  aucune  des  idées  que  j'ai 
émises  au  courant  de  ces  notes  au  sujet  de 
l'emploi  de  ce  métal,  l'étain  peut,  dans  une 
certaine  mesure,  reprendre  chez  nous  la  place 
qu'il  occupait  autrefois  dans  le  même  mobilier 
tamilial.  Ce  sont  des  objets  bien  assis,  doux 
au  toucher,  bien  dessinés  et,  de  plus,  qualité 
rare  presque  toujours  en  art  et  surtout  aujour- 
d'hui, fort  simples.  Inspirés  directement  par 
l'étude  de  la  nature,  ils  en  ont  la  solidité, 
l'aspect  honnêteet  absentde  toute  fioriture  inu- 
tile. Les  anses,  qu'elles  soient  composées  seule- 
ment de  tiges  repliées  ou  de  figures  de  femmes 
en  gaines,  sortes  d'insectes  à  tête  humaine,  sont 
bien  attachées  et  font  bien  corps  avec  le  vase 
dont  elles  doivent  faciliter  l'usage.  Les  boutons 
des  couvercles,  lézards  gracieusement  repliés, 
lézard  faisant  la  cour  à  une  grenouille,  sont  ha- 
bilement traités  sans  petitesse.  D'autres  vases, 
aiguière,  pot  à  vin,  etc.,  sont  actuellement  en 
cours  d'exécution  et  compléteront  un  ensemble 
de  vaisselle  d'étain  d'un  aspect  très  original  et 
très  personnel.  Une  tasse  à  vin,  sur  laquelle 


lo; 


Art  et  Dccoration 


se  développent  des  scènes  de  vendange  en  très 
mince  relief,  accompagnée  d'une   anse  faite 


\'asc  de  faïence  monte  en  etjîn. 


UKATEAU. 


d'un  sarment  de  vigne,  peut  prendre  place  dans 
cette  série  qui  fait  grand  honneur  à  l'artiste. 
Il  y  a  là  une  tentative  très  heureuse  pour  faire 
quelque  chose  de  nouveau,  de  bien  conforme 
à  la  destination  des  objets  et  dont  le  ton  de 
simplicité  convient  tout  à  fait  au  métal  mis 
en  œuvre.  Encore  un  peu,  et  Ballier  nous  ré- 
concilierait tout  à  fait  avec  la  vaisselle  d'étain. 
C'est  un  artiste  qui  n'aime  guère  les  sentiers 
battus,  qui  voudrait  dégager  entièrement 
notre  art  de  l'imitation  de  modèles  anciens  et 
qui  applique,  à  lui-même,  la  méthode  de  tra- 
vail qu'il  préconise.  Il  y  a  là  une  tentative,  que 
dis-je,  une  réussite  qu'il  importe  d'encourager 
efficacement.  Le  jour  où  on  voudra  bien  remeu- 
bler nos  palais  nationaux  avec  autre  chose  que 
des  pièces  de  Musée  qui  s'y  détruisent  sans 
profit  pour  personne,  et  au  détriment  du  déve- 
loppement du  mouvement  artistique  actuel. 
Ijaffier  est  de  ceux  au  concours  desquels  il  fau- 
dra faire  appel  :  j'imagine  qu'il  ferait  très  bien 
un  feu  pour  une  cheminée  monumentale  et 
mille  autres  ustensiles  de  bronze  concourant 
à  une  décoration  d'ensemble  d'un  stvle  vrai- 


ment moderne.  Et  puis  il  aime  son  métier  et 
ne  pense  pas  qu'une  semblable  besogne  soit 
au-dessous  d'un  sculpteur.  Mais  ce  sont-là  des 
souhaits  qui,  je  le  crains,  sont  purement  plato- 
niques et,  tout  au  moins,  d'une  réalisation 
difficile.  Et  c'est  dommage.  Car  si  l'Etat 
encourage  les  arts  dans  une  certaine  mesure, 
en  achetant  bon  nombre  d'œuvres  créées  pour 
les  placer  dans  les  Musées,  il  ne  serait  pas 
mauvais,  au  point  de  vue  des  arts  industriels, 
qu'il  jouât  un  peu  le  rôle  que  remplissait  autre- 
fois le  souverain.  Il  lui  faudrait  faire  plus  de 
commandes  qu'il  n'en  fait  en  ce  genre  :  ce 
serait  un  moyen  très  efficace,  non  seulement 
d'encourager  les  artistes,  mais  de  faire  créer 
des  modèles  permettant  véritablement  à  nos 
artistes  de  se  développer.  Chez  nous,  on  est 
tellement  habitué  à  la  tutelle  de  l'Etat,  que 
bien  des  modifications  apportées  dans  notre 
mobilier  par  le  style  moderne,  n'auraient  véri- 
tablement quelque  chance  d'être  adoptées  par 
le  grand  public  —  qui  peut  faire  vivre  en 
définitive  les  artistes  —  que  si  ces  modifica- 
tions portaient,  en  quelque  sorte,  l'estampille 
de  l'Etat.  Question  de  budget,  me  répondra- 
t-on  ;  d'accord.  Mais,  j'ai  le  grand  tort  de 
croire,  sans  doute,  que  c'est  dans  l'industrie 
artistique  de  grand  luxe  que  notre  pays  peut 
conserver  une  supériorité  ;  c'est  pourquoi  ces 


Bas 


arguments  budgétaires  ne  me  convainquent 
nullement.  L'argent  consacré  au  développe- 
ment de  cette  branche  de  notre  industrie  ne 


Notc'.^ 


s  sur 


l'Etc 


un 


lOJ 


peut  rcmrer  dans  la  classe  des  dépenses  inutiles. 
Les  étains  de  Desbois,  de  Ledru,  de  Laiche, 
de  Charpentier,  nous  ramènent  à  la  sculpture 
enétain.  Ici, nous  sommes  en  face  de  beaux  bibe- 
lots ou  de  majestueux  monuments,  auxquels  j'ai 
peine  à  reconnaître  une  ombre  de  ce  caractère 
utilitaire  qu'on  s'attend  à  trouverdans  unobjet 
d'art  industriel.  Nous  sommes  en  présence  de 
dilettantes  de  l'étain,  non  de  potiers  d'étain. 
Est-ce  à  dire  que  je  condamne  ces  monuments 
en  bloc  ?  Nulle- 
ment. Mais  je  ne 
comprends  pas 
pourquoi  ces 
œuvres  sont 
exécutées  en 
étain.  Est-ce  la 
couleur  du  mé- 
tal qui  a  séduit 
les  artistes?  Je 
veux  le  croire. 
Mais  on  me  per- 
mettra de  faire 
remarquer  que 
le  bronze  est 
susceptible,  au- 
jourd'hui que  la 
chimie  n'a  plus 
de  secrets,  de  re- 
cevoir toutes  les 
patines  qu'on  dé- 
sire,patines  aus- 
sivariéesdetein- 
tes  qu'on  peut  le 
souhaiter. Est-ce 
la  technique  de 
l'étain  qui  aparu 
intéressante  : 
Admettons  -  le  , 
mais  on  me  permettra  de  trouver  que,  l'œuvre 
terminée,  je  ne  vois  là  rien  de  très  différent  du 
bronze,  c'est-à-dire  des  morceaux  de  sculpture 

I  qui  s'éditent  avec  la  même  facilité  que  des 
œuvres  de  bronze.  Suivant  leurs  diverses  desti- 
nations, il  eût,  je  crois,  été  préférable  de 
choisir,  pour  l'exécution  de  ces  différents 
morceaux,  soit  le  bronze,  soit  l'argent,  avec 
toutes   les  gammes   de   coloration    que  com- 

_    portent  ces  métaux.  Je  sais  bien  qu'avec  beau- 

1  coup  de  bonne  volonté  on  pourrait  trouver 
que  l'étain  a  des  reflets  tout  à  fait  particuliers, 
des   finesses    de    tons    qu'on   ne   retrouve   pas 

•  ailleurs.  Cette  opinion-là,  je  la  connais  depuis 
longtemps  :  c'est  de  la  littérature  à  propos  de 


Plateciu  et  Gobelet. 


l'étain,  littérature  parfois  fort  agréable  quand 
la  plume  est  maniée  par  un  maitre  écrivain. 
Mais,  quand  on  y  regarde  de  près,  on  sait  ce 
qu'il  faut  penser  de  ces  jugements  littéraires 
formulés,  trop  souvent,  par  des  gens  qui,  en 
art,  ne  voient  que  la  petite  bête,  le  petit  coté 
des  choses,  l'amusant,  le  rare,  le  curieux,  mais 
sont  incapables  de  sentir  l'harmonieuse  sim- 
plicité d'une  forme.  C'est  la  même  littérature 
qui  a  voulu  mettre  à  la  mode  et  nous  faire  admi- 
rer en  bloc,  sans 
faire  le  départ 
entre  les  choses 
vraiment  belles 
et  les  chinoise- 
ries ,  les  peti- 
tesses de  l'art 
japonais,  qui 
n'est  grand  et 
ne  peut  nous 
paraître  grand, 
en  somme,  tout 
snobisme  mis  à 
part,  qu'en  ce 
qui  rappelle, 
plus  ou  moins, 
les  conceptions 
artistiques  pro- 
pres à  notre 
race.  Tout  ce  ba- 
gage littéraire  a 
perdu  trop  d'ar- 
tistes et  ne  mé- 
rite pas  d'être 
pris  au  sérieux. 
Et  à  ces  braves 
gens,  à  ces  né- 
vrosés   qui    ont 

UEATEAU.  . 

1  air  d  éprouver 
de  petits  frémissements  dans  le  cou  à  la  vue 
des  tons  plus  ou  moins  gris,  plus  ou  moins 
argentés  de  l'étain,  il  n'y  a  qu'une  réponse  à 
faire  :  à  savoir  que,  neuf  fois  sur  dix,  les  œuvres 
qu'ils  admirent  à  cause  de  leur  teinte,  sont 
recouvertes  de  patines  factices.  Si  on  laissait 
à  l'étain  sa  véritable  couleur,  son  aspect  blanc 
et  froid,  j'imagine  que  leurs  sensations  seraient 
tout  autres.  Qu'on  ne  vienne  donc  pas  nous 
parler  de  l'étain  et  de  la  poésie  de  la  gamme 
de  ses  tons  argentins. 

Ces  réserves  faites  à  propos  de  la  matière 
employée,  il  y  a  de  très  bonnes  parties  dans  le 
surtout  de  table  de  Larche  dont  les  sirènes 
sont  très  vivantes  et  cracieuses  de  silhouette  ; 


I04 


Art  et  Décoration 


les  petites  bonnes  femmes  de  Ledru,  perchées 
sur  des  coquilles,  pour  être  peut-être  d'un  art 
moins  noble,  t'orment  encore  de  charmants 
objets,  très  français  d'aspect.  La  fontaine  de 
Charpentier,  d'une  forme  sévère  qui  rappelle 
certains  monuments  de  l'époque  de  Louis  XIV 
par  la  sobriété  de  ses  lignes,  —  cela  soit  dit 
sans  le  moins  du  monde  insinuer  qu'il  y  a  là 
l'ombre  d'une  imitation  —  est,  sans  contredit, 
une  bonne  chose,  à  laquelle  on  ne  peut  faire 
d'autre  reproche  que  les  griefs  généraux  que  je 
formule  contre  l'étain.  La  sculpture  décore  la 
forme,  la  suit,  se  marie  avec  elle  sans  la  dégui- 
ser. On  ne  peut  rien  demander  de  plus.. T'avoue 
ne  pas  goûter  au  même  degré  toutes  les  com- 
positions de  Desbois  dont  bien  des  sujets  ne 
sont  peut-être  pas  fort  clairs  et  dont  certaines 
femmes  sont  tellement  musclées,  que  n'étaient 
leurs  cheveux,  on  pourrait  les  prendre  pour 
des  succédanés  de  l'Hercule  Farnèse,  vu  de 
dos,  bien  entendu.  L'anatomie  de  la  femme, 
traitée  de  cette  façon,  n'est  guère  séduisante, 
et  Michel-Ange  lui-même,  qui  pourtant  n'a 
point  reculé  devant  la  création  de  figures  de 
femmes  colossales,  en  a  toujours  enveloppé  la 
forme;  sous  cette  forme,  on  sent  courir  le  sang, 
on  pressent  la  force  ;  mais  nulle  part  ne  s'étalent 
les  montagnes  et  les  vallées  d'un  système  mus- 
culairequequelques  exceptions  parmi  les  repré- 
sentants du  beau  sexe,  possèdent,  mais  qu'elles 
cachent  sous  une  enveloppe  charnue,  aussi  soi- 
gneusement que  les  chats  déguisent  leurs  griffes. 


Ces  notes  rapides  sur  l'art  de  l'étain  à  notre 
époque,  notes  qui  d'ailleurs  pèchent  beaucoup 
par  omission,  demanderaient,  peut-être,  une 
conclusion.  Cette  conclusion,  j'ai  quelque  ré- 
pugnance à  la  formuler  ici,  parcequ'elle  pourra 
paraître  brutale;  néanmoins,  comme  cette 
conclusion  découle  logiquement  des  pages  qui 
précèdent,  je  dois  m'exécuter.  A  mon  avis, 
l'étain  ne  peut  jouer  dans  notre  renaissance 
artistique  qu'un  rôle  des  plus  effacés,  et  sauf 
pour  un  petit  nombre  d'objets,  des  bibelots 
ceux-là,  destinés  en  quelque  sorte  à  montrer 
que  notre  époque  peut  faire  aussi  bien  que  les 
siècles  passés,  l'emploi  d'un  métal  de  ce  genre 
n'est  commandé  ni  par  les  qualités  du  métal 
lui-même,  ni  par  le  prix  élevé  des  matières 
qui  le  pourraient  remplacer.  L'étain,  au  point 
de  vue  pratique,  a  trop  de  défauts  et  pas  assez 
de  qualités.  Revenons  donc  franchement  à 
l'orfèvrerie;  c'est  une  branche  dans  laquelle 
presque  tous  les  artistes  qui  se  sont  adonnés  à 
l'étain  peuvent  réussir;  que  si  quelques-uns 
d'entre  eux  n'en  connaissent  pas  tous  les 
secrets,  avec  le  concours  d'excellents  ciseleurs 
(et  il  n'en  manque  point  chez  nousjils  pourront 
renouveler  complètement  un  art  d'une  incon- 
testable utilité  et  dont  les  spécimens  les  plus 
courants  aujourd'hui,  anémiés  et  abâtardis,  ne 
représentent  ni  une  imitation  intelligente  de 
notre  art  ancien,  ni  les  tendances  nouvelles  de 
l'art  français. 

Emile  Molinier. 


Assiette. 


MEUBLES    NOUVEAUX 


r^^ 


Nous  examinerons  aujourd'hui  quelques 
meubles,  et  même  un  ensemble  d'ameuble- 
ment et  de  décoration,  exécutés  à  Paris  par 
d'importantes  maisons  industrielles.  Le  fait 
par  lui-même  est  significatif",  et  prouve  que  le 


ce  qu'il  attend  inconsciemment.  Car  il  ne  faut 
pas  oublier  que  la  majeure  partie  de  la  clien- 
tèle, même  de  la  clientèle  éclairée,  ne  formule 
guère  ses  désirs,  et  qu'elle  se  borne  à  choisir, 
parmi  les  modèles  qu'on  lui  offre,  celui  qui  lui 


Intérieur  de  salle  à  »ijiiç;cr. 


LE    CŒUR   ET    BIGADX . 


mouvement  de  rénovation  s'est  propagé  plus 
vite  qu'on  ne  pouvait  l'espérer  il  y  a  quel- 
ques mois  encore.  Il  est  bien  certain  que 
l'initiative  industrielle,  s'ajoutant  aux  es- 
sais personnels  de  quelques  artistes,  apporte 
une  plus  grande  chance  de  triomphe  aux  ten- 
dances de  nouveau  stvle  qui  se  sont  fait  jour 
dans  l'art  du  meuble,  en  même  temps  qu'elle 
fournit  une  indication  de  ce  qui  se  passe  du 
coté  du  public,  de  ce  qu'il  demande  déjà  ou  de 


plait  davantage,  ou  plus  souvent  celui  qui  lui 
parait  le  plus  généralement  estimé,  le  plus  à 
la  mode.  Cette  docilité  même  du  goût  public 
n'est-elle  pas  faite  pour  donner  plus  de  cou- 
rage aux  fabricants?  Et  du  jour  où,  dans  les 
magasins,  l'on  mettra  sous  les  yeux  des  ache- 
teurs autre  chose  que  des  copies  de  styles  pas- 
sés, ou  que  l'imitation  du  meuble  anglais 
dans  ce  qu'il  a  de  plus  «  camelote  ».  il  v  a  fort 
à  penser  que  leur  choix  saura  s'adresser  à  des 

14 


io6 


Art  et  Dccoratioii 


meubles  bien  compris,  simples,  commodes  et 
élégants.  Mais  jusqti'à  présent,  il  serait  exces- 
sif de  reprocher  au  public  de  n'avoir  pas  pris  ce 
qu'on  ne  lui  a  jamais  présenté;  et  d'autre  part, 
lorsqu'on  voit  ce  que  certains  grands  maga- 
sins inaugurent  ces  jours-ci  sous  le  nom  de 
i<  style  moderne  »,  on  ne  peut  engager  per- 
sonne à  s'y  laisser  convertir. 

Il  convient  donc   de   féliciter  des   maisons 
comme  celles  de  M.  Le  Cœur  ou  de  M.  Mau- 


est  avant  tout  nécessaire,  et  un  bon  menuisier 
sera  peut-être  plus  que  tout  autre  capable  de 
combiner  des  formes  pratiques,  surtout  pour 
les  meubles  ordinaires.  C'est  toujours  là,  en 
effet,  qu'il  faut  en  revenir,  et  les  tentatives 
partielles  dont  les  Salons  nous  apportent  chaque 
année  le  résultat,  n'arrivent  guère  qu'à  réaliser 
des  objets  d'exception.  C'est  même,  peut-on 
dire,  ces  préoccupations  multiples  et  opposées 
d'arts    individuels    qui    paralvsent    jusqu'ici 


-"  '.'. 

1 

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1 

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1  ^ 

il 

Intérieur  de  salle  à  manger. 

rice  Coblence  des  recherches  honnêtement  ten- 
tées pour  nous  doter  d'ameublements  conçus 
pour  la  vie  actuelle,  même  lorsque  ces  re- 
cherches n'auraient  pas  encore  abouti  à  un 
résultat  complet  et  définitif. 

Remarquons  encore,  avant  de  considérer  de 
plus  près  quelques-uns  de  ces  essais,  que  le 
meuble  moderne  entre  ainsi  dans  sa  véritable 
voie  de  production.  Ce  n'est  pas  qu'il  faille 
décourager  les  efforts  isolés  d'artistes  cher- 
cheurs: plusieurs  ont  prouvé  que  leur  exemple 
n'était  pas  inutile  et  ont  révélé  une  orientation 
excellente.  Mais  la  main  d'im  homme  du  métier 


LE    CŒl-R    ET    BIGAIX. 


l'essor  de  nos  arts  industriels;  et  je  suis  loin 
d'être  de  l'avis  de  ceux  qui  pensent  qu'on  ne 
peut  espérer  autre  chose  de  notre  époque,  où 
le  sens  de  l'individu  s'est  partout  développé 
jusqu'à  l'outrance.  Il  s'agit  seulement,  pour 
l'artiste  qui  se  voue  aux  arts  de  l'ameublement, 
de  consentir  à  l'humilité  de  son  rôle  d'auteur, 
et  de  ne  point  attacher  autant  d'importance  à 
la  signature.  Car  il  faut  bien  songer  que  lors- 
qu'un style  se  sera  établi  —  et  cela,  non  point 
sous  la  domination  d'un  créateur,  mais  par  la 
direction  naturelle  et  parallèle  de  tous  les 
esprits  ,  —  le  meuble  deviendra  anonyme.  C'est 


Mciihlcs    noiireaiix 


lo 


7 


pourquoi  je  ne  verrais  guère  d'inconvénient, 
pour  ma  part,  à  ce  qu'une  maison  industrielle 
s'inspirât,  dans  les  mobiliers  nouveaux  qu'elle 
exécute,  des  formes  heureuses  dont  un  artiste 
a  déjà  pu  donner  le  modèle.  Loin  de  s'en 
alarmer,  il  faudrait  y  voir  la  marque  de  cette 


Table. 


COni-ENCE. 


collaboration  de  tous,  seule  efficace  pour  que 
la  rénovation  tentée  puisse  revêtir  son  carac- 
tère indispensable  d'uniformité  et  d'ensemble. 
Il  ne  peut  être  ici  question  de  plagiat,  car 
l'amour-propre  de  quelques-uns  doit,  en  ce 
qui  concerne  les  travaux  d'ameublements, 
céder  devant  le  profit  de  tous,  et  l'on  peut 
dire  que  tout  modèle  que  l'on  reconnaîtra 
exactement  conforme  aux  exigences  de  sa  des- 
tination et  à  notre  sentiment  secret  de  l'allure 
ornementale  tombera  par  là  même  dans  le 
domaine  public. 

Il  était  utile,  je  crois,  de  donner  corps  à  ces 
considérations  générales,  oî.i  j'ai  esquissé  un 
aperçu  de  la  voie  à  suivre,  et  qui  répondent, 
me  scmble-t-il,  à  des  objections  que  l'on  m'a 
faites,  à  des  craintes  que  j'ai  entendu  formuler. 
11  faut  avouer  que,  pour  le  moment,  nous  n'en 
sommespas  encore  à  ce  point  de  consentement 
universel,  que  j'ai  entrevu,  et  qui  fera  trouver 
et  accepter  les  formes  légitimes  de  nos 
meubles.  Mais  chaque  essai  nouveau  nous 
achemine  vers  le  but,  en  ce  qu'il  permet  chaque 


fois  à  notre  discernement  de  s'exercer,  de 
sorte  que  nous 'acquerrons  une  expérience  de 
plus  en  plus  certaine  des  fautes  que  l'on  doit 
éviter  et  des  données  où  il  est  bon  de  se  main- 
tenir. 

On  ne  peut,  du  moins,  reprocher  à  M.  Le 
Cœur,  qui  travaille  en  collaboration  avec  le 
décorateur  Louis  Bigaux,  d'élaborer  timide- 
ment quelques  essais  fragmentaires.  A  eux 
deux,  ils  exécutent  des  ensembles  de  décora- 
tion et  d'ameublement,  et  ce  sera  toujours  là 
le  point  essentiel.  Il  faut  bien  dire  aussi  que 
c'est  là  que  réside  la  plus  grande  somme  de 
difficultés,  car  en  même  temps  que  chaque 
partie  du  mobilier  exige  une  entente  spéciale 
et  une  nouvelle  ressource  de  conception,  il  im- 
porte que  le  tout  soit  déterminé  par  un  principe 
constant  de  construction  et  d'ornementation, 
appliqué  à  des  formes  variées,  et  qu'il  y  ait 
entre  les  éléments  divers  un  accord  sou- 
tenu. 

On  a  déjà  parlé  ici  même  d'un  aménage- 
ment de  salon  que  MM.  Le  Cœur  et  Bigaux 
ont  exposé  à  Bruxelles;  voici  maintenant  un 
intérieur  de  salle  à  manger,  composé  pour 
M.A.  P... 

Les  auteurs  ont  voulu  poursuivre  ici  un  idéal 
de  simplicité,  auquel  doivent  certainement 
aboutir  tous  les  efforts  en  faveur  d'un  art 
moderne;  et  ils  se  sont  préoccupés  de  réaliser 
certaines  conditions  d'économie.  C'est  donc 
surtout  des  exemples  pratiques  et  abordables 
que  l'on  a  cherché  à  susciter.  L'important 
outillage  de  la  Maison  Le  Cœur  a  pu  servir  à 
souhait  ces  intentions,  et  il  n'entre  point  dans 
ce  mobilier  de  détails  de  sculpture.  Tous  les 
enjolivements  de  formes,  les  moulures,  les 
découpages,  tous  les  agréments  dont  se  relève 
l'architecture  du  meuble,  ont  été  donnés  par  la 
machine  même.  Et  c'est  bien  sur  ce  perfection- 
nement et  cette  direction  intelligente  des 
moyens  mécaniques  qu'il  faut  fonder  une 
grande  part  des  ressources  de  notre  industrie 
artistique.  Il  faut  savoir  gré  à  MM.  Le  Cœur 
et  Bigaux  de  l'avoir  compris;  car  je  ne  croïs 
pas,  pour  ma  part,  qu'il  faille  suivre  'William 
Morris  dans  sa  théorie  de  l'abolition  de  la 
machine,  du  moins  pour  la  plupart  des  grands 
ouvrages  industriels.  Il  n'est  jamais  possible 
de  faire  rebrousser  chemin  à  son  époque,  et  il 
y  aurait  toujours,  d'ailleurs,  un  coûteux  sacri- 
fice à  laisser  sans  emploi  les  forces  dont  nous 
pouvons  disposer.  Ce  qu'il  faut,  ce  n'est  pas 
abandonner  l'aide  de  la  machine,  mais  la  disci- 


io8 


Art   et   Décoration 


pliner  toujours  plus,  en  aitcnuer  la  sécheresse 
de  procédé,  la  rendre  «  plus  souple  à  la  main  », 
pourrait-on  dire,  ainsi  qu'un  animal  bien 
dressé.  Plusieurs  détails  de  menuiserie,  obte- 
nus par  M.  Le  Cœur,  montrent  déjà  que  de 
grands  progrès  ont  été  faits  de  ce  coté,  et  il  faut 
être  averti  pour  n'y  pas  reconnaître  la  main 
de  l'ouvrier. 

Toutefois,  cette  application  suivie  de  la 
machine  n'est  pas,  chez  MM.  Bigaux  et  Le 
Cœur,  sans  inconvénients,  et  elle  semble  les 
inviter  à  quelque  paresse  d'imagination,  qui 
se  trahit  dans  les  dispositions  ornementales. 
C'est  ainsi  qu'ils  ont  trop  facilement  recours 
aux  éléments  les  plus  rudimentaires  du  décor 
mécanique,  aux  lignes  droites  gravées  dans  le 
bois,  ou  bien  aux  ajours  circulaires,  tels  que 
les  enlève  directement  le  foret;  et  pourtant, 
en  d'autres  places,  ils  se  sont  montrés  capables 
d'obtenir  des  effets  plus  affinés,  comme,  par 
exemple,  dans  les  montants  d'étagères  qui  sur- 
montent la  cheminée  de  cette  salle  à  manger, 
et  qui  sont  d'une  ligne  et  d'une  coupe  assez 
gracieuses. 

Par  malheur,  cet  élément  primitif  de  déco- 
ration se  retrouve  parfois  dans  la  construction 
architecturale  elle-même,  et  l'ouverture  de  la 
cheminée  me  semble  encore  trop  peu  cher- 
chée, sans  compter  que  la  maçonnerie  appa- 
rente éveille  le  souvenir  d'un  four,  bien  que 
les  briques  soient  revêtues  d'émail  vert,  où 
jouent  des  tons  divers,  agréables  d'ailleurs. 

MM.  Le  Cœur  et  Bigaux  ont  à  se  défier,  je 
crois,  dans  leur  recherche  d'un  art  simple, 
d'en  arriver  à  un  art  nu  et  froid.  La  maigreur 
des  étagères  qui  courent  le  long  des  murs 
accuse  encore  cette  impression.  Il  y  aurait 
pourtant  à  trouver  un  degré  exact  où  la  sim- 
plicité reste  plus  souriante. 

La  structure  des  chaises,  pourvues  d'un 
df)ssier  canné,  tandis  que  le  siège  est  rem- 
bourré et  garni  d'étoffe,  est  assurément  bien 
comprise  au  point  de  vue  du  confort  et  de 
l'entretien,  mais  l'effet  en  semble  néanmoins 
disparate. 

La  partie  purement  décorative  de  la  pièce 
est  l'œuvre  plus  particulière  de  M.  Louis 
Bigaux,  et  elle  prend  dans  l'ensemble  une 
grande  importance.  Elle  consiste  surtout  dans 
la  peinture  qui  borde  le  plafond  et  s'étend  en 
frise  le  long  des  murs,  et  qui  emprunte  son 
motif  aux  branches  de  marronniers.  Elle  est 
traitée  en  vert  pâle  sur  un  fond  de  toile  gris- 
clair,  et  les  fruits  d'or  bruni  s'y  assourdissent 


tour  à  tour  ou  étincellent  doucement.  L'har- 
monie en  est  fort  délicate,  et  je  regrette  seule- 
ment l'aspect  de  la  toile  marouflée  sur  le  mur, 
qui  semble  enduite  de  colle.  Il  serait  facile, 
je  pense,  de  lui  conserver  son  grain  mat,  tout 
au  moins  dans  les  parties  qui  ne  reçoivent  pas 
de  peinture. 

Il  ne  faut  pas  oublier  de  remarquer  en  pas- 
sant les  plaques  et  les  poignées  de  portes  en 
cuivre  rouge,  où  se  modèle  une  branche  de 
pommier,  très  heureusement  conduite. 

MM.  Bigaux  et  Le  Cœur  ont  récemment 
décoré  dans  le  même  esprit  plusieurs  salons  du 
restaurant  Voisin.  Il  y  'a  dans  ces  tonalités 
claires  et  cette  sobriété  de  la  décoration 
murale  une  note  séduisante,  mais  il  faudrait 
prendre  garde  de  la  répéter  trop  fréquem- 
ment. 

Tels  qu'ils  sont,  tous  ces  efforts  méritent  la 
considération,  et   il   est    permis    d'en    espérer 


Table. 


COBLENCE. 


encore  des  résultats  plus  complets.  .le  me 
reprocherais  d'avoir  paru  faire  preuve  à  leur 
égard  d'une  trop  grande  sévérité,  alors  que  les 
néserves  sincères  sont  aux  tentatives  sérieuses 
le  plus  digne  témoignage  de  l'intérêt  et  de 
l'attention,  et  qu'il  conviendra  toujours  d'en- 


MciibL-s  nouveaux 


109 


courager  des  efforts  aussi  persévérants  et  aussi 
nécessaires. 

M.  Maurice  Coblence  n'est  pas  sans  avoir 
tenté  déjà,  lui  aussi,  des  ameublements  d'en- 
semble, mais  il  a  particulièrement  réussi  jus- 
qu'à présent  quelques  petits  meubles,  dont 
nous  donnons  des  exemples. 

Pour  les  parties  importantes  de  ses  meubles, 
M.  Coblence  —  comme  M.  Le  Cœur,  du  reste 
—  recourt  aux  bois  naturels,  que  ne  déguise 
aucune  laque,  ni  aucun  vernis.  Le  bois  appa- 
raît avec  son  grain  spécial,  sa  tonalité  véri- 
table; et  l'on  ne  saurait  trop  encourager  cette 
sorte  de  probité  de  la  matière,  qui  nous  procure 
une  qualité  particulière  de  jouissance  très 
neuve,  et  qui  contribuera  pour  beaucoup  à 
donner  à  notre  art  son  caractère  de  simplicité. 
L'entente  de  l'ébéniste  consistera  en  partie  à 
utiliser,  pour  notre  agrément,  le  jeu  des  veines, 
les  différents  degrés  de  matité  ou  de  poli, et  les 
colorations  si  variées,  fournies  par  les  essences 
que  nous  avons  actuellement  à  notre  service. 

Les  lignes  générales  des  petites  tables  de 
M.  Coblence  me  semblent  fort  joliment  agen- 
cées et  assoaplies,  inspirées  de  très  loin, 
comme  elles  le  sont,  par  l'architecture  arabe 
qui,  transformée  ainsi  par  une  libre  et  person- 
nelle interprétation,  restera  toujours  un  des 
plus  excellents  modèles., T'aime  beaucoup  aussi 
la  silhouette  des  chardons  découpés  qui 
s'adaptent  aux  voussures,  et  qui  sont  stylisés 
de  façon  si  fantaisiste  et  si  ornementale,  .le 
reprocherai  cependant  à  M.  Coblence  de  les 
avoir  compris  en  bois  teinté,  au  lieu  d'insérer 
dans  les  grandes  lignes  de  ces  meubles 
construits  en  poirier,  des  découpures  d'un  bois 
différent  qui  aurait  été  choisi  pour  un  heureux 
alliage  de  tons,  et  que  l'on  eût  retrouvé  sur 
d'autres  détails  d'ornement,  en  particulier  sur 
la  tablette  supérieure.  Il  y  aurait  eu  aussi 
avantage  à  faire  du  motif  de  chardon  lui- 
même  le  thème  ornemental  de  ces  tables,  afin 


de  donner  au  meuble  entier  un  signe  d'unité. 
La  fleur  se  serait  développée  de  nouveau,  avec 
une  nouvelle  interprétation,  sur  le  plateau, 
que  l'on  regrette  de  voir  décoré  de  figures, 
exécutées  sur  l'une  des  tables  en  marqueterie, 
et  sur  l'autre  en  bois  pyrogravé  et  teinté. 

.le  doute  que  la  figure  en  couleurs  doive  être 
emplovée  pour  l'ornementation  du  meuble,  où 
l'élément  décoratif  doit  être  plus  susceptible 
de  se  plier  aux  lignes  architecturales  ;  et  je 
crois  aussi  qu'il  ne  faut  faire  de  la  pyrogravure 
qu'un  usage  extrêmement  discret,  et  plutôt 
sur  de  menus  objets  que  sur  un  meuble.  La 
technique  en  semble  toujours,  pour  ainsi  dire, 
trop  factice,  et  comme  ajoutée  par  amusement 
au  travail  de  menuiserie;  je  ne  sais  si  je  me 
trompe  en  lui  trouvant  toujours  un  air  d'art 
d'amateur.  La  marqueterie,  au  contraire,  qui 
est  si  pleinement  un  art  du  bois,  sera  toujours 
d'un  excellent  secours  dans  l'ébénisterie.  Les 
pièces  diverses,  strictement  ajustées,  lui  com- 
muniquent un  caractère  de  fermeté  et  de  cohé- 
sion, et  s'encastrent  bien  dans  l'encadrement 
du  meuble. 

.le  veux  signaler,  en  terminant,  une  innova- 
tion qu'a  essayée  M.  Coblence  sur  d'autres 
modèles  de  meubles  :  ce  sont  des  applications 
de  bois  découpés,  fixées  sur  un  fond  d'essence 
différente,  et  qui  s'y  détachent  en  relief,  comme 
une  sorte  de  broderie  nouvelle.  Cet  essai  sera, 
je  crois,  susceptible  de  donner  d'intéressants 
effets;  mais  les  résultats  obtenus  n'ont 
encore  rien  de  définitif  :  ces  ajustements  ne 
font  pas  assez  corps  avec  le  meuble,  où  ils  ne 
pourront,  dit  reste,  jouer  qu'un  rôle  très  réservé. 

On  le  voit,  on  ne  cesse  de  chercher  dans  les 
ateliers,  et  l'on  trouve.  Il  faut  souhaiter  aux 
artisans  un  sens  de  plus  en  plus  net  du  rôle 
et  de  la  part  que  doit  prendre  la  décoration 
dans  l'ameublement,  afin  qu'ils  puissent  uti- 
liser leurs  victoires. 

Gustave  Soulier. 


I     i 


Balcon  en  fer  forgé. 


ARNOLD     BOECKLIN 


¥¥ 


'ALLEMAGNE  entière 
s'est  associée  au  ju- 
bilé des  soixante  - 
dix  ans  du  peintre 
suisse  Arnold  Bœc- 
klin,  que  Bâle,  sa 
ville  natale, a  célébré 
le  i6  octobre,  en 
grande  pompe.  C'est 
qu'il  n'est  point, 
à  l'heure  actuelle, 
d'artiste  vivant  dont 
l'influence  ait  été 
plus  prépondérante, 
et  sur  un  groupe 
d'artistes  de  talent  plus  nombreux,  que  celle  de 
ce  Suisse  en  qui  toute  l'école  néo-idéaliste,  essai- 
mée  de  Munich  à  Berlin  à  travers  villes  et  cam- 
pagnes, reconnaît  son  précurseur  et  son  chef. 
Disons  tout  de  suite  que  Bœcklin  a  été 
conspué  en  Suisse,  en  Allemagne  et  même  en 
Italie,  comme  jamais  artiste  ne  l'a  été  en 
France  davantage  ;  seulement,  l'Allemagne,  la 
Suisse  et  l'Italie  étaient  les  pays  dont  les 
paysages,  les  traditions,  l'esprit,  l'érudition  et 
la  sentimentalité  répondaient  à  la  tournure  de 
son  àme  et  qui,  de  tous  leurs  caracières  mul- 
tiples harmonieusement  fondus,  devaient 
contribuer  à  créer  la  caractéristique  de  son 
œuvre. 

I 

La  biographie  de  Bœcklin  se  résume  ainsi  : 
indépendance  absolue,  même  au  prix  de  la 
misère,  et  perpétuel  va-et-vient  d'Allemagne 
en  Italie  et  d'Italie  en  Allemagne,  à  travers  la 
Suisse.  Ses  premières  impressions  artistiques 
lui  viennent,  bien  entendu,  de  Holbein;  le 
portrait  de  sa  mère,  un  type  bien  bàlois,  en 
fait  foi  (i).  Ses  premières  impressions  de  nature 
valent  bien   les  impressions  d'art  qu'il  aurait 

(i)  Nous  aurions  tenu  à  accompagner  cette  étude  de  notre  col- 
laborateur de  reproductions  plus  nombreuses  poui  donner  une 
idée  plus  complète  des  œuvres  de  Bœcklin  ;  nous  nous  sommes  vus 
contraints  d'y  renoncer,  l'éditeur  qui  détient,  au  sens  exact  du 
terme,  tous  les  droits  de  reproduction  sur  ces  œuvres  nous  ayant 
demantlé  plusieurs  milliers  de  francs  ijour  nous  accorder  le  droit 
de  reproduction  des  quelques  clichés  que  nous  lui  avions  demandés. 
Nous  n'en  sommes  que  plus  reconn.'iissants  à  M.  Sarasin-Thur- 
neysen  de  l'exquise  bonne  grâce  avec  laquelle  il  a  mis  à  notre 
disposition  la  photographie  des  trois  fresques  dont  Bœcklin,  en 
1869,  décora  un  pavillon  de  son  hôtel,  et  que  les  conn,disseurs  les 
plus  délicats  mettent  au  premier  rang  clans  l'œuvre  si  complexe  du 
maître.  Nous  ne  nous  étonnons  plus  que  l'œuvre  du  granil  peintre 
suisse,  ainsi  cadenassée,  n'ait  pu  pénétrer  davantage  en  franco, 
et  y  soit  même  absolument  ignorée.  [Noie  de  l'cditenr.) 


pu  recueillir  dans  les  musées,  devant  les  ter- 
rains de  Huysmans  et  les  nuages  de  Ruys- 
daël;  elles  lui  viennent  de  ce  Jura  Bàlois,  aux 
belles  cassures  de  rochers  régulières,  aux 
aspects  de  forteresses  naturelles,  couronnées 
de  ruines  écimées  et  pourfendues,  d'oti  l'on 
domine  à  la  fois  la  plaine  du  Rhin  et  le  pla- 
teau suisse,  d'où  la  vue  s'étend  à  la  fois  sur 
les  Vosges,  la  Forêt-Noire  et  les  Alpes.  Il  n'a 
jamais  oublié  non  plus  les  transparences 
vertes  et  les  remous  écumeux  de  l'eau  du 
Rhin,  de  Stein  à  Laufen.  Jeté  dans  le  monde 
des  ateliers  et  des  musées,  il  va  droit  à  Pous- 
sin, rarement  à  Ruysdaèl,  et  son  indépen- 
dance l'écarté  de  tout  enseignement  suivi.  II 
glisse  à  travers  Diisseldorf,  Bruxelles,  Anvers, 
Paris,  comme  ses  naïades  écai lieuses  à  travers 
les  embruns.  En  i85o,  il  se  reconnaît  chez  lui 
à  Rome;  trois  ans  après,  le  20  juin,  il  épouse 
l'unique  femme  de  son  œuvre,  Angela  Rosa 
Lorenza  Pascucci.  Et  pourtant,  les  femmes  de 
l'œuvre  bœcklinienne  sont  très  variées:  mais 
l'artiste  bàlois,  qui  peint  toujours  de  mémoire, 
est  un  observateur  excessivement  sagace  et 
minutieux,  qui  n'a  besoin  que  d'un  archétype 
pour  en  déduire  tous  ses  types.  «  Etudiez  une 
fois  un  sapin  en  botaniste,  dit-il  à  ses  élèves, 
et  vous  n'aurez  plus  besoin  de  copier  d'autres 
sapins;  si  vous  savez  ouvrir  les  yeux  dans  vos 
promenades,  vous  n'aurez  plus  besoin  de  vous 
asseoir  en  pleine  campagne  devant  un  motif 
qui  change  à  chaque  minute,  bien  plus  que 
votre  mémoire  ne  le  change  en  apportant 
fraîche  une  impression  sur  la  toile.  )>  Mais  il 
est  juste  d'ajouter  que  Bœcklin  a  le  tort 
de  juger  de  la  mémoire  des  autres  d'après  la 
sienne.  Des  éléments  disjoints  de  la  nature  se 
rejoignent  dans  son  esprit,  pour  encadrer  une 
scène  à  laquelle  il  peut  rêver  des  journées 
entières  devant  une  toile  blanche.  Puis,  sou- 
dain, la  toile  est  couverte  :  le  pinceau  court 
partout  à  la  fois,  avec  une  verve  improvisatrice 
aussi  stupéfiante  que  celle  de  Delacroix;  la 
composition  jaillit  en  une  fois  :  le  Maître  n'y 
apportera  plus  que  de  loin  en  loin  une  touche, 
ici  ou  là,  pour  en  aviver  l'impression. 

Ce  que  cette  composition  sera,  le  voici. 
IJne  scène  fantastique,  par  exemple,  sera 
rêvée  aussi  simple  que  possible,  absolument 
une,  complète,   sans   épisodes   qui    distraient 


Arnold  Ba\l;lin 


II I 


l'attention,  et  telle  absolument  qu'elle  devrait  simple  encore,  fait  de  moins  d'éléments,  et  sur 

se  passer,  si  l'on  admet  la  réalité  de  sa  concep-  les  masses  sombres  duquel  passe  une  brume 

tien.  Une  naïade,  par  exemple,  sera  créée  de  lumineuse  de   Corot,  le  vaporeux  friselis    de 

toutes  pièces,  d'une  femme  aussi  femme  que  ses  contours  de  bosquets,  la  légèreté    de    ses 

possible,  d'un  poisson  aussi  réalistement  res-  feuillages.  Mais  Bœcklin,  s'il  a  su  placer  tou- 

souvenu  que  possible,  et  se  comportera  dans  jours  à  l'endroit  nécessaire  le  personnage  qui 

l'eau  avec  des  allures  à  la  fois  de  baigneuse  et  donne  de  l'âme  et  du  stvle,  le  caractère  mvtho- 


La  Fuite  en  Egyftc 


de  poisson,  si  exactes  que  le  miracle  aura  été 
accompli  :  le  monstre  aura  pris  vie. 

S'agit-il  d'un  paysage,  quelques  vers  de  Vir- 
gile auront-ils  donné  au  peintre  le  sentiment 
de  l'horreur  sacrée?  Immédiatement,  il  se 
souviendra  de  tel  bois  de  lauriers,  de  bou- 
leaux ou  de  cyprès,  de  telle  mélancolique 
solitude  italienne  d'un  caractère  sombrement, 
mystérieusement  classique,  de  tel  banc  de 
marbre  en  hémicyle,  de  telle  statuette  qui 
prêtait  à  ce  lieu  une  religiosité  païenne,  ou 
bien,  sous  les  fûts  vigoureux  du  lucus,  d'une 
éclaircie  par  laquelle  on  entrevoyait  la  colon- 
nade d'un  temple  lumineux;  et  voici  un  gran- 
iliose  paysage,  équilibré  et  balancé  comme  une 
cumposition  de  Poussin,  mais  beaucoup  plus 


logique  et  classique,  ne  s'est  jamais  défendu 
non  plus  contre  les  impressions  d'absolue  soli- 
tude, et  c'est  ce  qui  fait  si  grands  certains  de 
ses  paysages,  où  les  avant-plans  pétris  de 
fleurs  —  asphodèles  ou  colchiques  —  semblent 
n'avoir  jamais  été  foulés,  et  fleurir  uniquement 
pour  les  invisibles  divinités. 

La  nostalgie  de  l'Italie  a  donc  fait  de  ce 
romantique  médiéval,  né  dans  la  ville  où  les 
traditions  suisses  et  souabes  sont  encore  le  plus 
fermement  implantées,  un  classique,  tout 
comme  ils  amenèrent  le  Gœthe  de  Goet^  de 
Berlichingen  à  Iphigénie  en  Tauride.  On  se 
souvient  du  récit  de  la  première  vision  des 
horizons  italiens,  depuis  les  rives  du  lac  de 
Garde,  et  le  rappel  immédiat  d'Iphigénie  dans 


112 


An  et  Décoration 


l'esprit  de  Giu-the.  BiLcklin  a  dû  vivre  quelque 
chose  de  tout  à  fait  semblable,  et  a  traduit  à  la 
fois  son  impression  et  celle  de  Gœihe,  dans  sa 
série  de  Châteaux  assiégés  par  despirates  et  de 
Villas  au  bord  de  la  mer,  dont  l'une  est  préci- 
sément intitulée  :  Iphigénie  en  Tauride.  Cette 
série  traduit  avec  une  extraordinaire  puissance 
tout  un  groupe  de  très  vives  impressions  du 
poète,  foulant  pour  la  première  fois  la  terre 
italienne. 

Mais  le  classicisme  de  composition  de  ce 
romantique  de  la  couleur  a  un  caractère  bien 
spécial.  Cette  compréhension  de  Tantiquité 
est  celle,  toute  récente,  que  nous  ont  faite  les 
travaux  d'archéologie  des  philologues  et 
mythologues  modernes,  des  Max  Muller,  des 
Fustel  de  Coulanges,  des  Schliemann.  Il  n'y  a 
jamais  une  faute  de  vraisemblance  archéolo- 
gique, non  plus  qu'une  faute  de  vraisemblance 
naturaliste,  chez  Bœcklin  ;  et  en  cela,  il  est 
servi  autant  par  sa  science  que  par  son  instinct. 
Delacroix  lisait  l'Arioste,  Dante,  Shakespeare, 
Byron  ;  Bœcklin  a  lu  Homère,  Hésiode,  Es- 
chyle, Virgile,  et  s'est  intéressé  passionnément 
à  leurs  plus  récents  commentateurs.  Son 
Polyphème  et  son  Prométhée  sont  les  seules 
traductions  sérieuses  des  poèmes  antiques  de- 
puis Poussin.  Quant  à  la  vraisemblance  natu- 
raliste, elle  consiste  chez  Bœcklin  à  ne  jamais 
donner  au  sol  une  végétation  contradictoire 
avec  sa  minéralogie  :  jamais  un  arbre  ne  souf- 
frira du  voisinage  d'un  arbre  d'une  autre  es- 
sence, incompatible  avec  la  présence  du  pre- 
mier. Je  ne  connais  à  cette  règle  qu'une  infrac- 
tion, et  encore  est-elle  voulue  :  ce  sont  les  pal- 
miers alliés  aux  bouleaux,  de  r//e  c/e /rt  Vie,  oîi 
tout  a  droit  à  l'existence.  Il  y  a  encore  une 
vraisemblance  supérieure,  qui  allie  entre  elles 
exclusivement  les  lignes  que  la  nature  a  cou- 
tume de  rassembler  :  un  site  se  révèle  tout 
entier  d'un  même  caractère.  C'est  en  cela  que 
ce  romantique  est  un  classique  ;  s'il  connaît 
des  débauches  de  couleurs,  il  n'en  connaît 
aucune  de  lignes,  ni  de  détails. 


II 


La  base  de  l'œuvre  de  Bœcklin,  c'est  le  pay- 
sage ;  c'est  par  là  qu'il  est  le  moins  antipa- 
thique au  goût  latin;  je  dirai  même  plus:  qu'il 
est  quelquefois,  lui  partout  ailleurs  si  parfai- 
tement tudesque,  purement  latin  ;  et  la  meil- 
leure preuve  en  est  que  nous  pourrions  citer 
un  paysage  de  F.-L.   Français,   au  Musée   de 


Mulhouse,  que   Bœcklin   aurait   pu  signer,  et 
auquel   tous  les   connaisseurs    pourraient    se 
tromper.  C'est  de  son  paysage,  bàlois  ou  ita- 
lien,  toscan    surtout,    que    naît    logiquement 
toute    son    œ-uvre.    Derrière    les    événements 
épiques   et    les   fantaisies    mythologiques    les 
plus  étranges,  c'est  toujours  lui  qui  règne  au 
fond,    d'une  beauté   souveraine    harmonisant 
parfois  tous  les  contraires,  tous  les  heurts  de 
coloration.  Du  paysage  pur  au  paysage  monu- 
mental, au  paysage  de  plus  en   plus  peuplé  de 
personnages  antiques  ou  modernes,  jusqu'aux 
grandes  scènes  mythologiques,  oîi  le  paysage 
n'est    plus    qu'une  vague,  qu'un   rocher,  une 
grotte,  l'inspiration  de  Ba-cklin  se  fait  de  plus 
en  plus  particulière,  de  plus  en  plus  étrange 
au  premier  abord,  de  plus  en  plus  en  dehors 
de  tout  ce  qui   a  été  vu,  de  tout  ce  qu'on  a 
coutume   de   voir  ;    le  paysage  assiste  à   une 
création  nouvelle,  ou  tout  au  moins  à  la  résur- 
rection d'êtres,  de  formes,  depuis  des  siècles 
abolis.  Bœcklin,  enetfet,conçoittoutdela  façon 
précisément  la  plus  inattendue  et,  tout  compte 
fait,  la  plus  simple.  Après  le  coupdela  surprise, 
qui    met  en  déroute  toutes  les  imaginations 
préconçues  sur  un  sujet  donné,  il  faut  bien  lui 
accorder  qu'il  a  raison,  que  si  la  chose  fantas- 
tique a  eu  lieu,  elle  n'a  pu  avoir  lieu  qu'ainsi. 
C'est  à  force  de  bonhomie,  de  naïveté,  une  naï- 
vetéqui  consiste  à  tout  rapporterdes  choses  de 
l'antiquité  à  la  vie  de  tous  les  jours,   et  à  la 
conviction  qu'au  fond  rien  n'a  changé  des  sen- 
timents et  des  faits  primordiaux  de  l'existence, 
qu'il  arrive  à  insuffler  la  vie  à  tout  ce  monde 
de   monstres   marins   et   terrestres,   d'anciens 
mythes  oubliés.  Il  ne  craint  pas  d'introduire 
l'anecdote  dans  les  cosmogonies,  le  grotesque 
dans  les  situations  tragiques  et   une  pointe  de 
ridicule  à  coté  de  l'héroïsme.  Si  ses  centaures 
se  livrent   des  luttes   furieuses    à  démolir  les 
montagnes  (Musée  de  Baie),  ils  ont  aussi  tout 
à  coup  la  lubie  d'aller,  au  grand  ébahissement 
des   populations,  se  faire  ferrer  à  la  forge  du 
plus  prochain  village   (collection   La  Roche- 
Ringwald,  Bâle).  Si  ses  tritons  sonnent  de  la 
conque  dans  la  désolation  des  champs  labou- 
rés  de    longues    vagues    hurlantes,    ils    sont 
amoureux  aussi;  par  les  larges  houles  de  fond, 
ils  poursuivent  les  néréïdes;  ils  s'ébattent  en 
famille  (La  Roche-Ringwald,  Bâle),  et  leur  pa- 
ternité ou  leur  maternité  drolatiques  font  sou- 
rire   en   même    temps    qu'elles   attendrissent, 
tant  elles  sont  à  la  fois  bestiales  et  humaines.    . 
Ce  n'est  pas  cette  intiniitc-la  qui   avait  été 


Arnold  Bivchlin 


11 


) 


vue  JLibqu'ici  dans  la  mytholoyic.  Et  ce  qui 
l'augmente,  ce  qui  la  rend  plus  tangible  ■ —  il 
faut  encore  y  insister  —  c'est  le  réalisme  de 
traduction  de  cette  vie  bondissante,  fluctuante, 
nageante.  Les  sirènes  font  des  sauts  de  carpe, 
et  les  doigts  tremblent  de  luxure  aux  centaures 
blanchis  qui  les 
laissent  échapper; 
les  écailles  relui- 
sent et  glissent 
entre  les  mains; 
les  poitrines  des 
tritons  velues, 
verdies  ou  bru- 
nies dans  les  an- 
tres de  la  mer, 
font  penser  à  des 
sables  chevelus 
d'algues  ;  les  bar- 
bes et  les  toisons 
pendent  ruisse- 
lantes comme  des 
mousses  marines; 
le  pateaugeage 
des  sirènes  multi- 
colores autour  de 
leur  écueil  iMu- 
sée  de  Bàle)  a  la 
vie,  le  bruit,  les 
commérages  et 
l'écume  d'un  la- 
voir où  des  lessi- 
veuses canca- 
nent. Jamais  le 
style  et  la  cocas- 
serie, depuis  Ra- 
belais et  Shakes- 
peare, n'avaient 
fait  si  bon  ména- 
ge; chez  B(ecklin, 
la  puérilité  même 
est  toujours  énor- 
me ;  elle  devient 
celle  d'un  Gar- 
gantuaqui  manie- 
rait   le    pinceau 


et  plus  résignée  cependant,  au  scmiment  de 
l'heure  qui  passe,  des  jours  qui  s'éteignent,  des 
feuilles  qui  tombent  et  des  années  qui  s'en- 
volent. Les  Aiics  Je  la  femme  du  Musée  de 
Zurich,  le  Vita  somniuin  brève  du  Musée  de 
Bàle,  et  surtout  un  navrant  tableau,  où  deux 

vieillards,  se  te- 
nant par  la  mam, 
somnolent  sous 
unetonnelle,dans 
un  jardin  fleuri 
qu'ils  ne  verront 
plus  une  seconde 

fois  fleurir, 
condensent  ce 
sentiment  d'une 
façon  poignante, 
et  témoignent  de 
la  profondeur,  en 
quelque  sorte  mu- 
sicale, de  l'àme  de 
l'artiste.  Le  Si- 
lence de  la  forêt 
Berlin',  avec  sa 
grande  licorne 
qui  s'avance  à  tra- 
vers la  sombre  co- 
îonnade  de  sapins 
le  la  foret  vierge, 
Pan  effrayant 
un  pâtre  ^Galerie 
Schack  et  \e  Dra- 
gon de  la  ballade 
de  Gœthe  se  dévi- 
dant avec  lenteur 
hors  de  sa  caver- 
ne, sûr  de  happer 
les  infortunés 
\oyageursdelavM 
inala,  nous  don- 
nent, aussi  inten- 
ses que  possible, 
et  uniquementpar 
des  moyens  de 
peintre,  les  sensa- 

1     tions   de     l'isole- 

Dans  les  scènes  terrestres,  méine  bonhomie,  ment  absolu,  delà  terreur  religieuse  dansles  fo- 
même  jovialité,  même  rire  de  bon  géant  qui  a  rêtsélevées,delapaniquedans  lamontagneetdu 
le  sens  de  la  nature  et  de  la  vie,  dans  les  petites  cauchemardans  les  étran^lemenis  des  cordes... 
ftistoires    de    nymphes    et    de    chèvre-pieds, 

chasses    de  Diane,  danses  au   son   de  la  flûte  ^^^ 

de  Pan  ou  de  la  syrinx;  mais  aussi  parfois,  une  Sortons  de  ce  monde  fantastique,  que  depuis 

.  tremblante  mélancolie   aux  premiers    soufïles      Rubens  et  Jordaens  aucune  imagination  aussi 
'  Pi"intaniers,ou  bien  une  mélancolie  plussombre,       puissante  n'avait  évoqué  avec  une  telle  intcn- 


David 


114 


Art  et  Décoration 


site  de  vie,  une  telle  force  de  re-création.  Nous 
voici  en  présence  de  scènes  charmantes  ou 
désopilantes,  reconstitution  delà  vie  populaire 
antique,  ou  de  grands  épisodes  historiques  ou 
religieux,  de  très  grands  symboles  philoso- 
phiques :  c'est  toute  une  légende  des  siècles  qui 
commence,  sinon  aux  jeux  de  la  vague  et  des 
tritons  de  tout  à  l'heure,  ou  même  à  Adam 
dans  le  paradis  terrestre,  du  moins  aux  tavernes 
de  Suburre,  aux  cabarets  de  soldats  romains, 
aux  grandes  griseries  de  la  vendange,  et  aboutit 
à  la  Descente  de  croix  et  aux  Pieta,  puis  à  la 
Chevalerie  (l'épique  et  formidable  Aveiiliirier 
du  Musée  de  Brème,  le  Roger  délivrant  Angé- 
lique), puis  à  la  Peinture  et  la  Poésie,  puisant 
à  la  même  fontaine,  à  la  ]'énus  Genitrix  tou- 
jours vivante,  toujours  moderne.  Mais  je  sens 
venir  l'objection,  très  française,  car  en  Alle- 
magne, en  Angleterre  et  en  Italie  on  la  fait 
moins,  —  et  pour  cause  :  tout  cela,  c'est  de  la 
littérature;  que  devient  la  peinture  dans  toute 
cette  complexité  d'intentions  et  ces  recherches 
de  drame  ? 

Ceci  nous  amène  à  parler  brièvement  de  la 
facture.  Bœcklin  peint  généralement  a  tempera, 
mais  selon  toutes  sortes  de  recettes  qui  lui  sont 
particulières.  Il  se  laisse  toujours  emporter 
par  son  sujet  et  peint  selon  la  nécessité  du 
moment,  à  sa  manière,  qui  consiste  à  se  prêter 
aux  exigences  du  motif  et  à  ne  gêner  aucune- 
ment l'impression  du  spectateur.  On  conçoit 
donc  que  cette  manière-là  n'ait  pas  pu  et  pas 
dû  varier  avec  la  mode,  d'autant  plus  qu'elle 
est  d'une  largeur,  d'une  facilité  et  d'une  sou- 
plesse merveilleuses,  ici  frottant  à  peine  la 
toile,  la  voilant  d'un  rêve  de  couleur,  ailleurs 
empâtant  avec  une  fermeté  lisse  aux  apparences 
d'encaustique.  Quant  au  coloris,  objet  de  toutes 
les  discussions  en  Allemagne,  quand  on  discu- 
tait Bœcklin,  et  qui  va  sans  doute  l'être  désor- 
mais aussi  en  France,  je  crois  qu'il  est  indis- 
cutable, comme  celui  de  Rubens,de  Delacroix 
ou  de  Besnard,  dans  ce  sens  qu'on  l'aime  ou 
qu'on  ne  l'aime  pas,  spontanément,  avant  que 
d'alléguer  les  motifs  pour  ou  contre.  Il  a  été 
qualifié  de  giorgionesque,  entre  autres  à  la 
Galette  des  Beaux-Arts,  ce  qui  peut  excellem- 
ment se  soutenir,  mais  nécessiterait  un  très  long 
développement.  D'autre  part,  des  détracteurs 
ont  appelé  ce  coloris  :  vinaigre  pour  les  veux, 
bigarrure  de  cacatoès,  badigeonnage  d'omnibus 
londonnien,  etc.  Comme  on  le  voit,  il  y  a  de  la 
marge.  La  vérité  est  qu'il  est  très  spécial  a 
Bcecklin    et   varie   éiiorniénient  d'une    toile    à 


l'autre,  si  bien  qu'entre  les  Jeux  de  la  vague 
et  le  Vita  sonmium  brève  de  Bàlc,  par  exemple, 
et  les  paysages  de  la  Galerie  Schack,  il  y  a 
réellement  un  abîme;  mais  en  face  de  n'importe 
laquelle  de  ces  toiles,  on  est  obligé  de  convenir, 
quel  que  soit  cecoloris —  excessivement  fondu, 
harmonieux  et  doux,  ou  heurté,  violent,  dis- 
sonant—  qu'il  obéit  à  la  suggestion  du  sujet, 
qu'il  en  est  une  nécessité. 

Là  où  son  coloris  conciliera,  je  crois,  tous  les 
suffrages,  c'est,  par  exemple,  dans  le  portrait 
de  Mme  Bœcklin,  appartenant  à  la  Kunsthalle 
de  Bàle;  c'est  encore  dans  certains  de  ses 
paysages  le  Paganisme,  sacré  du  Musée  de 
Bàle)  et  certaines  de  ses  vagues.  Dans  ses 
paysages,  il  a  des  colorations  sourdes,  ambrées, 
profondes,  ou  au  contraire,  dans  ses  vagues, 
métalliques,  luisantes,  pailletées,  à  reflets  chan- 
geants de  labrador,  qui  ne  sont  qu'à  lui  et  qui 
constituent  son  appoint  à  la  svmphonie  des 
grands  coloristes,  comme  les  transparences  de 
gemmes  celui  de  M.  Gustave  Moreau.  N'eùt-il 
apporté  que  cela  au  monde  de  la  couleur,  le 
nom  de  Bœcklin  ne  serait  pas  négligeable 
dans  l'histoire  artistique  du  siècle.  Mais  il  y 
a  encore  tant  d'autres  choses  dans  le  monde 
de  la  ligne  et  de  la  forme!  Car  ce  synthé- 
tique a  défriché  dans  tous  les  sens,  et  ouvert 
tout  autant  de  sentes  par  où  se  sont  précipités, 
chacun  selon  son  tempérament,  ses  disciples, 
dont  quelques-uns  sont  les  plus  belles  espé- 
rances de  l'Allemagne  actuelle.  Ses  toiles  et 
fresques,  même  celles  dont  le  coloris  est  la 
grande  qualité,  résistent  merveilleusement  h 
la  reproduction,  et  cet  a'uvre  multiple, 
étrange  et  incroyablement  varié...  et  quelque- 
fois inégal,  a  déterminé,  en  Allemagne,  le 
mouvement  d'opinion  publique,  aujourd'hui 
si  favorable  à  l'art  nouveau. 

Les  perpétuels  voyages  de  Bœcklin  l'ont 
sans  doute  empêché  de  se  livrer  aux  travaux 
d'architecture,  de  sculpture  et  d'art  décoratif 
qui  l'eussent  tenté  et  où  il  n'eût  pas  manqué, 
là  encore,  d'innover.  Cependant,  il  est  assez 
d'indices  qui  permettent  de  pressentir  ce  qu'il 
eût  fait  dans  tous  ces  domaines.  Il  est  impos- 
sible d'avoir  vu  un  ou  deux  de  ses  paysages 
monumentaux,  sans  être  frappé  de  la  belle 
ordonnance  de  ses  architectures,  de  l'heureuse 
disposition  de  ses  grands  jardins  à  l'italienne, 
et  telle  de  ses  villas  au  bord  de  la  mer  serait, 
nous  le  savons,  le  rêve  d'intérieur  qu'il  s'était 
fait.  Les  fresques  du  Musée  de  Bàle  sont  une 
iL-uvre  de  jeunesse,  conuariée  en   pleine  cxé- 


Âi'iiohl  Bivc/ilin 


^M 


ciuion   par  tous  les   «  protecteurs  éclairés  de  littérateurs   français,   de   passage  à    Râle,  ont 

l'art  »  à  Bâle,  à  cette  époque,  et  que,  de  guerre  éprouvé  et  dit  le  charme. 

lasse,    l'artiste    abandonna    inachevées   avec  Je  n"ai   pu  retracer  qu'à  hâtons  rompus  la 

dégoût.  Plus  tard,  il  se  vengea  en  sculptant  les  phvsionomie  d'une  œuvre  et  d'un  artiste,  dont 

masques  grimaçants  de  la   Kunsthalle.    Mais  la  diversité  d'expression  est  si  captivante  que 

déjà,  dans  cette  décoration  interrompue  de  la  les  ouvrages  les   plus   brefs  ;voir    le  manuel, 

cage   de   l'escalier    du  Musée,  il  faut  relever  classique  en  Allemagne,  de  Muther  sur  «  l'Art 

au  moins  les  médaillons  où  li^urent  les  mas-  Moderne  »^  lui  doivent  encore,  mali^ré  la  né- 


L(S  liîscipics  d'Einmaiis. 


ques  symboliques  de  l'Art  effare  devant  la 
Nature,  de  la  Méchanceté  et  de  V Idiotie,  qui  de 
tous  leurs  traits  crient  leur  signification.  Puis, 
je  sais  au  fond  d'un  jardin  particulier,  à  Bàle, 
sous  une  vérandah,  trois  fresques  dont  deux 
comptent  parmi  les  plus  beaux  paysages  de 
notre  temps  ;  c'est  là  qu'il  faut  voir  une  de  ces 
prairies  fleuries,  dont  Bœcklin  s'est  avisé  de 
découvrir  la  beauté,  bien  avant  que  les  impres- 
sionnistes aient  mis  ce  sujet  à  la  mode.  Un 
essai  de  sculpture  polychrome,  le  bouclier  à 
la  tête  de  Méduse,  dont  un  exemplaire  est  au 
Musée  de  Bàle,  est  encore,  en  fait  d'art  déco- 
ratif, une  création  saisissante,   dont   bien   des 


cessité  de  se  borner,  un  très  grand  nombre  de 
pages.  Supplions,  une  nouvelle  fois,  ceux  qui 
sont  appelés  à  prendre  connaissance  de 
Bœcklin,  à  la  minute  présente,  de  ne  pas 
oublier  qu'il  ne  s'agit  point  d'un  nouveau 
venu,  désireux  de  bruit  et  gui  cherche  à  faire 
sa  trouée,  mais  d'un  vieillard  de  soixante- 
dix  ans.  qui  ne  se  soucie  d'aucuns  honneurs 
vains,  et  qui,  dès  l'année  iS.^o,  était  déjà  ce 
qu'il  est  aujourd'hui,  aussi  bien  que  Puvis  de 
Chavannes,  son  aîné  de  trois  ans,  n'est  pas 
Puvis  de   Chavannes  de  ce  matin  seulement. 

William   Piitkr. 


CONCOURS  D'AOUT 

Un   Vitrail    d'Appartement 


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A  crainte  du  Sei- 
gneur, je  veux  dire 
le  respect  du  pro- 
gramme,  n'est 
peut-être  pas,  de 
nos  jours, la  préoc- 
cupation domi- 
nante en  mniière 
de  concours,  et  il 
n'est  pas  rare  que 
des  jurvsse  voient 
contraints,  pour 
être  éc]uitahles,de 
décerner  la  palme  aux  plus  indisciplinés. 
Rien  de  semblable  en  l'occasion  pré- 
sente, et  le  soin  scrupuleux  qu'ont  mis 
presque  tous  les  concurrents  à  suivre  les 
stipulations  édictées,  vaut  qu'on  le  signale 
avec  éloge. 

.Te  me  plais  à  louer  surtout  la  tendance 
manifeste  chez  la  plupart  à  rendre  leurs  pro- 
jets, non  seulement  aimables  dans  leur  forme 
immédiate,  mais  aussi,  faciles  à  traduire  et  à 
réaliser  matériellement.  Il  suffit  donc  de  le 
vouloir  énergiquement,  pour  acquérir  en  ma- 
tière d'art  industriel  une  documentation  tech- 
nique convenable,  puisque,  sur  une  cinquan- 
taine de  projets  émanant  d'artistes  difierents 
sans  doute  par  l'âge,  les  goûts,  l'orientation 
des  études, il  en  est  à  peine  quelques-uns  dont 
un  praticien  ne  pourrait  faire  usage  sans  rema- 
niements essentiels. 

D'autres  efforts  sont  visibles  et  non  moins 
intéressants.  C'est  ainsi  qu'en  général,  on  n'a 
pascru  qu'il  fût  suffisant,  pour  «  faire  vitrail  », 
de  cerner  tant  bien  que  mal  les  principaux 
contours  du  dessin  par  un  trait  robuste  et  que 
l'indication  des  plombs  a  été  judicieuse,  l'équi- 
libre entre  les  différentes  pièces  bien  établi. 
Sans  doute,  bien  des  coupes  nécessaires  ont 
été  omises,  bien  des  formes  dessinées  que  le 
diamant  ne  saurait  traduire,  mais  on  n'atteint 
pas  d'emblée  à  la  perfection  et  je  me  sens 
plein  d'indulgence  pour  ces  défauts  véniels 
quand  je  constate  que  la  plupart  des  concur- 
rents ont  su  se  garder  d'un  travers  assez  fré- 
quent de  nos  jours,  même  chez  les  profes- 
sionnels,   très    familier,    par    exemple,    aux 


Anglais.  Je  veux  parler  de  cette  pratique,  au 
moins  bizarre,  qui  consiste,  sous  le  prétexte 
d'enrichir  un  vitrail  et  de  lui  donner  du  carac- 
tère, à  le  cribler  de  plombs  inutiles  qui  l'alour- 
dissent et  le  compliquent  au  grand  détriment 
de  la  facile  compréhension. 

Enfin,  la  plupart  des  concurrents  ont  eu  la 
sagesse  de  ne  pas  trop  verser  dans  la  littéra- 


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Dctjil.   I"  Prix. 


ture,  ainsi  que  le  sujet  choisi  aurait  pu  les  y 
inciter,  et  ont  compris  qu'on  leur  demandait 
de  faire  preuve  de  talent  plutôt  que  d'esprit, 
Pourquoi  ces  très  réelles  qualités  ne  se  sont- 


Un  Vitrail  d'Appartement 


1 1 


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JULIETTE   MILES!. 


Mention. 


PAYES.  Mcntiou. 


LEON   LAUGIEIt. 


ii8 


Art  et  Décoration 


elles  pas  accompagiu'cs  d'un  peu  plus  d'invcni 'on, 
de  hardiesse,  ou  tout  simplement  d'originalité  ? 

Je  pourrais  alors  crier  franchement  «  bravo  », 
tandis  qu'il  me  faut  bien  avouer 
que  si  le  plus  grand  nom 
bre  des  projets  son; 
n  honorables  », 
il  n'en  est  pas  un 
de  transcendant 
et  que,  si  j'avais 
fait    partie     du 
jury,    mon  em- 
barras   eût    étO 
très    grand    de- 
vant des  œuvres 
aussi    voisines 
les    unes     des 
autres. 

Et  puis,  j'en 
rage  un  peu  de 
voir  combien 
ont  mal  dirigé 
leurs  efforts  et 
gâché  à  des  su- 
perfluités  un 
temps  et  un  ta- 
lent dont  l'em- 
ploi s'indiquait 
si  bien  d'autre 
part.  Ainsi, alors 
qu'on  deman- 
dait l'indication 
aquarellée  seu- 
lement pour  lu 
croquis  au  dixiè- 
me, la  grande 
majorité  des 
concurrents  a 
cru  devoir  colo- 
rier également 
le  dessin  gran- 
deur d'exécu- 
tion. Rarement 
excès  de  zèle  fut 
plus  intempes- 
tif, et,  ce  faisant, 
plusieurs  d'entre  eux  me  semblent  avoir  bé- 
névolement amoindri  leurs  chances  de  succès. 
C'est  que  cette  enluminure  du  carton  n'est 
pas  seulement  inutile  parce  qu'elle  fait  double 
emploi  avec  l'esquisse  réduite,  mais  encore 
elle  rend  pénible  ou  impossible  le  calque 
sur  verre,  enfin  elle  réclame  une  expérience 
très  spéciale   sans  laquelle,   au  lieu   de  l'effet 


:;'  Prix. 


harmonieux  que  l'on  vise  à  aneindro,  on 
rencontre  le  plus  souvent  un  aspect  morne  ou 
criard.  Et  comme  partout  où  la  couleur  est  en 
cause,  l'impression  première  joue 
rôle  capital  et  influe 
souverainement  sur 
le  jugement  dé- 
finitif, on  voit 
aisément  les 
conséquences 
qui  en  résultent. 
Je  n'aurais 
compris  cette 
imprudence  que 
si  elle  avait  eu 
pour  excuse  le 
désir  de  faire 
comprendre  par 
un  <'  rendu  »  bien 
explicite  le  rôle 
intéressant  et 
parfois  capital 
que  peut  jouer 
dans  la  compo- 
sition d'un  vi- 
trail la  variété 
des  verres  em- 
ployés. Chose 
étrange, le  grand 
nombre  semble 
n'avoir  jamais 
observé  les  ma- 
tériauxquicons- 
tituent  le  plus 
ordinairement 
les  vitraux 
d'appartement 
actuels,  et  ne 
point  se  douter 
que  depuis  vingt 
ans  l'industrie 
a  presque  décu- 
plé les  ressour- 
ces dont  dispo- 
sait jadis  le  pein- 
tre verrier.  Ils 
sont  nombreux  pourtant  les  nouveaux  maté- 
riaux et  les  verres  coulés,  granulés,  chenilles, 
givrés, gaufrés,  maroquinés, martelés,  marbrés, 
opalescents,  pour  ne  parler  que  des  principaux, 
ont  gagné  maintenant  leurs  lettres  de  grande 
na.turalisation  et  offrent  aux  modernes  des  res- 
sources que  ceux-ci  ont  le  devoir  de  ne  pas 
ii^norer  et  seraient  maladroits  de  dédaigner. 


ELANXllE    lAVZAXNE. 


Un   Virrail  d'Àppartciiwnt 


11 


9 


C'est  à  peine  cependant  si  une  hrèvt: 
notice,  jointe  à  deux  ou  trois  projets,  indi 
qtutit  timidement  l'em- 
ploi possible,  pour  les 
fonds,  d'un  autre  verre 
que  le  transparent 
classique ,  alors  qu'un 
peu  de  réflexion  eût 
dû  montrer  que  pour 
une  chambre  à  cou  - 
cher,  l'usage  s'impo- 
sait presque  de  ces 
verres  spéciaux  qui, 
se  laissant  traverser  par 
la  lumière,  non  par  le 
regard,  pouvaient  assu- 
rer à  la  pièce  l'inti- 
mité nécessaire.  Le 
programme  l'indiquait 
presque,  en  pré- 
voyant l'emploi  de  châs- 
sis mobiles  pour  don- 
ner libre  accès  à  la  lu- 
mière ordinaire  quand 
on  n'avait  ri'Mi  à  crain- 
dre des  indiscrets  ou 
qu'on  voulait  voir  au  de- 
hors. 

11  y  avait  bien  d'au- 
tres choses  dans  ce  pro- 
gramme, pourtant  très 
concis,  que  les  concur- 
rents auraient  pu  com- 
prendre sans  même  ciu'il 
leur  fût  besoin  de  lire 
entre  les  lignes,  et  dont 
ils  n'auraient  rien  perdu 
à  s'inspirer. 

C'est  d'une  fenêtre 
de  chambre  à  coucher 
qu'il  était  question,  de 
cette  partie  de  notre  ha- 
bitation où  le  goût  per- 
sonnel de  l'individu  peut 
et  doit  se  manifester, 
au  mépris  de  toutes  ces 
considérations  de  mode, 
de  style,  de  convention 
auxquelles  tant  de  gens 
n'osent  parfois  se  sous- 
traire, malgré  qu'ils  en 
aient,  et  qui  pèsent  si  fâ- 
cheusement sur  notre  émancipation  en  ma- 
tière de  mobilier  et  de  décoration   intérieure. 


•  Pii.x-. 


,Te  gagerais,  par  exemple,  que  si  beaucoup 
d'artistes  avaient  composé  leur  projet  comme 
s'il  devait  être  immé- 
diatement réalisé  et  uti- 
lisé pour  leur  usage  per- 
sonnel, l'ensemble  des 
envois  y  eût  singuliè- 
rement gagné...  en  sim- 
plicité. 

Mais  c'est  principa- 
lement sur  la  façon  d'en- 
tendre le  coloris  que 
l'influence  de  ces  pré- 
occupations personnelles 
eût  été  sensible.  Ils  se 
seraient  avisés  bien 
vite  que ,  même  sans 
tenir  compte  des  heu- 
res possibles  de  mi- 
graine ou  d'hyperesthé- 
sie,  les  couleurs  franches 
devaient  être  proscrites 
d'une  chambre  à  cou- 
cher ou  n'y  apparaître 
que  par  touches  rares 
et  petites.  Ils  auraient 
aussi  remarqué  que, 
parmi  les  harmonies  dis- 
crètes qu'on  peut  ob- 
tenir en  nombre  par  le 
mélange  des  tons  atté- 
nués, certaines  sont  dan- 
gereuses malgré  leur 
séduction  dès  l'abord. 
Je  veux  parler  des  tons 
froids  (bleuâtres  et  cer- 
tains verdàtres)  qui,  par 
la  lumière  quasi  lunaire 
qu'ils  déversent  sur  les 
choses  et  les  gens,  im- 
prègnent les  intérieurs 
d'une  tristesse  mor- 
telle. 

Or,  un  coup  d'oeil  sur 
l'ensemble  des  maquettes 
et  esquisses  m'apprend 
bien  vite  qu'elles  sont 
légion,  celles  où  le  ver- 
dàtre  et  le  bleu  tur- 
cjuin  triomphent  souve- 
rainement, qu'elles  sont 
minorité  imposante  celles 
qui  ont  emprunté  aux  verrières  de  nos 
cathédrales    leurs    tons   les    plus   éclatants,... 


CCQ.L-ILLAT. 


120 


An  et  Décoration 


qu'elles    brillent    sunoui    par    leur    absence 
celles  où  ce  côté  si  essentiel    de  la   question 


:;'  Mciitiuii. 


DE    PENHOUET. 


étudié   et    résolu   hcurcu- 


a    L-te   sincèrement 
sèment. 

Je  ne  pouvais,  en  une  matière  oi.i  le  charme 
delà  couleur  joue  le  rôle  prépondérant, m'abs- 
tL-nir  de  ces  observations,  mais  je  ne  me  dissi- 
mule pas  que  malgré  l'abondance  des  gravures 
il  faudra  quelque  peu  me  croire  sur  parole... 
Les  projets  n'ont  pu  être  reproduits  qu'en  pas- 
sant sous  les  fourches  caudines  de  cet  impi- 
toyable égaliseur  qu'est  l'orthochromatisme, 
laissant  dans  l'aventure  qui  des  défauts,  qui 
des  qualités. 

Comment  ces  défauts  et  ces  qualités  se 
trouvent  répartis  parmi  les  projets  les  plus 
marquants  ;  je  vais  m'efforcer  de  l'ana- 
lyser. 

Ce  sont  sans  doute  les  bonnes  qualités  de 
technique  qu'elle  reflète  qui  ont  valu  à  la 
composition  de  M.  Socard  le  premier  prix. 
On  sent  là,  en  effet,  la  main  d'un  habile  prati- 
cien ;  la  plante  est  puissante  et  bien  tracée,  les 
détails  sont  indiqués  avec  science  et  précision. 


et  l'ensemble  a  certainement  du  caractère.  Il  a 
même  du  «  style  »,  beaucoup  trop  de  style 
car  sa  parenié  indéniable  avec  les  ornements 
du  xn«  siècle  me